May Plouzeau, PercevalApproches, Chapitre 7
◊Chap7 (§177-§220)

 

Sommaire

           7.1. Chapitre 7 et devoir n° 2. (§177)
           7.2. Traduction et/ou commentaire de PercL v1943-v2064. (§178, §179, §180, §181, §182, §183, §184, §184a, §185, §186, §187, §188)
                        7.2.1. Traduction et/ou commentaire de PercL v1943-v1949 : agitation de Blancheflor dans son lit. (§178)
                        7.2.2. Traduction et/ou commentaire de PercL v1950-v1961 : lever nocturne de Blancheflor. (§179)
                        7.2.3. Traduction et/ou commentaire de PercL v1962-v1968 : Blancheflor près du lit de Perceval. (§180)
                        7.2.4. Traduction et/ou commentaire de PercL v1969-v1977 : réveil de Perceval. (§181)
                        7.2.5. Traduction et/ou commentaire de PercL v1978-v1996 : début de dialogue entre Blancheflor et Perceval. (§182)
                        7.2.6. Traduction et/ou commentaire de PercL v1997-v2010 : Blancheflor parle des chevaliers ocis et anprisonez par Anguinguerron. (§183)
                        7.2.7. Traduction et/ou commentaire de PercL v2011-v2023 : Blancheflor dépeint la situation dramatique de Beaurepaire épuisé par le siège. (§184, §184a)
                        7.2.8. Traduction et/ou commentaire de PercL v2024-v2035 : fin du discours de Blancheflor. (§185)
                        7.2.9. Traduction et/ou commentaire de PercL v2036-v2044 : fond du discours de Blancheflor selon le narrateur. (§186)
                        7.2.10. Traduction et/ou commentaire de PercL v2045-v2054 : réponse de Perceval à Blancheflor. (§187)
                        7.2.11. Traduction et/ou commentaire de PercL v2055-v2064 : le reste de la nuit. (§188)
            7.3. Pause civile. (§189)
            7.4. Syntaxe : la négation dans PercL v1943-v1968. (§190, §191, §192, §192a)
            7.5. Morphologie non verbale : quelques déclinaisons de syntagmes proposées dans le devoir n° 2. (§193)
           7.6. Morphologie du verbe : indicatif présent. (§193a, §194, §195, §196, §197, §197a, §198, §199, §200, §201, §202, §203, §204, §205, §206, §207, §208, §208a, §209)
                        7.6.1. Indicatif présent : principes fondamentaux. (§193a)
                        7.6.2. Désinences de l’indicatif présent (hormis cas particuliers). (§194, §195, §196, §197)
                                   7.6.2.1. Indicatif présent : désinences françoises du premier groupe (hormis cas particuliers). (§194)
                                   7.6.2.2. Indicatif présent : désinences françoises du deuxième groupe. (§195)
                                   7.6.2.3. Indicatif présent : désinences françoises du troisième groupe (hormis cas particuliers). (§196)
                                   7.6.2.4. Récapitulation des dési­nences françoises de l’indicatif présent (hormis cas particuliers) : tableaux. (§197)
                        7.6.3. La désinence de personne 4 ‑omes. (§197a)
                        7.6.4. Désinences de l’indicatif présent, complications : désinences et/ou consonne finale du radical. (§198, §199)
                                   7.6.4.1. Désinences de l’indicatif présent, complications : désinences et/ou consonne finale du radical : premier groupe. (§198)
                                   7.6.4.2. Désinences de l’indicatif présent, complications : désinences et/ou consonne finale du radical : troisième groupe. (§199)
                        7.6.5. Indicatif présent, complications impliquant les voyelles du radical : le phénomène de l’alternance lié au déplacement de l’accent tonique. (§200, §201, §202, §203)
                                   7.6.5.1. Déplacement de l’accent tonique et alternance : principes. (§200)
                                   7.6.5.2. Indicatif présent : un exemple d’alternance vocalique simple. (§201)
                                    7.6.5.3. Indicatif présent : alternance syllabique. (§202, §203)
                                               7.6.5.3.1. Indicatif présent, alternance syllabique : principes et exemples. (§202)
                                               7.6.5.3.2. Indicatif présent, alternance syllabique : compléments. (§203)
                        7.6.6. Indicatif présent : première personne perturbée par un yod du latin vulgaire. (§204, §205, §206)
                                   7.6.6.1. Indicatif présent, première personne perturbée par un yod du latin vulgaire : principes et exemples. (§204)
                                   7.6.6.2. Indicatif présent, première personne perturbée par un yod du latin vulgaire : compléments aux exemples du §204. (§205, §206)
7.6.7. Indicatif présent : verbes anomaux au plan accentuel. (§207, §208)
                                   7.6.7.1. Indicatif présent, verbes anomaux au plan accentuel : présentation, exemples. (§207)
                                   7.6.7.2. Indicatif présent, verbes anomaux au plan accentuel : compléments. (§208)
                        7.6.8. Indicatif présent : note sur ‑z marque de personne 2. (§208a)
                        7.6.9. Exercices à faire sur l’indicatif présent. (§209)
            7.7. Morphologie du verbe : subjonctif présent. (§210, §211, §212, §212a, §213, §214)
                        7.7.1. Terminaisons du subjonctif présent (hormis celles des subjonctifs présents autonomes). (§210)
                        7.7.2. Subjonctif présent, compléments : note sur les formes de désinences de la personne 5. (§211)
                        7.7.3. Subjonctif présent : complications pouvant affecter les verbes du premier groupe. (§212)
                        7.7.4. Subjonctif présent : complications pouvant surgir au troisième groupe. (§212a)
                        7.7.5. Subjonctif présent : verbes à subjonctif présent autonome. (§213, §213a)
                                   7.7.5.1. Subjonctif présent, verbes à subjonctif présent autonome : principes et exemples. (§213)
                                   7.7.5.2. Subjonctif présent : remarques sur les verbes à subjonctif présent autonome mis en tableau au §213. (§213a)
                        7.7.6. Exercices à faire sur les subjonctifs présents. (§214)
            7.8. Solution des exercices sur l’indicatif présent proposés §209. (§215)
            7.9. Solution des exercices sur le subjonctif présent proposés §214. (§216)
7.10. Lexique : +afubler et sa famille. (§217, §218, §219, §220)

 

 

7.1. Chapitre 7 et devoir n° 2. (§177)

§177

            Dans le présent chapitre, on trouvera beaucoup de choses, au nombre desquelles un corrigé de ce qui était proposé comme devoir n° 2 (voir Chap6 §176a), dont le sujet est ici rappelé.

Texte : PercL v1943-v1968. — 1. Traduire en français académique d’aujourd’hui. — 2. Morphologie : après en avoir donné la fonction, décliner au singulier et au pluriel les syntagmes nominaux suivants : un mantel cort v1950, son afere v1957, tuit li manbre v1960, li cors v1961. — 3. Syntaxe : la négation dans le passage. — 4. Lexique : afublé v1951. Définir les sens du verbe +afubler dans PercL et en français moderne. Comment peut-on caractériser l’évolution sémantique du mot de l’ancien français (tel qu’on le saisit à travers PercL) au français moderne ? Pour terminer, synthétisez ce qu’est devenu au plan sémantique le radical fibul‑ de f´ibula du latin à aujourd’hui, sans omettre d’utiliser les documents fournis dans la section Mots en contexte.

            De ce devoir, les questions de traduction sont évoquées §178 à §188. La question 2 est traitée §193, la question 3 §190 à §192a, la question 4 est traitée §217 à §220. Comme ce qui est appelé dans le présent cours devoir n° 2 avait effectivement été rendu en 2000 comme devoir par vos camarades, et que j’ai lu toutes les copies, il m’arrivera de faire allusion au contenu de celles-ci.

 

 

7.2. Traduction et/ou commentaire de PercL v1943-v2064. (§178, §179, §180, §181, §182, §183, §184, §184a, §185, §186, §187, §188)

            Le Glossaire est très détaillé et fournit de nombreuses informations tant sur le sémantisme des mots que sur leur identification grammaticale. Voilà pourquoi je traduis peu : vous devez faire un effort personnel.

 

7.2.1. Traduction et/ou commentaire de PercL v1943-v1949 : agitation de Blancheflor dans son lit. (§178)

§178

 

  Mes s’ostesse pas ne repose,                    
qui estoit an sa chanbre anclose.              
Cil dort a eise, et cele panse,                    
qui n’a an li nule desfanse                       
d’une bataille qui l’asaut.                         
Mout se trestorne et mout tressaut,           
mout se degiete et se demainne.               
v1943
v1944
v1945
v1946
v1947
v1948
v1949

 

            •v1943. Dans ce vers, la loi rythmique n’est pas respectée : comme souvent, Chrétien place en fin de vers un verbe au sémantisme riche, et ici le corps verbal n’est pas le deuxième de la proposition. Voici en effet le découpage rythmique (je néantise le mot joncteur en le plaçant entre des parenthèses doubles, je sépare les corps toniques au moyen de barres, je souligne le corps verbal) : ((Mes)) s’ostesse  /  pas  /  ne repose. Attention ! : pas, “auxiliaire” de la négation, est en ancien français un mot pleinement accentué, autonome rythmiquement. Voir infra dans le présent Chap7 §192.

            •v1944. “Laquelle était enfermée dans sa chambre” ; si l’on conservait ici l’ordre des mots de PercL, on aboutit à une traduction artificielle.

            •v1945. Cil /./, cele peuvent être traduits “l’un /./, l’autre” : cf. Chap6 §155a ; — dort a eise : on peut traduire “dort tranquillement”.

            •v1946 Qui. Séparé de son antécédent, est à traduire ici “laquelle”, ou bien “car elle”.

            •v1946-•v1947 nule desfanse D’une bataille qui l’assaut. PercR et PercB ont le même texte que celui de nos v1946-v1947, à des variantes graphiques près. Avec un touchant ensemble, les glossaires de PercR, PercL et PercB — les seuls que j’aie consultés en l’occurrence — omettent de leur article bataille l’attestation de +bataille v1947. Je comprends bataille comme “combat”, et nous traduirons “aucun moyen de se défendre dans un combat qui la déchire”. Il s’agit selon moi du combat entre sa pudeur (qui devrait la retenir d’aller trouver Perceval) et l’inquiétude que lui inspire le malheureux état où sont réduits les habitants de Beaurepaire (qui doit l’inciter à aller demander l’aide du jeune homme). J’ai commenté ces vers, parce que j’en ai trouvé des interprétations à mon sens erronées dans certaines copies d’étudiants. On notera que tous les manuscrits ont l’indéfini une pour ce qui correspond au v1947, ce que négligent de nombreuses traductions du commerce.

 

 

7.2.2. Traduction et/ou commentaire de PercL v1950-v1961 : lever nocturne de Blancheflor. (§179)

§179

 

  Un mantel cort de soie an grainne           
a afublé sor sa chemise,                           
si s’est en avanture mise                          
come hardie et corageuse,                        
mes ce n’est mie por oiseuse,                   
einz se panse que ele ira                          
a son oste et si li dira                                
de son afere une partie.                            
Lors s’est de son lit departie                    
et issue fors de sa chanbre                       
a tel peor que tuit li manbre                     
li tranblent et li cors li sue.                       
v1950
v1951
v1952
v1953
v1954
v1955
v1956
v1957
v1958
v1959
v1960
v1961

 

            •v1950-•v1951 Un mantel cort /./ A afublé sor sa chemise. N’oubliez pas que le vêtement appelé +mantel a la forme d’une cape, et qu’il se porte aussi à l’intérieur de la maison (cf. commentaire du v1777 Chap3 §77). Le verbe +afubler n’a pas un sens péjoratif. Vu le contexte, nous pouvons traduire “elle a jeté sur sa chemise un court manteau /./”, mais alors nous n’épousons pas l’ordre des syntagmes. J’ai trouvé dans la copie de Monsieur Siegfried Martel “Un court manteau de soie écarlate enfilé par dessus sa chemise, elle /./”, ce qui est une excellente façon de conserver l’ordre de présentation du texte ; mais le mantel, à cause de sa forme, ne s’enfile pas (voir infra §119).

            •v1952 Si. Inutile de traduire l’adverbe +si, qui paraît jouer le rôle de simple démarcateur de phrase. On peut traduire “elle a pris des risques”.

            •v1954-•v1955. “Mais ce n’est pas pour des raisons futiles, au contraire, elle réfléchit /./.” Les erreurs de traduction commises dans les copies sur oiseuse et Einz montrent que le Glossaire n’est pas consulté.

            •v1956 et si. Comme assez souvent, +et +si paraît un simple doublet de +et (nous aurons le même phénomène au v1965).

            •v1957. Le mot afere (TL +afaire) peut être rendu par “état”, “situation” : tout dépend du contexte.

            •v1960. A tel peor. Littéralement “avec une telle peur” ; peor (+pëor dans le TL), est un mot féminin, ce que ne montre pas le contexte, puisque +tel le plus souvent ne prend pas de ‑e au féminin dans PercL, conformément à son étymologie ; — tuit li manbre : le mot +membre signifie entre autres “membre (du corps)”, et c’est à ce sens que nous avons affaire ici.

            •v1960-•v1961. L’éditeur n’a pas introduit de virgule devant et : sans doute faut-il comprendre littéralement “que tous les membres lui tremblent et que le corps lui sue”. La non répétition de +que subordonnant serait banale en ancien français. La description est très physique : n’édulcorons pas, car Chrétien veut suggérer une peur intense, et rendons par exemple “ /./ que tous ses membres tremblent et que son corps est en sueur”.

 

 

7.2.3. Traduction et/ou commentaire de PercL v1962-v1968 : Blancheflor près du lit de Perceval. (§180)

§180

 

  Plorant est de la chanbre issue                 
et vient au lit ou cil se dort,                      
et plore et sopire mout fort.                      
Si s’acline et si s’agenoille,                
plore tant que ele li moille                  
de ses lermes tote la face ;                  
n’a hardement que plus li face.          
v1962
v1963
v1964
v1965V
v1966V
v1967V
v1968V

 

            •v1963 cil se dort. Si vraiment +dormir soi marque une participation plus intime du sujet à l’action que +dormir non pronominal (cf. commentaire du v1922 Chap6 §140), il y aurait de nouveau ironie de Chrétien. Il nous montrerait le héros dormant comme un bienheureux insensible à la belle éplorée. Mais comment rendre cela ? Allons nous dire “dort profondément”, “dort du sommeil du juste” ? Et détruire ainsi l’effet de légèreté de la simple syllabe se ? Non. Mais l’on voit que traduire “dormir” ne tient pas compte de la présence du verbe pronominal. Et décidément, se dort en dit un peu plus que dort : dans PercL, les formes conjuguées de +dormir sont au nombre de sept, sur lesquelles deux seulement sont pronominales (mais je ne devrais pas faire parler brutalement les chiffres : il faut tenir compte des contextes, et en particulier de la position du verbe +dormir (soi) par rapport aux repères chronologiques mentionnés).

            •v1965. Inutile de traduire ici les occurrences de +si ; surtout ne pas les rendre par “alors”, adverbe de temps, dont de toute façon nous aurons eu besoin pour traduire Lors (TL +lors) v1958.

            •v1966 Plore tant. Dans PercL, nous avons une syntaxe extrêmement heurtée, avec un corps verbal (Plore) occupant la première position de la proposition. Si vous réablissez le texte de Guiot grâce aux variantes données en note, vous voyez qu’il n’en va peut-être pas de même chez lui, mais dans son texte, tote la face ne se construit pas. L’éditeur de PercB, qui nous offre des variantes détaillées, nous montre que tous les manuscrits sauf le nôtre ont ici un texte qui porte en début de vers Et pleure (ou Et plore : les variantes purement graphiques n’intéressent pas notre problème), donc avec une syntaxe banale (+et accepte dans notre contexte d’être suivi du corps verbal). N’oublions jamais que nous ne commentons pas le texte de Chrétien, mais des versions de ce texte. Ce type de remarque s’applique à l’énorme majorité des textes du Moyen Âge. C’est pourquoi le commentaire littéraire d’un texte médiéval devrait exiger des précautions particulières.

