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UNIVERSITÉ D'OTTAWA Faculté des Arts

Laboratoire de français ancien


Enfances Garin  

LII
  1. Quant la dame oit son filz qui dist qu'il joustera,
  2. Lors lui dist : « Mon enffant, ne vous en merléz ja.
  3. Beau filz, vous n'estes point du païx par decha
  4. Et se vous y meffaites, nulz ne vous aydera.
  5. Mais je vous diray bien ou vo corpz yra,
  6. Ou vous trouverréz chose qui mieulx vous pourfitera.
  7. Car encores ne scéz tu, beau filz, qui t'engenra.
  8. Entre cy et ung an mes corpz le te dira,
  9. Car bien sçay que par toy mes corpz honneur avra.
  10. Mais ce ne peult cy estre et ne scéz comment il va.
  11. Sy te prie, beau filz, pour Dieu qui tout crea,
  12. Laissiéz le behourder, car mestier ne t'y a.
  13. Car pour ung seul fourfait que ton corpz fourfera,
  14. En amenderas cent, car personne n'y a
  15. Qui ce doye porter quant au besoing venra.
  16. — Dame, se dist Garrin, dire ay oÿ piecha : [fol. 29]
  17. Ja ne sera prisiéz chilz qui s'abbassera
  18. Et qui se fait valloir toudix plus vaura.
  19. Et que vault ores ung homme qui ung grant tresor a
  20. Sy n'endure a esseillier ne cha ne la ?
  21. C'est tout avoir perdu pour lui quanqu'il en a,
  22. Car ja aysé prouffit ne preu n'en avra.
  23. Mais cilz qui se fait amer se fera.
  24. Et qui honnestrement toudix se maintenra
  25. Et de belles raisons vollentiers parlera
  26. Et que de tous estas bien porter se voulra,
  27. Se il maintient, toudix pourfitera ;
  28. Tant vault oussy sa terre. »
  29. LIII
  30. Quant la dame ot Garrin qui ainsy va parlant,
  31. A soy meïsmes dist : « Beau Sire, roy de Belliant,
  32. Je vous loe et gracie de Garrin mon enfant,
  33. Qu'envoyé le m'avéz si bel et si saichant.
  34. Or fuissent cy endroit ses deux freres vaillans
  35. Que je laissay jadix de cuer tristre et dollant
  36. Pardedens Acquittaine la cité vaillant ! »
  37. Ainsy disoit la dame au gent corpz avenant,
  38. Mais par tant les verra. Ilz viennent chevauchant ;
  39. Pour venir a l'ostel s'allerent exploittant.
  40. A l'entrer du villaige s'alloient perchevant
  41. Que par les champz alloient gent d'armes queminant,
  42. Et allerent illecques leurz chevaulz assaiant
  43. Un preudomme en sa terre fouant.
  44. Anthiaumes vient a lui, si le va salluant
  45. Et lui dist : « Or, beau preudons, ne me va cellant
  46. Que font cy tant de gens que cy voy apparant ?
  47. Il dit y avoir feste qu'ilz voyent cy querant. »
  48. Ains dist le preudoms : « Saichiés a essïant,
  49. Oïl, vous trouveréz bon hostel maintennant. [fol. 29v]
  50. Chuz villain Garrin a bon hostel et grant ;
  51. Bien y serréz serviz du tout a vo commant.
  52. Faing et avaine avront voz destriers aufreant
  53. Et sy avréz bon vin, bien vineulx et poissant ;
  54. Car point n'estes tailliéz, selon mon enssient,
  55. S'entrer en vo mestier, bien voy a vo semblant,
  56. Mais d'entrer en tauverne. »
  57. LIV
  58. Quant Anthiaume oÿ cellui qui respondoit
  59. Ainsy a le traversse autrement qu'il ne doit,
  60. Il a dit a Garin : « Vorment chilz a droit
  61. Que ainsy nous a gabé, car Dieux le nous devoit.
  62. Et tout est par ma mere qui est de mal aroit.
  63. — Taisiéz, se dist Garin, par le Dieu leur ou on croit,
  64. Car j'ay oÿ dire que nostre mere estoit
  65. Toutte la plus belle qui en son tempz rengnoit,
  66. Et que le duc mon pere a tort le sourmenoit.
  67. Tout estoit par Yderne que par amours amoit, [fol. 30]
  68. Se n'ot oncques se jour jusqu'a dont qu'il vëoit
  69. Que mere party qui ad ce tempz portoit.
  70. Toute enchainte alla ; bien croy que morte soit.
  71. Et s'est perdus no peres et a petit aroit,
  72. Car no tayons le tient que amer ne le pouroit.
  73. Et nous le comparons, car on nous devroit
  74. Honnourer et prisier. Or sommes a destroit.
  75. — Taisiéz vous, beau doulx frere, Anthiame disoit.
