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UNIVERSITÉ D'OTTAWA Faculté des Arts

Laboratoire de français ancien


Enfances Garin

   

CXLIX
  1. A Dieux, dist la duchoise, que je suiz tourmentee
  2. C'on a mis mon seigneur et ma doulce portee
  3. Et Yvoire ma seur dedens prison fermee ! [fol. 84v]
  4. Se leur povoye aidier, tost seroye avisee.
  5. — Mere, se dist Garin, trop faisons demouree.
  6. Allons en Acquittaine dont estes adouee !
  7. Chevalliers et baron si vous ont ravisee,
  8. Vous ferons grant honneur et seréz honnouree,
  9. Et seray recheüs de ceulx de la contree.
  10. Yderne feray prendre et sera enbrasee.
  11. Le duc delivrons qui tant a renommee.
  12. Aultrement ne sera point la chose acquievee.
  13. — Bieu filz, dist la duchose, mal seroye avisee.
  14. Car se nous y aliesmes, trop seroye doubtee
  15. C'on ne nous fesist mal, siques point ne m'agree
  16. Que devant les barons je me soy monstree,
  17. Car je suiz par le duc bannye et fourjuree.
  18. — Dame, se dist Garin, par la vertu nommee,
  19. Jammais ne fineray se ne seréz racordee.
  20. En Acquittaine yray sans point de demouree.
  21. Se treuve Driamadan qui tant a de ponnee,
  22. La teste lui tauray a ma trenchant espee,
  23. Present sa baronnye ! »
  24. CL
  25. Quant la dame oÿ Garin si faitement parler,
  26. A deux genoulx s'en va devant son filz gietter.
  27. « Mercy, beau filz, dist elle, n'y veuilliéz point aller !
  28. Car vous volléz morir quant ce veuilliéz penser.
  29. — Dame, ce dist Garin, tout ce laissiéz ester !
  30. Car foy que doy a Jhesu Crist porter,
  31. Il n'est homme en ce monde qui m'en feist arrester. »
  32. Adont prinst la duchoise tenrement a plourer.
  33. Et Garin l'endemain moult bien se va armer,
  34. Et monta a cheval qu'il ot fait apprester,
  35. Et alla a sa mere le congiet demander. [fol. 85]
  36. Mais celle au deppartir ne povoit mot parler ;
  37. Pasmee demouroit et n'y ot qu'aÿrer.
  38. Et le viellart Garin le va resconforter,
  39. Et lui a dit : « Ma dame, ou vous veuilliéz cesser !
  40. Le droit que vous avéz fera vo fil garder,
  41. Car vous avéz ung fil moult hardy baceller,
  42. Et Dieux le aidera son droit transporter. »
  43. Mais la dame ne povoit son enffant oublyer.
  44. Et Garin chevaucha ou il n'ot point d'amer,
  45. Et jure cellui Dieu qui tout a a sauver
  46. Qu'il yra Acquittaine gaignier et concquester,
  47. Et son pere et ses freres aidier et conforter ;
  48. Et s'il peut Driamadan en ou pallais trouver,
  49. D'Allexandre s'espee l'yra tel cop donner
  50. Que l'achier lui fera jusques aux dens couller ;
  51. Et puis fera Yderne en ung fu enbraser.
  52. Ensement dist Garin qui tant fist a loer.
  53. Et Dieux l'aida tant qu'il povoit bien acquiever [fol. 85v]
  54. Ce qu'il avoit empris, si comme oréz compter
  55. En nostre vraye ystoire.
  56. CLI
  57. Des ores s'en va Garin a le chiere hardie ;
  58. Pardevers Acquittaine a sa voye accueillie.
  59. Or le conduise Dieux, le fieulz sainte Marye !
  60. Car il s'en va emprendre une chose hardye ;
  61. Et se bien lui en vient, tres grande courtoisie
  62. Lui ara fait Dieux qui tout a en baillie.
  63. Tant s'exploitta Garin, dont je vous signiffie,
  64. Qu'en Acquittaine vint ung soir aprés complie.
  65. A ung hostel s'en vient prendre herbregie.
  66. Il a l'oste trouvé a l'uiz léz la cauchie.
  67. De Dieu le salua et dist : « Dieux vous benye !
  68. Se vous volléz hostel a vostre commandie,
  69. Vous l'aréz briefment ; et je le vous ottrye,
  70. Car vous me sembléz homs de bonne partie.
  71. — Hostes, se dist Garin, vous dittes courtoisie. »
