- Radicavi in populo honorificato et in partes Dei
mei hereditas illius et in plenitudine sanctorum
detencio mea. Ecclesiastici XXIIIIo. La
glorieuse
vierge Marie, après sa predestinacion, qui fu dès avant les
siecles, par laquelle elle a surmonté toutes personnes
mortelles, et après aussi son assumpcion ou ciel, par laquelle
elle a surmonté touz les anges, maintenant encore
procedent a plus grant planté de loenge nous intime et
denonce une autre seue excellence, c' est assavoir qu' elle
est loée et amée ou peuple. Et si conme elle n' est surmontée
en predestinacion des siecles, en conversacion en ce
monde, en perfeccion de euvres et de vertuz et en son assumpcion
es cieulx, aussi n' est elle surmontée en reverence
et en devocion des peuples, si que elle surmonte touz les
sains. Et pour ce dit elle les paroles proposées: radicavi,
etc..; je m' ay enraciné ou peuple honnorifié, et es
parties de mon Dieu est mon heritage, et en la plenitude
des sains est ma detencion. Et en ces paroles la vierge
benoite mett troys choses, a denoter troys estaz des
loyaux crestiens qui par grant devocion cuerent a li et
la servent, c' est assavoir: l' estat des prelaz que je entens
par le peuple honorifié. Et pour ce que ceulx qui telx sont
sont dignes de double honneur, c' est assavoir de temporelle
et espirituelle puissance, car ilz sont prestres qui se
sont donnez a Dieu servir especiaument, et sont péres
du peuple esperituelment, et pour ce du premier est il dit
Ecclesiastici VIIo: Honora Deum, etc..: honneure Dieu
et porte honneur aux prestres. Conment honneure Dieu?
Voire en li administrant, car saint Jehan dit: Si quis
michi ministraverit, honorificabo eum, etc. : celui qui
m' amenistrera, c' est a dire qui de cuer me servira, dit
Diex, celui honnorifiera mon pére. Après en ce que la
vierge dit: Et in partes Dei mei: et es parties de mon
Dieu, est denoté l' estat des contemplatis, pour ce qu' il se
sont traiz et mis en l' espicial partie de Dieu et non pas
a li servir de cuer ou par dedans seulement, mais en habit
et estat par dehors singuliérement, et de ceulx ci est
il dit Deuteronomii XXXIIo: Pars autem Domini populus
ejus. Telz contemplatis sont la partie de nostre
seigneur et son peuple. Et après est denoté l' estat de
ceulx qui vivent en la vie active, qui sont entenduz par
ce qui est dit en nostre thyeume: Et in plenitudine sanctorum,
etc. : et en la plenitude des sains est ma detencion,
ce dit la vierge benoite. Par ceulx ci j' entens ceulx qui
vivent en vie active, pour leur multitude par laquelle ilz
surmontent les autres devant diz et pour leur plantureuseté
par laquelle en generacion faisant ilz emplent le
nombre des loyaulx par lesquiex les siéges de paradis
seront empliz; et selon la difference des estaz la vierge
benoite mett difference de devocions qui leur sont ottroiées;
car ou regart du peuple honorifié elle mett enracinement
et dit: Je m' ay enraciné ou peuple honorifié,
c' est es prelaz. Haa! beneuré peuple en qui s' est enracinée
la vierge a ce que touz jours elle croisse en leur pensée
par amour et dileccion, en leur bouche par predicacion
pour y avoir de louenge fruttificacion, et en euvre
par ensuite et imitacion, jouste ce qu' il est dit Ecclesiastici
XXIIIIo: Je sui, dit la vierge, comme la vigne,
qui ay fruttiffié en odeur de soueveté, voire par doulce et
vraie humilité et par parfaicte charité. Mais conment
cuides tu que la vierge s' enracine en personne orgueilleuse
et plaine de vanité, n' en personne plaine d' avarice
et de cupidité, n' en personne luxurieuse ne plaine de
charnalité? En touz ceulx ci ne peut la vierge ses racines
mettre ne fichier, et pour ce dit elle notablement: Je
m' ay enraciné ou peuple honorifié, c' est assavoir ou peuple
que ne deshoneure point luxure, ne charnalité, ne
avarice de biens temporieux, ne cupidité, ne que ne
deshonneure point orgueil ne vie plaine de vanité. Après
quant a l' estat des contemplatis, la vierge dit: In partes
Dei mei: es parties de mon Dieu est mon heritage. O
beneurées parties ou la vierge a assis et prins son heritage!
Et ce est dit ou pour ferme et longue habitacion, dont
il est escript Ecclesiastici XXIIIIo: in omnibus requiem
quesivi, etc..: j' ay quis en toutes choses repos et me demourray
en l' eritage de nostre seigneur; ou pour le
doulx goust de l' eritage virginal et la participacion, dont
il est dit ou livre et chapitre dessus dit: Spiritus meus
super mel dulcis et hereditas mea, etc. : mon esperit est
doulx conme miel et mon heritage plus doulx que la
raye de miel. Et de ceci exposer je me passe pour cause
de brieté, mais a ce que nostre thyeume dist: In pleninitudine
sanctorum, et cetera, la vierge benoite dit que
sa detencion est en la plenitude des sains; par ceste plenitude
je entens ceulx qui sont en la vie active, qui contendent
ci aval a detenir celle vierge, mais differenment:
les uns par abstinence de jeuner, les autres par aumosnes
donner, les autres par oroisons faire et li prier et saluer;
et toutes ces choses faire nous font avoir et detenir
la vierge, et pour elle jeuner et aumosnes donner et elle
prier et saluer. Dont Thobie dit: Bonne chose est oroison
avecques jeune et aumosne. Mais note bien que elle
dit: en la plenitude des sains, voire de ceulx en qui sont
sains desirs, saintes paroles et saintes euvres. Si li prions
qu' elle nous doint en ce monde avoir si saintes paroles
et si sains desirs et si saintes euvres que nous en puissons
venir conme sains avecques elle sanz fin. Amen.
Cy conmence un miracle de Nostre Dame d' un marchant
nommé Pierre le changeur, qui par lonc
temps avoit vesqui de mauvaise vie, qui fu si malade
que il cuidoit morir, et en sa maladie vit en
avision les dyables qui le vouloient emporter, et
Nostre Dame l' en garenti a la proiére d' un ange
qui le gardoit, et depuis vint a santé et fist tant de
bien qu' il converti un sarrazin.
PREMIER POVRE. Diex
doint bonne encontre au jour d' ui!
- Que
sanz doubte si povre sui
- Que
je n' ay ne pain ny argent.
- Donnez
a Didier, bonne gent,
- Que
Dieu voz pechiez vous pardoint.
- Elas!
ne truis qui rien me doint;
- Ne
me sçay quelle part embatre.
- Je
m' en vois en la place esbatre
- Et
illeuc au soleil seoir.
- Encore
est de moy pourveoir
- Et
pourchacier assez bonne heure;
- Un
po vueil ci faire demeure.
- Les
compaignons attenderay
- Avec
qui je m' esbateray
- Jusqu'
a grant messe.
- DEUXIESME
POVRE. Doint bon jour,
Didier! Egar! qu' est ce
- Qui
t' a si matin admené?
- T'
a ame depuis riens donné
- Que
ci venis?
- PREMIER
POVRE. Nanil, Menait, par saint
Denis.
- Ce
qu' er soir n' oy, mon ami chier,
- Que
souper me fit descouchier
- Si
matinet.
- DEUXIESME
POVRE. Tu en as le ventre
plus net
- Et
la fourcelle et l' estomac.
- A
il point de pain en ton sac
- Pour
aler boire?
- PREMIER
POVRE. Nanil, amis, par saint
Magloire,
- N'
en ma bource denier ne maille.
- Siez
t' emprès moy, vaille que vaille:
- Un
po ci nous esbaterons
- Et
puis pourchacier nous yrons
- Aval
la ville.
- DEUXIESME
POVRE. Or soit. Ho! vezci
venir Gille
- L'
enfondu qui nous vient veoir.
- Sa,
Gile, venrez vous seoir
- Avecques
nous?
- TROISIESME
POVRE. Oil, Menait, mon ami
doulx:
- Pour
c' y vien je, sachiez de voir.
- Que
bon jour puissiez vous avoir
- Touz
deux ensemble.
- PREMIER
POVRE. Seigneurs, dites moy s' il
vous semble
- Que
die bien: ne detrions,
- Mais
pour noz bienfaiteurs prions,
- Tant
pour femmes conme pour hommes,
- Car
je vous di tenuz y sommes,
- C'
est tout certain.
- DEUXIESME
POVRE. Didier, c' est voir,
je t' acertain
- Que
des bienfaiz que d' eulz avons,
- Loer
Dieu pour eulz en devons
- Et
li prier.
- TROISIESME
POVRE. Or nous di ci sanz
detrier,
- Menait,
par ta foy, qui ceulx sont
- Qui
plus voulentiers bien te font
- Et
plus souvent.
- DEUXIESME
POVRE. Je le te diray par
convent
- Qu'
autel feras.
- TROISIESME
POVRE. Je te promet, tu les
m' orras
- Après
nommer.
- DEUXIESME
POVRE. C' est bien. Or
pensez d' assommer,
- Vous
deux, quans je vous en diray.
- Premiérement
vous nommeray
- Une
dame ja bien viellete
- Qui
veuve est, appellée Huguette:
- A
son hostel ne faux je goute
- Que
touz jours n' y aie, sanz doubte,
- Char
ou poisson, potage ou pain,
- Puis
qu' a son huis d' aler me pain;
- Dieu
ses biens li croisse et foisonne!
- Après
souvent aussi me donne
- Une
seue bonne voisine
- Que
Dieu face de gloire digne,
- Qui
surnommée est la Bossue;
- Riche
femme est, assez cossue:
- D'
elle, chascun jour de karesme,
- Ay
une escuelle que j' esme
- Et
prise a plus de six deniers.
- Aussi
me donne voulentiers
- Un
preudomme c' on nomme Hernault
- De
Bisquariel; Diex le consault!
- De
moy donner rest moult engrant
- Un
c' on nomme Jourdain le Grant,
- Toutes
foiz qu' a son hostel vois;
- Si
fait aussi un bon bourgeois
- C'
on appelle Pierre le Maistre.
- Si
tost qu' a son huis me voit mettre,
- Je
ne fail point, quel jour que soit,
- Que
de ses biens il ne m' envoit
- Pain
ou argent.
- TROISIESME
POVRE. Quant tu as tant de
bonne gent
- A
chalans, tu doiz estre riche.
- Ne
cuides pas que je te triche,
- Je
n' en sui pas de tant acointe:
- Je
n' ay seulement qu' a la pointe
- Saint
Eutasse un tournois par jour.
- D'
ilec je m' en vois sanz sejour
- Par
les halles au Grant Godet,
- Puis
a Simon Triquefadet,
- Qui
demeure au port Nostre Dame.