  76. Ancores a Dieux asséz qui ses amiz pourvoit.
  77. — Voire, se dist Garrin, se donner le voulloit,
  78. Bien le sariesmes prendre. »
  79. LV
  80. Or s'en vont les enffans ausquelz moult anuya.
  81. Vinrent a l'ostel Garrin, adont allerent la.
  82. Et leur mere y estoit qui bien les regarda ;
  83. O lui estoit Garrin a qui elle parla.
  84. Quant les deux damoiseaulx la ducesse avisa,
  85. Ne les recongneust mie, et touz deux les porta,
  86. Mais n'avoient que ung an quant elle les laissa.
  87. Elle vint encontre eulx et les sallua :
  88. « Seigneurs, tres bon hostel aréz vous anuyt cha ;
  89. Les hostelz en la ville sont tous empliz piecha.
  90. — Dame, si dist Anthiaume, mon corpz si descendera.
  91. Pour vo doulce raison n'yray de la. »
  92. A tant es vous Garrin qui au cheval alla ;
  93. Par le rengne le tient et a l'ostel le mena.
  94. Anthiaume va apréz et se lui demanda :
  95. « Dittes moy, beaux amiz, et ne me celléz ja,
  96. Que font tant de gens d'armes en ce vert camp decha ?
  97. Plus de deux cens je croy qu'il en y a.
  98. — Beau sire, dist Garrins, ja cellé ne serra.
  99. Le seigneur de la ville ou bon chevallier a
  100. Deüst marier sa fille ; demain espousera
  101. Et y avra behourt qui se commenchera. [fol. 30v]
  102. Pardevant che chasteau tel behourt y avra
  103. Que moult ara beau pris qui bien s'y portera,
  104. Car c'est ung beau faucons qui C march coustera. »
  105. Quant Anthiaume l'oÿst, tout le sang lui mua.
  106. Il a dit a Garrin qui Garrin escoutta :
  107. « Cy nous fault esprouver, frere. Or y paira.
  108. Harnas nous fault trouver, querrir le nous fauldra. 
  109. — Seigneurs, se dist Garrins, moult a vendre en y a
  110. Pardevant le chasteau ; mon corpz nous y menra,
  111. Sy demouray pour vous ; on le vous baillera. »
  112. Et quant ilz l'ont oÿ, chescun l'en mercÿa.
  113. Eillaz ! se il seusist comment la chose va,
  114. Que Garrin fust leur frerre que ainsi a eulx parla,
  115. Moult en euïst grant joye.
  116. LVI
  117. Or furent les deux enfans et Garin fu le tierch
  118. Qui moult bien a fait enseller leur destrier.
  119. Et la ville les maisne le gentil escuier.
  120. Pardevant le chastel qui fu grans et plainiers,
  121. Il y avoit asséz de selles et d'estriefz.
  122. Anthiaume et Garin, qui moult estoient fier,
  123. Ne vaulrent que Garrin en demourast denier.
  124. Asséz ont a achetter de ce qui est mestier.
  125. A l'ostel l'envoyerent ou prés fu le mengier.
  126. En une grande chambre, porta li escuier
  127. De més a grant plenté et de riche dentier.
  128. Et Garrin les servist qui moult estoit entier
  129. Et leur dist : « Beaux seigneurs, fy saint Rcquier
  130. Des meilleurs vins avréz qui soyent en celliers,
  131. Et pour ce que demain avec les chevalliers
  132. Yréz le jouste emprendre. »
  133. LVII
  134. Garin servy ses freres la nuyt soussanment
  135. Tant que chescun l'en a merchïé doucement,
  136. Car avec eulx s'assist et menga lÿement [fol. 31]
  137. Et leur dist : « Beaux seigneurs, s'il vous vient a tallent,
  138. A noepches vous menray ou chasteau droittement ;
  139. Car ce ne fust pour vous, je vous ay en convent,
  140. Je y euïz souppé anuyt certainement. »
  141. Et ilz ont respondu mout gracïeusement :
  142. « Damoisel, grant mercy, Dieux vous gard de tourment !