  72. Lors desscendy illec et se n'aresta mye.
  73. D'assier devotement moult doulcement lui prie.
  74. « Sires, ce dist Garin, pour le corpz sainte Elye,
  75. De qui tient on ores ceste cité garnye ?
  76. — Sires, se dist le hostes, certes je vous affye
  77. Qu'on le solloit tenir de droitte anchisoirie
  78. D'un duc moult souffissant, plain de chevallerie,
  79. Et qui estoit extrais de moult haulte lignie.
  80. Et se prinst une dame courtoise et agensye ;
  81. Floure fu appellee, fille au roy de Pavye.
  82. Mais le duc Savary dont je vous signiffie,
  83. Ne lui fist oncques bien en nul jour de sa vie.
  84. Pour une damoiselle ot sa moullier bannye ;
  85. Puis fu nostre duchoise en ung bos murdrye,
  86. Et espousa le duc une putain hardye. [fol. 86]
  87. Et puis fu no cité des Lombars assigie,
  88. Et la fu pris no duc qui ot la chiere hardye.
  89. Ly ung dist qu'il est mort, l'autre dist qu'il n'est mye.
  90. Mais la fause mauvaise, que le corpz Dieu maudye,
  91. A pris ung chevallier plain de villonnye.
  92. Seigneur est du paÿz par sa losengerie ;
  93. Par sa grant maiseté a la terre honnye.
  94. Il desrobe les gens et fait grant tirannye.
  95. Et se prent VII deniers d'un huis sur le cauchie,
  96. D'une fenestre IIII ; et s'uns homs se marye,
  97. De quant qu'il a vaillant en ceste mortel vie,
  98. Driamadan en prent droittement la moittie.
  99. De XX solz VI deniers prend d'une marchandye ;
  100. Et quant uns homs se meurt, sy prent du sien partye.
  101. Ensement nous main il et par la baronnie
  102. Qui lui consent de faire, il en ont leur partie. »
  103. Et quant Garins l'oÿ, le cuer lui attenrye.
  104. Sire Dieu en jura, le filz sainte Marye,
  105. Que cest euvre sera temprement abbaissie
  106. Et son corpz en mora a deul et a hasquie.
  107. La nuyt alla soupper a petite maisnie.
  108. Jusqu'a l'endemain que l'aube est esclarchie
  109. Que Garins se leva qui forment estudie
  110. A faire sa pensee.
  111. CLII
  112. Quant Garin fu levéz, tost alla au moustier
  113. Pour Jhesu Crist de gloire aourer et prier.
  114. Puis revint a l'ostel et se vaut haubregier.
  115. Et lui hostes lui dist : « Les armes fault laissier,
  116. Car on oze porter ung seul couteau d'achier.
  117. Driamadan no sires ainsi l'a fait cryer.
  118. — Sire, se dist Garin, a celler ne le vous quier. [fol. 86v]