- D'
ilec m' en revien a la dame
- Du
Chastel, la femme Raulin:
- La
ay je du pain et du vin
- Et
de la char et du potage;
- C'
est l' ostel ou plus d' avantage
- Ay
entre touz.
- PREMIER
POVRE. Seigneurs, et que me dites
vous
- De
l' ostel Pierre le changeur,
- Qui
a surnom de peageur
- Pour
ce qu' il reçoit les truages?
- Y
avez vous nulz avantages
- N'
aumosnes, dites?
- DEUXIESME
POVRE. D' un biau nient dire
t' aquittes.
- Il
est bien voir conme evangille
- N'
a si riche homme en ceste ville;
- Mais
va tost ta bouche laver,
- Car
du plus merde et plus aver
- Homme
que l' en puisse savoir
- Parles,
et si put tout d' avoir;
- Et
si het tant la povre gent
- Qu'
onques une piéce d' argent
- Je
ne li vi donner pour Dieu.
- Gilet,
fuz tu onques en lieu
- Ou
il donnast denier ne maille?
- Je
pense que nanil sanz faille.
- Et
toy, qu' en scez?
- TROISIESME
POVRE. Je vi devant hier qu'
amassez
- Ne
sçay quans a son huis estoient,
- Qui
l' aumosne avoir attendoient,
- Mais
a tout un baston sailli
- Hors
de l' ostel et s' en failli
- Bien
po qu' il ne les menhaigna;
- En
les chassant les rechigna
- Trop
laidement.
- PREMIER
POVRE. Je vous di bien
certainement
- C'
onques a son huis je ne quis
- Aumosne
ne ne li requis.
- Mais
que me voulrez vous donner
- S'
au jour d' ui par mon sermonner
- Puis
de lui quelque chose avoir?
- Je
voulroie trop bien savoir
- Que
me donrez.
- DEUXIESME
POVRE. Didier, vezci que
vous ferez:
- Vous
l' irez, biau sire, essaier,
- Et
ne vous vueilliez esmaier:
- Que
s' aumosne en la main vous mett,
- Quelle
que soit, je vous promett,
- Si
tost conme je la verray,
- De
vin franchement vous donrray
- Plaine
une quarte.
- PREMIER
POVRE. Feras dont? et, par sainte
Marthe,
- G'
y vois, et si ne fineray
- Jusqu'
a tant qu' a son huis seray
- Et
que le voie.
- TROISIESME
POVRE. Or vas: mais que de
sa monnoie
- Ne
d' autre riens donner te vueille,
- Certes
j' en aray grant merveille
- En
mon courage.
- DEUXIESME
POVRE. Perdre aussi bien va
son langage
- Conme
s' il aloit batre Saine;
- Mais
tien que, se Pierre l' assaine,
- D'
un baston avant li donrra
- Ou
de ce que tenir pourra
- Que
bien li face.
- PREMIER
POVRE. Vezci son huis. S' on ne m'
en chace,
- Par
foy, je ne m' en mouveray
- Tant
que venir hors le verray,
- Ou
s' il est hors tant qu' il reviengne.
- Ci
endroit, aviengne qu' aviengne,
- L'
attenderay.
- LE
TALEMELIER. Maishui plus ne
sejourneray.
- Porter
m' en vois ce pain bonne erre,
- Qui
tout tendre est, chiez sire Pierre,
- Car
de tel pain voulentiers use.
- Un
povre que je voy qui muse
- A
sa porte, s' aumosne atent
- Ne
bienfait, a folie tent.
- Sire
Pierre voy la venir:
- S'
a sa porte le voit tenir,
- Il
le batra, je n' en doubt point,
- Avant
qu' une aumosne li doint.
- Nientmoins
d' aler m' avanceray
- Tant
qu' a la porte avant seray
- Que
li, se puis.
- PIERRE.
Que fais tu ci, dy, a cest
huis?
- N'
y as que querre.
- PREMIER
POVRE. Sire, pour Dieu vous vueil
requerre
- Que
vous me donnez une aumosne:
- Que
Dieu qui maint lassus ou trosne
- S'
amour vous doint!
- PIERRE.
Non, Dieu! mais se t' en
donne point,
- Pendre
me puist on d' une hart.
- Passe,
passe, truant, paillart,
- Vuide
ma porte.
- LE
TALEMELIER. Vezci pain, sire, que
j' aporte,
- Cuit
d' amatin.
- PREMIER
POVRE. Que Diex qui de l' iaue
fist vin,
- Sire,
vous soit misericors!
- A
moy qui sui un povre corps
- Aucun
bien faites.
- PIERRE.
Se tost d' aler tu ne t'
afaittes,
- Par
sainte croiz de Valenton,
- Et
je tien pierre ne baston,
- Je
t' en donrray par tel essart
- Que
diras que dyable y ait part,
- Mett
jus, amis.
- LE
TALEMELIER. Voulentiers, sire. C'
est jus mis
- Puis
qu' il vous plaist.
- PREMIER
POVRE. E! pour Dieu, mon seigneur,
s' ou plait,
- Ma
grant povreté repassez.
- D'
une petite aumosne assez
- Riche
seray.
- PIERRE.
Riche homme assez tost te
feray,
- Par
la foy que je doy saint Pierre,
- Si
je truis ne baston ne pierre. <En regardant ça et la.>
- Hé!
puis que point ici n' en truis,
- Se
j' en devoie estre destruis,
- A
la teste te jetteray
- Ce
pain, si que je te feray
- A
terre la cervelle espendre. <Ici li jette le pain.>
- Il
a bien sceu les mains tendre
- Contre
le pain, et si l' emporte.
- Or,
reviens, reviens a ma porte,
- Se
fais que sage.
- LE
TALEMELIER. Sire, atrempez vostre
courage.
- Ennuieux
a esté sanz doubte.
- Voulez
vous que ce pain je boute
- La
dedans, sire?
- PIERRE.
Oil. Haro! que j' ay grant
ire
- Que
de li n' ay fait mon plaisir!
- Certes
c' estoit tout mon desir
- Que
du pain tel cop li donnasse
- Qu'
en la place mort le jettasse.
- Mais
j' ay failli, dont suis irez.
- Alez
ent: quant rapporterez
- Du
pain, et mon clerc y sera,
- L'
un et l' autre vous taillera:
- Il
a la taille.
- LE
TALEMELIER. Il me plaist, et le
vueil sanz faille.
- A
Dieu, chier sire!
- PIERRE.
A Dieu, amis, qui vous gart
d' ire
- Et
de pesance!
- GALOT.
Mon seigneur, sachiez sanz
doubtance
- De
faire vien vostre message,
- Et
ay trouvé sire Lippage
- Qui
voz lettres envoiera
- Au
pais si tost qu' il pourra
- Message
avoir.
- PIERRE.
Il me souffist assez pour
voir.
- Sa,
siez te cy.
- PREMIER
POVRE. Seigneurs, je revien, vez
me ci,
- Et
vous afferme pour certain
- Que
sire Pierre de sa main
- M'
a donné ce pain qui est tendre.
- Avant,
Menait: sanz plus attendre,
- Pour
ta conscience apaier,
- Vien
la quarte de vin paier
- Que
gagié m' as.
- DEUXIESME
POVRE. Se Dieu t' aist, ne
me mens pas,
- Didier:
l' as tu si pourmeu
- Que
ce pain que tiens receu
- As
de sa main?
- PREMIER
POVRE. Par la foy que doy saint
Germain,
- Oil,
Menait.
- TROISIESME
POVRE. Je tien que de nouvel
renait,
- Quant
aumosnier est devenu.
- Marie!
il t' est bien advenu,
- Car
onques mais n' oy parler
- Qu'
a nul, tant y sceust aler,
- Il
donnast rien.
- PREMIER
POVRE. Je ne scé, mais je vous dy
bien
- Qu'
il meismes ce don m' a fait.
- Si
vous pri, Menait, que de fait
- En
la taverne nous menez
- Et
ce pot de vin nous donnez
- Qu'
avez promis.
- DEUXIESME
POVRE. Je le feray de cuer,
amis,
- Puis
qu' ainsi est; or nous hastons,
- Et
si vous pri que nous chantons
- En
alant; suivez m' ou je vois.
- Or
sus, disons: Au bois, au bois!
- PIERRE.
Galot, la parole et la voiz
- M'
afebloient trop malement.
- Je
sui en accès vraiement:
- Ne
puis plus ci, mon ami chier.
- Pour
Dieu, maine moy tost couchier,
- Et
je t' en pri.
- GALOT.
Sire, je feray sanz detri,
- C'
est raison, vostre voulenté.
- Sa,
venez, que bonne santé
- Vous
soit de Dieu donnée en bréve!
- Escoutez:
s' a aler vous gréve,
- Si
vous appuiez dessus moy;
- Je
le vous dy de bonne foy,
- N'
en doubtez pas.
- PIERRE.
Jusqu' a mon lit n' a pas
deux pas;
- Ne
me fault point d' apuiement,
- Mais
tien me bien tant seulement
- Par
ce braz destre.
- GALOT.
Voulentiers, mon seigneur et
maistre,
- A
vostre gré vous sera fait.
- Or
ça, vezci vostre lit fait:
- Je
vous pri que vous depeschiez
- Et
qu' apertement vous couchiez
- Sanz
sejourner.
- PIERRE.
Sur ce costé me vueil
tourner
- Pour
savoir s' il m' en sera miex.
- Diex,
que feray? Han! Diex, han! Diex!
- Certes,
je muir, ce croy, c' est nient.
- Une
beguine me convient
- Avoir
qui me sache garder.
- Vas
m' en querre une sanz tarder,
- Galot
amis.
- GALOT.
Vez me la, sire, a voie mis,
- Et
sachiez je ne fineray
- Tant
q' une vous en amenray
- Bonne
et certaine.
- PIERRE.
Han! Diex, que j' ay
souffert de paine
- Et
que j' ay par le corps d' angoisse!
- Et
si n' est pas que ne me croisse
- Ceste
douleur de mal en pis,
- Et
me descent du chief ou pis
- Et
es costez.
- GALOT.
Mon chier seigneur, or vous
ostez,
- S'
estre peut, d' ainsi lamenter.
- Amené
vous ay sanz doubter
- La
meilleur garde des beguines;
- Au
mains de toutes ses voisines
- Y
est tenue.
- PIERRE.
M' amie, bien soiez venue.
- En
moy n' a voir ne jeu n' esbat,
- Tant
me deult le chief et debat
- Et
me fait mal.
- LA BEGUINE. C'
est voir que les maux a cheval
- Viennent,
mais a pié, sire doulx,
- S'
en vont. Monstrez ça vostre poux.
- Gardez,
ne vous dejettez point:
- Vous
serez tantost en bon point,
- Si
plaist a Dieu de paradis.
- Je
vous vois ordener tandis
- Un
colis de quoy humerez
- Quant
hors de vostre accès serez.
