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UNIVERSITÉ D'OTTAWA Faculté des Arts

Laboratoire de français ancien


Enfances Garin  

XVII

  1. Ainsy fu nés Garrins qui poisanment rengna.
  2. Seigneur, en la nuytie que Floure en delivra,
  3. A mienuit tout droit trois feez vinrent la :
  4. Morgue, le seur Artus, et Ydain qu’elle ama,
  5. Et sy vint Gloriande que Jehsus tant ama.
  6. L’enfanchon ont saisi qui léz le mere osta.
  7. Elle vit bien les fees dont moult s’esmervilla,
  8. Mais tant fu esbahye que nul mot ne sonna,
  9. Regarde leur maintieng et si les escoutta.
  10. Morgue, le seur Artus, l’enfant desvolleppa.
  11. Entre ses mains le tient, mainteffois le saigna.
  12. « Enfes, ce dist la fee, grans honneurs t'avenra.
  13. Néz es en povreté, aussy Dieux s'aombra
  14. En la Vierge Marie qui IX moix le porta,
  15. Et puis en povreté Vierge en delivra
  16. En une povre estable, laquelle on lui presta.
  17. Et par celle occaision humilité se y monstra.
  18. Et pour ce te donray ung don qui te vaulra,
  19. Car prement de toy une gieste venra
  20. Dont la loy Jhesu Crist assauchie serroit
  21. Et le loy de Mahon en declinera.
  22. Ly plus doubteulx linaiges de ton corpz ystera
  23. Qui oncques fu ou monde ne qui jammais serra.
  24. Et avec tout che tel honneur t'avenra,
  25. Au monde plus preudoume de ton corpz n'avera,
  26. Car ja nulle boidie ton corpz ne penssera,
  27. Ne homs qui soit vivans decha mer ne dela
  28. De nulle villonnie ne te rapprochera.
  29. — Dame, se dist Ydain, par Dieu qui tout crea,
  30. Ne sçay que vous penséz, mais chus enfens avra [fol. 10]
  31. Paine et doulleur asséz qui ja ne lui faulra.
  32. S'apprendré l'onneur qu'en le fin avra.
  33. Le pechié de son pere comparer lui faulra,
  34. Et par lui li accords de sa mere sera.
  35. De ssy jusques a ce que armures portera,
  36. Li dux devers sa femme accordéz ne sera.
  37. Mais par cestuy enfant bonne paix y sera.
  38. Et la grant traïson que la vielle fait a
  39. Sera toute sceüe ens ou tempz ......
  40. Et si veuil que cilz enfans............
  41. En l'aige de dix a...........................
  42. Que n'ont ly....................
  43. De jeulx et ................................
  44. Et des .......................................
  45. Que .......................................... (...)
  46. XVIII
  47. I Puius fist maint bien a le dame a le clere fachon [fol. 11]
  48. Et son enfant Garin que Dieux fache pardon,
  49. Car leux qu'il ot VI ans lui mist a sa maison.
  50. De letre lui aprinst par bonne intencïon,
  51. Car il le retenoit, plains fu d'avisïon.
  52. Si bien l'endoctrinoit et de telle faichon
  53. Que le mere en vivoit en consolacïon,
  54. Car bien lui souvenoit que les feez de non
  55. Avoient a son filz donné maint riche don,
  56. Et que par lui avroit paix au duc son baron.
  57. Sy en portoit l'enfant grant reveracïon
  58. Et li prestres qui seut la certaine occasion
  59. Ne le maintenoit mie a guise de garchon,
  60. Ainchois le maintenoit en guise de baron.
  61. A ses parrossians, dont il avoit la foison,