  143. Sy le desservirons vers vous de nostre argent.
  144. — Seigneurs, se dist Garrin, je ne le veuil neant,
  145. Car je ne le fay mie pour le vostre vrayement ;
  146. Ains le fay pour ytant, pour le mien serment,
  147. Que sy aval n'avéz cousin ne parent
  148. Et se j'estoye seul en aucun tennement,
  149. Bien vouroye trouver aucun esbattement. »
  150. A ces moz sont levéz sans nul arrestement
  151. Et avallent aval ou Floure les attend.
  152. Garrin l'a appellee, se lui dist doucement :
  153. « Dame, je m'en yra au chastel vrayement.
  154. Dittes moy se on ne m'a fait cy endroit nul present
  155. De ce que orrains vous diz, par amour dittes m'ent.
  156. — Nenny, dist la duchoise, je le sçay vrayement. »
  157. Et quant Garrins le oÿt, tout le cuer lui esprent
  158. A icelle parolle, car argüe se prent.
  159. A tant est ung varlet qui menoit doucement
  160. Ung moult noble destrier ensellé moult noblement
  161. De selle et de behourt et d'escu noble et gent
  162. Et d'un hëaume aussy qui luist et qui resplent
  163. Et de tous les harnas qu'a la juste s'appent.
  164. Le varlet vit Garin, se lui dist bassement :
  165. « Garin, dist le varlet, or oyéz mon tallent.
  166. Flourette la pucelle qui de bauté resplent
  167. Vous salüe par moy de cuer baudement. [fol. 31v]
  168. Ce coursier vous envoye et quant que lui appent
  169. Et cest annel d'or fin qui vaul beaucop d'argent.
  170. Et sy vous prie aussy de ce entierement
  171. Que par amours l'améz et de vray sentement,
  172. Et que vous lui monstréz demain si grandement
  173. Qu'elle puist tenir employé loyaulment
  174. L'amour qu'elle a en vous qui l'allumme et esprent.
  175. Desmentee s'est a moy couvertement.
  176. Non mie que j'en fache a vous aucun pallement ;
  177. Mais pour ce que je veuil le vostre advanchement,
  178. Et que toudix vous ay amé entierement,
  179. Vous diz ceste occasion a vous premierement. »
  180. Et quant Garins l'oÿ, se lui dist simplement :
  181. « Amis, la demoiselle peult dire son tallent,
  182. Mais a lui n'oseroye avoir nul pensement,
  183. Car je ne sui pas dignes d'aller si haultement.
  184. Mais de ce qu'elle a fait vers moy cestui present,
  185. Se desservy ne l'ay par aucun convenent,
  186. Se aye dou desservir, se Dieu plaist, bon tallent,
  187. Car ce qu'elle m'a fait, ce saichiéz vraiement, [fol. 32]
  188. C'est de sa courtoisie.
  189. LVIII
  190. Ainsy respond Garrin au courtois messaigier ;
  191. Bien sceüt son estat et celer et noyer.
  192. Et en l'estable mena son noble courssier.
  193. Anthiaume et Garrin lui allerent aydier
  194. Tant qu'il ot destroussé son escut de quartier
  195. Et la selle enchement et le hayamme d'achier.
  196. Puis vaulrent trestous trois hors de l'ostel wydier.
  197. De cy jusqu'au chastel ne vaulrent attargier.
  198. Maint sergent y avoit a guise de portier
  199. Qui gardoient le pont, car on fist o mengier.
  200. Quant ilz veirent Garrin vers le pont approchier,
  201. Haultement lui ont dit, sans point de l'attargier :
  202. « Garrin, dont venéz vous pour le corpz saint Ricquier ?