- Or
mettez paine de suer
- Sanz
vous debatre ne muer:
- Tost
revenray.
- GALOT. C' est bien dit:
lez li me tenray
- Tant
que venrez.
- DIEU.
Anges, savez que vous ferez?
- Alez
m' un siége la jus mettre
- Ou
seoir conme juge et maistre
- Puisse
une piéce.
- PREMIER
ANGE. De faire chose qui vous
siesse,
- Sire,
avons chascun grant desir.
- Puis
que c' est a vostre plaisir,
- Michiel,
alons.
- DEUXIESME
ANGE. Gabriel, de ci
devalons
- Et
ne le tenons pas a grief.
- Alons
nous en delivrer brief,
- Si
ferons bien.
- PREMIER
ANGE. Je vois devant; après moy
vien,
- Michiel
amis.
- DEUXIESME
ANGE. Ho! Gabriel, ici
soit mis
- Nostre
siége sanz plus d' espace:
- Je
ne voy point de meilleur place;
- Et
si conseil encore ainsi
- Que
le second façons aussi,
- Afin
que se sa mére vient
- Avec
li, con souvent advient,
- Qu'
aions siége ou puist estre assise
- Tout
prest et delez son filz mise
- Ici
entour.
- PREMIER
ANGE. Or soit fait du plus noble
atour
- Que
pourrons sanz arrestoison:
- Quant
c' est pour Dieu, c' est bien raison;
- Puis
l' irons dire.
- DEUXIESME
ANGE. Or bien, c' est
fait: alons men. Sire,
- Le
siége qu' avez demandé,
- Ainsi
que l' avez conmandé,
- Si
est tout prest.
- DIEU.
Puis qu' ordené l' avez, bien est
- Et
je sui tout prest d' aler y.
- Or
entendez: n' y ait cely
- Qui
compagnye ne me tiengne
- De
vous touz et qu' avec moy viengne
- A
brief parler.
- NOSTRE
DAME. Chier fil, preste sui d'
y aler.
- Descendez
touz.
- PREMIER
ANGE. Dame des cieulx, si
faisons nous.
- Or
sus! a voie nous mettons
- Et
en alant d' accort chantons
- Touz
troys ensemble.
- TROISIESME
ANGE. C' est bien a faire,
ce me semble.
- Avant:
prenez. <Ici viennent chantant, et quant Diex est assis et Nostre Dame,
le tiers ange va au malade et dit:>
- Creatures
de Dieu maudites,
- Que
querez vous ci endroit? dites.
- Vuidez
bon pas.
- DEUXIESME
DYABLE. Pour quoy? pour vous
non ferons pas;
- Ne
voulons riens avoir du vostre,
- Mais
nous voulons ce qui est nostre
- Avoir,
c' est l' ame de ce corps.
- N'
attendons fors qu' elle soit hors
- Du
corps yssue.
- TROISIESME
ANGE. Faulx ennemis, il
dort et sue.
- Cuidez
vous qu' il doie morir?
- Nanil,
c' est signe de guerir.
- Et,
s' il avoit passé le pas
- De
la mort, ne l' ariez vous pas:
- Autre
l' ara.
- PREMIER
DYABLE. Sy arons, qui droit nous fera;
- Car
tant est de mal entechiez
- Et
tant a fait de grans pechiez
- Qu'
il n' est riens qu' il ait desservi
- Qu'
estre du feu d' enfer servi
- Sanz
finement.
- DIEU.
Vaz, si m' amaine vistement
- Ceulz
la qui ainsi se combatent.
- Savoir
vueil de quoy se debatent
- Entre
eulz ainsi.
- PREMIER
ANGE. Faire les vous vois venir
ci,
- Sire,
puis que le conmandez.
- Vous
touz estes de Dieu mandez.
- Avant
passez, venez a li,
- Bons
et mauvais, n' y ait celi
- Qui
ci demeure.
- TROISIESME
ANGE. Gabriel, g' i vois
tout en l' eure,
- Mon
ami doulx.
- DEUXIESME
DYABLE. N' en doubtés, aussi
ferons nous:
- Aussi
tost que vous y serons,
- Et
sachiez nous li requerrons
- A
avoir droit.
- DIEU.
De quoy avez vous la endroit
- Tant
debatu?
- PREMIER
DYABLE. Sire, vraiz juges, telz es tu,
- Vezci
de quoy. La gist un homme:
- Quel?
tel que dix chevaulx a somme
- Ne
pourroient pas, ce sachiez,
- Porter
le quart de ses pechiez,
- Non
le quint, ce sachiez de voir.
- Et
cestui ci le veult avoir
- Et
dit que n' y avons puissance!
- Et
il est voir que dès s' anfance
- Il
devint gloton et yvrongne,
- Ne
n' avoit honte ne vergongne
- De
tolir a la bonne gent
- Ce
qu' il pouoit de leur argent.
- Après,
sire, quant il advint
- Qu'
en l' aage de vint ans vint,
- Conment
usa il sa jonnesse?
- Conment?
quoy qu' il eust richesce,
- Si
fu le plus de ses deduiz
- Aler
de nuiz rompre les huiz
- A
mariées et pucelles
- Et
de les efforcer, et celles
- Qui
de riens li contredisoient
- En
l' eure batues estoient
- Et
navrées vilainement.
- Or
regardez, sire, conment
- Le
devons perdre.
- DEUXIESME
DYABLE. Pour moy confermer et
aherdre
- A
ce qu' il a dit soustenir,
- Sire,
il est voir et se venir
- Veist
un povre homme a son huis,
- Tant
par estoit de pitié vuiz
- Qu'
avant d' un baston l' estonnast
- Qu'
aumosne nulle li donnast.
- Vers
eulx estoit trop depiteux,
- Plain
d' avarice et convoiteux;
- D'
eulz veoir avoit grant despit.
- Demandez
veoir sanz respit
- Contre
ce que mettons en fait
- Quel
bien il a ne dit ne fait
- Et
qu' il le monstre.
- DIEU.
Avant! Que diras tu encontre
- Ce
qu' il ont proposé? respons.
- Le
bien qu' a fait pas ne repons,
- Mais
met l' en place.
- TROISIESME
ANGE. <Ici vient à
Nostre Dame.> E! mére Dieu, par vostre grace
- Aidiez
m' a ce pecheur secourre
- Et
de ces ennemis rescourre,
- Tresdoulce
dame.
- NOSTRE
DAME. N' est pas le corps
encore et l' ame
- En
vie humaine?
- TROISIESME
ANGE. Si est, vierge de
pitié plaine:
- Du
corps l' ame onques ne parti;
- Mais
je doubt bien que se par ti
- Ne
li est fait, dame, secours,
- Qu'
en enfer ne s' en voit le cours
- Pour
ses meffaiz.
- NOSTRE
DAME. Me peuz tu monstrer nulz
biens faiz
- C'
onques en sa vie feist,
- N'
oroison nulle qu' il deist
- Devotement?
- TROISIESME
ANGE. Nanil, ma dame,
vraiement.
- Je
ne scé pas c' onques sa vie
- Eust
d' aucun bien faire envie,
- Mais
que de nuit et jour penser
- A
assembler et amasser,
- Fors
tant que puis deux jours en ça
- Un
povre a son huis s' adressa,
- Qui
pour avoir bienfait le quist
- Et
son aumosne li requist.
- Si
ne scé de quoy s' aquitta,
- Au
povre lors un pain jetta
- Non
pas de bonne voulenté,
- Non,
mais, a dire verité,
- Par
grant despit et par grant ire.
- Toutes
voies vous puis je dire
- Le
povre si se deporta
- Et
prist le pain et l' emporta.
- C'
est tout quanque je scé qu' ait fait
- De
bien, dame, n' en dit n' en fait,
- Puis
qu' il nasqui.
- NOSTRE
DAME. Si a trop meschamment
vesqui,
- Dont
ne doit pas estre esjouy.
- Ore
je t' ay assez ouy:
- Je
vueil a ta peticion
- Encliner
par compascion. <Ici parle a Dieu.>
- Sire
Dieu, qui ta deité
- Couvris
en moy d' umanité
- Pour
les pecheurs justefier
- Et
les justes saintiffier
- Et
les saintiffiez en gloire
- Mettre,
j' ay trop bien en memoire
- Conment
ces ennemis accusent
- Ce
malade pour ce qu' il musent
- Et
tendent a son ame avoir.
- Mais
or prenons que ce soit voir
- Quanque
proposé ont ici,
- Si
vueil je dire, sire, ainsi
- Que
plus doiz a misericorde
- Estre
enclin, raison s' i accorde,
- Qu'
a justice ni equité
- Pour
ta parfaitte charité,
- Qui
te fist humanité prendre,
- Qui
te fist consentir a pendre
- En
croiz, et par piez et par mains
- Estre
clofichié pour humains
- Acquitter
de leur grief deu
- Que
n' avoies pas accreu.
- Après,
sire, prenons de fait
- Qu'
il ait les maulx qu' il dient fait,
- Si
diz je qu' il ne l' aront mie;
- Car
encore a humaine vie
- Et
peut a santé retourner
- Et
soy de vertuz aourner
- Et
repentir de ses pechiez
- Dont
ilz dient qu' est entechiez,
- Si
qu' il se travaillent en vain.
- Oultre,
sire, vezci un pain <Ici baille l' ange le pain.>
- Qu'
il a a un povre donné,
- Pour
ce qu' il l' ot araisonné
- Et
de dire s' esvertuoit
- Que
famine trop le grevoit;
- Si
li doit estre de prouffit
- Plus
que touz les maux c' onques fist
- Ny en jonnesce n' en viel aage
- Ne
li doivent estre a damage;
- C'
est tout certain.
- DIEU.
Or ça: je vueil tenir ce pain;
- Baillez
le moy, ne dites mot. <Ici le regarde un po.>
- Or
entens a moy, Vehemot,
- Et
toy, Sathan, entens aussi.
- Je
dy qu' en ceste aumosne ci,
- C'
est en ce pain dont je parole,
- A
tant de bien qu' il equipole
- Et
vault contre touz les pechiez
- Dont
peut cest homme estre entechiez,
- Si
qu' ainsi pareil et egal
- Sera
le bien contre le mal.
- N'
arez pas l' omme: il garira,
- Et,
s' il veult, bien ou mal fera.
- S'
en pechié meurt, nel depportez
- Qu'
en enfer vous ne le portez
- Con
vostre chetif esperdu.
- Mais
vostre part avez perdu
- Cy
quant a ore.
- PREMIER
DYABLE. Haro! a po que ne m' acore
- De
dueil, quant a present m' eschappe.
- Touz
jours nous jeue Dieu soubz chappe,
- Qui
nous fait si d' un a un b
- Que
touz jours nous sommes gabé
- Et
perdons tout.