  62. Disoit que extraiz estoit de son extractïon.
  63. Or lairons de Garin, ce josne valleton,
  64. Et de sa mere aussy ; se ferons mencïon
  65. Du franc duc d'Acquittaine qui chier ot le lion
  66. Qu'encompté a sa femme la monte d'un bouton
  67. Par Ottrisse le vielle qui est malleïsson.
  68. Donna a boire au duc une telle pouisson,
  69. Il en ama Yderne d'une telle fachon,
  70. Lui dux n'avoit fianche sy non
  71. Et estoit si dolens en sa condicïon
  72. Qu'il n'en avoit enfant a sa divisïon
  73. A qui il puist donner sa noble regïon.
  74. Car maulgré ses amis dont il avoit foizon,
  75. Espousa il Yderne au moustier Saint Fagon,
  76. Dont les nouvelles allerent entour et environ
  77. Tant que le roy Thery en sceut bien le fachon.
  78. Quant de sa fille sceut bien la conclusïon
  79. Et que li dux avoit fait vers lui tel mesproison,
  80. Dont fu forment dollens ; il y avoit bien raison,
  81. Car il amoit sa fille de cuer loyal et bon. [fol. 11v]
  82. Et si vivoit sa mere qu'en grant confusïon
  83. Fu du corpz de sa fille et de l'extraccïon.
  84. Quant compter en oÿ toutte l'estallison,
  85. D'annoy et de meschief cheïst en pasmison.
  86. Car je croy que en ce chiecle petit de gens voit on
  87. Qui aime que mere.
  88. XIX
  89. Dollant fu moult li roix, aussy fu la roÿnne,
  90. Quant de Floure ont oÿ certaine convine.
  91. Et vers le duc avoit eubt telle bruÿnne
  92. Qui de nouvel avoit espousé sa mesquine.
  93. Le dame s'escrÿa : « O roy de bonne eurinne,
  94. Nous enffant est perdu qui estoit de bonne mine.
  95. Le duc le fait morir a grande discipline.
  96. Se vengie n'en suy, ne me prise une pine,
  97. Car par une putain i l'a prins en haÿne.
  98. — Dame, si dist li roy, par sainte Katheline,
  99. Compte m'en rendera ains qu'il soit long termine,
  100. Car je lui destruiray la terre et la saisine,
  101. Ne ja ne lui lairay vaillant une espine.
  102. Ains le ferray fuÿr tout oultre le marine
  103. Ou ma fille rarray que j'aime d'amours fine. »
  104. Lors fist escripre en brief ou il mist son signe
  105. Et manda saudoyers jusques en Pallentine.
  106. Lombars, Sezilliois, Rommains de bonne mine
  107. Et trestous ses amis ou lignaige s'encline,
  108. Que tous viengnent a lui sans jour et sans termine,
  109. Aussy bien apresté de bonne armure fine
  110. Et pour aller combatre sur le gent sarrasine.
  111. Tant de gens assembla, ne cuidiéz que adevine,
  112. Que plus de CM hommes y ot de sa saisine
  113. Pour destruire le duc qui bien sot le convine,
  114. Dont oit qu'il le manescha.
  115. XX
  116. Ce fu au mois de may qu'ivers va a desclin [fol. 12]
  117. Que li roy de Pavie, le tayon ber Garin,
  118. Assembla ses amis ; grans furent ly carin.
  119. Pardevers Acquitaine se sont mis au chemin.
  120. Thery, le noble roy qui sens enthierin,
  121. Chevaulcha fierement et o lui sen cousin,
  122. Dont mareschal a fait d'un Lombart, Maudequin.
  123. Sires estoit de Brisses et du chastel Bellin,
  124. N'ot plus hardy de lui jusques l'eaue du Rin.