  119. Je m'en yray la sus ens ou pallais plenier
  120. Et s'yray le gloton Driamadan le fier
  121. A ceste bonne espee la teste jus rongnier.
  122. Des meffais qu'il a fait vous yraye vengier,
  123. Car bien vous puis pour vray jurer et fianchier
  124. Que je suiz filz au duc vo seigneur droitturier
  125. Et filz de la duchoise qu'a tort fist encachier.
  126. Encor est elle en vye, bien le puis tesmoignier.
  127. Mais je suiz cy endroit venus pour appaisier
  128. Ma mere o duc mon pere qui tant fait a prisier.
  129. Quant je ne treuve le duc, bien me doit annoyer.
  130. Je sçay bien que le duc qui tant fait a prisier
  131. Devoit en ceste ville venir et reparier
  132. Et les deux freres aussy que je doy avoir chier.
  133. Driamadan les fist au venir espyer
  134. Sy croy qu'il les a fait tellement desvoyer
  135. Que mais ne les verray, car ilz sont prisonnier.
  136. En aucun lieu sont mis et je les veuil aidier.
  137. Mais au villain gloutton yray telle debte payer. »
  138. Quant ly ostes l'oÿ, n'y ot qu'esleeschier.
  139. Par les voisins le va recorder et nunchier, [fol. 87]
  140. Et leur va disans sans riens varier
  141. Tout l'estat de Garin le baceller legier.
  142. Dont le sievent ouvriers et les gens de mestier ;
  143. Ly uns se va a l'autre et dire et conseillier.
  144. Et Garin s'en alla vers le pallas plainier.
  145. Pardessus les armures qui valent maint denier
  146. Ot vestu ung mantel d'un drap bien riche et chier,
  147. Et se tenoit l'espee pour faire son desier.
  148. Ou pallas est montéz contremont le plancquier.
  149. Le jour des plais estoit, c'on y devoit jugier
  150. Les causes principaulx quoy y devoit plaidier.
  151. Asséz viennent de gens ou pallas petyer ;
  152. Driamadan attendent pour les plais commenchier.
  153. Il estoit en sa chambre avec ung chevallier,
  154. Archillus d'Amperoche, qui le vient conseillier
  155. Tout l'estat de Garin, le baceller legier :
  156. Comment en son hostel il s'alla herbregier,
  157. Comment le demoisel le vint esveillier
  158. Et puis lui pardonna le mortel encombrier.
  159. « Driamadan, dist il, il vous faulra gaittier,
  160. Car vo corpz lui oÿz durement manaschier
  161. De vous taulir la vie ! »
  162. CLIII
  163. Quant Driamadan ot cellui qui lui compta
  164. Tout le fait de Garin, forment s'epoenta.
  165. Bien dist que, s'il povoit, tres bien se gardera.
  166. Il vient ens ou pallais ou moult de gens trouva,
  167. Car ly hostes Garin fist tant et devisa
  168. Qu'a plus de IIC hommes la chose recompta
  169. Qui vinrent au pallais savoir comment il va.
  170. Driamadan s'aisist que point ne s'aresta, [fol. 87v]
  171. Ou lui X chevalliers ou forment fescya
  172. Et si fu Archillus que Garin respita.
  173. Les plais sont commenchiés ; parlement s'efforcha.
  174. A tant es vous Garin qui le presse passa.
  175. Driamadan perchut qui response bailla
  176. A une forte cause de quoy le droit juga.
  177. Garin le jugement oÿ et escoutta.
  178. Lors, quant Driamadan la parolle fina,
  179. Garin prist a parler qui le branc d'achier a
  180. Pardessus le mantel et tout nut le porta.
  181. A sa voix qu'il eut cler haultement s'escrya :
  182. « Sire Driamadan, dist il, entendéz cha !
  183. Je vous demande droit, siques n'en falléz ja.
  184. D'un traïteur me plain qui moult bien traÿ m'a. »
  185. Quant Archillus l'oÿ cellui qu'enssy parla,
  186. Il le recongneut bien, en estant se leva.
  187. Vint a une fenestre et illec s'appoya
  188. Et illec pensoit comment du fait yra :
  189. S'il nuyra Garin ou s'il lui aidera.
  190. « Aÿ, Garin, dist il, mon corpz tu respita.
  191. Moult me fiz courtoisie quant mon corpz eschappa.
  192. Se ne le te rendoye, par Dieu qui me crea,
  193. Tous les jours de ma vie resprouvé me sera.
  194. Et par cellui Seigneur qui sa mort pardonna
  195. A l'arbre de la croix, quant il nous rachatta,
  196. Ou je te aideray ou mon corpz y mora.
  197. Tu es fieulx mon seigneur, si ne te fauray ja. »
  198. Ainsi dist Archillus qui moult Garin ama.
  199. Et Garin va parlant ; bien fu qui l'escoutta.
  200. Ja dira tel preudomme dont il rejoÿra
  201. Mainte bonne personne.
  202. CLIV
  203. Aussy tost que Garin commencha sa raison, [fol. 88]
  204. Moult bien l'ont escoutté entour et environ,
  205. Car le damoisel avoit bonne raison.
  206. « Oz tu, Driamadan, che dist lui dansillon,
  207. Et vous conmunaulment chevalliers et baron,
  208. Bourgoiz, bourgoises et gens de relligion !
  209. Je suiz filz vo seigneur qui Savary ot nom,
  210. Filz la duchoise Floure qui, par grant mesprison,
  211. Fu de chy encachie en estraigne royon.
  212. Or suiz ycy venus veoir ma regïon
  213. Que Driamadan tient qui n'y a ung bouton,
  214. Et pour ce en ara tantost son guerredon. »
  215. Son mantel deffulla ; ne tint qu'a ung bouton.
  216. Il a hauchié le branc que trence de randon.
  217. Veuille Driamadan, se tourne sa fachon ;
  218. Bien s'en cuide aller et mettre a garison.
  219. Mais Garins lui donna ung si grant horion,
  220. Au hatrel derriere fery si le glouton
  221. Que tout lui detrencha jusques au gargechon. [fol. 88v]
  222. Tout froit mort l'abbaty pardeléz ung peron,
  223. Puis sally sur le siege et se cry a hault ton :
  224. « Bonnes gens, gardéz moy que n'aye se bien non !