            •v1968 N’a hardement que plus li face. J’ai rencontré des contresens sur ce vers dans les copies. Ils ont plusieurs sources : a n’a pas été identifié comme l’indicatif présent 3 de +avoir, face n’a pas été identifié comme le subjonctif présent 3 de +faire, ou encore le sujet de face n’a pas été compris. Rappelez-vous ceci : le pronom +on, qui signifie “on” ne peut en principe être omis (et pour ma part, je trouve très dommage que des grammaires classent ce pronom parmi les pronoms personnels : dans la syntaxe de l’ancien français, il n’a absolument pas le même comportement que je, tu, il, ele, nos, vos, il, eles). Donc ici, le sujet de a et le sujet de face est nécessairement un il ou un ele non exprimé. Le sens littéral du vers est “elle n’a pas l’audace de lui faire plus”.

 

 

7.2.4. Traduction et/ou commentaire de PercL v1969-v1977 : réveil de Perceval. (§181)

§181

 

  Tant a ploré que cil s’esvoille,                 
si s’esbaïst toz et mervoille                      
de sa face qu’il sent moilliee,             
et voit celi agenoilliee                              
devant son lit, qui le tenoit                       
par le col anbracié estroit ;                       
et tant de corteisie fist                              
que antre ses braz la reprist                      
maintenant et vers lui la trest.                   
v1969
v1970
v1971V
v1972
v1973
v1974
v1975
v1976
v1977

 

            •v1970 s’esbaïst. Le verbe +esbaïr est du deuxième groupe (nous disons encore nous nous ébahissons). La personne 3 de son passé simple est donc esbaï : voir Chap6 §161. Esbaïst est une personne 3 d’indicatif présent : voir infra dans le présent Chap7 §195.

            •v1974 anbracié. — Ce serait écrit embracié (participe passé de +embracier) dans le TL : les variantes graphiques ne sont pas pour vous embarrasser, j’espère. Notez bien le ‑c‑ : devant ‑i(‑), cette lettre se lit [ts] ; très logiquement Guiot écrit braz v2057 le mot qui signifie “bras” (et qui est indécliable) : on prononce [brats], et l’on voit que ‑z et ‑c‑ se correspondent ; la graphie du TL, +braz, est très bien choisie. Vu le contexte, nous traduirons anbracié par “enlacé”, mais +embracier signifie “prendre dans ses bras” en ancien français, tandis que “donner des baisers” ou “donner un baiser” se dit +baisier (graphie du TL). Ce dernier verbe se trouve par exemple v2060°. Ne commettez pas d’impropriété !

            •v1975-•v1976-•v1977. Le mot corteisie désigne ici une action cortoise ; dans PercL, le mot que le TL graphie +cortoisie est toujours écrit corteisie (on n’a pas d’attestation au pluriel) ; sur ce phénomène, voir commentaire au v1831 Chap4 §108. Dans reprist, le préverbe +re‑ signifie que l’action de prendre va être envisagée sous un nouvel angle : Blancheflor a pris Perceval par le cou, puisqu’elle le tenoit Par le col v1973-v1974 ; ce va être au tour de Perceval de prendre Blancheflor. Traduction possible “et il se montra galant : il la prit aussitôt à son tour entre ses bras et l’attira vers lui”.

 

 

7.2.5. Traduction et/ou commentaire de PercL v1978-v1996 : début de dialogue entre Blancheflor et Perceval. (§182)

§182

 

  Si li dist : “Bele, que vos plest ?              
Por qu’iestes vos venue ci ?                     
— Ha ! gentix chevaliers, merci !            
Por Deu vos pri et por son fil                   
que vos ne m’an aiez plus vil                   
de ce que je sui ci venue.                         
Por ce que je sui pres que nue                 
n’i panssai ge onques folie                       
ne malvestié ne vilenie,                            
qu’il n’a el monde rien qui vive               
tant dolante ne tant cheitive                     
que je ne soie plus dolante.                      
Rien que j’aie ne m’atalante,                   
c’onques nul jor sanz mal ne fui.             
Ensi maleüree sui                                     
que je ne verrai ja mes nuit                      
que solemant cesti d’annuit                      
ne jor que celui de demain,                      
ençois m’ocirrai de ma main.                   
/./.”
v1978
v1979
v1980
v1981
v1982
v1983
v1984
v1985
v1986
v1987
v1988
v1989
v1990
v1991
v1992
v1993
v1994
v1995
v1996

 

            •v1978 que vos plest ? Littéralement “qu’est-ce qui vous plaît ?”, c’est-à-dire “que désirez-vous”, ou “que voulez-vous ?” (les deux traductions sont acceptables). Mais la question n’est pas posée de façon aussi abrupte que dans AF Que volez ? On peut aller jusqu’à traduire “Que puis-je faire pour vous ?”, “Qu’y a-t-il pour votre service ?” pour montrer que Perceval est bien élevé.

            •v1979 iestes. Forme de personne 5 de l’indicatif présent du verbe +estre qui se retrouve v5111. À rapprocher de iés, forme de personne 2 de l’indicatif présent de +estre, qui se rencontre v2244 et v8567. (Au v8567 on lit ies, qui aurait dû je crois être imprimé iés pour harmoniser avec les conventions de PercL, où on trouve par exemple chiés “chez”.) Dans tout le reste de PercL, les personnes 5 et 2 de l’indicatif présent de +estre sont respectivement estes et es (nombreuses attestations de l’une et l’autre forme).

            •v1980 gentix. Veuillez consulter le Glossaire sv +gentil et pensez au Bourgeois gentilhomme.

            •v1984-•v1985-•v1986. Faites d’abord un mot à mot à l’aide du Glossaire, afin de contrôler comment on peut arriver à la traduction suivante : “Ce n’est pas parce que je suis presque nue que j’ai eu la moindre pensée d’avoir une conduite dévergondée, mauvaise ou indigne.” Vu le contexte, je crois que folie est à prendre ici au sens de “conduite dévergondée” (cf. TL 2, 2014 sv +folie).

            •v1987-•v1988-•v1989.

            Qu’il n’a “car il n’y a”. La présence de il est due aux impératifs de la loi rythmique (cf. commentaire du v1333 Chap2 §19 sur +avoir impersonnel). Voici en effet le découpage rythmique (je néantise le mot joncteur en le plaçant entre des parenthèses doubles, je sépare les corps toniques au moyen d'une barre, je souligne le corps verbal) : ((Qu’)) il  /  n’a.

            À propos du mot +rien : notez les marques grammaticales des v1987-v1988 qui nous permettent d’interpréter rien v1987 comme un nom féminin (conformément au genre de l’étymon latin, r´es, dont l’accusatif r´em aboutit phonétiquement à rien). Ailleurs +rien peut être pronom indéfini, par exemple v1990.

            Traduction littérale, “car il n’y a au monde créature qui vive, si malheureuse et si infortunée soit-elle, que je ne sois plus malheureuse” ; ce qui pourrait donner “car aucune créature vivant au monde, si malheureuse et si infortunée soit-elle, ne peut être plus malheureuse que moi”.

            •v1990. Aie est la personne 1 du subjonctif présent de +avoir : il ne faut pas omettre de bien rendre le subjonctif dans la traduction, “rien de ce que je puisse avoir”. Le verbe +atalenter (que Guiot écrit ici avec ‑an‑) est fait sur le radical de +talent “désir”, “envie”, et relève du même sémantisme : voir Chap6 §140 commentaire des v1919-v1920.

            •v1993 ja mes. On édite en deux mots séparés, parce que +ja et +mais peuvent se rencontrer chacun seul, avec une valeur temporelle. Le sens est ici “jamais”. En principe, +ja +mais porte sur le futur tandis que +onque, qui signifie aussi “jamais”, porte sur le passé (cf. commentaire des v1862-v1863 Chap4 §111) : c’est bien ce qui se produit pour onques v1991 et ja mes v1993.

            •v1993-•v1994-•v1995. Traduction, “/./ je ne verrai jamais de nuit excepté seulement celle qui vient {littéralement : ‘celle-ci de ce soir’} ni de jour que celui de demain”.

            •v1996. Sur la tentation du suicide, voir infra dans le présent Chap7 §185 le commentaire du v2032.

 

 

7.2.6. Traduction et/ou commentaire de PercL v1997-v2010 : Blancheflor parle des chevaliers ocis et anprisonez par Anguinguerron. (§183)

§183

 

  “/./
De .III.C. chevaliers et dis                       
don cist chastiax estoit garnis                   
n’a ceanz remés que cinquante,               
que .II. et dis moins de seissante              
en a uns chevaliers mout max,                 
Anguinguerrons, li seneschax                  
Clamadeu des Illes, menez                      
et ocis et anprisonez.                                
De cez qui sont an prison mis                  
me poise autant com des ocis,                  
car je sai bien qu’il i morront,                  
que ja mes issir n’an porront.                   
Por moi sont tant prodome mort,             
s’est droiz que je m’an desconfort.          
/./.”
v1997
v1998
v1999
v2000
v2001
v2002
v2003
v2004
v2005
v2006
v2007
v2008
v2009
v2010

 

            •v1997-•v1998-•v1999. Traduction, “de trois cent dix chevaliers qui formaient la garnison de ce château il n’est resté en ces lieux que cinquante”. Apprenez à lire les chiffres romains. Les cinquante sont probablement à mettre en relation avec le chiffre du v1927 : voir discussion des v1926-v1927 Chap6 §140. Sur les v1997-v1998, voir encore infra la fin de la note aux v2000 et suivants.

            •v2000-•v2001-•v2002-•v2003-•v2004. Traduction, “car un chevalier très mauvais, A., le sénéchal de Cl. des I., en a emmené, tué et fait prisonniers n”. “Car” rend Que (+que) v2000, “a” correspond à a v2001. Ce que provisoirement j’ai rendu par “n”, c’est le nombre qui est donné v2000. On s’attendrait à ce que ce nombre soit 310 (v1997) — 50 (v1999), soit 260. Or, on peut triturer dans tous les sens le v2000, on ne pourra pas faire qu’il indique une somme de 260 ! Peut-être ce v2000 indique-t-il une somme de 48, comme le veut Alfons Hilka dans PercH (60 — 12 = 48) ; mais je n’en suis pas absolument sûre : l’article +moins du TL ne comporte aucune construction identique1. (Mais voir par exemple Un en trouverés mains de dis, qui, dans le contexte signifie nécessairement “Vous en trouverez neuf”, vers 3502 de Froissart, La Prison amoureuse, édité par Anthime Fourrier, Paris 1974.) Alfons Hilka comprenant que le v2000 fait état de quarante-huit chevaliers dont s’est “occupé” Anguinguerron, est obligé de supposer que 260 — 48, soit 212 chevaliers ont disparu pendant le siège dans des circonstances dont il n’est pas fait mention (voir PercH p662). Il est bien plus vraisemblable de croire que les copistes se sont embrouillés à un moment de la tradition manuscrite, mais il n’est pas facile de savoir ce que portait le texte original : les variantes sur les chiffres aux v1997, v1999 et surtout v2000 données dans PercB sont en très grand nombre. J’en profite pour rappeler qu’un commentaire sérieux ne peut être proposé que s’il se fonde sur la connaissance de l’ensemble de la tradition manuscrite, appuyée sur un solide savoir grammatical. Si vous écoutez un jour l’enregistrement E6 de PlouzeauPerceval, vous verrez pourquoi j’avance à titre d’hypothèse que l’original des v1997-v1998 aurait été quelque chose comme De .III.C. chevaliers esliz {“d’élite”} Don cist chastiax estoit garniz (ce qui du reste n’apporte pas de solution au problème d’arithmétique posé par les v1997 et suivants). On pourrait aussi se demander si la mysogynie bien connue des lettrés médiévaux ne s’exercerait pas en ce passage, et que la jeune beauté fût incapable de faire une soustraction élémentaire !

            •v2010 S’est droiz que je m’an desconfort. La première partie du vers signifie “il est normal que” (vous aurez reconnu en S’ une forme élidée de l’adverbe +si). Desconfort, forme de +desconforter, pourrait morphologiquement être aussi bien une personne 1 d’indicatif présent que de subjonctif présent. Mais les autres endroits de PercL qui portent une construction de type il est droiz que nous montrent que le verbe de la proposition introduite par que est dans ces circonstances au subjonctif. Voici l’ensemble des passages concernés : S’est droiz que los et pris en ait v4503, /./ C’or est il bien reisons et droiz Que ge vos sive volantiers v6936-v6937, S’est droiz que ge vos i conduie v7378, /./ Einz est bien droiz que il i ait Dames et chevaliers assez v8598-v8599. Par ailleurs, l’article +droit du TL 2, 2072-2073, n’offre pas d’exemple sûr où le verbe de la proposition introduite par que soit à l’indicatif dans le tour il est droiz que (le verbe lesse dans le TL 2, 2073/4, est ambigu).

 

 

7.2.7. Traduction et/ou commentaire de PercL v2011-v2023 : Blancheflor dépeint la situation dramatique de Beaurepaire épuisé par le siège. (§184, §184a)

§184

 

  “/./
A siege a ci devant esté                           
tot un iver et un esté                                 
Anguinguerrons, qu’il ne se mut,            
et tot adés sa force crut,                           
et la nostre est amenuisiee                        
et nostre vitaille espuisiee,                       
que il n’en a ceanz remeis                        
don se poïst repestre un eis,                     
si somes a tant antreset                             
que demain, se Dex ne le fet,                   
li sera cist chastiax randuz,                      
qui ne puet estre desfanduz,                     
et je avoec come cheitive.                        
/./.”
v2011
v2012
v2013
v2014
v2015
v2016
v2017
v2018
v2019
v2020
v2021
v2022
v2023

 

            •v2011 ci devant. Le TL 2, 1849/36, article +devant, classe cette occurrence parmi celles où devant est adverbe de lieu ; on pourra rapprocher un passage d’un autre roman de Chrétien, également cité par le TL ibid. : Et les armes et li destriers Furent mises a l’uis devant (CligésM 4826-4827). PercL ne présente pas d’autre exemple de la séquence ci devant dans laquelle chacun de ces mots soit un adverbe. (Lemmes : +ci; +devant.)

            •v2017 remeis. Forme dans une graphie de l’Est de ce qui ailleurs en oïl à la même époque serait écrit remés, participe passé de +remanoir.

            •v2018 Don se poïst repestre un eis. Traduction, “dont une abeille pourrait se repaître”. Eis est écrit dans une graphie de l’Est, avec ei‑ pour e‑ : le a tonique libre de lat. ´apis (j’ai cité au nominatif singulier) donnerait (en principe !) graphiquement e dans la plupart des régions d’oïl. Nous avons le même phénomène que pour remeis v2017°. Il faut noter que généralement le produit de a tonique libre du latin (placé hors entourage phonétique perturbateur) est écrit e par Guiot : exemples, plorer v2039, lat. plor´are, ou lez v2063, lat. l´atus (lemmes : +plorer, +lez). Il n’est pas interdit de se demander pourquoi tout d’un coup Guiot écrit remeis et eis. — Le manuscrit porte en toutes lettres un eis, alors qu’on attendrait une eis ou uns eis (le mot +és “abeille” a le genre masculin ou le genre féminin en ancien français). En fait, notre mansuscrit est le seul à avoir se v2018 : à en juger d’après les variantes de PercB, la plupart des autres manuscrits portent l’en “l’on” (ou éventuellement une variante graphique de l’en, ce que la varia lectio de PercB ne permet pas de savoir) : il n’est pas impossible que Guiot ait eu sous les yeux un texte portant quelque chose comme Dont l’en p. r. un es “dont l’on pût repaître une abeille”, qu’il ait transformé l’en en se (paléographiquement, les graphies de ces deux ensembles de signes sont très proches), mais qu’il ait conservé par distraction un, cas régime singulier, de son modèle, sans l’ajuster à son texte à lui, qui exigerait un cas sujet singulier. Sur la place de se, voir par exemple infra dans le présent Chap7 §185 commentaire du v2036.