  125. Et li duc Savary, quant il sceut le couvin,
  126. Fist garnir ses citéz de pain et de bon vin.
  127. Au léz de par dela, sy c'on treuve ou latin,
  128. Avoit li riche dux ung chastel maberin.
  129. Le tour de Rochemont l'appelloit li voisin.
  130. N'avoit sy fort chasteau jusques en Limosin.
  131. La envoya li dux son senneschal Gaudin ;
  132. Peres estoit Yderne qu'il amoit par venin
  133. Garny de sorcherie.
  134. XXI
  135. Ly duc fist Rochemont richement pourveïr.
  136. Saudoyers y transmist le passaige tenir,
  137. Puis envoya a Mech son messaige furnir,
  138. Au Lorin Garin son affaire geÿr.
  139. Jermain fu a son pere, sy le devoit chierir ;
  140. Se lui fist assavoir qu'on le veult assaillir.
  141. Mais li noble Garin n'y povoit adont venir,
  142. Car il avoit adont grant terre a maintenir
  143. Pour le Besgue Bellin que on avoit fait morir
  144. En cachant le grant porc qu'on deust adont haÿr.
  145. Sy en devoit la guerre ad ce tempz advenir
  146. Par les cuers orgeuilleulx qui tout firent honnir.
  147. Sy manda a son cousin qu'il n'y povoit venir
  148. Pour le sien corpz aidier ; trop avoit a souffrir
  149. Pour le mort de son frere.
  150. XXII
  151. Quant le duc d'Acquittaine oÿ le mandement
  152. Et qu'il ne seroit point aidié de son parent, [fol. 12v]
  153. Lors envoya a Digon a Garnier son parent.
  154. Ce fu pers Millon qui tant ot le corpz gent
  155. Et le fille Puppin eut en marïement.
  156. Sil allerent Savary au corpz gent
  157. A mille saudoyers arméz souffissanment,
  158. Jusques en Acquittaine n'aresterent neant.
  159. Et quant le duc les vit, sy leur dit haultement :
  160. « Seigneurs, a vous me plaing et deuil haultement
  161. Du faulx roy de Pavye qui tant a hardement
  162. Que viengnent assaillir et guerrïer mes gent.
  163. Rocchemont a assiz, mon noble casement,
  164. S'esille mon paÿz et ars villainement ;
  165. Et si ne sçay pour quoy ne a quoy ne comment.
  166. J'euch sa fille espousee, on le scet vrayement,
  167. Mais elle marchanda de mon enherbement,
  168. Et pour chou le banniz hors de mon casement.
  169. Or en veult le sien pere en prendre le veignement.
  170. Et puiz que li homs scet en voix certainement
  171. Que sa moullier ly cache ung tel destourbement
  172. Qu'a lui faire morir mallicïeusement,
  173. Se puissedy le tient, follie le sourprent.
  174. Car on dist et s'est vray et le croy fermement :
  175. Mieulx vault ung maulvais homs que annemiz soupprent
  176. Que une mauvaise femme.
  177. XXIII
  178. Quant li barons li duc enssy parler,
  179. Se lui ont en convent de lui a conforter.
  180. Et lui roy de Pavye a fait ses tréz lever
  181. Pardevant Rochemont que tant sont a louer
  182. Sans ce que s'il povoit ce chastel concquester,
  183. Seurement ne povoit ens ou paÿz aller.
  184. Trois mois y sist le roy, si quant j'oÿ compter, [fol. 13]
  185. Et fu ou tempz d'esté qu'il s'y veult hosteller,
  186. Droit a le Saint Jehan que on doit cellebrer.
  187. D'ycy jusqu'au Noel le convient demourer,
  188. Ainchoiz qu'il le peuïst nullement concquester.