- DEUXIESME
DYABLE. Esté avons fol et
estout
- De
nous en estre sur li mis,
- Car
touz jours nous est ennemis,
- Quant
sa mére vient a l' afaire;
- Autrement
ne l' oseroit faire,
- Et
s' il le faisoit, abatuz
- Seroit
de sa mére et batuz
- Dessus
ses fesses.
- PREMIER
DYABLE. Je t' en croy bien. Or,
laisses, laisses.
- Nous
irons ailleurs si ouvrer
- Qu'
en pourrons pour un recouvrer
- Deux,
trois ou quatre.
- DEUXIESME
DYABLE. Je scé en la rue du
Plastre
- Un
biau visage femenin
- Que
trop convoite un turlupin.
- Alons
y, et si faisons tant
- Que
l' un soit l' autre combatant,
- Et
puis qu' il s' en voisent ensemble:
- Ainsi
a un cop, se me semble,
- Deux
en arons.
- PREMIER
DYABLE. Alons: ceci trop bien sarons
- Faire
et briément.
- TROISIESME
ANGE. Or regarde, Pierre,
conment
- Et
combien t' a valu ce pain
- Qu'
au povre as donné de ta main:
- Certes
onques ne donnas mais
- Si
bon. Pour ce dès ores mais
- T'
amonneste et pri que tu vives
- Et
au contraire pas n' estrives,
- Mais
pense de toy pourveoir
- Selon
ce que tu puez veoir
- Quel
prouffit ce pain t' a porté,
- Et
que tu en es enorté
- Souffisanment.
- DIEU.
Mére, et vous touz, sus. Alons ment
- Arriére
es cieulx.
- NOSTRE
DAME. Mon pére et mon Dieu, c'
est le miex
- Que
puissons faire a mon avis.
- Sus,
tretouz, sanz plus de devis
- Devant
alez.
- DEUXIESME
ANGE. Si ferons nous: plus
n' en parlez,
- Dame
de la gloire haultaine.
- En
alant sus a haulte alaine
- Chantons
nous trois.
- PIERRE.
E! vray Dieu, roy dessus
touz roys,
- Je
doy bien trembler et fremir,
- Je
doy bien plourer et gemir
- Et
avoir paour et cremeur
- Quant
je pense a la grant orreur
- Que
j' ay eu en vision,
- Qui
n' est pas, non, illusion,
- Ne
qui n' est pas aussi mençonge,
- Quoyque
l' aie veu en songe.
- Las!
quant je pense au roy celestre,
- Qui
me sembla si cruel estre,
- Et
que je vi les ennemis
- Qui
les maulx qu' avoie conmis
- Et
mes pechiez li presentérent
- Et
qu' en moy nul bien ne trouvérent,
- Honteux
du bien estre et taisible
- Pour
la grief sentence et orrible
- Ou
Dieu sanz fin jugié m' eust
- Et
de droit faire le peust,
- N'
eust esté misericorde
- Qui
la pour moy fut de ma corde.
- Et
s' un pain, vraix Diex et vraiz sire,
- Que
j' ay de felon cuer par ire,
- Non
pas de bonne voulenté,
- Au
povre par despit jetté,
- M'
a esté de si grant prouffit
- Qu'
il a contre mes maux souffit,
- Combien
acquiert cil de merite
- Et
de quelx maux aussi s' acquitte
- Qui
pour Dieu fait au povre aumosne,
- Quant
de bon cuer et lié l' aumosne?
- Ha!
com c' est euvre de grant pris!
- Et
puis que j' en ay tant apris,
- Certes
aumosnier devenray
- Tel
que tout mon avoir donray
- Pour
l' amour du doulx roy celestre,
- Mais
qu' en santé sur piez puisse estre:
- Telle
est m' entente.
- LA BEGUINE. Sire,
il vous convient sanz attente
- Prendre
un po de refeccion.
- Or
mettez vostre affeccion,
- Sire,
a humer ceste escuelle
- De
coulis, qui est bonne et belle,
- Se
Dieu me voie.
- GALOT.
Beguine, il a, dont j' ay
grant joie,
- Trop
bien dormi.
- LA BEGUINE. Le
chief a vuit et estormi:
- Il
ne li fault fors qu' il menjusse
- Ou
qu' il hume, et ceste elle suce
- Par
appetit.
- PIERRE.
Je me vueil lever un petit
- Et
puis feray ce que voulrez.
- Or
ça, qu' est ce que me donrrez
- A humer,
dame?
- LA BEGUINE. D'
un bon coulis, sire, par m' ame.
- Tenez,
tastez.
- PIERRE.
N' en sui pas moult
entalentez;
- Nientmoins,
ça! j' en essaieray
- Et
puis mon avis en diray.
- Il
me semble bon sanz deffault. <Ici rent l' escuelle vuide.>
- Tenez.
Or ça, boire me fault:
- Je
vueil du vin.
- LA BEGUINE. Si
en arez, par saint Lubin.
- Vez
le ci cler et nett et sain
- Et
bon, con fust de Saint Pourçain,
- Ce
qu' il n' est mie.
- PIERRE.
Tel le vueil je boire, m'
amie.
- Sa!
je vueil ma soif estanchier.
- C'
est fait, je me vueil recouchier.
- Je
sanz bien, quant dormi aray
- Un
petit, que gari seray.
- Or
me laissiez.
- LA BEGUINE. Sire,
pas ne vous courrocez
- Se
je vois tantdis a maison.
- Je
n' y feray d' arrestoison
- Mie
granment.
- PIERRE.
M' amie, alez hardiement:
- Il
me plaist bien. Galot, et toy
- Tu
demourras ci delez moy,
- Afin
que je t' aye tout prest
- Pour
moy servir se mestier est
- Et
je vueil rien.
- GALOT.
De par Dieu soit; il me
plaist bien.
- Ainsi
con vous le proposez
- Feray,
sire. Or vous reposez
- Sanz
plus debatre.
- TROISIESME
POVRE. Seigneurs, aler nous
fault embatre
- Par
ces rues et ça et la
- Pour
savoir s' aucun ame y a
- Qui
bien nous face.
- PREMIER
POVRE. Suiverons nous l' un l'
autre a trace,
- Ou
se nous nous despartirons
- Et
l' un ça, l' autre la, irons?
- Que
vous en semble?
- DEUXIESME
POVRE. Je lo que nous alons
ensemble,
- Et
de tout ce c' on nous donra
- Autant
l' un con l' autre y ara
- Au
departir.
- TROISIESME
POVRE. Or pensons de nous
appartir;
- Il
me plaist bien, se Dieu me voie.
- Alons
nous en par ceste voie,
- C'
est nostre miex.
- PREMIER
POVRE. Je m' i accors; alons. Que
Diex
- Nous
doint touz trois si bien ouvrer
- Que
chascun y puist recouvrer
- Chose
qui vaille.
- DEUXIESME
POVRE. Je ne doubt mie que je
faille
- A
avoir et pain et argent,
- S'
entendre me veulent la gent
- Que
prieray.
- TROISIESME
POVRE. Aussi tien je que j'
en feray
- Bien
mon devoir.
- PIERRE.
Veulz tu que je te die voir,
- Galot?
je ne vueil plus jesir.
- Je
n' ay de rien si grant desir
- Con
d' aler esbatre en la ville.
- Je
merci de foiz plus de mille
- Dieu
qui m' a mis en si bon point
- Que
gari sui, n' en doubtez point,
- Et
je ne l' oblieray pas.
- Alon
men, alon tout le pas
- Ensemble,
amis.
- GALOT.
Alons, sire, puis qu' a ce
mis
- S'
est vostre vueil.
- PIERRE.
A ces trois povres donner
vueil
- Qui
ci viennent de mon argent.
- Tendez
les mains, ma bonne gent,
- Ligiérement;
ne detriez.
- Tenez,
je vous pri que priez
- A
Dieu pour moy.
- PREMIER
POVRE. Puis que vous me donnez de
quoy,
- Prier
Dieu pour vous sui tenuz.
- Celui
qui voult povres et nuz
- Pour
humains en la croiz morir
- Le
vous vueille, sire, merir
- Et
rendre a l' ame.
- DEUXIESME
POVRE. Celle qui est royne
et dame
- De
paradis, sire, vous face
- Tel
que veez Dieu en la face
- Voire
sanz fin.
- TROISIESME
POVRE. Amen! je l' em
pri de cuer fin
- Que
de paradis le face hoir.
- Voirement
dit bien celi voir
- Qui
premier dit: "qui va si leche,"
- Et
aussi dit: "qui siet si seche."
- S'
au vin encore assis fussions,
- A
cest argent failli eussions
- Que
nous avons.
- PREMIER
POVRE. Pour combien le fait ne
savons;
- Mais
puis que le preu en est nostre,
- Disons
en chascun patenostre,
- Si
ferons bien.
- DEUXIESME
POVRE. Certes a grant
merveille tien
- Qu'
il est devenu aumosnier;
- Car
n' a gaires qu' un seul denier
- Ne
donnast pour rien qu' avenist,
- Mais
d' un baston, s' il le tenist,
- Voulentiers
batoit povre gent.
- Esbahiz
sui que son argent
- Ainsi
depart.
- TROISIESME
POVRE. Dieu le veult,
espoir, a sa part
- Avoir;
pour ce li fait ce faire,
- Car
souvent sanz a nul meffaire
- Diex
euvre tellement de fait
- Que
d' un pecheur un juste fait
- Digne
de gloire.
- PREMIER
POVRE. Certes, tu diz parole
voire:
- Ainsi
sa benignité moustre.
- Laissons
ester; alons men oultre,
- Si
ferons miex.
- LE
MARINIER. Que feray je, biau
sire Diex?
- Je
sui en estrange pais.
- Elas!
bien doi estre esbahiz.
- Je
me voy nu et entrepris,
- Ce
que n' avoie pas apris;
- Car
je soloie assez avoir
- Robe
a vestir et de l' avoir,
- Que
j' ay tout en la mer perdu.
- Las!
je doy bien estre esperdu,
- Et
si sui je certainement.
- Conment
me cheviray? conment?
- Certes
il me fault truander
- Et
aux bonnes gens demander
- ça
et la tant que vestuz soie
- D'
aucun gros garnement sanz soie.
- Helas!
onques mais je ne fui
- En
la povreté ou je sui:
- Ne
me scé conment contenir.
- Un
riche bourgeois voy venir,
- Ce
me semble a son appareil;
- L'
aumosne demander li vueil.
- Sire,
pour la Dieu
amistié, <Ci li chiet aux pieds.>
- De
ce nu vous prengne pitié.
- Donnez
me pour couvrir mon corps,
- Que
Dieu vous soit misericors.
- Vostre
aumosne ne me veez,
- Car
certes plus que ne veez
- Sui
aggrevez.
- PIERRE.
Mon ami, levez sus, levez.
- Je
croy bien que vous dites voir,
- Que
vous estes povre d' avoir;
- Au
moins vous voy j' en petit point,
- Il
me semble, quant n' avez point
- Que
vestir, que c' est grant besoing.