 

 

§184a

            •v2019. L’adverbe +entresait est traduit comme un adverbe de temps, “sur le champ2, sans plus attendre”, p134b de PercL t2 (où sont données trois occurrences, dont celle du v2019). Mais ces traductions ne conviennent pas ici. Le TL a une seule rubrique, où les traductions proposées, “ohne weiteres, unbedingt, jedenfalls” et, surtout, les exemples produits permettent de comprendre ici “assurément”, “sans faute”. Le sens du vers est sans doute “nous sommes assurément dans une situation telle”.

            •v2019-•v2020 a tant /./ Que. Comprendre “dans une situation telle /./ que”. — se Dex ne le fet, littéralement “si Dieu ne le fait pas”, donc “si Dieu n’y pourvoit”.

            •v2023 come cheitive. Si nous suivons le glossaire de PercL t2 p139a, nous traduirons “comme captive”. (Le glossaire de PercB traduit “captive, prisonnière” l’occurrence de notre v2023, mais j’ai souvent remarqué — sans nécessairement en faire état dans le présent cours — que le glossaire de PercB se contente d’emboîter le pas aux prédécesseurs.) La situation appelle en effet l’idée de prison. Nous aurions donc là un endroit où le radical du lat. capt´ivus3 se réaliserait avec son sens originel. Ce serait le seul dans l’ensemble de PercL, où aucune des autres ocurrences de +chaitif (au nombre de huit) n’évoque l’idée de captivité. Le TL n’a pas relevé cet exemple-ci dans son article +chaitif. Il me semble qu’il ne serait peut-être pas impossible de comprendre “malheureuse”. Quoi qu’il en soit, il convient d’écouter l’enregistrement e3 à la lumière du présent commentaire.

 

 

7.2.8. Traduction et/ou commentaire de PercL v2024-v2035 : fin du discours de Blancheflor. (§185)

§185

 

  “/./
Mes, certes, einz que il m’ait vive,           
m’ocirrai ge, si m’avra morte,                  
puis ne me chaut se il m’an porte.            
Clamadex, qui avoir me cuide,                
ne m’avra ja, s’il ne m’a vuide                 
de vie et d’ame, an nule fin,                     
que je gart an un mien escrin                   
un costel tot de fin acier                           
que el cors me voldrai glacier.                 
Itant a dire vos avoie.                               
Or me remetrai a la voie,                         
si vos lesserai reposer.”                            

v2024
v2025
v2026
v2027
v2028
v2029
v2030
v2031
v2032
v2033
v2034
v2035

 

            •v2024 vive. L’adjectif +vif est habituel pour dire “vivant” en ancien français. Nous l’avons conservé dans des lexies comme chaux vive, vif-argent (nom ancien du mercure) ; il existe un film d’Alain Tanner de 1969 appelé Charles mort ou vif.

            •v2028 Ne m’avra ja. Voici un exemple de l’adverbe +ja (cf. supra commentaire du v1993 dans le présent Chap 7 §182). On peut traduire “jamais”, mais il n’est pas interdit de connaître et d’apprécier le commentaire de Lucien Foulet à propos du fonctionnement de ja dans la Première Continuation de Perceval, texte dont la syntaxe est proche de celle de PercL. Le voici. “Dans une phrase au futur, où il ne s’agit plus seulement d’affirmer l’imminence d’une action, mais d’indiquer l’influence d’une volonté sur la marche des événements, ja suggère inévitabilité /./.” Suivent de nombreux exemples, qui inspirent à Lucien Foulet la conclusion suivante : “Toutes les phrases pécédentes /./ sont négatives /./. On peut donc dire que dans toutes ces phrases ja renforce la négation.” (FouletPerceval p151.)

            •v2028-•v2029 s’il ne m’a vuide De vie et d’ame. Littéralement “s’il ne m’a vide de vie et d’âme”, d’où par exemple, “que si vie et âme m’ont quittée”, ce qui est naturellement bien plus plat.

            •v2030 un mien escrin. Le mot +escrin réfère à un contenant qui, d’après les textes médiévaux, renferme souvent des objets volumineux. Le texte ne dit pas mon escrin, donc traduire “un de mes écrins” ou “un de mes coffrets”.

            •v2032 Que el cors me voldrai glacier. On peut je crois donner à voldrai le sens plein de “aurai la volonté de” : l’héroïne se projette par la pensée à un moment où la situation lui inspirera cette volonté (absolument impensable dans un contexte chrétien, mais les fictions médiévales ont une morale religieuse assez élastique : on y parle souvent de se suicider). Le vers signifie littéralement “que je voudrai me faire glisser dans le corps” : noter la place de me, complément d’objet second de glacier, qui est placé devant voldrai, le verbe qui régit glacier, et à la forme dite atone, ce qui est courant dans la syntaxe médiévale.

            •v2033 Itant a dire vos avoie. Au plan formel, il y a le même rapport entre itant et tant qu’entre ice et ce (lemmes : +itant, +tant, +ice, +ce). Consultez le Glossaire pour connaître le sens premier. On peut traduire “voilà ce que j’avais à vous dire”.

 

 

7.2.9. Traduction et/ou commentaire de PercL v2036-v2044 : fond du discours de Blancheflor selon le narrateur. (§186)

§186

 

  Par tans se porra aloser                            
li chevaliers, se fere l’ose :                       
c’onques cele por autre chose                  
ne vint plorer desor sa face,                     
que que ele antandant li face,                   
fors por ce qu’ele li meïst                         
an talant que il anpreïst                            
la bataille, s’il l’ose anprandre,                
por sa terre et por li desfandre.                 
v2036
v2037
v2038
v2039
v2040
v2041
v2042
v2043
v2044

 

            •v2036 se porra aloser. Noter la place de se : le pronom personnel complément de l’infinitif est placé devant le verbe qui régit l’infinitif. Voir supra dans ce Chapitre7 les commentaires des v2018 et v2032.

            •v2038-•v2039-•v2040-•v2041-•v2042-•v2043. Notez l’articulation et la concordance des temps : vint v2039, passé simple, commande un subjonctif imparfait, meïst v2041°, et la locution verbale meïst An talant a pour complément d’objet direct une complétive introduite par que dont le verbe anpreïst v2042° est aussi au subjonctif imparfait ; voici une traduction non élaborée : “car cette dernière ne vint pas pour autre chose /./, quoi qu’elle lui face comprendre, excepté pour qu’elle lui inspirât le désir qu’il entreprît la bataille /./”, ce qui peut donner “car cette dernière n’est venue lui pleurer sur le visage que pour une chose /./ : lui inspirer le désir d’entreprendre la bataille /./”. Mais face v2040° est un présent.

 

 

7.2.10. Traduction et/ou commentaire de PercL v2045-v2054 : réponse de Perceval à Blancheflor. (§187)

§187

 

  Et il li dist : “Amie chiere,                       
fetes enuit mes bele chiere,                      
confortez vos, ne plorez plus                   
et vos traiez vers moi ceisus,                    
s’ostez les lermes de voz ialz.                  
Dex, se lui plest, vos donra mialz            
demain que vos ne m’avez dit.                
Lez moi vos traiez an cest lit,                   
qu’il est asez lez a oés nos.                
Hui mes ne me lesserez vos.”                  
v2045
v2046
v2047
v2048
v2049
v2050
v2051
v2052
v2053V
v2054

 

            •v2046 enuit mes. Littéralement “cette nuit désormais” : l’adverbe de temps mes (+mais) réfère très souvent au présent-futur (voir Chap7 §182 note au v1993).

            •v2046. “Le mot {+chiere} /./ indique souvent l’expression du visage plus encore que le visage même” (FouletPerceval p42-p43). L’anglais cheer, qui vient de notre mot +chiere, connaît des emplois proches de ce qui se produisait en ancien français, cf. be of good cheer !

            •v2048. Consultez le Glossaire pour bien comprendre et identifier chaque mot. Ceisus est une forme de çasus. Ce dernier est composé de +ça “ici”, ou plutôt en l’occurence “par ici” (il est employé avec un verbe de mouvement qui répond à la question quo du latin) et +sus, qui réfère au haut, par opposition au bas. Je suppose que l’attitude décrite v1976-v1977 n’impliquait pas que Blancheflor s’allongeât déjà sur le lit, mais qu’elle restât agenoilliee v1972° à côté du lit : dans ces conditions, ceisus serait une invitation à monter complètement sur le lit. (Je n’ai pas trouvé dans les articles dévolus à +ça et à +sus des TL et FouletPerceval de mention que +ça +sus fût un simple doublet de +ça ; notre occurrence du v2948 figure dans l’article +ça du TL 2, 1/27, sans être glosée ; FouletPerceval comporte un article ceisus avec pour traduction “ici en haut”.)

            •v2049. Sur ialz, CRP de +ueil, voir Chap2 §61.

            •v2050 se lui plest. “S’il lui plaît” ; la loi rythmique est respectée : se (lemme : +se), conjonction de subordination atone, est suivie d’une forme tonique du pronom personnel complément, puis vient le corps verbal, réduit à un élément. Nous découperons (je néantise le mot joncteur en le plaçant entre des parenthèses doubles, je sépare les corps toniques au moyen d'une barre, je souligne le corps verbal) : ((se)) lui  /  plest4.

            •v2054 Hui mes. Dans l’orthographe du TL, nous aurions +ui +mais : l’ensemble réfère à la partie d’“aujourd’hui” qui n’est pas encore écoulée ; comparer supra dans le présent Chap7 §187 le commentaire du v2046.

 

 

7.2.11. Traduction et/ou commentaire de PercL v2055-v2064 : le reste de la nuit. (§188)

§188

 

  Et cele dist : “Se vos pleisoit,                   
si feroie”, et cil la beisoit,                         
qui an ses braz la tenoit prise.                  
Si l’a soz le covertor mise                        
tot soavet et tot a eise,                              
et cele suefre qu’il la beise,                      
ne ne cuit pas qu’il li enuit.                      
Ensi jurent tote la nuit,                             
li uns lez l’autre, boche a boche,              
jusqu’au main que li jorz aproche.           
v2055
v2056
v2057
v2058
v2059
v2060
v2061
v2062
v2063
v2064

 

            •v2056 Si feroie. Littéralement “ainsi ferais-je”, d’où “je le ferais”, “c’est ce que je ferais”.

            •v2061 Ne ne cuit pas qu’il li enuit. Le premier ne est conjonction de coordination, le second, adverbe (lemmes du Glossaire : respectivement +ne2 et +ne1). Traduction possible “et je ne crois pas que cela lui soit désagréable”. Reconnaissez bien en cuit la première personne du présent de l’indicatif de +cuidier : le narrateur omniscient pointe le bout de son nez, comme il le fait encore, avec ce même verbe par exemple v2607° ou v1712. À propos du v1712, voici une petite anecdote. Il se trouve dans un passage que j’avais donné à traduire pendant l’année scolaire 1998-1999 à vos camarades d’agrégation. Tous comme un seul homme ont “traduit” cuit par “il croit” ; et il y a bien plus grave : dans le même devoir, ils devaient relever, identifier, classer et conjuguer les présents de l’indicatitf : hé bien, dans cette question de morphologie, cuit était correctement identifié par eux comme une personne 1 d’indicatif présent ! Je me suis reportée aux traductions du commerce qui cette année-là barraient l’accès au texte. Le contresens de vos camarades remontait soit à PercLTradR, soit à ChrétienPléiade, qui avaient dû s’inspirer sans rien contrôler de traductions préexistantes, alors que le texte qu’ils étaient censés rendre portait bien cuit. Ce petit exemple montre la nécessité absolue de travailler les textes dans la langue originale, qui doit être comprise : une étude littéraire sur le rôle de l’instance narrative (question très à la mode) ne peut se faire si on ne distingue pas une première personne d’une troisième personne.

 

 

7.3. Pause civile. (§189)

§189

            Le présent §189 était occupé antérieurement par des considérations sur l’aspect matériel du cours. Ces considérations n’ont plus lieu d’être énoncées, mais je suis obligé de conserver le numéro du paragraphe pour maintenir mon système de renvois chifrés. Mes excuses.

 

 

7.4. Syntaxe : la négation dans PercL v1943-v1968. (§190, §191, §192, §192a)

 

            Dans le devoir n° 2 (voir §177), on vous proposait d’étudier “la négation dans le passage {PercL v1943-v1968}”.

 

§190

            Dans ce passage, la négation se reconnaît par la présence de ne ou de sa forme élidée n’, qui est partout adverbe. Voici le relevé au fil du texte tout d’abord :

 

  Mes s’ostesse pas ne repose,                    
/./.
 
/./
qui n’a an li nule desfanse                       
/./.
 
/./
mes ce n’est mie por oiseuse,                   
/./.
 
/./
n’a hardement que plus li face.          
v1943



v1946



v1954



v1968V
 

 

            La première remarque c’est que notre corpus est homogène à certains égards : toutes nos propositions sont à l’indicatif, et dans tous les emplois de l’adverbe +ne, nous avons affaire à une “négation pleine”, selon les termes de QuefNégationYvain p25. Autrement dit, nous n’avons nulle part ici de “ne en système exceptif” (pour reprendre des termes de QuefNégationYvain p24) et par ailleurs si nous supprimions les occurrences de +ne du passage, à chaque fois le sens de ce que nous voulons exprimer serait complètement différent.

            La deuxième remarque, c’est que si nous voulons opérer des regroupements, nous pouvons isoler le v1946 de tous les autres : la présence de nule devant defanse montre que nous avons à faire à une négation partielle, alors que dans les trois autres vers, nous sommes en présence (au plan formel, du moins) d’une négation totale, qui porte sur la proposition entière5. Au plan formel, la présence de +nul empêche celle de +pas ou de +mie.

            En ce qui concerne les autres vers, nous devons faire observer ceci. À l’époque de Chrétien de Troie, la présence de l’adverbe +ne, à elle seule, suffit à produire une proposition négative : N’a hardement v1968. Ceci est un héritage du latin, où on disait au positif c´anto “je chante” et au négatif n´on c´anto “je ne chante pas”. En français d’aujourd’hui, il en va tout autrement, puisque pour signifier le concept latin “n´on c´anto”, nous devons dire je ne chante pas. (Aujourd’hui, l’absence de pas dans l’expression de la négation pleine n’est possible que dans certaines structures, et elle est recherchée : je ne puis, par exemple.)

            Mais, vous le voyez dans notre petit passage, l’adverbe ne pouvait s’accompagner de ce qu’on appelle parfois (et pourquoi pas ?) des auxiliaires de la négation. Nous trouvons ici +pas et +mie, et PercL offre aussi +point, ce dernier surtout construit avec la préposition +de, comme dans De contredit n’i avra point v512, mais non exclusivement, cf. il ne me grieve point v3099. Dans PercL, de ces trois “auxiliaires”6, +mie et +pas sont beaucoup plus employés que +point.

 

 

§191

            Il se pose plusieurs questions.

            Au plan de la syntaxe, quand on travaillle sur un corpus étendu, il est bon de se demander si certains types d’environnement favorisent ou défavorisent l’apparition des “auxiliaires” +pas, +mie et +point. Je ne traiterai pas ici cette question de cours, qui exige — au départ ! — un examen texte par texte, et que vous pourrez approfondir d’autres années si le cœur vous en dit : il ne s’agit pas pour vous de réciter des corrigés, mais d’étudier attentivement un court passage. Vous trouverez traitée cette question de cours à propos de la négation dans YvainR, autre roman de Chrétien édité d’après la copie de Guiot, dans l’article QuefNégationYvain. L’auteur de cet article relève p26 plusieurs types d’énoncés qui utilisent “de préférence” les “négations composées”, à savoir +ne … +mie, +ne … +pas et +ne … +point. Au nombre de ceux-ci il en est que je mentionne, parce que nous en rencontrons une réalisation dans notre passage, à savoir les “énoncés niés mis en contraste avec d’autres énoncés positifs, spécialement quand ceux-ci sont introduits par les adversatifs mais ou einz {respectivement +mais et +ainz dans l’orthographe du TL}” (QuefNégationYvain p26, où les italiques sont de l’auteur). Comparez Mes ce n’est mie por oiseuse, Einz se panse que ele ira A son oste et si li dira De son afere une partie v1954-v1957.