  189. Mais le duc et ses gens veirent parlementer
  190. Par dessus la riviere sans battaille livrer,
  191. Car le duc d'Acquittaine cuidoit le roy tanner
  192. Et que par desplaisance il s'en deusist raller.
  193. Mais le roy n'ot talle de sa guerre finer,
  194. Ains dist qu'il veult morir ou s'entente adchiever.
  195. Or escouttés de quoy il s'alla aviser
  196. Pour le chastel avoir que tant povoit desirer.
  197. Cent escielles de cordes fist faire et ordonner
  198. Et a havech de fer attacquier et noer.
  199. Puis fist abiz de diaubles bien IIM estorer,
  200. Noire peaulx et boççuez a regarder,
  201. Faulx visaiges cornuz laidement figurer.
  202. S'en fist IIM des siens laidement attourner,
  203. Et si fist a chescun deffendre le parler,
  204. Et se leur commanda laidement a huer ;
  205. Tout ainsy que ennemiz les fist il demener.
  206. En une nuyt d'iver il prent fort a venter,
  207. Et tellement plouvoit que on ne povoit durer,
  208. Les fist le roy Thierry des tentes desseverer,
  209. Et fait a chescun son esquielle porter
  210. Et ung blason aussy pour eulx a couverter,
  211. Et puis vers le chasteau les fist tantost aller.
  212. Et se fist par a ses tréz touttes ses gens armer
  213. Sans esprendre clareté et fu allumer.
  214. Demourerent en l'ost sans noize demener. [fol. 13v]
  215. Et les IIC s'en vont comme serroient porchengler,
  216. Tout ainsy comme diaubles.
  217. XXIV
  218. En guise d'ennemy s'en vont les saudoyers ;
  219. De cy jusques au chastel ne veuillent point attargier.
  220. Es fosséz s'en vont muchier et avvaller,
  221. Puis se sont venuz aux murs que on faisoit bien gaittier.
  222. Les gardes des cristeaulx préz vinrent approchier ;
  223. Crierent hault cryt pour les gens reveillier.
  224. Ceulx du chastel s'avallent et s'en vont aubresgier,
  225. Et vinrent aux cristeaulx pour traire et pour lanchier.
  226. Et ly Lombars vinrent contre les murs plainier,
  227. Les eschielles et cordes pour aux murs attacquier.
  228. Puiz prinrent a crÿer ung son orrible et fier,
  229. Et monterrent a mont en guise d'adversier,
  230. Les escuz deseure eulx pour les caulx abbaissier.
  231. Et chilz ont ce veüt, leur semblant lait et fier.
  232. Lors dist li ung a l'aultre sans point attraigier :
  233. « Ce ne sont mie gens ; ce sont diaubles d'Enfier
  234. Qui sont desquaïnés de l'ostel Luccifier !
  235. Regardéz Burgibuz et Cayin le luvier
  236. Et Noiron et Pillate et Satan l'adversier !
  237. Hors d'Enfer sont yssuz pour nous addommaigier.
  238. Pour Dieu, fuyons nous ent, nous n'avons mestier,
  239. Car se nous demourons, n'y a nul recouvrier,
  240. Et ilz nous emporteront en Enffer herbregier. »
  241. L'un se tourne devant et l'aultre derriere ;
  242. Il n'y avoit si hardy qui ne se prengne a seignier.
  243. Ilz n'ont cuer ne povoir des cresteaulx approchier.
  244. Et vous le senneschal montéz sur ung destrier.
  245. Quant il vit que sa maisnie arriere repairier, [fol. 14]
  246. Du grant annoy leur a prins a hucquier :
  247. « Pour Dieu, que faites vous, noble chevallier ?