  203. Nous vous avons oÿ hui mainte foix hucquier
  204. Du maistre chambrelenc et maistre bouteillier.
  205. — Seigneurs, se dist Garrins, j'ay eübt bon mestier
  206. A l'ostel de ma mere que Dieux gard d'encombrier.
  207. Il m'y a convenu mes amis festÿer. »
  208. Lors entra ou chastel sans point de detryer,
  209. Et ses freres avec lui, qui sont forz et legier.
  210. Ou pallais sont entré ou eubt maint chevallier.
  211. Droit a hoster les tables prinst chescun a terquier.
  212. La sonnent instrumens pour eulx sollaisier ;
  213. Vielles et guisternes y firent leur mestier.
  214. Dames et demoiselles, sergant et chevallier
  215. Tenoyent main a main pour eulx enbasnoyer.
  216. Sept chevalliers menoient la courtoise moullier
  217. Et Flourette dansoit, sy comme j'oÿz nonchier,
  218. Entre deux chevalliers qui moult estoient fier.
  219. Quant elle vey Garrin que tant aime et tient chier,
  220. N'allast plus avant pour d'or plain ung escrin ; [fol. 32v]
  221. Ainchoiz a la fenestre se allee appoyer.
  222. Chilz qui la mariee menoit au fronc premier
  223. Le remist en la tresque et s'alla laissier.
  224. Et Garrin le saisy qui le cuer ot legier.
  225. Tant gracïeulsement s'alla esbannoyer
  226. Que tous ceulx qui le veirent le tenoient moult chier,
  227. Et ses freres encement le prinrent a prisier.
  228. Dist li ung a l'aultre : « Par Dieu le droitturier,
  229. Chuz enffans est bien duiz de terre justichier,
  230. Car gentieulx est de cuer et moult fait a prisier.
  231. Grant amour nous a fait anuyt au herberguier.
  232. Pleüst Dieu qui vaulsist avec le chevallier
  233. Encore nous poroit avoir moult grant mestier,
  234. Et si poriesmes avoir povoir de lui aidier ;
  235. Mais que li roy Thieris nous vaulsist advanchier
  236. Et delivrer no pere qu'il tient a prisonnier,
  237. Qui fist mal a no mere par la faulse moullier
  238. Yderne que depuis espousa au moustier. »
  239. Enssy disoient ceulx ; n'ont talent de trequier,
  240. Ains regardent Garrin tellement appointier
  241. Que nulz ne povoit a son pas arrenguier.
  242. Bien les vëoit Flourette ses piés entrechangier.
  243. « Et Dieux, dist la pucelle, que tout as a jugier,
  244. Dame sainte Marie, me veuilliéz envoyer
  245. Tant d'onneur que me puiz de lui accompaignier.
  246. Car se un tout seul sohait povoie souhaidier,
  247. Ce seroit l'estat sans muer ne changier
  248. Que je souhaideroye. »
  249. LIX
  250. Ainsy le ber Garrin l'espousee menoit.
  251. Au son des instrumens si bien s'amesuroit
  252. Que c'estoit grant deduit de veïr la endroit,
  253. Car gracïeusement illec s'esbanyoit. [fol. 33]
  254. Le sires de la ville durement l'en prisoit.
  255. Et quant le ber Garin ot fait ce qu'il voulloit,
  256. Il alla saisir Anthiaume et puis se lui livroit
  257. La josne mariee et dist qu'il le menroit.
  258. Et li enffant respond point ne le reffuzoit.
  259. La fu dit mainte fois que gentieument dansoit ;
  260. La fu dit mainte fois que Garrin resembloit,
  261. Et c'estoit trestout ung qui ensemble les voit.
  262. Et quant Garrin oÿ qu'a lui on le mettoit,
  263. Forment s'esmerveilla dont tel chose venoit ;
  264. Mais il ne pensa mie adont ce qui estoit.
  265. Garrin saisy Flourette vistement par le doit.
  266. A la feste l'a mis ; les dois lui estraindoit
  267. Sy amoureusement que le cuer lui perchoit.
  268. Et celle vollentiers tout son gré ottroyoit [fol. 33v]
  269. Et si tres bellement que tres bien lui greoit.
  270. Et ce faisoit Amours qui ainsy l'aveullissoit,
  271. Cest vertus invisible.
  272. LX
  273. Ceste feste dura moult longuement ;
  274. Plus fu de mynuit, se saichiéz vrayement.
  275. Flourette ne Garrin n'en sont mie dollent ;
  276. Bien le vausissent faire jusque a l'adjournement.
  277. Anthiaume et Garrin le firent vaillament.
  278. Quant la feste failly, chescun congié prent.
  279. Garin dist a Flourette, parlant moult doucement :
  280. « Belle, priiés anuyt, s'il vous vient a tallent,
  281. Que Dieux me veuille aidier demain prochainement.
  282. — Garin, dist la pucelle, j'en prie bien souvent,