 

            Une fois qu’on a défini les types d’énoncé qui “de préférence” présentent les “auxiliaires”, on peut se poser des questions d’ordre stylistique. Ces “auxiliaires” apportent-ils plus d’expressivité que la négation simple +ne ? Certains “auxiliaires” sont-ils plus expressifs que d’autres ? Comment rendre compte de la concurrence entre +mie et +pas ? (Toujours examiner si ces mots sont en rime ou non et, à l’intérieur du vers, si mie est devant une initiale de mot vocalique ou consonantique : les exigences de la versifications ne doivent pas être oubliées ; prendre en compte le fait que +mie a été particulièrement employé dans l’Est, mais sans oublier que les auteurs se lisent les uns les autres, et que tout s’emprunte !) L’emploi des “auxiliaires” (ou de certains “auxiliaires”) se fait-il de plus en plus fréquent à mesure que Chrétien avance en âge ? (Nous possédons un certain nombre de ses romans.) Je ne sais répondre à aucune de ces questions. Je note simplement que dans YvainR, selon les décomptes de QuefNégationYvain p26, on rencontre 73 occurrences de +ne … +mie, 62 occurrences de +ne … +pas et trois occurrences de +ne … +point. Yvain a été composé avant Perceval et YvainR compte 6808 vers.

 

 

§192

            Touchant la loi rythmique, nous devons noter ceci. Les mots +mie, +pas et +point sont toniques et par ailleurs ont en principe une place plus libre qu’aujourd’hui. Exemple (je néantise le mot joncteur en le plaçant entre des parenthèses doubles, je sépare les corps toniques au moyen de barres, je souligne le corps verbal) : pas  /  ne m’an poise  /  v20857. Quant à l’adverbe +ne, il a un double statut rythmique, comme il a été dit Chap2 §31 : il peut être atone et appartenir au corps verbal, exemple (je néantise le mot joncteur en le plaçant entre des parenthèses doubles, je sépare les corps toniques au moyen de barres, je souligne le corps verbal) : ((Mes)) ce  /  n’est  /  mie  /  por oiseuse v1954, ou il peut être tonique, exemple (présenté selon les mêmes conventions) Ne  /  feïstes  /  mie  /  que soz v1004 “vous ne vous êtes pas conduit en sot”. De même que l’adverbe +si de début de phrase, tonique, peut se réduire à s’ tout en continuant de jouer le rôle de corps tonique qui précède le corps verbal, de même, l’adverbe +ne peut se réduire à n’ toute en continuant à jouer le rôle de premier corps tonique. Exemple (je néantise le mot joncteur en le plaçant entre des parenthèses doubles, je sépare les corps toniques au moyen de barres, je souligne le corps verbal) : N’  /  a  /  hardement v1968. Ce double caractère de l’adverbe +ne, atone ou tonique, est peut-être dû au fait qu’en latin le mot n´on, étymon de l’adverbe +ne, pouvait être plus ou moins accentué dans la phrase : pour reprendre l’exemple cité supra dans le présent Chap7 §190, où j’ai accentué n´on, il est probable que l’on pouvait dire n´on c´anto (deux mots ayant chacun son individualité rythmique) ou bien non-c´anto (un groupe avec un seul accent tonique). Ces questions d’accent tonique sont très importantes : le français, étant une langue à accent terminal (voir Chap2 §33), a donné plus de vigueur à la négation en passant de Marie ne chante, où ne était généralement noyé entre des mots toniques, sans l’être lui-même, à Marie ne chante pas, où pas, tonique, mettait mieux en relief la négation, et finalement, en français oral de style familier, à Marie chante pas. Les langues romanes qui ne sont pas à accent terminal sont restées bien plus proches de la syntaxe latine : “je ne chante pas” se dit en castillan no canto et en italien non canto8.

 

 

§192a

            Ne terminons pas ce petit excursus sur l’histoire de la négation sans souligner qu’aujourd’hui, pas l’a emporté sur ses concurrents. Point est régional ou affecté. Quant à mie, Monsieur Siegfried Martel (semper idem !) me signale dans sa copie qu’on le lit encore dans le Voyage au bout de la nuit de Céline. Je vous cite le passage, que j’ai localisé grâce à Frantext9 :

 

           

/./ j’abordai à l’un de ces réfectoires publics rationalisés où le service est réduit au minimum et le rite alimentaire simplifié à l’exacte mesure du besoin naturel.
            Dès l’entrée, un plateau vous est remis entre les mains et vous allez prendre votre tour à la file. Attente. Voisines, de fort agréables candidates au dîner comme moi ne me disaient mie… Ça doit faire un drôle d’effet, pensais-je, quand on peut se permettre d’aborder ainsi une de ces demoiselles au nez précis et coquet /./.10

 

            Cette occurrence de mie, vous le voyez, pose beaucoup de questions, à commencer par le statut grammatical du mot. Mais nous en resterons là pour cette occurrence de Céline11. En voici maintenant une chez Mallarmé : “/./ je te prie de ne compter mie sur moi, dimanche”12. Sans doute en trouverait-on bien d’autres en se donnant la peine de chercher. En effet, le mot n’est pas mort, mais ce qu’il faut bien voir, c’est qu’en français moderne mie dans l’expression de la négation est le plus souvent destiné à produire un effet stylistique. Pour préciser la nature de cet effet, il faut définir dans quelles circonstances le mot apparaît, en particulier, énoncé par qui et pour qui. Je n’ai pas fait cette étude.

 

 

7.5. Morphologie non verbale : quelques déclinaisons de syntagmes proposées dans le devoir n° 2. (§193)

§193

            Voici un corrigé de la question sur les déclinaisons rappelée Chap7 §177 : “Après en avoir donné la fonction, décliner au singulier et au pluriel les syntagmes nominaux suivants : un mantel cort v1950, son afere v1957, tuit li manbre v1960, li cors v1961.”

            Rappels élémentaires : ne pas confondre cas et fonction ; il ne suffit pas de dire “sujet” , mais “sujet de tel ou tel verbe” ; il en va de même pour les compléments.

            Un mantel cort v1950 est complément d’objet direct du verbe a afublé ; ce groupe est donc au cas régime ; cette analyse, jointe à la forme de chacun de ses éléments, nous permet de dire que le groupe est au cas régime singulier. Il se pose plusieurs questions. Quel pluriel donner à un ? Je puis opter pour l’article zéro (en d’autres termes, pour pas d’article) ou pour l’article un, auquel cas on n’oubliera pas que le sens du syntagme serait au pluriel soit “une paire de manteaux courts”, soit “un ensemble de manteaux courts” (voir Chap2 §66). On attend plutôt un pluriel signifiant “des manteaux courts”, c’est-à-dire avec l’article zéro. Une autre question est celle de la forme en ‑s de mantel : dans la scripta de Guiot, c’est mantiax ; dans la graphie du TL, ce serait sans doute manteaus13. Au total, on peut proposer ce qui vient : CSS uns mantiax (ou manteaus) corz ; CRS un mantel cort ; CSP (un) mantel cort ; CRP (uns) mantiax (ou manteaus) corz.

            Son afere v1957 est complément du nom partie. La forme son nous montre que afere est masculin. Nous pouvons sans doute décliner, avec les graphies du v1957, CSS ses aferes14 ; CRS son afere ; CSP si afere ; CRP ses aferes. Dans l’orthographe du TL, que je rappelle pour mémoire, on aurait partout afair‑ au lieu de afer‑.

            Tuit li manbre v1960 est sujet de tranblent. La déclinaison de manbre pose les mêmes problèmes que celle de afere discuté ci-dessus. Ce mot n’apparaît pas au cas sujet singulier dans PercL ; je vais le décliner en adoptant les mêmes principes que pour le mot afere, et en suivant les graphies de notre copiste : CSS toz li manbres ; CRS tot le manbre ; CSP tuit li manbre ; CRP toz les manbres. Le mot +membre n’apparaît pas au cas sujet singulier dans PercL. Sur la question de ‑s final au CSS, voir la note 14 du présent Chap7 à propos de +afaire.

            Li cors v1961 est sujet de sue. Il faut savoir que dans ce mot, le ‑s appartient au radical (cf. le dérivé +corsage). On déclinera donc : CSS li cors ; CRS le cors ; CSP li cors ; CRP les cors.

            Les lemmes (du TL, bien entendu) pour les mots déclinés ci-dessus dans ce §193 sont respectivement +un, +mantel, +cort, +suen (sic), +afaire, +tot, +le la les, +membre, +le la les de nouveau, et +cors.

 

 

7.6. Morphologie du verbe : indicatif présent. (§193a, §194, §195, §196, §197, §197a, §198, §199, §200, §201, §202, §203, §204, §205, §206, §207, §208, §208a, §209)

 

7.6.1. Indicatif présent : principes fondamentaux. (§193a)

§193a

            En ancien français, mis à part les verbes +estre, +dire et +faire15, les présents de l’indicatif partagent tous le trait suivant : aux personnes 4 et 5, l’accent tonique porte sur la désinence ‑ons, ‑ez (et ‑iez). Ce trait persiste en français moderne (où dire, être et faire continuent de se singulariser) : cf chante, chantes, chante, chantons, chantez, chantent ; finis, finis, finit, finissons, finissez, finissent ; viens, viens, vient, venons, venez, viennent. Mais, toujours en français moderne, suis, es, est, sommes (exception !), êtes (exception !), sont ; dis, dis, dit, disons, dites (exception !), disent ; fais, fais, fait, faisons, faites (exception !), font.

 

            En ancien français comme en français moderne, on distingue trois groupes ; mais à la différence de ce qui se produit en français moderne, les verbes du premier groupe se répartissent entre deux sous-groupes : ceux dont l’infinitif est en -er (comme penser) et ceux dont l’infinitif est en -ier (comme cuidier ou merveillier). (Lemmes : +penser, +cuidier et +merveillier).

 

 

7.6.2. Désinences de l’indicatif présent (hormis cas particuliers). (§194, §195, §196, §197)

 

7.6.2.1. Indicatif présent : désinences françoises du premier groupe (hormis cas particuliers). (§194)

§194

            Appartiennent au premier groupe les verbes dont l’infinitif est en ‑er et ceux dont l’infinitif est en ‑ier. Un verbe du premier groupe dont le radical se termine en françois au 12e siècle par par []16, [ts], [] ou [] a nécessairement un infinitif en ‑ier ; quand le radical se termine autrement, il convient de vérifier si l’infinitif est en ‑ier ou en ‑er. Voici des exemples d’infinitif (sauf repair‑ier) pris dans PercL : on opposera ainsi dur‑er v4874° “durer”17 et repair‑ier “retourner”18, beis‑ier v2356° “baiser”19 et repos‑er v2035° “reposer”20, less‑ier v2945 “laisser”21 et pass‑er v323° “passer”22, esploit‑ier v4825° (voir glossaire de PercL) et vanter v418°. Aler “aller”23 est anomal à l’indicatif présent. Hors contextes phonétiques particuliers (voir plus loin), les désinences des verbes en ‑er sont les suivantes en françois : ‑zéro, ‑es, ‑e, ‑ons, ‑ez, ‑ent. Celles des verbes en ‑ier sont en françois : ‑zéro, ‑es, ‑e, ‑ons, iez, ‑ent. (Lemmes des verbes cités supra dans le présent §194 : +durer, +repairier, +baisier, +reposer, +laissier, +passer, +esploitier et +aler.)

            Application à des verbes pris dans PercL. Torne v2332° est l’indicatif présent 3 de torn‑er “tourner” ; voici la conjugaison dans les graphies du TL : +torner, je torn, tu torn‑es, il torn‑e, nos torn‑ons, vos torn‑ez, il torn‑ent ; — monte v1713° est l’indicatif présent 3 de mont‑er “monter” : voici le début de la conjugaison dans les graphies du TL : +monter, je mont, tu mont‑es, etc. ; — beise passim dont v2060° est l’indicatif présent 3 de ce que le copiste écrit beisier (+baisier24) “baiser” : dans les graphies de Guiot, cela donne : je beis, tu beis‑es , il beis‑e, nos beis‑ons, vos beis‑iez, il beis‑ent.

 

 

7.6.2.2. Indicatif présent : désinences françoises du deuxième groupe. (§195)

§195

            Les verbes du deuxième groupe comportent à la fois deux parti­cularités : leur infinitif est en ‑ir , et il apparaît un morphème [is] tout du long de la conjugaison de certains tiroirs ; ce morphème s’écrit ‑iss‑ devant voyelle, et ‑is(‑) dans d’autres entourages. Tous les verbes du deuxième groupe se conjuguent sur le même modèle ; ils ne présentent aucune “complication”. Les verbes de ce groupe ne sont pas très nombreux.

            Modèle. Garant‑ir25 “garantir” dans les graphies du TL26 : je garant‑is, tu garant‑is, il garant‑is‑t, nos garant‑iss‑ons, vos garant‑iss‑iez, il garant‑iss‑ent. (Lemme : +garantir.)

            En fait, on adjoint à la base [garãtis] les désinences du troisième groupe (voir infra dans le présent Chap7 §196), sauf pour ‑iez de la personne 5 ; à la personne 2, le [s] qui termine la base et le [s] désinenciel se confondent en un seul [s]27.

 

 

7.6.2.3. Indicatif présent : désinences françoises du troisième groupe (hormis cas particuliers). (§196)

§196

            Le troisième groupe comprend les verbes dont l’infinitif est en ‑oir, ceux dont l’infinitif est en ‑re, et ceux dont l’infinitif est en ‑ir mais sans apparition du morphème [is] propre au second groupe. Hors contextes phonétiques particuliers (voir plus bas), les désinences sont en “françois” : ‑zéro, ‑s, ‑t, ‑ons, ‑ez, ‑ent.

            Modèle possible28. Cor-re29 (sens premier : “courir”) dans les graphies du TL : je cor, tu cor-s, il cor-t, nos cor-ons, vos cor-ez, il cor-ent. (Lemme du TL : +corir.)

 

 

7.6.2.4. Récapitulation des dési­nences françoises de l’indicatif présent (hormis cas particuliers) : tableaux. (§197)

§197

 

            Voici des modèles mis en tableaux et conjugués avec les graphies du TL30. Apprenez-les par cœur.

 

1er groupe

2e groupe

3e groupe

+durer 

“durer”

+baisier 

“baiser”

+garantir

“garantir”

+corir31

“courir”

dur

bais

garant-is

cor

dur-es

bais-es

garant-is

cor-s

dur-e

bais-e

garant-is-t

cor-t

dur-ons

bais-ons

garant-iss-ons

cor-ons

dur-ez

bais-iez

garant-iss-iez

cor-ez

dur-ent

bais-ent

garant-iss-ent

cor-ent

 

 

7.6.3. La désinence de personne 4 ‑omes. (§197a)

§197a

            À côté de ‑ons se rencontre à l’occasion dans PercL la désinence ‑omes, dont il est parlé Chap4 §115. Selon Pope § 895, à l’époque de Chrétien cette désinence se rencontrait surtout dans le Nord-Est, mais pouvait aussi se trouver ailleurs. Dans l’ensemble de PercL, elle est attestée seulement au présent et au futur. Comme ‑ons et ‑omes ne sont pas interchangeables à l’intérieur du vers ni à la rime (sauf si l’on fait rimer des personnes 4 entre elles), on doit croire qu’en principe lorsqu’on rencontre ‑omes cette désinence n’est pas due au copiste, mais à Chrétien. Une question que l’on peut se poser, c’est si l’usage de ‑omes crée un effet d’expressivité particulier, par exemple si nous opposons, pour +savoir, savons v6206° et savomes v2493° (dans l’un et l’autre cas la rime montre en principe que la désinence remonte à l’auteur, puisque savons v6206° rime avec le nom pluriel saumons et que savomes v2493° rime avec le nom pluriel homes — lat. h´omines). Pour savoir si la question a du sens, il conviendrait naturellement d’examiner d’abord l’ensemble des variantes de chaque attestation.