  248. Que ne vous deffendéz a loy de bon guerrier ?
  249. J'och la hors grant huee !
  250. XXV
  251. — Seigneurs, ce dist Gaudins, ly hardyz senneschaulx,
  252. Que ne deffendéz vous a force ces cresteaulx ? »
  253. Et sil ont respondu : « Ce n'est mie ung assaulx,
  254. Ains sont les ennemiz et diables infernaulx
  255. Qui sont cornuz que bestes et noirs comme corbaulx.
  256. Bien CM diaubles sont cy a ces cristeaulx
  257. Qui portent en leurs mains je ne sçay quelz boyaulx,
  258. Et huent enchement comme vachez ou toureaulx.
  259. Ilz nous emporteront en my leurs heritaulx,
  260. En Infer ou on met les mauvaiz et les faulx.
  261. Ilz ne vont radoubtant saiettes et quarreaulx.
  262. Nous leur avons jecté plus de CM cailleulx ;
  263. Mais qui leur gietteroit des mariens et des baulx,
  264. Et toute la fortresse abbatteroit sur eaulx,
  265. Il n'en donroient mie le monte de deux aux.
  266. Mettons nous a garrant a ses moustiers royaulx ! »
  267. Et quant ycés parlers oÿ li senneschaulx,
  268. Cuida que ce fu vrayz, si n'en fu lyéz ne baulx.
  269. Oncques vers le moustier ne se tourna li vassaulx :
  270. Bien scet que ly dïaubles y sont vollentiers maulx.
  271. Ou dongon s'en fui ; la entra lui vasseaulx.
  272. Le pont drescha a mont, sy fruma li flayaulx.
  273. Pardessoubz les desgréz des loiges principaulx
  274. Disoit sa Patre Nostre.
  275. XXVI
  276. Ainsy par le castel se sont mis a garant
  277. Par tres grant paour escuier et sergent.
  278. Ly ung fait croix derriere et li autre devant,
  279. Et li aultre alloit eaue benitte jectant.
  280. Et ly baron alloient encontremont rampant,
  281. Moult laidement alloient hullant et glatissant, [fol. 14v]
  282. Tout ainsi comme diables s'alloient demennant ;
  283. Et montent aux cresteaulx et homme n'y vont trouvant.
  284. Il ont prins les cresteaulx et mot ne vont sonnant,
  285. Et puiz s'en sont venuz a le porte devant ;
  286. La barbequesne s'en vont par forche despechant.
  287. Les wardes de le porte s'en vont tout fuÿant
  288. Et touttes leurs armures s'en vont illec laissant.
  289. Adont vont li Lombart la porte despeschant ;
  290. Au chastel sont entréz, baux et lyéz et joyant.
  291. Illeucques n'ont trouvé ne femme ne enffant
  292. Qu'ilz n'ayent mis a mort a l'espee trensant.
  293. A eüreulx se tient qui se mist a garrant !
  294. Li senneschaulx estoit ou dongon haulx et grant,
  295. Quant il vit son chastel qui alloit emplissans.
  296. Il perchoit les barons dont il y avoit tant ; [fol. 15]
  297. Oncques més en sa vie n'ot le cuer plus dollent.
  298. A une fause porte s'en est venuz courrant,
  299. Du dongon est yssuz droit a l'ambre crevant.
  300. A le voye se mist son doumaige plaignant,
  301. Plus de CM foiz clama son corpz meschant.
  302. Pardevers Acquittaine s'en est alléz fuiant,
  303. Mais ains qu'il y entrast, en y ot ja devant
  304. Et au duc Savary vont le fait recordant
  305. Qui moult s'esmervilla quant sceut le convenant.
  306. Le bon duc de Digon va vistement mandant
  307. Vers Raoul d'Engleterre, ung sien appartenant,
  308. Et les aultres barons dont il y avoit tant.
  309. « Seigneur, se dist li dux, trop me va desplaisant
  310. Que le roy de Pavye me va sy traveillant
  311. Qui a prins mon chasteau Rochemont le plaisant
  312. Par trop soutieul mallice. »
  313. XXVII
  314. Ainsi comme le duc a ses barons parloit,
  315. Et vous le senneschal que durement amoit.
  316. Sy tost qu'il vit le duc, devant lui s'arestoit.
  317. Et le duc lui demande comment perdu avoit
  318. Roichemont le chastel, et il lui devisoit
  319. Comment Lombars y vinrent aumynit tout droit
  320. A guise d'annemi ; sy chescun cuidoit
  321. Que ce fussent diaubles, a chescun le sembloit.
  322. De chief en chief lui dist comment la choselloit,
  323. Comment ses gens sont mors et occyz a destroit.