  283. Car de vo bien seroye lye parfaitement. »
  284. Lors se party Garrins sans nul arrestement.
  285. A ses freres a dit : « Seigneurs, allons nous ent.
  286. La feste est deppartie, ce saichiéz vrayement.
  287. Trestous s'en sont alléz a leur herbregement ;
  288. Il n'y a demouré escuier ne sergant.
  289. Dame ne demoiselle, ne petit ne grant,
  290. Ne pucelle n'y a en ce pallais luisant.
  291. Toutes s'en sont partyes ; trop allons demourant.
  292. Mais ce fait bonne Amour qui noz deux cuers soupprent,
  293. Car il m'est bien aviz, par le mien enssient,
  294. Que toudix y vouroye faire demoureement.
  295. Et saichiéz que se je y estoie jusqu'a l'adjournement,
  296. C'est Amours si puissant et de tel convenant
  297. Que toudix trouveroit on a parler largement.
  298. Sotte chose est d'amours et grant esbatement
  299. Quant deux cuers amoureulx tiennent si conjointement
  300. Que vëoir le povéz ou semblant proprement
  301. De nous deux que Amours en fait demonstrement. [fol. 34]
  302. — Garrin, se dist Anthiaume, je vous jure loyaulment
  303. Que de celle pensee et d'amer si forment
  304. Vous pouroit bien venir grant encombrement.
  305. Car se c'est sans le gré son pere vrayement,
  306. Et que a aucun homme aye son scentement
  307. Pour sa fille donner qu'il ayme loyaulment,
  308. En tres grande haÿne prendra gouvernement,
  309. Dont ce seroit meschief, par le mien enssient.
  310. Car se me volléz croire, je vous jure et creant,
  311. Avec nous en venréz a Pavie le grant.
  312. La vous ferons honneur et pourfit si tres grant
  313. Que honneur en avront les vostres appartenant ;
  314. Car le bon roy Thiery qui tant est souffissant
  315. Est le nostre tayon, je le vous ay creant.
  316. Sy nous fera grant chiere, s'ara le cuer joyant.
  317. Aussy avra sa femme, la roÿnne poissant.
  318. Mais se de riens allons vers le roy amendant,
  319. A tout les noz bienfais yrés vous partissant.
  320. — Seigneurs, se dist Garin, moult bien estes parlant.
  321. J'en prenderay conseil anuyt tant seullement.
  322. Mais saichiés, d'une chose m'esmerveille forment,
  323. Car les aucuns ont dit ycy comunnaument
  324. Que tous trois sommes frerres. »
  325. LXI
  326. Enchement dist Garin a le chiere hardie
  327. Et s'estoit veritéz et se ne le sçavoit mie.
  328. Revenus sont tous trois a leur herbergerie
  329. Sur le viellart Garrin a le chiere hardie.
  330. Quant il oÿt Garrin a tout sa compaignie,
  331. L'uiz lui coert deffermer et puiz se lui escrye :
  332. « Filleulx, dist li preudoms, vostre mere est courchie
  333. Que vous voulléz demain faire behourderye,
  334. Pour ce que cy aval n'avéz point de lingnie. [fol. 34v]
  335. Car s'on vous meffaisoit vaillissant une aillie,
  336. Vous n'en pouriéz avoir fors que la mocquerie.
  337. Se vous en abstennéz et le faittes mie !
  338. Et no curé, vostre maistre, beau sire, vous en prie
  339. Que vous voz desportéz quant a ceste fye.
  340. — Syre, se dist Garrin, je n'en ferray mie,
  341. Car je l'ay en convent par ma foy fianchie.
  342. Et qui veult estre a paix, je vous acerteffie,
  343. Ne lui est nul besoing, se Dieux me benye,
  344. D'assenner son linaige.
  345. LXII
  346. > — Parins, se dist Garins, tout ce laissiéz ester.
  347. De meffaire a aultrui me sçaray bien garder.
  348. Saichiéz que j'en lairoie ainchoiz du mien porter
  349. Que nulz homs me vesist a nulluy estriver. »
  350. Il a dit a ses freres : « Allons nous repposser
  351. D cy jusqu'a demain qu'on verra le jour cler. »
  352. Et ceulx ont respondu : « Ce fait a creanter. »
  353. Le enfant les alla droit a leur lit mener ;
  354. Il les fist noblement couvrir et parer.
  355. Tellement fist nature le sien corpz adonner
  356. Que d'eulx ne se povoit partir ne severer.
  357. Et ceulx moult vollentiers l'escouttoient parler
  358. Et lui dirent le nuyt, quant ilz deurent desevrer :
  359. « Garrin, s'il vous plaisoit avec nous cheminer,
  360. En tel lieu vous pouriesmes en brief terme mener
  361. Dont vous pouriéz moult grandement pourffitter.
  362. — Seigneurs, se dist Garrin, Dieux vous veuille sauver !