 

 

7.6.4. Désinences de l’indicatif présent, complications : désinences et/ou consonne finale du radical. (§198, §199)

 

7.6.4.1. Désinences de l’indicatif présent, complications : désinences et/ou consonne finale du radical : premier groupe. (§198)

§198

            Personne 1 et [‑] parfois dit de soutien. Nous avons vu que dans le cas général la désinence est zéro. Mais certains contextes phonétiques exigent une voyelle dite de soutien ; la désinence est alors [‑], écrite ‑e : retenez que les groupes consonne + [r] ou [l] exigent ce [‑]32.

            Par exemple, tranblent v1961 est l’indicatif présent 6 de ce que Guiot écrirait tranbler (+trembler “trembler” dans la graphie du TL) ; avec la graphie que nous avons ici, il se conjugue tranbl‑e, tranbl‑es, etc. (rien de changé pour la suite) ; navr‑er “blesser” se conjugue navr‑e, navr‑es, etc. ; on aurait de même sembl‑e, sembl‑es, etc. pour sembler “sembler” (lemmes : +navrer, +sembler).

 

            Personne 1 et radical terminé par une des consonnes sonores (on peut dire aussi voisées) [v], [b], [d], [g] : placées à la finale, ces consonnes deviennent sourdes (on peut dire aussi se dévoisent) et se transforment respectivement en [f], [p], [t], [k], auxquelles correspondent les graphies ‑f, ‑p, ‑t, ‑c.

            Par exemple, demand‑e v1379° est l’indicatif présent 3 de demand‑er “demander” ; le radical est demand‑, l’indicatif présent 1 demant. (Lemme : +demander.)

 

            Personne 5 : n’oubliez pas ‑iez si nécessaire (cf. Chap7 §194).

 

 

7.6.4.2. Désinences de l’indicatif présent, complications : désinences et/ou consonne finale du radical : troisième groupe. (§199)

§199

 

            Personnes 1, 2, 3 et [‑(‑)] dit de soutien : phénomène similaire à celui qui est exposé Chap7 §198 concernant le [‑(‑)] souvent dit de soutien. Par exemple, ofr‑ir (verbe qui à vrai dire ne se rencontre que v4516°) se conjugue : ofr‑e, ofr‑es, ofr‑e33, ofr‑ons, ofr‑ez, ofr‑ent. (Lemme :+ofrir.)

 

            Personne 1 et radical terminé par les consonnes sonores [v], [b], [d], [g] : placées à la finale, ces consonnes s’assourdissent et donnent respectivement [f], [p], [t], [k], auxquelles corres­pondent les graphies ‑f, ‑p, ‑t, ‑c.

            Par exemple, le verbe descend‑re “descendre”, attesté passim, a pour radical descend‑, et pour indicatif présent 1 descent ; le verbe serv‑ir, attesté passim, a pour radical serv‑, et pour indicatif présent 1 serf. (Lemmes : +descendre, +servir.)

 

            Personne 2 : dentale au contact de la désinence [‑s]. Si le radical du verbe se termine par [d], [t], ou [rn], il se produit des combinaisons : voyez Chap2 §57.

            Application à des verbes de PercL. Met‑re passim “mettre” : radical met‑, indicatif présent 2 [mets], écrit mez ; descend‑re “descendre”, attesté passim, a pour radical descend‑, et pour indicatif présent 2 descenz. (Lemmes :+metre, +descendre.)

            Attention ! La dentale peut être “cachée” (cf. Chap2 §57) : ainsi à il voit v1704 “il voit”, indicatif présent 3, correspond tu voiz [vwts], indicatif présent 2 (lat. v´ides), et à puet v2022 “peut”, indicatif présent 3, correspond puez [pøts], indicatif présent 2 (lat. p´otes). (Lemmes : +vëoir, pöoir.)

 

            Personne 3 : dentale au contact de la désinence [t]. Si le radical se termine par [d] ou par [t], ces dentales se fondent dans le [t] désinentiel.

            Exemples tirés de PercL. Il descent v1415° est l’indicatif présent 3 de descend‑re ; le radical est descend‑ ; on n’a pas *descendt34, mais descent. Même chose pour met “il met” v1438 et pour part v1697° (les infinitifs sont met‑re et part‑ir) : on n’a pas *mett ni *partt ! (Lemmes : +descendre, +metre, +partir.)

 

            Personnes 2 et 3 : autres phénomènes au contact des désinences (cf. Chap2 §56, §58). Dans la plupart des cas restant à examiner, la consonne finale du radical est sujette aux mêmes accidents qu’elle soit placée devant la désinence [s] ou devant la désinence [t]. Ceux que vous risquez de rencontrer le plus souvent sont les suivants : élimination de [p], [b], [f], [v], et de [m] appartenant à la séquence [rm]35 ; exemples : serv‑ir radical terminé par [v] : tu sers, il sert ; dorm‑ir : tu dors, il dort ; transformation de [l] en [] devant [s] ou [t]36. (Lemmes : +servir, +dormir.)

 

 

7.6.5. Indicatif présent, complications impliquant les voyelles du radical : le phénomène de l’alternance lié au déplacement de l’accent tonique. (§200, §201, §202, §203)

 

7.6.5.1. Déplacement de l’accent tonique et alternance : principes. (§200)

§200

            Soit le français moderne viens, viens, vient, venons, venez, viennent. Ce verbe du troisième groupe offre plusieurs radicaux à l’indicatif présent : graphiquement, on opposera vien‑ sous l’accent tonique, ven‑ devant l’accent tonique (ven‑´ons, ven‑´ez) ; on appelle cela un phénomène d’alternance vocalique ; il est dû au fait que la même voyelle latine peut donner des résultats différents selon qu’elle est placée ou non sous l’accent tonique. Nous avons vu des phénomènes d’alternance (qui sont liés aussi au balancement de l’accent tonique) à propos des passés (voir par exemple Chap6 §158 ou §159)37. Un présent à alternance simple présente deux radicaux : un pour les personnes 1, 2, 3, 6, accentuées sur le radical (et appelées personnes fortes), un pour les personnes 4 et 5, accentuées sur la désinence (et appelées personnes faibles). Ce phénomène d’origine purement phonétique, qui est lié à la place variable de l’accent tonique, affecte indiffé­remment les verbes du premier ou du troisième groupe ; les verbes affectés sont en général des verbes courants, et dont l’alternance a parfois été éliminée en passant de l’ancien français au français moderne : méfiance, donc ! Mais courage ! : pour restituer l’alternance sans se tromper, il suffit le plus souvent de disposer d’une personne forte et d’une personne faible du présent, et de savoir s’appuyer sur l’infinitif ; en effet, la plupart du temps, l’infinitif, quand il est accentué sur le radical, nous donne le radical fort du présent (exemple : cr´oi‑re, “croire”) et quand il est accentué sur la terminaison, nous donne le radical faible du présent (exemple, pes‑´er “peser”). Le déplacement de l’accent tonique peut provoquer une alternance vocalique (exemple : je p´ois / nos pes´ons, où le radical du verbe a les formes pois(‑) pes‑) et peut aller jusqu’à provoquer ce qu’on appelle parfois une alternance syllabique (exemple : je par´ol / nos parl´ons, où le radical du verbe a les formes parol(‑) et parl‑). (Lemmes : +croire, +peser, +parler.)

 

 

7.6.5.2. Indicatif présent : un exemple d’alternance vocalique simple. (§201)

§201

            Soit un verbe dont l’infinitif est pes‑er (sens premier : “peser”, ce verbe est attesté à l’indicatif présent dans PercL) et l’indicatif présent 3 pois‑e. On reconstruit sans faute l’indicatif présent, que je fournis dans l’orthographe du TL (qui en l’occurrence coïncide avec la graphie de Guiot, lemme +peser), et qui est à apprendre par cœur.

            Important. Dans les tableaux du Chap7 du §201 au §207, je place l’accent tonique au début de la partie vocalique de la syllabe qu’il frappe (donc, sans prendre en consi­dération le fait que très souvent une séquence de plusieurs voyelles graphique ne correspond plus à une prononciation diphtongale au 13e siècle).

 

pes´er 

“peser”

p´ois

p´ois-es

p´ois-e

           pes-´ons

           pes-´ez

p´ois‑ent

 

 

            Attention ! Ne pas oublier, quand on construit une conjugaison, qu’un même verbe peut être sujet à l’alternance et à des accidents phonétiques affectant la consonne finale de son radical et/ou les désinences. Il s’agit de bien réfléchir en tirant parti des éléments du texte.

 

 

7.6.5.3. Indicatif présent : alternance syllabique. (§202, §203)

 

7.6.5.3.1. Indicatif présent, alternance syllabique : principes et exemples. (§202)

§202

            Le déplacement de l’accent tonique a parfois causé des perturbations telles que ce n’est pas seulement le son vocalique du radical qui est modifié, mais toute une syllabe ; on peut parler alors d’alternance syllabique. Un certain nombre de verbes sont affectés par cette alternance. J’en mets deux en tableau à titre d’exemples : si vous considérez les deux verbes du tableau ci-dessous, vous constatez qu’un des effets du déplacement de l’accent tonique est de faire disparaître la voyelle interne qui n’est plus accentuée. Je choisis ces deux verbes, +parler et +mangier, que je donne avec les graphies du TL, pour la raison suivante : les formes attestées dans PercL laissent croire que si PercL nous présentait l’intégralité des personnes de l’indicatif présent de chacun de ces deux verbes, la conjugaison complète de ce tiroir coïnciderait avec ce qui est donné dans ce tableau, à apprendre par cœur.

 

parl´er

“parler”

mang´ier

“manger”

par´ol

manj´u

par´ol-es

manj´ü-es

par´ol-e

manj´ü-e

            parl-´ons

            manj-´ons

            parl-´ez

            mang-´iez

par´ol-ent

manj´ü-ent

 

 

7.6.5.3.2. Indicatif présent, alternance syllabique : compléments. (§203)

§203

 

            +Parler. Voici ce que PercL offre à l’indicatif présent : parole indicatif présent 3 passim, par exemple dans Qui trop parole pechié fet v1652 (pourquoi n’apprendriez-vous pas par cœur quelques sentences bien rythmées ?), parolent, indicatif présent 6, v2360° et v8726° et parlez, indicatif présent 5, v7525°. Voilà donc un verbe qui dans notre texte comporte une alternance syllabique. L’infinitif dans PercL est parler.

 

            +Mangier. Infinitif en ‑ier, donc indicatif présent 5 en ‑iez. Dans ce verbe, j et g sont deux graphies pour le même phonème. Enfin, la présence du tréma sur le u indique que le ü n’appartient pas à la même syllabe que les voyelles qui le touchent : il faut bien lire man=jü=es, man=jü=e, man=jü=ent (trois syllabes chaque fois). L’éditeur de PercL, comme beaucoup d’autres (ils ont leurs raisons !), omet le tréma : voyez manjue v745 (d’ailleurs seule occurrence d’indicatif présent de +mangier attestée dans PercL, où l’infinitif du verbe est mangier).

 

            +Disner. Je ne mets pas en tableau le verbe +disner étymologiquement “cesser de jeuner”, d’où “prendre le premier repas de la journée”, qui est souvent présenté dans les grammaires38 comme ayant une alternance syllabique : il desj´un-e / vos disn‑´ez. Car en fait il est douteux qu’aucun texte présente jamais ce type à l’état pur : cf. RLiR 60 (1996) p243. En outre, PercL ne contient pas d’occurrence de l’un ou l’autre radical.

 

            +Araisnier. Je ne mets pas non plus en tableau un dérivé de +raisnier (verbe simple absent de PercL), +araisnier “adresser la parole à”, qui est pourtant courant, et souvent présenté dans les grammaires39 comme ayant une alternance syllabique : il arais´on‑e  /  vos araisn‑´iez. Car en fait il est douteux qu’aucun texte présente jamais ce type à l’état pur : cf. RLiR 60 (1996) p243. Voici ce qu’on lit dans PercL : la forme analogique aresne v7408° (indicatif présent 3), à côté de la forme phonétiquement attendue areisone v54°, v923° (indicatif présent 3) et les formes analogiques areisonez v490° (indicatif présent 5) et areisonas v4735° (passé simple 2), à côté de la forme phonétiquement attendue aresnoit v1879 (imparfait 3)40. En principe dans les réalisations de +araisnier, ‑rais‑, ‑reis‑ et ‑res‑ sont des variantes purement graphiques.

 

            +Deraisnier. Je ne mets pas non plus en tableau un autre dérivé de +raisnier : +deraisnier. Ce verbe connaît deux occurrences dans PercL : desreniee v2908°, participe passé féminin singulier, et desresne v3420°, indicatif présent 3. Les données du TL donnent à penser que dans ce dernier verbe, le radical deraisn‑ (je graphie à la TL) a été étendu à toute la conjugaison dès l’ancien français.

 

            +Aidier. Vous trouverez dans vos grammaires des types de conjugaison de l’indicatif présent de ce verbe. Ce qui est attesté de l’indicatif présent dans PercL, c’est seulement la personne 3 aïe v6716°, dont la rime (le vers précédent est Sor totes ses plaies li lie) prouve en principe que cette forme remonte à Chrétien. L’infinitif du verbe est écrit aidier passim, par exemple v3167.

 

            Au terme de ces remarques, pour ce qui est de la récitation par cœur de verbes à alternance syllabique, contentez-vous d’apprendre les verbes donnés sous forme de tableau dans le présent Chap7 §202. Mais sachez reconnaître dans PercL les formes de +araisnier, de +deraisnier et de +aidier.

 

 

7.6.6. Indicatif présent : première personne perturbée par un yod du latin vulgaire. (§204, §205, §206)

 

7.6.6.1. Indicatif présent, première personne perturbée par un yod du latin vulgaire : principes et exemples. (§204)

§204

 

            En latin vulgaire, un certain nombre de verbes ont développé une conjugaison de l’indicatif présent où la personne 1 se terminait par [jo] ; le [j] (yod) “surmarquait” la première personne par rapport aux autres en latin vulgaire, et il reste souvent des traces de ce “surmarquage” en ancien français : en effet, la présence du [j] est susceptible de réagir à la fois sur le vocalisme et sur le consonantisme de son entourage, ce qui fait que la première personne se distingue souvent des autres dans le résultat en ancien français. Par suite des perturbations subies par la première personne, les verbes en viennent souvent à présenter trois timbres vocaliques au radical du présent de l’indicatif.

            Je vais donner des exemples (+savoir, +pöoir, +morir, +trover, +voloir, +tenir et +venir) écrits avec les graphies du TL, mais je ne suis pas en mesure de savoir quelle marque de personne 2 ce dictionnaire choisirait pour +savoir. Les verbes sont tous courants, et tous attestés à l’indicatif présent dans PercL ; en outre, mis à part le cas de +voloir, les formes attestées dans PercL laissent croire que si PercL nous présentait l’intégralité des personnes de l’indicatif présent de chacun de ces verbes, la conjugaison complète de ce tiroir dans PercL coïnciderait pour chacun avec ce qui est donné dans ce tableau, à apprendre par cœur.

 

            Exemples.