  324. Quant li dux l'a oÿt, forment lui annuyoit.
  325. Il jure Damedieu qui hault siet et loing voit
  326. Que se le roy l'approche, qu'il se combatteroit.
  327. Et li roy de Pavye, qui au chastel estoit,
  328. Y a mis garnison et puiz s'en deppartoit.
  329. Vers Acquittaine va au plus droit qu'il povoit ; [fol. 15v]
  330. Jusqu'a le cité le roy ne s'arrestoit.
  331. A demi lieue préz d'eleusques se loigoit,
  332. Et puis manda au duc qu'i moult forment hayoit
  333. Que renvoyer veulle les enfans qu'il avoit
  334. Engenréz en sa fille que bien morte cuidoit.
  335. Et ly dux lui manda que point ne le feroit
  336. Et qu'il en estoit peres, et pour fieulx les tenoit ;
  337. Et puiz manda au roy qu'il se combatroit
  338. Contre lui corpz et corpz en le campaigne droit
  339. Ou de gens contre gens, ainsi comme il vouroit.
  340. Et quant le roy le sceut, au messaigier disoit
  341. Que a ll'encontre du duc battaille livroit,
  342. Et lui a mis le jour qu'il se combateroit.
  343. Chescun a son povoir s'appreste et se pourvoit
  344. Pour sa vie deffendre.
  345. XXVIII
  346. Ce fu droit apréz les Pasques ou joly mois d'avril
  347. Que le roy de Pavye, que on appelloit Thery,
  348. Deüst livrer battaille au bon duc Savary,
  349. Le pere au ber Garin qui Monglenne saissy
  350. Et concquist Mabillette la belle ou corpz joly,
  351. Ainsy que je diray qui bien m'ara oÿ.
  352. Droit a l'aube crevant, ce fu en ung mardy,
  353. Yssirent d'Acquittaine les chevalliers joly.
  354. Garnir, ceulx de Digon, premierement yssy ;
  355. Ber Raoul d'Angleterre s'arouta avec lui.
  356. Gaudin le senneschal apréz point ne failly ;
  357. Et li duc d'Acquittaine et ses barons aussy
  358. Yssirent de la ville apprestéz et garny.
  359. Et le roy de Pavie sur le camp le attendy.
  360. Le ber Amaudequin, qui le cuer ot hardy,
  361. Le banniere porta ou li ors resplendy.
  362. S'amainent la battaille a guise d'ennemy.
  363. La ot maint cor d'arrain et sonnent bondy. [fol. 16]
  364. La viennent main a main de combatre ahasty.
  365. La peuïssiéz vëoir un estour aramy,
  366. Tant de lances brisier et deffrochier parmi
  367. Des mors et des navréz, des affolléz oussy.
  368. Lombars crÿent « Pavie ! », se se sont estourmy ;
  369. Et les autres « Acquittaine » qui enssy donnerent cry.
  370. La commencha bataille ains nul telle ne vy.
  371. Ce jour y ot thué maint chevallier hardy.
  372. Ainsy va de le guerre.
  373. XXIX
  374. Pardevant Acquittaine, celle cyté jollye
  375. Se combaty moult fort le bon roy de Pavie
  376. A ll'encontre du duc qui « Acquitaine ! » crÿe.
  377. Le duc estoit montéz sur ung cheval d'Orbrie
  378. Et tenoit une lanche trenchant et faittie.
  379. Entre Lombars se boutte par telle fellonnye
  380. Que tout contre le corpz ung Lombart l'a ficquie.
  381. Quant le lance failly, s'a l'espee sacquie.
  382. Et Garnier de Digon fu plains de baronnie ;
  383. Que il attaint a cop, il n'a mestier d'envie.
  384. Le duc Raoul d'Engleterre aux armes se cointie.
  385. Quaudins le senneschal la grant banniere guie,
  386. Fierement le porta sur les gens de Pavie.
  387. La fu telle battaille maintenue et furnie
  388. Dont maint homme morut a deul et hasquie.
  389. Et li fier roy Thieris estoit a l'estournye
  390. Et tenoit en ses mains ung faulsart qui flambye ;
  391. L'allumelle ot de lei plus de paulsme et demie.
  392. Chevalliers avoit en sa connestablye ;
  393. Tous ceulx de ses armes en battaille renguie.
  394. Le campaigne d'or estoit en la terge vautye
  395. A ung esgle d'asur et geulle qui roullye.
  396. Telz armes ot li roy qui par grant fellonnye
  397. Se combatty se jour sur sa adverse partye. [fol. 16v]
  398. Parmy l'estour cerquoit, a haulte voix crie :
  399. « Oiz tu duc d'Acquittaine qui ma fille as traÿe !