  225. Car fieulx suiz vo seigneur et Garin m'appell'on. »
  226. La y ot chevalliers de grant extraxion
  227. Qui lui courrurent sus comme li leux au mouton.
  228. Et Garin fiert a lui de telle opinion
  229. A l'un trenche le chief a l'autre le menton.
  230. A tant es Archillus qui sallit ou moillon
  231. Et dist : « Seigneurs, laisiéz la noize et le tenchon !
  232. Ou par cellui Seigneur qui souffry Passion,
  233. Chilz qui mal lui fera, si ait m'arme pardon,
  234. A moy ara battaille, qui que le veuille ou non.
  235. Mais tenons le a seigneur, car tenir le devon,
  236. Car c'est le filz au duc, car bien congnois sa fachon.
  237. Se plus lui faittes mal n'y aréz raenchon. »
  238. Adoncques le commun dont il y ot foison
  239. Se sont trait a Garin pour faire garison
  240. Et l'ont levé en air par grant afflection.
  241. Et le chevallier s'en fuy de randon,
  242. Mais les nobles bourgois les font tenir prison.
  243. Adont leur fist Garin illec ung sermon
  244. Que les pluseurs en pleurent et en ont marison.
  245. Sy leur dist : « Beaux seigneurs, par amour vous prion
  246. Que me rendéz Yderne, j'en ay devocion,
  247. Et Ostrisse sa mere qu'ains ne fist se mal non. »
  248. Et les bourgoiz y cuerent sans nulle aresticion.
  249. Yderne avoit sa chambre bien fermee environ,
  250. Et si estoit Ostrisse a sa maleïchon
  251. Et la belle Yvoire a la clere fachon.
  252. Toutes les ont menees en le cambre a brandon. [fol. 89]
  253. Quant Garin vit Yvoire, si seigna sa fachon.
  254. A la voix qu i ot clere s'escrya a hault ton :
  255. « Bien soyéz venus, ante ! »
  256. CLV
  257. Quant Garin vit Yvoire, se le cuert accoller,
  258. Et puis a l'escaffault alla briefment monter.
  259. « Bonnes gens, dist Garin, veuilliéz moy escoutter !
  260. Vez cy une pucelle que bien devéz amer,
  261. Car c'est fille Tiery que tant fait a loer,
  262. Le bon roy de Pavye, qui moy cuidoit espouser.
  263. Mais Jhesus m'y a fait bon lingnage trouver,
  264. Car elle est seur a ma mere qui tant a le viz cler
  265. Que temprement verréz ; je le ferray mander. »
  266. Quant Yvoire l'oÿ, se le va accoller.
  267. Et Ostrisse le vielle ou n'y ot qu'aÿrer
  268. A la voix qu'elle ot clere lui prist a escryer.
  269. « Toutes deux vous feray ardoir et au feu enbrasser [fol. 89v]
  270. Se mon pere le duc ne faittes rassescer
  271. Que par Driamadan fesistes attrapper.
  272. Et se veuilliéz en hault la chose declarer ! »
  273. Adont vint Archillus, vint a Yderne parler
  274. Et lui a dit : « Ma dame, vous ne le povéz celler
  275. Que du tout n'ayéz fait tout l'ouvraige brasser.
  276. Car vo corpz me pria que je vaulsisse aller,
  277. Et mon corpz y alla dont je faiz a blasmer ;
  278. Et puis euïch en convent de che vassal tuer,
  279. Et puis le sieviz si loings que le viz hosteller.
  280. Mais lui hostes m'ala a cestuy accuser ;
  281. Dont il me vint par nuyt en mon lit attrapper.
  282. Et s'il m'eüst voullu ochire ou affoller,
  283. Adont n'euïsse peu de ses mains eschapper.
  284. Pour l'amour qu'il me fist le doy bien honnourer,
  285. Et de ce que je vaulch son corpz a mort livrer,
  286. Tout a sa vollenté lui voray amender.
  287. — Vassaulx, ce dist Garin, de vous me doy loer.