- Tenez,
ce garnement vous doing:
- Pour
l' amour Dieu soit, et vous pri
- Que
vous le vestez sanz detri
- Et
le portez.
- LE
MARINIER. Sire, puis que m'
en enortez,
- Si
le vestiray devant vous.
- Ore
vestu sui, sire doulz.
- S'
il vous plaist, a tant m' en iray
- Et
a Dieu vous conmanderay
- Pour
ore, sire.
- PIERRE.
Vaz. Dieu te gart d' annui
et d' ire,
- Mon
ami doulx.
- LE
MARINIER. Je seray trop folz
et estouz,
- Se
plus dès ores mais m' atir
- A
ce garnement ci vestir,
- Qui
si riche est et si honneste.
- Ne
sui pas digne que le veste;
- Il
m' en vaulra miex l' argent prendre:
- Despoullier
le vueil et le vendre,
- Car
tout plain d' argent en aray,
- Dont
en plus d' un cas m' aideray.
- Sur
m' espaule le vueil porter
- Et
moy ça et la deporter,
- Ne
ne cesseray, que je puisse,
- Jusques
a tant que marchant truisse
- A
qui il siesse.
- LE
MARCHANT. Amis, se ja ne vous
meschiéce,
- Ce
que sur vostre espaule voy,
- Est
ce a vendre? dites le moy.
- Se
m' en voulez faire raison,
- En
l' eure sanz arrestoison
- L'
acheteray.
- LE
MARINIER. Oil, je le vous
venderay,
- Se
voulez, sire.
- LE
MARCHANT. Avant que pris y
vueilliez dire,
- Monstrez
le moy.
- LE
MARINIER. Tenez: il me
plaist bien, par foy;
- Veez
le bien.
- LE
MARCHANT. Je l' ay assez veu.
Combien
- Le
faites vous?
- LE
MARINIER. Je le vous donray,
sire doulx,
- Pour
trente livres.
- LE
MARCHANT. Marie! vous n' estes
pas yvres
- De
le faire, amis, tant d' argent.
- Le
garnement est bon et gent,
- Mais
ne le vueil plus barguignier,
- Car
je n' y voy pas a gaaingnier
- Sur
si grant pris.
- LE
MARINIER. Et de combien ay
je mespris
- A
parler, qu' il vous soit advis?
- Par
amour, faites m' en devis,
- Que
je le sache.
- LE
MARCHANT. Amis, en voulez vous
en tache
- Douze
livres? C' est assez, voir.
- Je
n' en voulroie pas avoir
- Un
tel après pour tant d' argent.
- Octroiez
le moi de cuer gent,
- Car
c' est assez.
- LE
MARINIER. S' a plus grant
pris vous ne passez,
- Ne
l' arez mie.
- LE
MARCHANT. Par la foy que je doy
m' amie,
- Qui
a non bource, c' est assez.
- Je
vous lo que le m' y laissez,
- Sire
compains.
- LE
MARINIER. Certes, ne le
donrray pour mains
- De
vint livres petiz tournois,
- Ou
vendu ne sera des moys,
- Je
vous dy bien.
- LE
MARCHANT. Sa! celle main: je le
retien.
- Sur
ma perche le jetteray
- Jusqu'
a tant que je revenray.
- Venez
ent, ne vous esmaiez:
- Vous
serez en l' eure paiez
- En
bon or fin.
- LE
MARINIER. Alons: je paieray
du vin
- Trop
voulentiers.
- PIERRE.
Galot amis, endementiers
- Que
Dieu me preste espace et temps,
- Je
vueil que tu voises, entens,
- Aux
petiz mesnagers honteux
- De
ceste ville souffretteux,
- Et
cest argent ci leur donrras;
- Et
selon ce que les verras
- Plus
povres, plus euvres tes mains,
- Plus
leur donne, et aux autres mains.
- Or
ne soies fol ny estout:
- Ains
que reviengnes donnes tout,
- Et
a ceulx a qui tu donras
- Humblement
tu leur requerras
- Prier
pour moy.
- GALOT.
Voulentiers, sire, en bonne
foy:
- Je
vois estre vostre aumosnier.
- Certes
n' en retenray denier
- Que
tout ne doingne.
- PIERRE.
Et je m' en vois, ains qu'
en besoingne
- Nulle
me mette, oir la messe
- En
nostre moustier. Egar! qu' est ce?
- N'
est ce pas ci le garnement
- Que
je donnay, n' a pas granment,
- Au
povre qui tout nu estoit,
- Qui
si a mes piez se jettoit
- En
suppliant que li feisse
- Pour
Dieu que je le revestisse?
- Si
est, bien voy qu' il l' a vendu,
- Puis
qu' a ceste perche est pendu;
- Je
ne le vueil plus regarder.
- Au
moustier m' en vois sanz tarder.
- G'
i sui venuz assez a point,
- Qu'
encore n' y chante l' en point.
- Ici
me vueil agenoillier.
- Ne
me scé conment conseillier
- De
la grant tristesce et de l' ire
- Que
j' ay qui si me trouble, sire,
- Que
ne vous puis a droit orer
- Ne
mon cuer tenir de plourer:
- Le
povre revestu avoie,
- Voire,
pour ce que j' esperoie
- Qu'
il le vestist si longuement
- Qu'
il pourroit durer bonnement;
- Et
il l' a vendu sanz demour.
- Elas!
qu' en puis je se je plour
- Et
me trouble, pére benigne,
- Quant
je me voi estre non digne
- Que
m' eust le povre en memoire?
- Ha!
tresdoulx Diex, pére de gloire,
- Ce
me fait au cueur grant annuy.
- Egar!
qu' ay je? Si pesant sui
- Du
courroux qu' en mon cuer ay pris
- Et
du plorer qui m' a surpris
- Que
je ne me puis esveillier.
- C'
est nient: il me fault sommeillier
- En
ceste place.
- DIEU.
Or suz, touz, sus! sanz plus d'
espace
- Descendez
a terre bonne erre.
- Parler
vueil a mon ami Pierre
- Qui
la sommeille.
- PREMIER
ANGE. N' y a nul qui faire ne
vueille
- Vostre
gré, sire.
- NOSTRE
DAME. En alant pensez d' un
chant dire
- Tel
que touz nous puist esjoir
- Et
si hault c' on vous puist oir
- De
tous costez.
- DEUXIESME
ANGE. Dame, toutes voz
voulentez
- Ferons,
c' est droiz.
- TROISIESME
ANGE. Avant, disons entre
nous troys
- Ce
chant ici qui bel me samble.
- RONDEL. Humble
vierge, a qui ne resemble
- Personne
née,
- Par
droit devez estre honnorée
- Plus
que nulle autre, ce me semble,
- Et
miex amée,
- Humble
vierge, a qui ne ressamble
- Personne
née,
- Quant
mére d' omme et Dieu ensamble
- Estes
nommée
- Et
sur touz anges couronnée,
- Humble
vierge, a qui ne ressamble
- Personne
née,
- Par
droit devez estre honnourée.
- DIEU.
Pierre, qui as si la pensée
- Troublée,
pour quoy pleures tu?
- Ce
garnement que j' ay vestu,
- Le
congnois tu point? dy me voir.
- Vestu
l' ay, si te fas savoir,
- Dès
lors qu' au povre le donnas,
- De
quoy m' amour par ce don as:
- Or
ne la pers pas, ny effaces;
- Et
encore te scé grans graces
- De
ce que quant m' as veu nu
- Et
povre, tu m' as revestu
- Si
bonnement.
- NOSTRE
DAME. Il te denonce soutieument
- Que
bien ou mal qu' au povre on fait
- A
li meismes tient qu' il est fait.
- Partons
de ci.
- PREMIER
ANGE. Puis qu' il vous plaist,
soit, dame, ainsi.
- Pardisons
nostre chant ensemble.
- LA FIN DU
RONDEL PRECEDENT. Quant
mére d' omme et Dieu ensemble
- Estes
nommée
- Et
sur touz anges couronnée,
- Humble
vierge, a qui ne ressamble
- Personne
née,
- Par
droit devez estre honnourée.
- PIERRE.
Ha! sire Diex, estre loée
- Doit
bien vostre benignité
- De
moy, qui sui en verité
- Plus
grant pecheur que ne puis dire.
- Benoiz
soient les povres, sire!
- Si
sont il, quant tant les amez
- Qu'
amis et fréres les clamez,
- Et
quant aucun bien on leur fait.
- A
vous le tenez estre fait.
- Et
puis que les avez si chier,
- Certes
mon avoir depeschier
- Vueil
si que je ne fineray
- Tant
que povre conme eulz seray.
- D'
aler m' en me vueil appartir,
- Et
tout mon meuble departir
- Et
donner, sanz rien possesser;
- D'
estre riche me vueil cescer. <Ici fait un po de pose et vient a sa
maison.>
- Aussi
que d' un costé depart
- Mon
clerc, je m' en vois d' autre part
- Ceci
pour Dieu distribuer.
- Mon
estat vueil du tout muer
- Et
povre homme estre.
- GALOT.
Mon sac puis bien jus aler
mettre:
- N'
y est demouré d' argent goute
- Que
tout ne soit donné sanz doubte.
- Je
vois savoir qui est leens.
- Egar!
il n' a ame ceens.
- Puis
qu' ainsi est, ci me tenray
- Et
mon seigneur attenderay
- Tant
qu' il reviengne.
- PIERRE.
Plaise a Dieu que si bien me
viengne
- Du
mien que vien de departir
- Qu'
a sa gloire puisse partir:
- Si
aray lors vraie richesce.
- Egar!
es tu ci, Galot? qu' est ce?
- Est
tout donné?
- GALOT.
Oil, certes, c' est tout
finé.
- J'
ay trouvé de povreté tant
- Que,
se l' estoie racontant,
- Ne
seroit nul qui vous tenist
- Que
plourer ne vous convenist
- De
pitié pour la povreté
- Que
j' ay veu en verité;
- Car
en tel mesnage esté ay
- Ou
pain ne paste ne trouvay,
- Mais
que cinq enfans et le pére
- Tous
gisans et la povre mére.
- Et
savez conment il gisoient?
- Q'
un po de viez paillier n' avoient
- Qu'
il ne fussent a terre plate,
- Et
couvers d' une vielle nate.
- Ne
scé conment peuent durer,
- Ne
la povreté endurer
- Qu'
il endurent, ne la souffraite.
- Certes,
noble aumosne avez faicte,
- Sire,
au jour d' ui.
- PIERRE.
Mais qu' en gré le prengne
celui
- Pour
qui je l' ay fait, bien me plaist.
- Galot,
laisson ester ce plait:
- Je
t' ay bien a dire autre chose;
- Mais
avant que la te propose,
- Tu
me jureras par ta foy
- Que
personne nulle par toy
- Ne
le sara.
- GALOT.