 

sav´oir

“savoir”

pö´oir

“pouvoir”

mor´ir

“mourir”

trov´er

“trouver”

s´ai

p´uis

m´uir

tr´uis

s´é-s (?), se‑z

p´ue-z

m´uer-s

tr´uev-es

s´e-t

p´ue-t

m´uer-t

tr´uev-e

            sav-´ons

            pö-´ons

            mor-´ons

        trov-´ons

            sav-´ez

            pö-´ez

            mor-´ez

        trov-´ez

s´ev-ent

p´ue-ënt

m´uer-ent

tr´uev-ent

 

 

 

+vol´oir  “vouloir”

+ten´ir  “tenir”

+ven´ir  “venir”

v´ueil

t´ieng

v´ieng

v´eu‑s

t´ien-s

v´ien-s

v´eu‑t

t´ien-t

v´ien-t

            vol-´ons

            ten-´ons

            ven-´ons

            vol-´ez

            ten-´ez

            ven-´ez

v´uel-ent

t´ien-ent

v´ien-ent

 

 

7.6.6.2. Indicatif présent, première personne perturbée par un yod du latin vulgaire : compléments aux exemples du §204. (§205, §206)

§205

            +Savoir. Personne 1 imprévisible, dont sai est la graphie qui correspond à l’orthographe du TL ; pour le reste : alternance vocalique [´e:] / [a] transcrite e ou é / a41, désinences du troisième groupe, disparition effective de [v] devant la désinence [t] (cf. supra dans le présent Chap7 §199) et théoriquement disparition de [v] devant la désinence [s]. J’ai écrit sés en première position dans le tableau, parce que c’est la forme donnée comme normale par les grammaires et corrigés du commerce en France. Mais l’indicatif présent 2 de +savoir le plus courant (sous réserve d’approfondissement) me semble être tu sez (dont d’ailleurs le ‑z est à expliquer), et je doute que tu sés soit exemplaire, d’où le point d’interrogation qui suit la forme sés dans le tableau du présent Chap7 §20442. Les formes d’indicatif présent de +savoir dans PercL sont personne 1 sai passim, personne 2 sez passim et en particulier v2265 (pour le passage de PercL 1301-3407), personne 3 set passim, personne 4 savons v6206° et savomes v2493° (voir supra dans le présent Chap7 §197a), personne 5 savez passim, personne 6 sevent v2621. Dans PercL, l’infinitif est savoir.

            +Pöoir. Personne 1 imprévisible ; pour le reste : alternance vocalique ue43 / o, désinences du troisième groupe, combinaison de la dentale “cachée” du radical avec le [s] à la personne 2 puez (lat. p´otes) ; fusion de cette dentale “cachée” avec le [t] désinentiel à l’indicatif présent 3 puet. Dans PercL, l’infinitif de +pöoir ne se réalise que sous la forme substantivée, écrite pooir, mais à syllaber pöoir. Les formes d’indicatif présent de +pöoir dans PercL coïncident avec celles du tableau fourni supra dans le présent Chap7 §204, à deux détails près : la personne 4 n’est pas attestée, et l’éditeur ne marque pas la syllabation par le tréma.

            +Morir. Personne 1 imprévisible ; pour le reste, alternance ue44 / o, désinences du troisième groupe ; rien d’autre à signaler ! Dans PercL, l’infinitif est morir. Dans PercL, les formes d’indicatif présent de +morir attestées sont personne 6 muerent v7311 et personne 3 muert v825 et v2904. Voici cette dernière occurrence en son contexte, sentences que vous pourriez apprendre par cœur (consultez le Glossaire) :

 

  /./
que mout est malvés qui oblie,                   
s’an li fet honte ne leidure.                         
Dolors trespasse et honte dure                   
an home viguereus et roide,                       
et el malvés muert et refroide.                  

v2900
v2901
v2902
v2903
v2904

 

 

§206

            +Trover. Personne 1 imprévisible ; pour le reste, alternance ue45 / o et désinences du premier groupe46. Dans PercL, l’infinitif est trover. Dans PercL, les formes d’indicatif présent de +trover attestées sont bien personne 1 truis v2098° etc., personne 2 trueves v338, personne 3 trueve passim et en particulier v3368, v3372, v3375 (pour le passage de PercL 1301-3407), personne 4 trovons v2721, personne 5 trovez v531, v1655, v5983°, personne 6 truevent v4300°, v7398. La conjugaison de l’indicatif présent de +trover ne fait donc l’objet d’aucune réfection analogique dans PercL.

            +Voloir. Personne 1 imprévisible en ce qui concerne la consonne finale (‑il est une graphie de []). Sans doute croyez-vous que le reste de la conjugaison ne vaut guère mieux. Détrompez-vous ! On reconnaît entre l’infinitif et les personnes 4, 5, 6 une alternance ue47 / o. Aux mêmes formes, il est clair que le radical se termine par [l]. Voici ce qui s’est produit aux personnes 2 et 3 : le [l] placé devant la consonne désinentielle (troisième groupe !) s’est transformé en [], ce qui est banal ; ce [] s’est combiné avec le son du radical écrit ue des personnes fortes pour donner la triphtongue écrite ueu ; placée après [v], cette triphtongue a vu son premier élément absorbé par le [v], et elle s’est simplifiée en ce qui est écrit eu. Exemple sur la personne 3 (que je me garderai bien de transcrire en alphabet phonétique, car il reste des problèmes de détail) : vuelt >48 vueut > veut. Dans PercL, l’infinitif est voloir. Les formes d’indicatif présent de +voloir attestées dans PercL sont personne 1 vuel passim et, plus souvent, voel passim, personne 2 vials v349 et viax passim, personne 3 vialt passim, personne 5 volez passim, personne 6 voelent v5415 ; la personne 4 n’est pas attestée. Voici comment je crois on peut rendre compte de ces formes. Il me semble que dans ce verbe, vue‑ et voe‑ sont des variantes purement graphiques pour rendre la même prononciation : en ce début de mot, le copiste préfère écrire ‑oe‑ plutôt que ‑ue‑, parce que dans les manuscrits du Moyen Âge, qui n’écrivent pas toujours de la même façon que nous ce que nous interprétons comme v et ce que nous interprétons comme u, la séquence que nous éditons vue‑ peut commencer par quatre jambages qu’il n’est pas évident d’interpréter au premier coup d’œil. En ce qui concerne la personne 1, on pourrait dans un premier temps soutenir que le []49 s’est dépalatalisé, mais en fait il me semble que l est une graphie de l palatal ; en effet, Guiot ne rend pas toujours ce phonème en faisant figurer un i devant l ; c’est du moins ce que je conclus d’une part de formes comme uel ou oel “œil” (voir Chap2 §61) et d’autre part de formes comme mervellier v1745°, forme d’infinitif en face de par exemple mout me mervoil v1860° “je m’étonne beaucoup” ; cf. encore mellor passim à côté de meillor “meilleur”. Dans vials et dans vialt, le copiste n’a pas marqué la vocalisation de [l] au moyen du graphème u, ce qui permet de maintenir une cohérence dans le radical du verbe voloir ; s’il prononçait là [aº] ce qui est écrit ‑al‑, ce qui est plausible, la cohérence serait seulement graphique. De toute façon, le copiste n’a pas pratiqué cet alignement à la personne 2, puisqu’il écrit le plus souvent viax (nous savons que ‑x équivaut à ‑us). Par ailleurs, la séquence ‑iau‑ chez ce copiste traduit la prononciation d’une région qui exagère les contrastes d’aperture entre phonèmes vocaliques contigus : comparez des graphies comme miaudres v2243 (voir Chap2 §45) ou comme mialz “mieux” passim (voir Chap2 §61).

            +Tenir et +venir. Le yod n’a perturbé que la consonne finale du radical de la personne 1 ; le reste présente une alternance vocalique simple. Les formes de l’indicatif présent de ces verbes attestées dans PercL sont d’un côté personne 1 tieng, personne 2 tiens, personne 3 tient et de l’autre personne 1 vaing v5654° (dont on peut expliquer la formation de plusieurs façons), personne 2 viens, personne 3 vient, personne 6 vienent. Les infinitifs de ces deux verbes sont écrits tenir et venir dans PercL.

 

 

7.6.7. Indicatif présent : verbes anomaux au plan accentuel. (§207, §208)

 

7.6.7.1. Indicatif présent, verbes anomaux au plan accentuel : présentation, exemples. (§207)

§207

            À l’origine, ils n’ont pas de personne 4 et 5 en ´ons et ´ez. (Voir supra dans le présent Chap7 §193a). En outre, la présence d’un yod a perturbé la personne 1 des verbes +estre et +faire, sans parler des particularités des personnes 6 ! Voici des tableaux que vous pourrez apprendre plus tard si vous préparez certains concours de recrutement français. Je donne ces tableaux pour bien faire ressortir la structure accentuelle. Ils sont écrits dans l’orthographe du TL, mais je ne suis pas en mesure de savoir quelle marque de personne 2 ce dictionnaire choisirait pour +dire et +faire.

 

+estre  “être”

+dire  “dire”

+faire  “faire”

s´ui  

d´i  (pas d’s  final !)

f´az

´e-s

d´i-s (?), d´i‑z

f´ai-s  (?), f´ai‑z

´es-t

d´i-t

f´ai-t

s´o-mes

d´i-mes 

(plus tard, dis-´ons)

f´ai-mes 

(plus tard fais-´ons)

´es-tes

d´i-tes

f´ai-tes

s-´ont

d´ï-ent

f-´ont

 

 

7.6.7.2. Indicatif présent, verbes anomaux au plan accentuel : compléments. (§208)

§208

 

            +Estre. La conjugaison de l’indicatif présent dans PercL coïncide pour l’énorme majorité des occurrences avec celle du tableau donné dans le présent Chap7 §207 ; le texte offre en outre, de façon très isolée, l’indicatif présent 2 iés (à côté de es, bien plus fréquent) et l’indicatif présent 5 iestes (à côté de estes, bien plus fréquent) : voir supra commentaire du v1979 dans le présent Chap7 §182.

 

            +Dire. J’écris dïent, à la TL, pour marquer la syllabation (dï=ent). Les formes de l’indicatif présent attestées dans PercL sont personne 1 di, personne 2 diz (exclusivement ; sur la question du ‑z, consulter infra dans le présent Chap7 §208a), personne 3 dit, personne 5 dites, personne 6 dient (à syllaber dïent). La personne 4 n’est pas attestée, pas plus dans +dire que dans d’éventuels dérivés préfixaux que présenterait le texte50. Noter la rigueur et la clarté de Guiot, qui distingue sans ambiguïté les formes conjuguées : di est l’indicatif présent 1, diz l’indicatif présent 2, dis le passé simple 1. Un bel exemple d’opposition :

 

  “ /./
Jel dis por voir et di ancores.                     
/./.”
v387  

 

            +Faire. Les formes de l’indicatif présent attestées dans PercL sont personne 1 faz passim, mais aussi fais v3825, personne 2 exclusivement fez (sur la question du ‑z, consulter infra dans le présent Chap7 §208a), personne 3 fait et (plus souvent) fet, personne 5 faites v1089° et fetes passim, personne 6 font. La personne 4 n’est pas attestée, pas plus dans +faire que dans d’éventuels dérivés préfixaux que présenterait le texte51. On n’oubliera pas que dans ces formes fe‑ est une graphie pour fai‑.

 

 

7.6.8. Indicatif présent : note sur ‑z marque de personne 2. (§208a)

§208a

            Nous avons rappelé supra dans le présent Chap7 §199 que [s], marque de la personne 2, se combine avec une dentale qui le précède (que cette dentale soit “cachée” ou non), pour donner [ts]. Or, en françois, [ts] est graphié ‑z en fin de mot. Nous avons ainsi metre, indicatif présent 2 mez ou pöoir, indicatif présent 2 puez, lequel vient phonétiquement de lat. p´otes. (Lemmes : +metre et +pöoir.)

            Mais le morphème ‑z a été utilisé aussi pour marquer la personne 2 de l’indicatif présent d’un certain nombre de verbes où les données de la phonétique historique ne le laissent pas attendre. Chez Guiot (et pas seulement dans Perceval), c’est ‑z, et non ‑s qu’on trouve à l’indicatif présent 2 de +devoir, +dire, +faire, +savoir, +vivre ainsi que dans les formes courtes de +laissier52. Et pour certains de ces verbes on peut démontrer que Chrétien lui-même prononçait [ts] à l’indicatif présent 2. Dans MerlinMicha (dont le copiste, comme Guiot, distingue soigneusement ‑z de ‑s — les exceptions ne sont qu’apparentes, et dues à une mauvaise transcription du manuscrit de base par l’éditeur) nous trouvons régulièrement une personne 2 d’indicatif présent en ‑z pour +devoir, +dire, +faire, +savoir, où les occurrences sont très nombreuses (les exceptions dans ces verbes ne sont qu’apparentes, et dues à une mauvaise transcription du manuscrit de base par l’éditeur). Il serait à espérer que la mise au programme de PercL et de MerlinMicha pour certains concours de recrutement de 1999 et de 2001 ait attiré l’attention sur ce phénomène (qui n’implique pas seulement les verbes ni les textes que j’ai cités) et lui méritât une juste place dans les manuels. Il n’est toujours pas pris en compte dans BuridantGNAF ni dans PetTraité. Sur la question du morphème ‑z à l’indicatif présent 2 de verbes où ce morphème ne peut remonter aux étymons, voir la discussion de May Plouzeau dans RLiR 60 (1996) p245-p247 ; cette question a été reprise et élargie dans PlouzeauPerceval, enregistrements E1, E2, E3, E4, E5, E6.

 

 

7.6.9. Exercices à faire sur l’indicatif présent. (§209)

§209

            Cela doit vous paraître complexe. En fait, j’ai choisi de mettre en tableaux des verbes très courants, et qui en outre ont un indicatif présent dont les principes sont assez faciles à dégager. J’ai à dessein omis un certain nombre de verbes dont le comportement à l’indicatif présent ne correspond pas dans PercL à ce qu’on lit dans la plupart des grammaires publiées en France. Si nous vous demandons de conjuguer des formes, c’est à nous, enseignants, d’être vigilants, et de nous assurer que nous vous avons fourni assez d’éléments pour que vous puissiez vous acquitter intelligemment de l’exercice. Vous allez voir que c’est simple. En effet, en vous appuyant sur des données du présent Chap7 §194 au §201 supra (qui n’impliquent donc ni présent de l’indicatif à première personne imprévisible, ni présent de l’indicatif anomal au plan accentuel, ni présent de l’indicatif à alternance syllabique), vous allez vous exercer à restituer l’indicatif présent des verbes suivants, pour lesquels je donne deux “clefs”, l’infinitif et une forme de l’indicatif présent ; pour tous ces verbes, on rencontre au moins une attestation d’infinitif dans l’ensemble de PercL, et on rencontre au moins une forme d’indicatif présent dans PercL v1301-v3407. Mes “clés” sont tirées de PercL : il va donc s’agir de conjuguer d’après ces clés, c’est-à-dire dans la graphie de Guiot. C’est un jeu d’attention : ne courez pas d’emblée à la solution (infra dans le présent Chap7 §215), mais construisez des conjugaisons en appliquant les lois qui régissent les formes des désinences, l’alternance (quand le verbe en comporte), le contact entre radicaux et désinences. Je donne ces verbes selon l’ordre alphabétique de leur infinitif écrit dans la graphie de PercL (il se trouve que pour tous les verbes impliqués, l’infinitif apparaît sous une seule graphie dans PercL), mais pour faciliter l’indexage du présent cours, je rappelle entre parenthèse la forme de lemme du TL, qui est précédée du signe “+”, et par ailleurs j’accompagne cette forme soit d’une traduction (dûment placée entre guillemets) soit d’un renvoi au Glossaire.

            Avaler passim (TL +avaler “descendre”), avale v1775°, indicatif présent 3 ; — croire passim (TL +croire “croire”), creez v1604° (à syllaber crëer), indicatif présent 5 ; — cuidier (l’infinitif se réalise seulement dans un emploi substantivé v2853° ; TL +cuidier, voir Glossaire), cuide v2027°, indicatif présent 3 ; — demander passim (TL +demander “demander”), demande v2602°, indicatif présent 3 ; — dormir passim (TL +dormir, “dormir”), dort v1945, indicatif présent 3 ; — ferir passim (TL +ferir “frapper”), fierent v2209, indicatif présent 6 ; — panser passim (TL +penser “penser”), panse v1955, indicatif présent 3 ; — plorer passim (TL +plorer “pleurer”), plore v1964, indicatif présent 3 ; — regarder passim (TL +regarder “regarder”), regarde v1724, indicatif présent 3 ; — reposer passim (TL +reposer “reposer”), repose v1943°, indicatif présent 3 ; — sofrir passim (TL +sofrir, voir Glossaire), suefre v2060, indicatif présent 3 ; — veoir passim (bien syllaber +vëoir avec le TL “voir”), voit v1972, indicatif présent 3.