  288. S'oncques pensates mal, Dieux vous laist bien pensser,
  289. Car on doit cellui prisier qui se veult amender ;
  290. Et mal ait qui empire. »
  291. CLVI
  292. Quant Ostrisse et Yderne ont oÿ Archillon
  293. Qu'enssy les raccusoit de la grant traÿson,
  294. Yderne se gietta tantost a genouillon
  295. Et dist : « Alléz vous ent droit au bos d'Allensson !
  296. Au chastel trouveréz le duc mis en prison
  297. Et ses deux filz aussy qui sont loyal et bon,
  298. Car filz sont d'une dame qui est de grant renom
  299. Qui a tort fu giettee de ceste regïon.
  300. Car Ostrisse ma mere, qui ait malleïchon,
  301. Donna au duc a boire d'une telle puisson
  302. Qu'il en haÿ la dame a tort et sans raison, [fol. 90]
  303. Et en ama mon corpz d'une telle fachon
  304. Qu'il ne povoit amer autre que mon droit nom.
  305. Et puis se fist ma mere gehir par ung laron
  306. Que la franche duchoise lui avoit promis grant don,
  307. Affin qu'il enherbast le bon duc son baron.
  308. Mais oncques la duchoise n'en ot devosïon.
  309. Par nous fu decachie que vous celleroit on.
  310. Et quant se elle party de ceste nacïon,
  311. Ma mere marchanda a nostre extracïon
  312. De lui faire morir ens ou bos d'Avallon.
  313. Bien cuidiesmes que fust morte sans nulle raenchon.
  314. Ainsy est avenu sans nulle menchon.
  315. Dignes sommes d'ardoir a grant destruxcion,
  316. Mais pour Dieu je vous prie, filz a gentil baron,
  317. Que mettre me veuilliéz en une religion,
  318. Car ce que j'ay fourffait par ceste occasïon
  319. C'est du conseil ma mere. »
  320. CLVII
  321. Quant Garin ot Yderne, il fu moult esbahyz. [fol. 90v]
  322. Il lui fist recorder devant grans et petis.
  323. Adont n'y ot illecques jus ne galles ne ris ;
  324. Pour la duchoise pleurent qui tant a cler le vis.
  325. Garin le damoiseaulx s'escrya a hault cris :
  326. « Seigneurs, pour Dieu allons ou mes peres est mis
  327. Et mes freres ensement que long tempz ay servys !
  328. Point ne les congnossoie, ne en fais ne en dis,
  329. Et si les ay trouvéz tous jours loyaulx amis. »
  330. Archillus appella, se lui dist a hault cryz :
  331. « Vassaulx, alléz vous ent, que n'y soyéz repris,
  332. A l'ostel de ma mere qui tant est de hault pris,
  333. Et se le ramenéz tantost en ce paÿz !
  334. Et pour ce que vous croy, n'y soyéz respis !
  335. Menéz mon ante Yvoire, pour Dieu, loyaulx amis,
  336. Et mon hoste ensement ou anuyt fu mes lis,
  337. Et LX bourgoix tous des mieulx agenssis. »
  338. Et chilz a respondu : « Volentiers, non envis. »
  339. Apareilliéz se sont et a le voye mis.
  340. Et Garin est d'illec sevrés et partis.
  341. Et les clergiés y va qui tout fu revestis
  342. En faisant orison et loant Jehsu Crist
  343. Et la Vierge Marie.
  344. CLVIII
  345. Lassent le ber Garin a belle compaignie :
  346. Bourgoises et bourgoix et le chevallerie
  347. Et la pourcession et la noble clergie.
  348. Jusqu'a ce bos y ot deux lieues et demye,
  349. La ou ly dus estoit qui chiere ot esmarye,
  350. Et ses filz ensement qui font chiere abaubye,
  351. Anthiame et Gerin que Jhesu Crist benye.
  352. Mais le duc a tel deuil qu'a paine il esmarvye
  353. Et dist : « Beau Sire Dieu, filz de sainte Marye,
  354. De cy ne wideray a nul jour de ma vie. [fol. 91]
  355. — Sires, dist Anthiames, sachiés que je me fye
  356. Tant au dansel Garin et en sa baronnie
  357. Que je croy bien et sçay qu'il nous fera aÿe.
  358. En Cezille en yra, en celle terre jolye,
  359. Et amenra le roy a si grant chevauchie
  360. Qu'Aquitaine en sera gastee et essillie
  361. Ainchois qu'il nous ne rait ; c'est chou ou je me fye.
  362. — Enffans, se dist le duc, vous parléz de follye.