  400. Je te deffy de Dieu, filz de la Vierge Marie,
  401. A qui je prie de cuer et main et amittie
  402. Qu'il m'en ottroit vengence. »
  403. XXX
  404. Ly riche roy Thery va parmi la bataille
  405. Qui tenoit ung fausart qui tresluist et bien taille.
  406. Il freoit au plus groz, se laissoit le piettaille.
  407. Vit le duc d'Acquittaine qui ses gens en parpaille.
  408. Et quant le roy le voit, d'eslongier ne lui chaille,
  409. Ains le approuchant comme esprivyer la quaille.
  410. Et lui dux vient a lui ; n'attent point qu'on l'assaille,
  411. Mais ainchoiz se hasta, ne le doubte une maille. [fol. 17]
  412. Du faussart le ferru a mont sur le ventraille,
  413. Les arrestz du blason descouppe et destaille,
  414. Le col de son destrier le couppa comme estaille.
  415. Cheval et chevallier devant le barronnaille
  416. Abatty tout a terre.
  417. XXXI
  418. Moult fu hardy le roy et de moult fier vertu ;
  419. Cheval et chevallier a tout jus abbattu.
  420. Ly chevalliers lombars sont au duc accourru,
  421. Et d'aultre part y vinrent si avant et si dru
  422. Raoul, chilz d'Engleterre a corraige membru,
  423. Et Garnier de Digon, qui peres Millon fu,
  424. Qui ramena Maisnet au droit port de sallu,
  425. Dont les sires furent mors, ainsy que avéz oü.
  426. Pour rescoure le duc ont grant paine rendu,
  427. Mais ce ne lui vailly la monte d'un festu,
  428. Car les Lombars ce jour l'ont leur seigneur rendu.
  429. Et quant le roy le tient, oncque sy lyéz ne fu.
  430. A ses gens le livra qui bien fort l'ont tenu ;
  431. Ne le vouroyent rendre pour ung muy d'or moullu.
  432. Et quant ceulx d'Acquittaine ont ce fait appercheu,
  433. Dont furent esmary et furent esperdu.
  434. Mais non pour tant se vont forment combatre.
  435. Et li duc de Digon y a maint caup ferru.
  436. Le roy va celle part, plus n'y a attendu.
  437. De son faulsart lui a ung ruide caup ferru
  438. Sur l'archon parderriere ; l'a si fort estendu
  439. Que peu s'en failli qu'il ne l'abbatty.
  440. Mais Maudacquin tenoit ung espiel esmollu ;
  441. A ce point fiert le duc, si tost qu'il l'a veü,
  442. Que du cheval a terre i l'a jus abbattu.
  443. Lors l'assaillent Lombars qui s'en sont appercheu.
  444. Le duc orent tellement navré et debattu,
  445. Au roy tendy s'espee qui l'achier ot mollu ; [fol. 17v]
  446. Prie garrandir sa vie, ly a son branc rendu.
  447. Et li roy de Pavie a le duc receü,
  448. Avec les autres l'envoye.
  449. XXXII
  450. Prins sont en la battaille les deux plus souvrain :
  451. C'est le duc d'Acquitaine qui tant ot le ceur vain
  452. Et le duc de Digon, qu'il tenoit a germain.
  453. Quant Raoul d'Engleterre vit que li cappitain
  454. Estoient ainsy pris, dont pensa que mal sain
  455. Faisoit en la battaille perilleulx et grevain.
  456. Asséz se souhaida en son pallais lontaing.
  457. Non pour tant pour honneur se ferry si applain
  458. Que forment le redoubtent et Lombart et Romain.
  459. Mais si avant ala qu'il y perdy sa main ;
  460. Maudacquin lui trencha pardeléz ung cavain.
  461. Lors appella li dux Regnault son chappellain :
  462. « Amis, rallons nous ent, pour le corpz saint Germain !