Mon seigneur, ce qu' il vous
plaira
- Feray
de cuer, g' i sui tenuz;
- Je
vous jur par ma foy que nulz,
- Tant
com vive, ne sara, sire,
- Ce
qu' en secré me voulez dire,
- Quant
le saray.
- PIERRE.
Galot, et je le te diray
- Tout
premiérement: tu scez bien
- Que
come mon serf je te tien,
- Et
pour ce, se ne m' obeis
- Aussi
bien conme onques feis
- Et
ne fais ce que te diray,
- Saches
que je te venderay,
- En
servitute greve et pesme,
- Aux
barbarans: telle est mon esme;
- Et,
se tu fais ma voulenté,
- Du
mien te donray a planté
- Et
te lairay, a brief parler,
- Dès
ores mais con frans aler
- Sanz
plus cerf estre.
- GALOT.
Or vous plaise a moy dire,
maistre,
- Yci
endroit sanz plus d' espace
- Que
c' est que voulez que je face;
- Je
vous em pri.
- PIERRE.
Je le te diray sanz detri.
- En
ce sac ci a vint mars d' or
- Que
je te doin, c' est biau tresor;
- Si
vueil que tu les monteploies
- Et
qu' en denrées les emploies;
- Quant
bien emploiez les aras,
- En
Jherusalem les menras
- Et
moy aussi sanz point d' atente,
- Car
ne pourra estre, a m' entente,
- Que
n' y prouffites et amendes;
- Et
la vueil je que tu me vendes,
- Et
l' argent que tu en prenras
- Aux
povres pour Dieu le donras
- Sanz
le plus dire.
- GALOT.
Diex! qu' est ce que me
dites, sire?
- Vous
voulez que je mal vous rende
- Pour
bien, qui voulez que vous vende.
- Je
seroye bien plain de rage
- Se
vous faisoie tel oultrage.
- Autre
vendeur que moy querez,
- Que
de ce que me requerez
- Ne
feray rien.
- PIERRE.
Ne feras? et je te dy bien,
- Tu
y aras si grant pechié
- Qu'
il t' iert devant Dieu reprouchié.
- Oultre,
quant ne me venderas,
- Je
te promet vendu seras.
- Or
regarde se plus envie
- As
d' estre serf toute ta vie,
- Povre,
et vivre en maleurté
- Que
d' estre a richesce ahurté
- Et
franc aussi.
- GALOT.
Sire, puis qu' il vous plaist
ainsi,
- Je
feray tout vostre devis,
- Mais
sachiez je le fas envis.
- ça,
s' il vous plaist, ainsi ferons;
- En
Jherusalem en irons.
- De
vous vendre me peneray
- Et
puis quant vendu vous aray
- Quanque
pour vous aray d' argent
- Je
vous jur qu' a la povre gent
- Sera
donné.
- PIERRE.
La vueil je qu' il soit
assené
- Sanz
ailleurs estre departi,
- Mon
ami Galot, et parti
- Tant
seulement; il me souffist.
- Alons
men; celi qui nous fist
- Nous
soit conduit de sauveté;
- Et
puis que fais ma voulenté,
- Par
ceste clef ci en pur lais
- Tout
mon avoir te doing et lais:
- Quant
ici retourné seras,
- Conme
le tien le prenderas,
- Je
m' y accors.
- GALOT.
Piteux, doulx et misericors
- Vous
soit Diex, sire, de ce don,
- Et
de ce bienfait guerredon...
- Ore
de tout ce parle l' en.
- Nous
entrons en Jherusalem.
- Quel
le ferons?
- PIERRE.
En plain marchié nous en
irons
- Et
la nous tenrons une piéce
- Jusqu'
a tant que marchant eschiéce
- Qui
me requiére.
- GALOT.
Alons, et soit en la maniére
- Fait,
sire, que vous devisez.
- Nonpourquant
me sui advisez
- D'
un paien qui en ceste ville
- Demeure,
c' on nomme Zoile,
- Qui
est homme de grant richesce
- Et
courtois et plain de noblesce
- Et
si est homme de puissance.
- J'
ay bien a li de congnoissance
- Tant
que, se passer le veoie,
- De
nostre fait li parleroye
- Qu'
avons a faire.
- PIERRE.
S' il est homme de bon
affaire,
- Je
voulroie bien qu' en parlasses
- Afin
que tu me delivrasses
- D'
estre vendu.
- GALOT. N'
avons q' un po ci attendu;
- Soions
y encore un po d' eure,
- Et
j' enquerray ou il demeure
- Au
premier venant cy par foy.
- E!
sanz doubte venir le voy.
- Je
ne scé ou il tent aler,
- Mais
je m' en vois a li parler.
- Mon
seigneur, ici m' attendez.
- Sire,
quel part aler tendez?
- Dites
le moy.
- ZOILE.
E! Galot, es tu ci? par
foy,
- Bien
veignant! Tu es en bon point,
- Ce
me semble; ne me mens point:
- Qui
t' a fait ton pais laissier
- Et
en ceste ville adressier
- Et
venir ci?
- GALOT.
La cause, sire, vez la ci.
- Pour
voir vous puis donner entendre
- J'
ay un mien serf que je vueil vendre:
- Je
vous lo que vous l' achetez,
- Et
se l' avez, ne vous doubtez,
- Qu'
il vous sera bien prouffitable,
- Car
loiaux est et veritable.
- Il
aime Dieu sur toute rien
- Et
le sert conme crestien:
- Si
vous di bien que qui l' ara
- Tel
qu' il est vivre le laira,
- Sanz
li tant soit po oppresser
- Qu'
a sa loy vueille renoncer
- N'
a sa creance.
- ZOILE.
Se ton Dieu te gart de
meschance,
- Est
il tel com tu le m' enortes?
- De
m' en dire ne te deportes
- La
verité.
- GALOT.
Je vous jur, par ma loyauté,
- Que
se l' avez dedanz brief terme,
- Diex
pour lui, je le vous afferme,
- Voz
besongnes si bien fera
- Et
voz biens montepliera
- Tant
qu' en serez touz merveilliez.
- Si
vous conseil que le vueilliez
- Par
achat prendre.
- ZOILE.
Et combien le voulras tu
vendre?
- Di:
je t' orray.
- GALOT.
Pour cent besans le vous
donray,
- Sire,
se l' i voulez avoir.
- Prenez
l' i, que, sachiez de voir,
- Il
les vault bien.
- ZOILE.
Galot, et je vueil qu' il
soit mien
- Pour
le grant bien que tu m' en dis.
- Or
ça, paier te vueil tandis
- Que
j' ay espasce.
- GALOT.
Et j' ouverray tantdis ma
tasse
- Pour
les mettre que compterez.
- Certes
de li vous louerez
- En
la parfin.
- ZOILE.
Vezci cent besans touz d'
or fin,
- Galot
amis, que je te baille.
- Or
les comptes, que riens n' y faille
- Que
tout n' i soit.
- GALOT.
Voulentiers: qui argent
reçoit,
- Il
le doit une foiz compter
- Pour
savoir qu' ait tout sanz doubter.
- Sire,
aussi que sui bien paiez
- Vueil
je qu' a moy vous apaiez,
- Et
vous pri que par vostre gré
- Deux
moz parle a li en secré
- Ici
sanz vous.
- ZOILE.
Il me plaist bien, mon ami
doulx:
- Parlez
ensemble.
- GALOT.
Ore, mon seigneur, il me
semble
- Que
pechier m' avez fait griément,
- Quant
par vostre conmandement
- Et
a ce vous avez tendu,
- Qu'
ici vous ai con serf vendu.
- S'
estre escondit voir m' en peusse,
- Dieu
scet voulentiers fait l' eusse;
- Mais
par menaces si destraint
- M'
avez que j' ay esté constraint
- D'
obeir vous conme a mon maistre;
- Et
puis qu' ainsi fault la chose estre
- Que
povre et serf voulez pour Dieu
- Vivre
ci en estrange lieu
- Et
qu' a ce vous vous adonnez,
- Je
vous pri que me pardonnez
- Ce
qu' ay mespris.
- PIERRE.
Galot amis, mais moult t' en
pris
- Et
t' en scé bon gré vraiement.
- D'
une chose tant seulement
- Te
pri: que le temps pas n' eslongnes
- Que
tout l' argent pour Dieu ne dongnes
- Et
de toy partir tost ne cesses.
- Baise
moy, et a tant me laisses
- Sanz
riens plus dire.
- GALOT. Puis
qu' il vous plaist, voulentiers. Sire,
- Vezci
Pierre que je vous livre
- Com
vostre serf, et m' en delivre.
- Pierre,
plus a moy ne serez:
- A
ce seigneur ci demourrez,
- Il
esconvient.
- PIERRE.
Il me plaist bien, puis qu'
a ce vient;
- Mais
de ce que convent m' avez
- Faites
en si ce que devez
- Qu'
en soiez quittes.
- GALOT.
Pierre, mon chier ami, bien
dites:
- Si
feray je, se Dieu me voie.
- D'
aler m' en me vueil mettre en voie,
- Sire:
il est temps.
- ZOILE.
Galot, je n' y met nulz
contens
- Que
tu ne t' en puisses aler,
- Soit
ore ou ja, a brief parler,
- Puis
que le veulz.
- GALOT.
Je vous di a Dieu a touz
deux;
- Et
si m' en vois.
- ZOILE.
Or vas: que le Dieu ou tu
croiz
- Te
soit amis.
- PIERRE.
Puis qu' a vous servir sui
conmis,
- Sire,
s' il vous plaist, regardez
- De
quoy serviray; ne tardez
- Que
ne le sache.
- ZOILE.
En la cuisine a une hache,
- Pierre,
ou coingnie; alez la prendre,
- S'
en alez de la buche fendre,
- Et
si escurez les vaissiaux.
- Quant
arez fait, prenez deux seaulx
- Qui
y sont, et s' alez bonne erre
- De
l' iaue a la fontaine querre;
- Quant
laissives faire fauldra,
- Faire
aussi les vous convenra,
- Car
je le vueil.
- PIERRE.
De faire du tout vostre
vueil
- Vois
penser, mon seigneur et maistre.
- En
la cuisine me vois mettre
- Que
m' avez dit.
- ZOILE.
Tant com ferez sanz
contredit
- Mon
vouloir, tant arez vous paiz.
- Or
alez besongnier huymais
- Bien
et forment.
- PIERRE.
Hé! biau sire Diex, et
conment
- Pourray
servir a gré cest homme
- Qui
m' a chargié de si grant somme
- Porter
et faire chascun jour
- Continuelment
sanz sejour,
- Ou
lourdement seray repris?
- Sire
Diex, ne l' ay pas appris.
- Or
me donne par ta puissance
- En
cest estat avoir plaisance;
- Car
pour toy me sui asservi
- Et
devenu serf, qui servi
- Soloie
estre moult grandement;
- Et
puis qu' il me fault telement
- Servir
en la cuisine et estre,
- Je
m' y vois ordener et mettre
- Pour
besongnier.