 

 

7.7. Morphologie du verbe : subjonctif présent. (§210, §211, §212, §212a, §213, §214)

 

7.7.1. Terminaisons du subjonctif présent (hormis celles des subjonctifs présents autonomes). (§210)

§210

            Sauf complications, pour les verbes dont l’infinitif est en ‑er, les désinences du subjonctif présent sont : zéro, ‑s, ‑t, ‑ons, ‑ez, ‑ent.

            Sauf complications, pour les verbes dont l’infinitif est en ‑ier, les désinences du subjonctif présent sont : zéro, ‑s, ‑t, ‑ons, ‑iez, ‑ent.

            Pour les verbes du deuxième groupe, comme +garantir “garantir”, les terminaisons du subjonctif présent sont : ‑isse, ‑isses, ‑isse, ‑issons (ou ‑issiens53), ‑issiez, ‑issent. En fait, on adjoint à la base terminée par [is] des désinences banales du troisième groupe (voir ci-dessous), sauf pour ‑iez de la personne 5.

            Sauf complications, pour les verbes du troisième groupe, les désinences du subjonctif présent sont : ‑e, ‑es, ‑e, ‑ons, ‑ez, ‑ent.

 

            Voici des modèles mis en tableaux. Ils sont présentés avec les graphies du TL, qui en l’occurrence coïncident avec celles de Guiot (mais au plan des marques morphologiques, je ne puis savoir quelle terminaison de personne 4 le TL choisirait pour le type +garantir). Ce tableau est à apprendre par cœur.

 

1er groupe

2e groupe

3e groupe

+durer

“durer”

+irier

“mettre en colère”

+garantir

“garantir”

corre (+corir)54

“courir”

dur

ir

garant-iss-e

cor-e

dur-s

ir-s

garant-iss-es

cor-es

dur-t

ir-t

garant-iss-e

cor-e

dur-ons

ir-ons

garant-iss-ons

cor-ons

dur-ez

ir-iez

garant-iss-iez

cor-ez

dur-ent

ir-ent

garant-iss-ent

cor-ent

 

 

7.7.2. Subjonctif présent, compléments : note sur les formes de désinences de la personne 5. (§211)

§211

           À la personne 5 se rencontre aussi ‑oiz (qui remonte phonétiquement à lat. ´‑etis dans les verbes de type +durer, lat. dur´are) dans certains textes. Au 13e siècle, cette désinence doit être considérée comme un trait de l’Est (cf. Pope § 908) ; cette désinence, qui se rencontre souvent au futur dans PercL (voir Chap4 §115), n’est pas attestée au subjonctif présent dans PercL v1301-v3880. Au subjonctif présent, cette désinence ne semble se trouver dans PercL que dans portoiz v552; la forme sachoiz (2 occurrences dans PercL) est un impératif. La personne 5 des subjonctifs présents autonomes (voir infra dans ce Chap7 §213) est à l’origine en ‑iez. Au cours du temps, la personne 5 a fini par prendre la désinence ‑iez à tous les groupes (cf. français moderne). On trouve (déjà ?, ou serait-ce un dialectalisme : cf. SkårupMSAF p142) dans PercL demandiez v558, subjonctif présent 5 du verbe +demander, qui a bien pour infinitif demander dans PercL55.

 

 

7.7.3. Subjonctif présent : complications pouvant affecter les verbes du premier groupe. (§212)

§212

            Les désinences des personnes 1, 2, 3 deviennent respectivement ‑e, ‑es, ‑e si le contexte phonétique l’exige (cf. Chap7 §198 et §199). — Attention au devenir de la consonne finale du radical aux personnes 1, 2, 3 (cf. Chap7 §198 et §199) ! — Dans le cas général, si l’indicatif présent offre une alternance vocalique simple, cette alternance se retrouve au subjonctif présent. — Attention ! Un certain nombre de verbes du premier groupe ont un subjonctif présent autonome : voir infra dans le présent Chap7 §213.

 

 

7.7.4. Subjonctif présent : complications pouvant affecter les verbes du troisième groupe. (§212a)

§212a

            Dans le cas général, une alternance vocalique simple à l’indicatif présent se retrouve au subjonctif présent. — Attention ! Un certain nombre de verbes du troisième groupe ont un subjonctif présent autonome : voir infra dans le présent Chap7 §213.

 

 

7.7.5. Subjonctif présent : verbes à subjonctif présent autonome. (§213, §213a)

 

7.7.5.1. Subjonctif présent, verbes à subjonctif présent autonome : principes et exemples. (§213)

§213

            Si l’indicatif présent 1 d’un verbe du premier groupe ou du troisième groupe a été “perturbé” par un yod latin (cf. supra dans le présent Chap7 §204), il y a de fortes chances pour que le subjonctif présent soit fortement “perturbé”, et relève de la conjugaison des verbes que SkårupMSAF appelle verbes qui ont un présent du subjonctif autonome.

            Ainsi, à l’indicatif présent 1 lat. v´enio, correspond un subjonctif présent lat. v´eniam, v´enias, v´eniat, veni´amus, veni´atis, v´eniant : bien mettre en correspondance en latin vulgaire [jo] de l’indicatif présent et [jam] etc. du subjonctif présent. Dans ces conditions, le subjonctif présent en ancien français peut offrir diverses anomalies apparentes, dont il reste souvent trace jusqu’à nos jours : AF +voloir “vouloir”, indicatif présent 1 vueil, subjonctif présent 1 vueille, FM veuille ; AF +savoir “savoir”, indicatif présent 1 sai, subjonctif présent 1 sache, conservé en français moderne, etc. J’ai mentionné que dans le verbe +faire, dont la conjugaison à l’indicatif présent est à tant d’égards anomale (cf. supra dans le présent Chap 7 §207), l’indicatif présent 1 doit sa forme faz à la présence d’un yod en latin vulgaire (cf. lat. classique f´acio) : dans ces conditions, on comprendra bien la correspondance entre indicatif présent 1 AF faz [fats], subjonctif présent 1 AF face (où ‑c‑ se prononce [ts]), FM fasse.

            On établit facilement dans PercL la correspondance entre indicatif présent 1 “perturbé” et subjonctif présent pour +trover et +doner. Les formes attestées du subjonctif présent de +trover (cf. supra dans le présent Chap 7 §204) dans PercL sont personne 1 truisse passim et personne 3 truisse passim56. Pour +doner, dont l’infinitif est bien écrit doner dans PercL, on notera ceci : l’indicatif présent 1 de ce verbe dans PercL est doing v1191° et doin (dans la séquence doin gié) v553 ; au subjonctif présent, nous avons : doingne v8073°, subjonctif présent 1, doigne v4373, v7335, subjonctif présent 3, doint v511°, v568, v569, v615°, v663, v1367°, v1843, etc., autre forme de subjonctif présent 3.

            Les verbes dont le radical a subi l’influence d’un yod au subjonctif présent ont en principe les désinences ‑iens et ‑iez aux personnes 4 et 5. S’ils ont une alternance vocalique du radical à l’indicatif présent, cette alternance ne se retrouve pas nécessairement au subjonctif présent : tout dépend de l’entourage phonétique du yod original. Dans certains de ces verbes, la désinence de subjoncif présent 3 est ‑e ou ‑t (cf. +doner cité supra).

            Dans la pratique, que faire ? Tout d’abord, il y a de fortes chances pour que vous reconnaissiez sans peine la plupart de ces formes de subjonctif présent autonome, puisque beaucoup ont subsisté. Ensuite, pour comprendre PercL, il est plus important de savoir identifier ces types de subjonctifs que de savoir les réciter57. Enfin, vous devez faire l’effort d’apprendre quelques structures. Pouvez-vous retenir au moins le tableau qui vient ? Ce tableau procède d’une sélection sévère : n’y figurent que des verbes courants et réguliers dans leur genre58. J’y utilise les graphies du TL.

 

+faire

“faire”

+savoir

“savoir”

+venir59

“venir”

face

sache

viegne

faces

saches

viegnes

face

sache

viegne

     faciens

     sachiens

     vegniens

     faciez

     sachiez

     vegniez

facent

sachent

viegnent

 

7.7.5.2. Subjonctif présent : remarques sur les verbes à subjonctif présent autonome mis en tableau au §213. (§213a)

§213a

           En fait, la désinence ‑iens au subjonctif pr. 4, désinence qui serait le produit phonétique de lat. vulgaire [j´amus], est absente de PercL ; sauf erreur de ma part, dans PercL le subjonctif pr. 4 ne se réalise que dans soions v5675, forme du verbe +estre “être” ; le subjonctif pr. de ce verbe avait un radical “perturbé” par yod en latin vulgaire.

            J’ai donné les formes phonétiquement attendues en “françois” du produit de lat. v´eniam, v´enias, v´eniat, veni´amus, veni´atis, v´eniant. Mais les formes de subj. pr. de +venir dans PercL ne répondent pas souvent au modèle du tableau : celles que l’on rencontre sont en effet P1 veingne v6771°, vaigne v5554°, P2 vaingnes v6597°, P3 viegne v2824°, veingne v1711°, vaigne passim. En principe, +tenir et +venir ont la même conjugaison en ancien français, à tous les tiroirs. Dans PercL, nous avons également au subj. présent de +tenir des formes qui ne correspondent pas à celles du tableau. Je crois qu’il s’est exercé des analogies, fondées sur la ressemblance de prononciation et/ou sur des rapports de sémantisme, entre +venir, +tenir et +prendre. Je vous fais grâce de la démonstration, d’autant que les formes fortes sans diphtongue du subjonctif présent de +tenir et de +venir sont parfois imputées à des développements régionaux d’ordre phonétique : cf. Jean-Charles Herbin dans L’Information grammaticale 88 (janvier 2001) p35.

 

 

7.7.6. Exercices à faire sur les subjonctifs présents. (§214)

§214

            Pour que vous puissiez produire correctement quelques conjugaisons, il suffit que l’enseignant qui vous interroge vous fournisse des éléments en nombre suffisant et par ailleurs soit attentif à ne pas vous poser de questions absurdes. Voici donc un dernier exercice. Conjuguer au subjonctif présent en ancien français les verbes qui viennent, que je range par ordre alphabétique, et pour lesquels je donne deux “clés”, l’infinitif, et une forme de subjonctif présent. Toutes les attestations de subjonctif présent sont tirées de PercL 1301-3407, et pour chaque verbe, les graphies de Guiot coïncident avec celles du TL. Aucun de ces verbes n’a de radical ayant été perturbé par la présence d’un yod en latin vulgaire. +Aporter, dont l’infinitif dans PercL est écrit aporter v451, et dont on lit le subjonctif présent 3 aport v2134° ; — +chëoir, dont l’infinitif est imprimé cheoir passim dans PercL, mais qui est bien à syllaber chë=oir, et dont on lit le subjonctif présent 3 chiee v3240° ; — +garder, dont l’infinitif est garder passim dans PercL, et dont on lit le subjonctif présent 3 gart v1668 ; — +grever, dont l’infinitif est grever passim dans PercL, et dont on lit le subjonctif présent 3 griet v1396° ; — +peser, dont l’infinitif s’il apparaissait dans PercL serait sûrement écrit peser, et dont on lit le subjonctif présent 3 poist v2141 ; — +porrir, dont l’infinitif s’il apparaissait dans PercL serait sûrement écrit porrir, et dont on lit le subjonctif présent 3 porrisse v3261 ; — +sauver, dont l’infinitif est sauver dans PercL v5902, et dont on lit le subjonctif présent 3 saut v1694° ; — +vestir, dont l’infinitif est vestir passim dans PercL, et dont on lit le subjonctif présent 1 veste v1609°. Réfléchissez à ce jeu d’attention, et ne vous précipitez pas sur la solutiuon, qui est donnée infra dans le présent Chap7 §216.

 

 

7.8. Solution des exercices sur l’indicatif présent proposés §209. (§215)

§215

            Je prends les verbes dans l’ordre où ils étaient proposés, et je les conjugue selon ce que les formes de PercL qui vous étaient données permettent de restituer de la façon de conjuguer de Guiot. Je souligne ce qui au mien cuidier risque de vous avoir échappé. Avaler / il avale (TL +avaler) : désinences du premier groupe, pas d’alternance ; d’où j’aval, tu avales, il avale, nos avalons, vos avalez, il avalent ; — croire / vos creez (TL +croire) : désinences du troisième groupe, alternance ‑´oi‑ sous l’accent tonique / ‑e‑ avant l’accent tonique, et en outre (y aviez-vous pensé ?), “dentale cachée” à la fin du radical ; car l’étymon latin est cr´edere, cf. cr´edo “je crois”, qui a donné notre nom credo ; d’où je croi, tu croiz, il croit, nos creons (à syllaber cre=ons, on lirait crëons dans le TL), vos creez (à syllaber cre=ez, on lirait crëez dans le TL), il croient (à syllaber croi=ent, j’écrirais croi=ënt si je mettais en tableau exemplaire) ; — cuidier / il cuide (TL +cuidier) : désinences du premier groupe, mais infinitif en ‑ier; pas d’alternance, mais penser que la dentale sonore (on peut dire aussi voisée) du radical s’assourdit (on peut dire aussi se dévoise) en passant à la finale absolue ; d’où je cuit, tu cuides, il cuide, nos cuidons, vos cuidiez, il cuident ; — demander / il demande (TL +demander) : désinences du premier groupe, pas d’alternance, mais penser que la dentale sonore (on peut dire aussi voisée) du radical s’assourdit (on peut dire aussi se dévoise) en passant à la finale absolue ; d’où je demant, tu demandes, il demande, nos demandons, vos demandez, il demandent ; — dormir / il dort (TL +dormir) : infinitif en ‑ir, mais pas d’infixe [is], donc verbe du troisième groupe, désinences du troisième groupe, pas d’alternance, penser que dans le groupe [rm], [m] amené devant consonne disparaît ; d’où je dorm, tu dors, il dort, nos dormons, vos dormez, il dorment ; — ferir / il fierent (TL +ferir) : infinitif en ‑ir, mais pas d’infixe [is], donc verbe du troisième groupe, désinences du troisième groupe, alternance ‑´ie‑ sous l’accent tonique / ‑e‑ avant l’accent tonique ; d’où je fier, tu fiers, il fiert, nos ferons, vos ferez, il fierent ; — panser / il panse (TL +penser) : désinences du premier groupe, pas d’alternance ; d’où je pans, tu panses, il panse, nos pansons, vos pansez, il pansent ; — plorer / il plore (TL +plorer) : désinences du premier groupe, pas d’alternance chez Guiot60 ; d’où je plor, tu plores, il plore, nos plorons, vos plorez, il plorent ; — regarder / il regarde (TL +regarder) : désinences du premier groupe, pas d’alternance, mais penser que la dentale sonore (on peut dire aussi voisée) du radical s’assourdit (on peut dire aussi se dévoise) en passant à la finale absolue ; d’où je regart, tu regardes, il regarde, nos regardons, vos regardez, il regardent ; — reposer / il repose (TL +reposer) : désinences du premier groupe, pas d’alternance ; d’où je repos, tu reposes, il repose, nos reposons, vos reposez, il reposent ; — sofrir / il suefre (TL +sofrir) : infinitif en ‑ir, mais pas d’infixe [is], donc verbe du troisième groupe, désinences du troisième groupe, mais il nous faut un [e] dit de soutien après [fr], alternance ‑´ue‑ sous l’accent tonique / ‑o‑ avant l’accent tonique ; d’où je suefre, tu suefres, il suefre, nos sofrons, vos sofrez, il suefrent ; — veoir / il voit (TL +vëoir, qui marque bien la syllabation : ve=oir) ; désinences du troisième groupe, alternance ‑´oi‑ sous l’accent tonique / ‑e‑ avant l’accent tonique, et en outre (y aviez-vous pensé ?), “dentale cachée” à la fin du radical, car l’étymon latin est vid´ere (cf. FM une vidéothèque) ; d’où je voi, tu voiz, il voit, nos veons (à syllaber ve=ons, on écrirait vëons dans le TL), vos veez (à syllaber ve=ez, on lirait vëez dans le TL), il voient (à syllaber voi=ent, j’écrirais voi=ënt si je mettais en tableau exemplaire !).