  363. Quant ly homs a affaire en une autre partie,
  364. Il n'a si bon ami que tantost il n'oublye.
  365. C'est ung commun usaige.
  366. CLIX
  367. — Enffans, se dist le duc, trop ay le cuer dollant
  368. Que sommes attrappé du fel Driamadant
  369. Qui m'a deshieretté enssy en mon vivant.
  370. — Sire, se dist Gerin, en Dieu me fye tant
  371. Que Garin yra no besoingne exploittant. [fol. 91v]
  372. Anuyt par nuyt songay ung songe en mon dormant
  373. Que vëoye venir maint douch oizel chantant ;
  374. Et sy avoit ung angele qui volloit audevant
  375. Qui de cy nous alloit doulcement delivrant
  376. Et droit en Faërye nous alloit menant.
  377. La avoit une fee de moult gentil semblant ;
  378. Doulcement nous alloit baisant et accollant.
  379. Puis veoye venir Artus et Glorïant ;
  380. Et y avoit illec une joye si grant
  381. C'oncques telle ne fu en nul jour apparant.
  382. Puis s'en alloit ly angeles vers Franche vollant,
  383. Et dessus ung chastel alloit son nyt faisant.
  384. La avoit sa fumelle ou s'alloit delitant,
  385. Et celle fumellette alloit oseaux couvant.
  386. La endroit couva celle fumelle tant
  387. Que, par iceulx oiseaulx qui furent d'eulx yssant,
  388. Estrangloyent au monde tout le remanant.
  389. Ne meismes nulz oiseaulx n'aloit contre eulx durant. »
  390. Quant le duc d'Acquittaine s'en va son filz escouttant,
  391. De ce qu'il lui disoit se va esmerveillant.
  392. Ainsy comme ilz estoient en ce songne argüant,
  393. Sont venus au castel les barons souffissant.
  394. Et Garin y couroit as espourons brochant ;
  395. Vint pardevant les autres au chastel accourant.
  396. Ly pons estoit levéz et a caïnes pendant.
  397. « Ouvréz, ce dist Garins, pour les sains d'Orïant !
  398. Sy nous rendéz le duc que vous alléz tenant ! »
  399. Et dist li chastellains : « Alléz oultre passant !
  400. Je ne le renderay a nul homme vivant
  401. Fors a Driamadan le mien seigneur vaillant.
  402. Il le me commanda quant il le m'ala livrant. »
  403. Et Garin respondy hautement en oyant : [fol. 92]
  404. « Dont ly renderéz vous en Infer le puant.
  405. La le fault aller querre !
  406. CLX
  407. — Castellains, dist Garin, le duc nous delivrés !
  408. Driamadan est mort ; jammais ne le verrés. »
  409. Oÿ le chastellain, fu moult espoantéz ;
  410. Quant il vit les bourgois ensement aprestés
  411. Et le clergié aussy qui estoit aroutéz,
  412. A haulte voix s'escrye : « Seigneur, or vous tenéz !
  413. Et je diray deux mos s'entendre les vollés.
  414. Au chastel enterrés affin que me jurés
  415. Que par vous ne seray ne mort ne affolléz. »
  416. Et Garin respondy : « Ja garde n'y aréz ! »
  417. Et lui pons fu adont a terre avalléz,
  418. Et Garins y entra et li riche barnés.
  419. Adont fu le bon duc a le salle menéz,
  420. Gerins et Anthiame et Germaine de léz.
  421. Et quant virent Garin, le sanc leur est mués.
  422. Et li danssaulx les a baisiéz et accolléz ;
  423. Et puis les appella comme ja oÿr poréz.
  424. « Seigneurs, ce dist Garin, devers moy entendéz !