  363. D'ottroyer n'ay tallent, ne cuer de reffuser. »
  364. A ce mot desparty, qu'il n'y vault demourer ;
  365. En sa chambre s'en va couchier et reppossier.
  366. Ains pensse toute nuyt comment il pora jouster [fol. 35]
  367. Pour l'amour de Flourette qui lui fist presenter
  368. Armures et cheval pour le sien corpz parer.
  369. Et quant il vit le jour, addont s'alla lever
  370. Et alla son harnas vistement endosser
  371. Pour vëoir s'il aroit nulle riens que mander.
  372. Et le feste se fist moult tost a eslever.
  373. Chevalliers, escuiers s'allerent aroutter.
  374. La fille du seigneur fist on moult bel parer.
  375. Et sa seur lui aida son chief a gallonner,
  376. Et son riche mantel lui aida a affuller,
  377. Et la courronne d'or lui aida a poser.
  378. Les dames l'ordonnerent pour son corpz honnourer.
  379. Deux nobles chevalliers l'allerent adestrier.
  380. En la salle ot on la chappelle fait estourer,
  381. La ou le prestre fu pour la belle espouser.
  382. Et puis quant il ot fait le marchiet accorder,
  383. Et puis alla tantost le Saint Sacre estorer
  384. A faire le mestier pour le pain celebrer.
  385. La y ot telle presse que on n'y povoit aller.
  386. Villeurs, menestreurs peuïssiéz escoutter
  387. Que on avoit de nouvel fait robes presenter.
  388. La vinrent les trois frerres la feste regarder.
  389. Anthiaume et Garin prinrent a remurer
  390. Le semblant de Flourette et de Garin le ber,
  391. Et allerent tout deux l'estat considerer
  392. Que Amours par sa vertu les fist amonnester
  393. De l'un l'aultre chierir et par amours amer.
  394. A Garin se alla Anthiaume recorder
  395. Et descouvertement lui a dit hault et cler :
  396. « Garrin, vous devéz bien le chiere mener, [fol. 35v]
  397. Car Amours vous ont fait noble amours impetrer
  398. Belle, courtoise et saige. »
  399. LXIII
  400. Quant Garins a oÿ Anthiaume le demoisel,
  401. Se lui a respondu : « Je ne l'ay pas si bel,
  402. Car il n'aferoit mie a moy ung tel juel.
  403. Non pour tant se de lui avoye mon revel,
  404. Ne le depporteroye, foy que doy saint Daniel,
  405. Neant plus que ferroye la femme d'un pastourel,
  406. Et me deuist on occhir d'un acheré couttel.
  407. Mais je ne pense point a humer tel caudel
  408. Et croy mieulx que ung me tiengne a fol et lourdel.
  409. Et saichiés que se jammais m'esnouvoye le chernel,
  410. Tost m'y esprouveroye pour savoir son appel.
  411. — Garins, se dist Anthiaume, vous sçavéz du flambbel.
  412. Mais on voit allefois assir ung noble oisel
  413. Sur une basse brancque. »
  414. LXIV
  415. Quant Garins che ot, se ne respondyt mie,
  416. Ains tourna ce parler ainsy qu'a mocquerie. [fol. 36]
  417. Et quant la messe fu ditte et parfurnie,
  418. A table sont assiz en la salle vautie.
  419. Ce jour servy Garrin de riche vin sur lye.
  420. Ses freres fist assir par grande courtoisie ;
  421. Les servy cellui jour et doulcement leur prie
  422. Qu'ilz penssassent des corpz de mengier l'estuvie.
  423. Ce jour oÿssïéz grande mennestraudie ;
  424. Telle friente menoient et telle tambourie
  425. Que tout le plus puissant la endroit s'entroublie.
  426. Quant ilz orent disné, se ont la table grippie.
  427. Adont furent les joustes des yraulx denonchie
  428. Et crierent en hault, bien fu leur voix oÿe :
  429. « Au harnas ! Au harnas, fleur de chevallerie !