- PREMIER
COMPéRE. Qu' est ce la,
compére Maugier?
- Je
vous truis ici bien a point.
- Ou
alez vous? n' en mentez point,
- Dites
le moy.
- DEUXIESME
COMPéRE. Compére Guillaume, par
foy,
- M'
entente estoit d' aler aux champs
- Oir
des oisillons les chants.
- Vous,
ou alez?
- PREMIER
COMPéRE. Maugier, vous
savez et valez
- Bien
tant que je le vous diray,
- Ne
plus ne le vous celeray,
- Et
ce que vous di c' est acertes.
- J'
ay trop grant desir d' aler, certes,
- Com paumier en Jerusalem,
- En Nazareth, en Bethleem,
- Et
en touz les autres sains lieux
- Ou
fut et ou mort souffri Dieux;
- Et
si sachiez qu' il m' est advis,
- Se
ne fas ce que je devis,
- N'
aray ja bien.
- DEUXIESME
COMPéRE. Ore, biau compére,
combien
- A
il, se Dieu vous doint santé,
- Que
vous vint ceste voulenté?
- Dites
le moy.
- PREMIER
COMPéRE. Compére, foy que
je vous doy,
- Il
a bien demi an passé.
- Voir,
tant qu' aie la mer passé
- Ne
seray aise.
- DEUXIESME
COMPéRE. Ore je vous pri qu' il
vous plaise,
- Compére,
qu' avecques vous voise.
- Nous
irons plus en paiz sanz noise
- Nous
deux, puis que compéres sommes,
- Que
s' estions estranges hommes,
- A
dire voir.
- RAINFROY.
Biaux seigneurs, parlez vous d'
avoir
- L'
imposicion par enchiére?
- Il
me semble que faites chiére
- Je
ne scé quelle.
- PREMIER
COMPéRE. Voisin, nostre
parole est telle
- Que
nous nous voulons pourveoir
- D'
aler le sepulcre veoir
- Ou
Dieu fu mis.
- RAINFROY.
Et je vous pri, mes chiers amis,
- Que
je face avec vous le tiers;
- Car
n' est lieu ou si voulentiers
- Que
la alasse.
- DEUXIESME
COMPéRE. Qui plus pour Dieu se
paine et lasse,
- Et
plus acquiert merite grant.
- Je
lo que nous soions engrant
- D'
aler nous ordener touz trois
- Et
que chascun prengne la crois,
- Housse,
chappel, bourdon aussi.
- Puis
attendons l' un l' autre ci
- Pour
aler ent.
- PREMIER
COMPéRE. Je m' y accors
certainement
- Pour
ici bien tost retourner
- Vestir
me vois et atourner
- En
autre estat.
- DEUXIESME
COMPéRE. Et je, sanz plus faire
restat,
- M'
en voys aussi.
- RAINFROY.
Si feray j', et si pense ici
- Aussi
tost con nul de vous estre.
- N'
ay pas moult a faire a moy mettre
- En
estat d' omme pelerin:
- Ne
me fault porter par chemin
- Qu'
un po de robe.
- PREMIER
ESCUIER. Sire, vostre
fermier Macrobe
- Vous
envoie cest argent ci,
- Et
si vous fait savoir ainsi
- Que
Mahon bien loer devez,
- Car
plus de bien cest an avez
- Que
n' avez en six ans eu;
- Conment
sont tant ouan creu
- A
grant merveille.
- DEUXIESME
ESCUIER. S' il est preudomme,
ne s' en dueille,
- Car
noz diex font venir sur terre
- Deffaulte
de biens et grant guerre
- Quant
leur plaist, et aussi saison
- De
paiz et de biens grant foison
- Font,
quant veulent, par le pais,
- Si
que n' en soit ja esbahis:
- Ne
le fault mie.
- PIERRE.
<en alant a l' yaue.> Jhesus,
Jhesus, filz de Marie
- En
qui j' ay mis m' afeccion,
- Mon
desir, ma dileccion
- Si
que pour toy me sui fait vendre,
- Ha!
sire, vueillez en gré prendre
- La
paine que j' ay et la haire
- Qu'
endurer me convient et traire
- En
escurer et en froter,
- En
souvent de l' iauue apporter
- A
mon col, conme ore en vois querre.
- Pour
ce, doulx Dieu, vous veuil requerre
- Que
regardez piteusement
- Ce
que je fas benignement
- Pour
vostre amour.
- ZOILE.
Dites moy, seigneurs, sanz
demour,
- N'
est ce pas Pierre, mon serf, la,
- A
ces deux seaulx? je crois qu' il va
- De
l' yaue querre.
- PREMIER
ESCUIER. Se fait mon,
sire. Oil, c' est Pierre,
- Le
vallet de vostre cuisine.
- Certes,
il y est trop bien digne:
- Touz
jours torche ou escure ou frote,
- Et
si n' a riens que celle cote
- Qu'
il a vestu.
- DEUXIESME
ESCUIER. Je le tien a un fol
testu,
- Et
vous diray raison pour quoy.
- Souvent
de nuiz le truis et voy
- Qu'
en jesir prent plus grant delit
- A
terre pure qu' en son lit.
- Après
en barbetant il pleure,
- Et
puis de sa main une autre heure
- Faist
ainsi de foiz plus de vint. <En faisant la croiz.>
- Ne
sçay de quel pais il vint,
- Ne
quel gent le norrirent, sire;
- Mais
tant y a, ce vous puis dire,
- Pour
chose c' on li die ou face,
- Nullui
ne fiert ne ne menace,
- Ne
ne fait annuy ne contraire,
- Mais
conme un droit fol debonnaire
- Qui
n' est pas hors du sens, mais sot,
- Ou
conme un enfant ydiot,
- Tout
en gré prent.
- ZOILE.
Tant plus celle ou celui
mesprent
- Qui
de faire chose se paine
- De
quoy le courrouce n' ataine;
- Ne
le vueil mie.
- PIERRE.
Ha! tresdoulce vierge Marie,
- Au
sauvement de m' ame vaille
- Ce
que mon corps peine et travaille,
- Si
que de ce siecle muable
- Au
repos viengne pardurable
- De
paradis.
- ZOILE.
Or entendez, seigneurs,
tantdis
- Qu'
oyseux vous voy et de loisir.
- Alez
vous en, c' est mon plaisir,
- Garder
au port qu' ame ne passe
- Par
dedeça qui ne me face
- Ce
qu' il doit faire.
- PREMIER
ESCUIER. Sire, sire, de
cest affaire,
- Ne
doubtez, bien nous chevirons.
- Quanqu'
il venra vous admenrons,
- Femmes
et hommes.
- DEUXIESME
ESCUIER. Ce ferons mon: trop
ici sommes.
- Alons
ça et la regarder
- Partout
et sur le port garder
- Qu'
ame ne passe.
- PIERRE.
Puis que j' ay maintenant
espace,
- Combien
qu' entre Sarrazins soie
- Vestuz
de draps d' or et de soie,
- Sanz
plus ci endroit demourer
- M'
en vois la mon Dieu aourer
- Et
a li seul mon cuer ouvrir
- Et
ma pensée decouvrir.
- Sire
Diex, pére omnipotent,
- A
qui mon cuer par desir tent,
- Je
vous aour, je vous salu,
- Et
vous aussi, tresdoulx Jhesu,
- Fil
seul eternel Dieu le pére,
- Et
vous, Marie, vierge mére,
- Touz
ensemble et chascun par soy,
- De
ce que maintenant je voy
- Que
je sui a l' estaz venuz
- Que
conme povre sui tenuz,
- Qui
n' ay mais nulz biens terriens;
- Mais
de ce ne m' est il a riens,
- Tresdoulx
Dieux, mais que t' amour aie.
- T'
amour? Las! le cuer trop m' esmaie
- Conment
je la pourray avoir,
- Car
trop mondain ay esté, voir.
- Mais,
sire, quant je me recorde
- De
ta doulce misericorde
- Qui
est sanz fin, lors ma fiance
- S'
aferme en toy et m' esperance.
- Pour
ce ne me vueil plus complaindre,
- Mais
mon livre vueil ci ataindre
- Et
le dire, soit gaing ou perte,
- Avant
que de ci me departe:
- Telle
est m' entente.
- DIEU.
Mére, et vous touz, sus: sanz
attente
- Encore
vueil la jus aler
- A
Pierre mon ami parler.
- Or
jus, bonne erre.
- NOSTRE
DAME. Sire, qui creas ciel et
terre,
- Touz
ferons ce que conmandez.
- Anges,
a chanter entendez
- Bien
en alant.
- PREMIER
ANGE. Dame, n' en soiez plus
parlant:
- Chascun
de nous a grant desir
- De
faire tout vostre plaisir.
- Avant:
chantons.
- DEUXIESME
ANGE. C' est raison: nous
qui frequantons
- Avec
Dieu continuelment,
- Or
sus, chantons joyeusement
- Et
par leesse.
- ZOILE.
Egar! par Mahon mon Dieu,
qu' est ce?
- Quelle
part demeurent ne hantent
- Ceulx
qu' ay oy qui si bien chantent?
- Savoir
me convient qui il sont:
- Il
me semble que par la vont.
- Onques
mais si doulz chant n' oy.
- Il
m' ont si le cuer esjouy
- Que
je les vueil aler veoir.
- Egar!
Pierre voy la seoir,
- Mon
serf. De quoy me sert il la?
- Homme
ne femme entour li n' a.
- Un
po plus près m' aproucheray
- Et
ce qu' il y fera verray
- Sanz
mot nul dire.
- DIEU.
Oste toy de tristesce et d' ire,
- Pierre
amis, et fay bonne chiére.
- Entre
moy et ma mére chiére
- Te
venons veoir en secré.
- Saches
que je te scé bon gré
- Du
garnement que devestis
- Et
qu' au povre tu departis;
- Et
si fas j' aussi, chiers amis,
- De
ce qu' en vente tu t' es mis,
- Quant
donner tu as fait l' argent,
- Pour
m' amour, a la povre gent;
- Si
ne te courrouce ne troubles:
- Rendu
te sera a cent doubles
- En brief termine.
- NOSTRE
DAME. Or persevére, Pierre, et
fine
- En
la grace qu' as conmencié.
- Ne
soit pas ton estat laissié:
- Il
t' a fait ami et affin
- De
Dieu. Pour ce jusqu' en la fin
- Y
persevére, et tu seras
- Sauvez
et sanz fin gloire aras.
- C'
est noble don que te present.
- Partons
de ci quant a present,
- Il
en est temps.
- PREMIER
ANGE. Dame, nous ferons sanz
contemps
- Vostre
plaisir, il est raisons.
- Ce
chant en ralant pardisons
- Qu'
avons empris.
- ZOILE.
Qu' est ce ci? Je n' ay
point apris
- A
oir telle melodie.
- Que
peut c' estre? ne scé qu' en die.