  425. Puis que je ne vous viz, le temps est retournés.
  426. Sire duc d'Acquittaine, de vous fuch engenrés.
  427. Vous estes le mien pere, de Floure fuch portés.
  428. Elle est encores en vye ; temprement le verrés.
  429. Et le grant traÿson par Yderne sçaréz :
  430. Et comment par Ostrisse vous estiéz enerbéz
  431. D'un buvraige de quoy vous fustes assottéz
  432. Sur Yderne sa fille, ainsi que vous oréz.
  433. S'en fu le corpz ma mere durement debouttéz
  434. Et par vous cachié hors de voz hieretéz.
  435. Sy vous fist tesmoingnier, ce fait est veritéz,
  436. Par ung faulx garchon qui fu lere prouvéz [fol. 92v]
  437. Que par lui devoit estre vo corpz enerbéz
  438. Du voloir de ma mere. S'en futes aÿrés,
  439. Car vous cuidastes bien ce fust veritéz.
  440. Pardedens le pallais, voiant tous ses privés,
  441. Driamadan est mors ; il fu par moy tués,
  442. Ou il tenoit ses plais et ses grans faussetéz,
  443. Du trenchant de m'espee lui fu le chief coppéz.
  444. Yderne est en prison ; Ostrisse y est deléz.
  445. J'ay mandé ma mere et par lui vous sçaréz
  446. Comment elle a mon corpz nouris et eslevés.
  447. Enchainte estoit de moy quant vous estiés tourblés
  448. A ll'encontre ma mere par les grans faulssetéz. »
  449. Et quant le duc l'oÿ, le sanc lui est mués.
  450. Garin va baisier le bouche et le néz ;
  451. Anthiame et Gerin l'accollent a tous léz.
  452. Ains mais ne fu veüe si grande pitéz,
  453. Car pour eulx y ploura tous li riche barnéz
  454. De pité et de joye.
  455. CLXI
  456. Grande fu le joye ou chastel la ou je dis. [fol. 93]
  457. Les barons accollerent le bon duc Savary ;
  458. Les prestres vont chantant qui furent revestis.
  459. Et puis sont du chastel sevré et party.
  460. En Acquitaine vient le duc dont je vous dy.
  461. Les dames de la ville et les bourgoiz aussy
  462. Vont encontre le duc juant de cuer joly.
  463. Moult sont les rues belles ou le duc s'embaty,
  464. Car l'erbe y font gietter qui grant odeur rendy ;
  465. Des nobles drapz de soye sont les osteulx polly.
  466. Dames et damoiselles sont sy fort resjoÿ
  467. Qu'il tresquent et carollent et prient Dieu mercy.
  468. De cy jusqu'au pallais alla li dux ainsy.
  469. La tient sa court plainiere le duc dont je vous dy ;
  470. La n'y ot sy petit qu'il ne fust bien servy.
  471. Contreval le cauchie sont les tonneaulx remply
  472. Ou chescun prent le vin tant que bien lui souffy.
  473. Le duc mandoit Ostrisse qui moult devoit haÿr,
  474. En autelle maniere que vous avéz oÿ,
  475. Et Yderne sa fille qui tout lui ot gehy.
  476. Et quant le duc l'oÿ, le sanc lui est fremi.
  477. Il a dit : « Yderne, te mere m'a trahy.
  478. Je le juge a ardoir et je le veuil ainsy.
  479. Et pour ce que j'ay gut avec le corpz de ty,
  480. Seras en une tour, pour vray le vous pleuvy,
  481. Tant que tu viveras, car il me plaist ainsy.
  482. La endroit viveras et priras Dieu mercy.
  483. Et ayéz patïenche !
  484. CLXII
  485. — Syre, se dist Yderne, bien me plaist ensement.