  463. Se en la cyté renterons, nous morons cy de fain,
  464. Car trop sont les Lombars crueulx et villain.
  465. Mettons nous a le voye ! »
  466. XXXIII
  467. Forte fu la battaille, les Lombars l'ont vaincue.
  468. Li duc Raoul s'en va avec sa mesnie drue ;
  469. Devers le bos s'en vont la grant voye battue.
  470. Le senneschal Gaudin de crÿer s'esverdue
  471. « Retournons, bonne gens, la journee est perdue !
  472. Mieulx vault que nous tournons arriere c'on nous tue.
  473. Mauldix soit il de Dieu qui conseilla l'issue !
  474. Dont se vont retournant comme gens esperdue ;
  475. Jusques en Acquittaine n’y ont rengne tenue.
  476. Moult en y ot de mors a l’entrer d’une rue,
  477. Car le roy les sievoit qui forment s’esvertue.
  478. Qui n’y peut avenir, a son povoir il rue.
  479. Pau failly que ad ce cop n’ont le cité perdue.
  480. Mais les dames ce jour leur firent grant ayeue, [fol. 18]
  481. Car dessus les cresteaulx fu chescune accourrue.
  482. La jecterent aval mainte piere cornue
  483. Pour la chité deffendre.
  484. XXXIV
  485. Pardedens Acquittaine sont rentré les barons.
  486. Gaudins le senneschal fu plains de marisons.
  487. La porte fist fermer dont moult furent li gon.
  488. A tant ez vous Yderne a la clere fachon.
  489. Quant elle sceut du duc que on en menoit prison,
  490. Elle en fu moult dollente et plaine de frichon ;
  491. Pardessus la cauchie cheÿ en pamison.
  492. Ostrisse l’en leva par l’ermin pellichon ;
  493. Ou pallais le mena ou sont les valleton,
  494. Anthiaume et Gerin qui furent enfanchon, [fol. 18v]
  495. N’avoient que VII ans en icelle saison.
  496. Quant de leur pere sceurent le vraye establison,
  497. Qurant deul en demenerent et grant plourison,
  498. Car amenrie en fu le leur extracïon.
  499. Moult forment mauldissoient roy Thery et ses baron.
  500. Le senneschal manda les chevallier de nom.
  501. Au conseil sont allé pour ceste occasïon.
  502. Et la furent d’accord chevallier et baron
  503. Qu’il feront souverain du senneschal selon,
  504. Tant qu’ilz raront le duc qui ceur a de lyon.
  505. Or vous diray du roy qui cuer ot de griffon,
  506. Qui retrais est arriere dens son pavillon
  507. Et o lui son princhier qu’il ama de cuer bon.
  508. Le duc fist amener et Garnier de Digon.
  509. Quant le duc d’Acquittaine a veüt le fachon,
  510. Haultement lui a dit que bien l’entendist on :
  511. « Dy moy, duc d’Acquitaine, dont vient la traÿson
  512. Que evers ma fille as fais sans cause ne raison ? »
  513. Et quant li duc l’oÿ, se lui dist a hault son :
  514. « Sire roy de Pavie, Dieux scet bien l’occasion
  515. Pour quoy je l’ay bannie hors de ma regïon.
  516. Mais oncques de sa mort je ne sceuch ung bouton.
  517. Pour moy ne pour mon fait ne a ma commandison,
  518. N’ot oncques mal son corpz ; sy ait ma tiene pardon. »
  519. Et dist ly roy Thieris : « Ce ne vault ung bouton !
  520. Verité me dirés ainchois l’Assenssïon
  521. Par forche de jehinne. »