  430. Acqueréz l'amour Dieu par l'amoureuse vie,
  431. D'armes les grans pardons et la grant seignourie.
  432. Or soit aventureulx cilz qui a belle amie. »
  433. Dont s'en fuyent armer trestous a une fye.
  434. La mariee fu noblement appoyee
  435. A fenestres de mabre ; sont en sa compaignie
  436. Mainte dame plaisant et moult bien adreschie,
  437. Et s'y estoit Flourette qui moult bien estoit prisie
  438. Seant deléz sa seur, avec lui sa meisnie.
  439. Et leur pere y vient qui doucement leur prie
  440. Aux dames qui sont la, que sans penser follie,
  441. Que au mieulx faisant du jour soit la cause jugie,
  442. Et qu'il n'y ait pensé traÿson ne boisdie,
  443. Et que par elles soit la verité jehye.
  444. Et chescune des dames bonnement s'y ottrye.
  445. Dont viennent chevalliers et le escuierie.
  446. Bourgois et autre gens ont joustes coumenchie
  447. Ly uns encontre l'autre sans penser villonnie. [fol. 36v]
  448. La furent les hyraulx qui par grant reverie
  449. Essauchoient les armes criant et grant maistrie :
  450. « Aux amoureulx ! A dames ! »
  451. LXV
  452. Noble fu le behourt et durrement s'efforcha.
  453. Garin fu a l'ostel ou ses freres aida
  454. A armer bien et bel ; autre fois s'en merla.
  455. Quant ilz furent tous prest, adont armer s'en va.
  456. Unes cauches de fer premmeremt caucha,
  457. Puis vesty le haubert et le hayaume lacha.
  458. Et Garrin son parin son cheval ensella
  459. D'une selle de jouste que Flourette envoya. [fol. 37]
  460. Quant Garin fu armés, sur le cheval monta
  461. Et il pendy son escu et on luy attacqua.
  462. Et puis sur son haiaume qui grant clereté jecta
  463. Estoit ung chapperon que Garrin y planta
  464. De soye et de sendal ; contre vent baullia.
  465. Une lance saisy et le cheval brocqua.
  466. Congié prinst a sa mere et elle lui donna.
  467. La veoit ses trois fieulx que meismement porta,
  468. Les deux ne congneut mie, dont puis lui annoya.
  469. Et Garrin apréz son filleul va.
  470. A piet aloit sivant, oncques n'y chevaucha,
  471. Et crioit a Garrin : « Filleul, or y paira.
  472. Se le pris concquestéz, bien receüz sera. »
  473. Et quant Garrins l'oÿ, moult grant joye mena.
  474. Entre lui et ses frerres vers le chasteau s'en va.
  475. Il estoit mieulx homme que homme qui estoit la,
  476. Car la ystoire dist et adcerteffia
  477. Que oncques plus bel de lui a cheval ne monta.
  478. Flourette le vit bien ; si tost qu'elle appercha
  479. Son chapperon connuit qu'elle lui presenta.
  480. Quant elle vit Garrin, tout le sang lui mua.
  481. « Aÿ, Garrin, dist elle, gentil bel enffant a.
  482. Ta beauté m'a sourpris, amis, de piecha
  483. Et sy ne sçay comment Amours me souvira
  484. De l'ardant desir que en mon corpz transmis a,
  485. Ja sans moy amenrir mon corpz ne saulbera.
  486. Se n'estoit pour mon blasme, par Dieu qui tout crea,
  487. Je feroye tel chose que je ne feray ja.
  488. Et non pourquant s'Amours en sus de my ne va,
  489. A trestout son voloir abaïr me fauldra. » [fol. 37v]
  490. Ainsy la demoiselle en lui se devisa.
  491. Honte lui fait doubter ce qu'elle desira
  492. Et Amours le semont que a lui obeÿra.
  493. Forte chose est d’Amours, car telle puissance a
  494. Qu’il couvient tout faire qu’elle commandera
  495. Ou vivre en tel langour que ja jour ne verra
  496. De santé ne de bien nul jour qu’elle vivra
  497. Chilz qui sa vollenté lui desobeÿra.
  498. Et qui fait son volloir a telle fin venra
  499. Que de recevoir blasme que remede n’y a
  500. Se n’est par mariaige.