  486. Je prie a cellui Dieu qui fist le fiermament
  487. Que l'arme de ma mere ottrye sauvement ; [fol. 93v]
  488. Car ce qu'elle m'a fait envers vous tellement,
  489. Bien sçay qu'elle l'a fait pour mon advanchement.
  490. C'est bien grant follie, par le mien serment,
  491. Quant pere et mere font de tel argüement
  492. Qu'il n'ont cure qu'ilz ayent les autres en convent,
  493. Ne quel marchiet il fachent, ne quel aboullement,
  494. Mais qu'a leurs enffans puissent laissier plenté d'argent,
  495. Et se mettent pour eulx en obscur dampnement.
  496. Et si tost qu'il sont mors et mis a finement,
  497. Aussy tost les oblyent qu'on voit passer le vent.
  498. Et qui ainsy meurent, le diable les sourprent
  499. Qui en Infer leur fait avoir leur payement.
  500. C'est moult bien employé, par le mien serment,
  501. S'il ont asséz meschanche. »
  502. CLXIII
  503. Aprés ce que je dyz, ung petit de saison,
  504. Revint Floure la dame qui clere ot la fachon.
  505. S'on fist contre le duc belle pourcessïon, [fol. 94]
  506. Encontre la duchoise plus belle le fist on.
  507. Le duc et ses trois filz qui sont de grant renom
  508. Vont contre la duchoise qui Floure avoit a nom.
  509. A l'approchier cheÿrent trestous en pamison ;
  510. Et Yvoire et Germaine et les autre baron
  511. Ont de la grant pitié bien grant confusïon.
  512. Puis montent au pallais sans arresticïon.
  513. Le duc dist a sa dame : « Je vous requierch pardon,
  514. Car a tort vous baniz hors de ma regïon.
  515. Bien le gehit Ostrisse, comment par puisson
  516. Fist que je vous haÿch sans cause et sans raison.
  517. — Sire, dist la duchoise, s'en ay eut a fuison
  518. Mal et annoy au cuer par Dieu et par son nom ;
  519. Mais je le vous pardonne a bonne intencïon,
  520. Et Dieux le vous pardoinst qui souffry Passion ! »
  521. La tient court plainiere en autelle fachon [fol. 94v]
  522. C'on y avoit tenu devant en la saison.
  523. Et l'endemain fist ardoir en ung feu de carbon
  524. Ostrisse qui estoit de maise oppinïon,
  525. Car elle raccusa la soye extracïon
  526. Qui sieverent la dame ens ou bos d'Avalon
  527. Et lui mirent a mort Alixandre le bon
  528. Et les troix chambrerieres de moult gente fachon,
  529. Et les fist devant lui pendre a ung caïgnon.
  530. Et le mauvaise vielle plaine de traÿson
  531. Ains ne vaut a sa mort oÿr confession,
  532. Ainchois rendy son arme Burgibus et Noiron.
  533. Point n'ot de repentenche.
  534. CLXIV
  535. Ainsy morut Ostrisse sans point de repentir.
  536. Et la duchoise Floure qui fu moult rajoÿr,
  537. Quant avec son mary se pot a paix tenir.
  538. Puis ala a Pavye le sien pere veïr.
  539. Ses enffans et le duc fist a son paÿz venir
  540. Et Yvoire sa seur qui jadis ot desir
  541. De Garin espousser qui tant fait a cremir.
  542. Non pour quant ne le peult la puchelle haÿr ;
  543. Mais ne vesqui c'un pau qu'elle deuïst morir
  544. Et le duc ensement de ce siecle partir.
  545. La duchoise en ploura en giettant maint souppir
  546. Et ses III filz aussy que Dieux puist benir.
  547. Et quant le duc fu mort c'on fist enssevelir,
  548. Garin dist a ses freres, si c'on pora oÿr :
  549. « Seigneur, se dist Garin, or oyéz mon plaisir !
  550. Mors est lui dux no pere, Dieux veuille s'arme !
  551. Je vous diz, point ne veuil a la terre partir,
  552. Ains m'en yray en Franche le roy Charle servir,
  553. Car je vous jure Dieu qui pour nous vault morir [fol. 95]
  554. Que ja ne tenray terre dont je poray partir.
  555. Ains l'aray concquestee, se Dieux me veult garir,
  556. Sur les Sarrazins que Dieux puist malheÿr !
  557. Je vous commanderay au benoit Saint Espir.
  558. Sy pensséz pour ma mere !
  559. CLXV
  560. — Seigneurs, se dist Garin, en France veuil aller
  561. Et roy Charle servir et terre demander.
  562. Quant le m'ara donnee, je l'iray concquester.
  563. Se j'ay besoing de vous, bien vous saray mander.
  564. Se vous veuil bien prier que de ma mere penser. »
  565. Adont s'alla Garin fervestir et armer
  566. De telles armures com il peut deviser.
  567. Prinst or fin et argent et si l'alla trousser
  568. Pardessus ung cheval ; puis s'en va accoller
  569. Sa mere et ses deux freres qui prinrent a plourer.
  570. Oncques a leur priere il ne vault demourer.
  571. Il brocqua le cheval, si se vot desevrer.
  572. Et la duchoise pleure qui ne se pot cesser.
  573. « Dame, dist Anthiame, or laissiéz le aller !
  574. Car ce que j'ay veüt en mon soigne esperer,
  575. Encores le verréz en grant honneur monter. [fol. 95v]
  576. Et ystera de lui, par Dieu qui fist le mer,
  577. Une geste royal qui sera fort a doubter. »
  578. Adont lui va tantost du songe deviser ;
  579. Ainsy qu'il le songa, lui vault tout declairer.
  580. Ensement vault la dame la endroit demourer.
  581. Puis moru roy Thiery qui tant le cuer ber,
  582. De coy la duchoise ot Pavie a gouverner.
  583. Mais elle en fist Anthiame le couronne porter ;
  584. De Pavye fu roix, si comme j'oÿch compter.
  585. Gerins tint Acquittaine, dux s'en fist appeller
  586. Et Garrin s'en alla en France sans arrester
  587. Qui puis concquist Monglenne.