 

 

7.9. Solution des exercices sur le subjonctif présent proposés §214. (§216)

§216

            Je prends les verbes dans l’ordre où ils étaient proposés. Je souligne ce qui au mien cuidier risque de vous avoir échappé. Je dispose des trémas pour marquer la syllabation (une voyelle sous tréma n’appartient pas à la même syllabe que ses voisines). Enfin, je conjugue les verbes en les faisant précéder de +que, pour que vous les sentiez bien comme subjonctifs. Aporter / qu’il aport (TL +aporter) : désinences du premier groupe, pas d’alternance, radical terminé par une dentale : [ts] final est écrit ‑z et [tt] final se fond en un seul [t] ; d’où que j’aport, que tu aporz, qu’il aport, que nos aportons, que vos aportez, qu’il aportent ; — chëoir (je mets d’emblée le tréma à la TL, pour marquer la syllabation) / qu’il chiee (TL +chëoir) : désinences du troisième groupe, alternance vocalique du radical ‑´ie‑ sous l’accent tonique / ‑e‑ avant l’accent tonique ; d’où que je chiee, que tu chiees, qu’il chiee, que nos chëons, que vos chëez, qu’il chieënt (bien syllaber chie=ënt) ; — garder / qu’il gart (TL +garder) : désinences du premier groupe, pas d’alternance vocalique, radical terminé par une dentale : [ts] final est écrit ‑z et [tt] final se fond en un seul [t], radical terminé par une consonne sonore (on peut dire aussi voisée) qui s’assourdit (on peut dire aussi se dévoise61) à la finale absolue ; d’où que je gart, que tu garz, qu’il gart, que nos gardons, que vos gardez, qu’il gardent ; — grever / qu’il griet (TL +grever) : désinences du premier groupe, alternance vocalique du radical ‑´ie‑ sous l’accent tonique / ‑e‑ avant l’accent tonique, radical terminé par la labio-dentale [v], qui disparaît devant les consonnes [s] et [t], radical terminé par une consonne voisée (on peut dire aussi sonore) : elle se dévoise (on peut dire aussi s’assourdit) à la finale absolue ; d’où que je grief, que tu griés, qu’il griet, que nos grevons, que vos grevez, qu’il grievent (bien syllaber en une seule syllabe grie‑; griés ; — noter que selon les conventions des éditions de textes médiévaux, on a le droit d’imprimer é seulement à la finale absolue ou devant ‑s final) ; — peser / qu’il poist (TL +peser) : désinences du premier groupe, alternance vocalique du radical ‑´oi sous l’accent tonique / ‑e‑ avant l’accent tonique, radical terminé par s, qui se fond avec la désinence de la personne 2 ; d’où que je pois, que tu pois, qu’il poist, que nos pesons, que vos pesez, qu’il poisent ; — porrir / qu’il porrisse (TL +porrir) : infinitif en ‑ir et morphème [is], donc, verbe du deuxième groupe ; d’où que je porrisse, que tu porrisses, que nos porrissons, que vos porrissiez, qu’il porrissent ; — sauver / qu’il saut (TL +sauver) : mêmes traits que dans grever commenté supra, mais pas d’alternance vocalique : d’où que je sauf, que tu saus, qu’il saut, que nos sauvons, que vos sauvez, qu’il sauvent ; — vestir / qu’il veste (TL +vestir) : désinences du troisième groupe, pas d’alternance ; d’où que je veste, que tu vestes, qu’il veste, que nos vestons, que vos vestez, qu’il vestent.

 

 

7.10. Lexique : +afubler et sa famille. (§217, §218, §219, §220)

§217

            Voici comment était libellée la question de lexique du devoir n° 2 : “Lexique : afublé v1951. Définir les sens du verbe +afubler dans PercL et en français moderne. Comment peut-on caractériser l’évolution sémantique du mot de l’ancien français (tel qu’on le saisit à travers PercL) au français moderne ? Pour terminer, synthétisez ce qu’est devenu au plan sémantique le radical fibul‑ de f´ibula du latin à aujourd’hui, sans omettre d’utiliser les documents fournis dans la section Mots en contexte.”

 

            Remarques préliminaires. Comme la dernière question portait sur la longue durée, du latin à aujourd’hui, et que les étudiants étaient implicitement invités à ancrer leurs réflexions sur les occurrences de PercL, un certain nombre ont sollicité le texte pour y trouver des germes de ce qu’est devenu +afubler en français moderne, état de langue où ce verbe, aujourd’hui écrit affubler, est employé dans un sens péjoratif. Et en effet, nous allons le voir, l’émergence d’un sens péjoratif est un véritable problème dans l’histoire de ce verbe. Je vais partir du principe que PercL reflète bien les emplois en ancien français des mots du radical de lat. f´ibula pour ceux qu’il présente. Mais pour poser correctement le problème de afubler et éventuellement trouver des solutions, nous ne devons pas tricher. Ce qui veut dire que nous devons d’abord comprendre ce que dit le texte. Avec une édition aussi belle que celle de PercL, il fallait impérativement se servir des titres courants et du glossaire qui y figurent pour bien interpréter les occurrences des réalisations du radical de lat. f´ibula dans PercL62.

 

 

§218

            Après ces remarques préliminaires, j’en viens à un exposé en forme.

            Pour déterminer le sens de +afubler dans PercL, j’en examine les occurrences. L’action d’+afubler est faite par une personne sur une autre personne (ou sur elle-même) au moyen d’un vêtement. Ce vêtement est désigné par le mot +mantel (v1549, v1950, v3063°, v6632) et par le mot +chape “chape” v2939 ; au v6652, le vêtement n’est pas désigné, mais si nous nous reportons au contexte, nous comprendrons que la pucele v6651 s’est lïee v6652 en ce qui concerne sa guinple v663763 (TL +guimple) et s’est afublee v6652° en ce qui concerne son mantel v6637. Dans PercL, les seuls vêtements à propos desquels on fait l’action d’+afubler sont donc manteau et chape, désignés par les mots +mantel et +chape. Or, comme nous l’avons dit déjà dans le cours, le mantel médiéval affecte la forme d’une cape ; et les chapes v2939 revêtues par des moinne “moines” v2937° sont de longs manteaux de cérémonie (cf. Com a un jor de diemoinne v2938) sans manches63b. Ce qu’on afuble, dans PercL, ce sont des vêtements sans manches. Dans ces conditions, on comprendra afubler aucun d’un mantel (construction du v1550) ou afubler un mantel à aucun (construction du v3063) comme “placer sur les épaules de quelqu’un un mantel”, afubler un mantel ou une chape (construction des v1950-v1951, v2939) comme “placer sur ses épaules un mantel ou une chape”, +afubler soi v6652 comme “placer un mantel sur ses épaules” ; dans lever Son mantel por li afubler v6632°, il n’est pas possible de schématiser la construction, parce que li, à interpréter comme régime tonique féminin singulier de afubler, peut être complément d’objet direct ou complément d’objet second, mais le sens est toujours “placer {un mantel} sur les épaules de quelqu’un”. Tels sont les premiers enseignements du texte. Nous reviendrons au texte pour préciser des nuances sémantiques importantes, mais après avoir fait un détour par le français moderne (précisément parce que ce “détour” nous obligera à réexaminer les attestations de PercL).

            C’est qu’en français moderne, affubler (qui n’est autre que notre AF +afubler qui a subi une petite transformation graphique) ne peut plus être défini comme “placer (un vêtement sans manches) sur ses épaules” ou “placer (un vêtement sans manches) sur les épaules de quelqu’un”. La définition (tout à fait acceptable) du Petit Robert est en effet “habiller bizarrement, ridiculement comme si on déguisait” (PetitRobert1993 p40a). Et le PetitRobert1993 p40a nous donne des exemples où le vêtement dont on affuble quelqu’un est une robe ou un chapeau haut de forme. On voit donc d’une part que le verbe ne s’applique plus à un type unique de vêtement, et d’autre part, qu’il a pris un sens péjoratif. Comment cela a-t-il pu se produire ?

            Pour le savoir, nous allons examiner de nouveau notre PercL, afin de déterminer s’il peut laisser présager l’évolution de +afubler depuis l’ancien français. Il convient de ne négliger aucune des indications données par le texte ; c’est pourquoi nous allons tenir compte maintenant de tous les mots de la famille de +afubler que comporte PercL. À vrai dire, le texte ne nous apporte qu’un mot supplémentaire, desafublé, participe passé de +desafubler. La formation du verbe et les passages où il se réalise nous obligent à comprendre que desafublé signifie “qui n’a pas afublé de vêtement”, mais sans que les contextes nous précisent quel est le vêtement qui est absent. En les scrutant de près, et en étant informé des coutumes de la civilité médiévale (voir commentaire du v1777 Chap3 §77), on croira volontiers que le vêtement absent est précisément une chape ou un mantel, et que celui ou celle qui en est dépourvu se trouve soit manquer d’un vêtement essentiel (v3714°), soit avoir comme nous dirions “tombé la veste” pour être à l’aise (v1355), soit afficher une tenue désinvolte (v2792). En résumé, dans PercL, celui qui est desafublé est désigné comme en manque : raison de plus pour considérer que le verbe +afubler, antonyme de +desafubler, n’est pas péjoratif.

Ce qui permet de montrer aussi que le verbe +afubler n’est pas péjoratif dans notre texte, c’est que les vêtements que l’on afuble ne sont jamais désignés comme de mauvaise qualité ou ridicules. Le mantel v3063° est qualifié de frés et novel v3064. Lorsque la matière de ces vêtements est précisée, il s’agit de soie v1950, de pailes v2939, d’escarlate v3064. Or ces mots +soie “soie”, +paile et +escarlate désignent des étoffes précieuses, comme vous pouvez le constater en ouvrant le glossaire de PercL. Brian Woledge précise que le mot escarlate “est un emprunt au persan et il était nouveau à l’époque de Chrétien, ayant sans doute une résonance aristocratique et exotique” (WoledgeYvain p71). Enfin, il arrive que la façon du vêtement soit indiquée : cela se produit v1549 et v1950, où l’on apprend que ce que l’on afuble est un mantel cort. Dans ce syntagme, cort n’est pas un adjectif de remplissage, mais semble-t-il “le mantel court a été une mode passagère des hautes classes” (WoledgeYvain p69) : voir la belle discussion de Brian Woledge dans WoledgeYvain p69 et suivantes.

 

 

§219

            Si nous acceptons l’hypothèse selon laquelle en l’occurrence PercL est un bon témoin de l’usage de l’ancien français, nous ne comprenons pas l’évolution du verbe +afubler entre l’ancien français, non péjoratif et utilisé à propos de vêtements sans manches, et le français moderne, péjoratif, et utilisé à propos de vêtements ou d’accessoires de toute sorte. Comme nous avons exploité toutes les ressources possibles du texte que nous travaillons d’une part, et de nos connaissances en français moderne d’autre part, il nous faut maintenant pour comprendre l’évolution sémantique de +afubler consulter des ouvrages spécialisés qui bénéficent de données plus complètes que les nôtres (l’histoire du français ne se limite pas à l’ancien français et au français moderne). Ingénieuse est l’explication de l’article *affibul´are64 du FEW 24 p250b. Selon ce dictionnaire, à partir du 15e siècle le mantel passe de mode, et dès lors affubler ne s’emploie plus guère qu’à propos de chape et de chaperon. Au 17e siècle, ces vêtements passent à leur tour de mode, seules continuent à en porter les vieilles femmes, et le verbe devient péjoratif et évolue dans son sémantisme. Il va de soi que pour examiner la validité de cette explication, nous devrions nous livrer à une enquête au long cours sur les mots et les choses. Je n’ai pas l’intention de l’entreprendre.

            Mais cette explication présente l’intérêt de nous ramener à la dernière partie de la question de lexique du devoir n° 2, “synthétisez ce qu’est devenu au plan sémantique le radical fibul‑ de f´ibula du latin à aujourd’hui”.

            Le mot lat. f´ibula désigne au sens concret “ce qui sert à fixer”, et tout particulièrement une “agraphe” ou une “broche” pour attacher les vêtements. On dégagera donc les traits sémantiques suivants de fibul‑ de lat. f´ibula en tant qu’il est à la base de notre +afubler : objet pointu pour attacher un vêtement. Lorsque le radical de f´ibula se réalise en ancien français dans +afubler et +desafubler, on reste dans le domaine des vêtements, et, comme les vêtements que l’on afuble ne sont pas ajustés, on peut penser qu’à l’origine la notion de “attacher” persiste dans les mots où se réalise le radical de lat. f´ibula, mots qui ne se bornent pas à +afubler et +desafubler :

 

A son col li a fait d’un mantiel afublure

D’un sebelin ouvré d’ouvrage outre mesure

                                   (Jourdain de Blaye édité par Takeshi Matsumura65).

 

Car on afuble des vêtements amples et flottants, qui précisement nécessitent d’être attachés pour ne pas tomber, à la différence des vêtements que l’on passe en les enfilant (il serait intéressant d’étudier en même temps dans PercL les mots de la famille de +afubler et ceux de la famille de +vestir, tant au plan de leur formation que de leur sémantisme). Mais, en tout cas dans PercL, on ne peut pas affirmer que la notion “attacher” soit encore nécessairement présente dans l’usage des verbes +afubler et +desafubler, et encore moins la notion spécifique “attacher avec un objet pointu” : aucun de nos passages de PercL où se réalise +afubler ou +desafubler ne fait allusion au processus d’attacher ni à l’objet au moyen duquel on afuble un mantel ou une cape. Gardons-nous bien de la tentation étymologisante pour comprendre les textes.

 

 

§220

            Si maintenant nous en venons au moderne affubler, nous nous rendons compte que la notion “attacher” n’appartient pas de façon nécessaire à la définition du verbe, et que la définition “attacher {un vêtement} avec un objet pointu” serait totalement impropre. Reste que affubler continue, au sens concret, à pouvoir s’employer à propos de vêtements, mais nous avons vu §218 que la définition de FM affubler comporte en outre de façon nécessaire un jugement de valeur sur l’intention, le comportement ou l’allure de celui qui affuble ou qui est affublé : nous sommes très loin des notions qui nous servent à définir lat. f´ibula !

            Nous en sommes encore plus éloignés lorsque nous passons à des emplois figurés, tels que On l’a affublé d’un méchant sobriquet ou Il s’est affublé d’un pseudonyme absurde. Voici quelques citations. J’affuble ce quatrième volume d’un avant-propos66, La grammaire officielle affuble cet objet second de la dénomination indéfendable de complément d’attribution67, et enfin Au lieu d’affubler des allures insolentes, hautaines ou présomptueuses, cette prise de conscience s’est parée bien vite d’affection réjouie et pimpante68. Bien que l’article affubler du PetitRobert1993 ne fasse pas allusion aux emplois figurés du verbe, ils me paraissent fréquents, au point que certains sujets écrivant aujourd’hui affublent ce verbe de toutes sortes de significations qui ne sont nullement celles que lui connaissent les gens cultivés, mais qui montrent bien que le verbe est pris dans un sens péjoratif, et que, peut-être, la langue française lui réservera des développements sémantiques surprenants, s’il est vrai que l’ignorance est un puissant moteur d’évolution des langues69.

            Le radical fibul‑ se réalise encore dans de nombreux parlers de la galloromanie : les curieux peuvent consulter l’article *affibul´are70 du FEW 24 p249-p251.

            Nous terminerons sur trois mots qui appartiennent au français spécialisé. Le mot fibule, comme terme pour désigner la f´ibula des anciens, répond à la définition de f´ibula, et n’a pas connu d’évolution sémantique. Il existe aussi le verbe infibuler et le nom infibulation, relatifs à une opération pratiquée sur les parties sexuelles des êtres humains : il n’est donc plus question de vêtements, mais dans certains cas, la notion d’“attacher” reste présente : voyez RobertGd1992 p569b, avec une superbe citation de Buffon71.
 

Fin du Chapitre 7 de May Plouzeau, PercevalApproches
◊Chap7 Fin

Dernière correction : 11 décembre 2012.
Date de mise à disposition sur le site du LFA : 16 avril 2007.

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