- Je
croy qu' esperiz des cieulx sont
- Qui
par cy deduisant s' en vont.
- Voulentiers
ay oy leurs vois,
- Mais
nul n' en ay veu ne voiz,
- Combien
que moult y ay tendu;
- Et
si ay je bien entendu
- Que
jusqu' a mon serf sont alé,
- Voire,
et si ont a li parlé.
- Je
ne say se son Dieu seroit
- Qui
d' aucune chose l' aroit
- Enorté
ou admonnesté;
- Car
je tien bien pour verité
- Qu'
il est un saint homme en sa loy,
- Et
si voy que pour la grant foy
- En
quoy son Dieu pour moy deprie
- Mes
biens accroist et monteplie,
- Et
je li pense a restorer.
- Ores
encor le lais orer
- Et
m' en revois.
- PIERRE.
Sire Dieu, qui scez et qui
vois
- Les
pensées des humains corps
- Aussi
bien ou cuer com dehors,
- De
ta grant consolacion
- Et
de ta visitacion,
- Sire,
je te lo et mercy.
- Pour
ore m' en revois de cy
- En
ma cuisine.
- RAINFROY.
Ains que je cesse mais ne fine,
- Au
lieu m' en vueil aler et mettre
- Ou
assembler devons et estre
- Nous
troys qui au sepulcre irons
- Et
dont ensemble partirons.
- E!
Diex, il m' est bien advenu,
- Quant
me voy le premier venu.
- Ci
endroit tout coy me tenray
- Et
les autres attenderay
- Sanz
moy mouvoir.
- PIERRE.
Mon chier seigneur, je vieng
savoir
- Se
vous voulez que riens vous face,
- Tantdis
qu' ay loisir et espace.
- Car
j' ay tout fait, sachiez de voir,
- Ce
qu' a faire pouoie avoir
- En
la cuisine.
- ZOILE.
Pierre, pour vostre bon
convine
- Et
pour vostre vie parfaitte,
- Je
vueil que grace vous soit faitte
- Telle
que je vous vueil oster
- De
paine et du tout hors bouter
- De
servitude a touz jours mais,
- Et
que vivés dès ores mais
- Avec
moi conme ami et frére;
- Car
je voy, et est chose clére,
- Que
pour la vostre grant bonté
- En
richesse sui amonté
- Plus
que ne sueil.
- PIERRE.
Sire, desdire ne vous vueil;
- Mais,
las! que pourrez miex valoir
- De
moy, qui n' ay riens que voloir?
- Nient
voir, ne dites plus ainsi,
- Chier
sire, mais je vous mercy
- De
la grant honneur que m' offrez,
- Et
vous suppli que me souffrez
- En
cest estat user ma vie,
- Car
d' autre avoir n' ay point d' envie:
- Ainsi
vueil vivre.
- ZOILE.
Pierre, tu es ou fol ou
yvre,
- Qui
aimes miex a soulart estre
- Povre
qu' en bon estat toy mettre
- Et
honnorable.
- PIERRE.
Ce que ce monde voy muable,
- Cheant
d' eur en meseur,
- Et
c' on n' y vit point asseur,
- Ainçois
n' y a que vanité,
- Le
me fait faire, en verité;
- Et
pour ç' aussi que je scé bien
- Que
l' estat ou je sui, combien
- Que
il soit vil, a mon Dieu plaist,
- Ne
vueil je point d' autre: a court plait,
- Il
me souffist.
- ZOILE.
Je ne scé quel homme te
fist,
- Mais
de ce que dis me merveil.
- Puis
qu' ainsi est, fay a ton vueil
- Dès
ores mais.
- PIERRE.
Je m' en vois avancier
huymais
- Vostre
diner.
- PREMIER
COMPéRE. Compére, qui de
cheminer
- Vous
hastez, ci attendez moy:
- En
la place alez, bien le voy,
- Si
fas j' aussi.
- DEUXIESME
COMPéRE. Egar! compére, estes
vous ci?
- J'
avoie, par saint Honnouré,
- Doubte
d' avoir trop demouré;
- Mais
a ce que voy non ay pas.
- Alon
savoir nous deux bon pas
- S' i est
Rainfroy.
- PREMIER
COMPéRE. Alons. Marie! je
l' i voy
- Ou
nous attent.
- DEUXIESME
COMPéRE. Je tien que de grant
vouloir tent
- Au
voiage, a ce que je voy.
- N'
avez pas oblié, Rainfroy,
- A
tost venir.
- RAINFROY.
Non voir: ci m' avez fait tenir
- Une
grant piéce.
- PREMIER
COMPéRE. Or avant, mais que
chascun siesse.
- N'
attendons qu' ame nous convoie,
- Mais
mettons nous d' aler en voie:
- C'
est nostre miex.
- DEUXIESME
COMPéRE. C' est bien dit. Alons
men. Que Diex
- Nous
conduie par sa bonté
- Et
ramener a sauveté
- Nous
vueille a joye.
- RAINFROY.
Amen! Alons par ceste voie;
- Puis
que partons de ci endroit,
- C'
est nostre chemin le plus droit
- Qu'
aler puissons.
- PREMIER
COMPéRE. Soit, et d' aler
nous avançons;
- Et
si vous pri courtoisement
- Nous
maintenons et sagement
- Sanz
trop parler.
- PREMIER
ESCUIER. Seigneurs, je
vous deffens l' aler,
- Et
si met la main en vous touz.
- Sa!
dites moy, ou alez vous
- Entre
vous troys?
- DEUXIESME
COMPéRE. Sire, nous avons pris la
crois
- Conme
devoz et enterins
- Crestiens,
et com pelerins
- Alons,
ce sachiez, visiter
- Le
saint sepulcre sanz doubter,
- S'
il plaist a Dieu.
- DEUXIESME
ESCUIER. Vous ne passerez point
ce lieu
- Jusqu'
a tant, ne vous esmaiez,
- Qu'
a mon seigneur parlé arez
- Et
que paié vostre treuage
- Li
aiez. Sanz vous faire oultrage,
- Sanz
crier ne faire haro,
- Venez
a li, je le vous lo;
- Il
l' esconvient.
- RAINFROY.
Alons y donc, puis qu' a ce vient,
- Et
ne soions point esbahiz,
- Puis
que tel est de ce pais,
- Seigneurs,
l' usage.
- PREMIER
COMPéRE. Puis que ce n' est
que pour treuage
- Paier,
ne m' en chaut pas granment:
- A
vostre seigneur vistement
- Dont
nous menez.
- PREMIER
ESCUIER. Voulentiers:
après moy venez.
- Je
ne vous pense point tenir,
- Puis
que je vous y voy venir
- De
bon courage.
- DEUXIESME
ESCUIER. Sire, pris avons au
passage
- Ces
troys hommes ci qui se font
- Pelerins
et dient qu' il vont
- Au
sepulcre leur Dieu prier.
- Conmandez
leur sanz detrier
- Paier
leur deu.
- ZOILE.
Seigneurs, il me fault mon
treu
- Ainçois
que plus avant ailliez;
- Et
se de paier me failliez,
- N'
irez point oultre.
- DEUXIESME
COMPéRE. Mais c' on nous die ou
c' on nous moustre,
- Sire,
que nous pouons devoir,
- Nous
en ferons vostre vouloir
- Chascun
de nous.
- ZOILE.
Or me dites: dont estes
vous?
- Ce
vueil savoir.
- RAINFROY.
De Chippre, sire, a dire voir,
- Nez
d' une noble ville et grosse,
- Qui
appellée est Famagosse
- Et
est cité.
- ZOILE.
C' est voir, seigneurs; g'
y ay esté
- Plusieurs
foiz quand je marchandoie.
- Mains
riches draps d' or et de soie
- Y
ay eu.
- PIERRE.
Mon seigneur, ne me soit
teu,
- Dites,
voulez vous desjuner?
- Tout
est prest pour vostre diner
- En
la cuisine.
- ZOILE.
Je t' oy bien ta parole
fine.
- Vaz
nous querre du vin bonne erre;
- Et
toy, vas les espices querre
- Dont
ces pelerins mengeront,
- Voire,
et si se reposeront
- Endementiers.
- PREMIER
ESCUIER. Sire, par Mahon,
voulentiers
- Sanz
tarder point.
- PREMIER
COMPéRE. Compére, avez
regardé point
- Celi
qui est alé au vin?
- Par
le corps de moy, je devin
- Que
ce soit Pierre le changeur,
- Que
nous appellions paageur;
- Trop
bien li semble.
- DEUXIESME
COMPéRE. Par foi, compére, il le
me semble
- De
tant con je l' ay regardé.
- Se
c' est il, ne s' est pas fardé,
- Car
de visage est megre et sec
- Trop
malement, et pale avec
- Et
empiré.
- RAINFROY.
ç' a esté bien homme adiré,
- C'
on ne scet qu' il pot devenir.
- Or
paiz: vez le ça revenir.
- Ne
disons mot, mais regardons
- Conment
cognoistre le pourrons
- A
sa façon.
- PIERRE.
J' aporte de vostre boiçon,
- Ne
vous desplaise, mon seigneur,
- Pour
vostre honneur faire greigneur
- Devers
ces gens.
- ZOILE.
Ce vueil j'. Or tost, com
diligens,
- Escuier,
un hanap prenez
- Et
a chascun boire donnez:
- Il
versera.
- DEUXIESME
ESCUIER. Je feray ce qui vous
plaira,
- Sire,
il appartient et est droiz.
- Seigneurs,
auquel d' entre vous trois
- Donray
premier?
- PREMIER
COMPéRE. A vostre seigneur,
ami chier:
- Il
appartient.
- ZOILE.
Sa! puis que boire me
convient,
- Je
buvray pour l' amour de vous.
- J'
ay fait. Or buvez aussi touz.
- Avant:
ce pot que tu tiens baille
- A
l' escuier, vaille que vaille,
- Et
me vas querre, avoir en vueil,
- De
l' autre qui est plus vermeil.
- Or
vas bonne erre.
- PIERRE.
Voulentiers vous en iray
querre,
- Puis
qu' en voulez.
- DEUXIESME
COMPéRE. Seigneurs, ou je sui
affolez,
- Ou
c' est Pierre certainement.
- Je
sui bien esbahi conment
- Est
en ce point.
- ZOILE.
Biaux seigneurs, ne me
mentez point:
- Aussi
que touz pensis vous voy;
- Dites
moy, par amour, de quoy
- Vous
merveilliez.
- RAINFROY.
Chier sire, appaisier vous
vueilliez,
- Que
certes, s' en erreur ne sommes,
- Il
vous sert un des riches hommes
- Et
des gens de nostre pais.
- C'
est de quoy sommes esbahiz,
- Qu'
il sert ainsi.
- PREMIER
COMPéRE. Souffrez vous,
mais que viengne ci.
- Certainement
je le tenray,
- Et
de l' empereur li diray
- Conment
le desire a avoir;
- Car
moult l' amoit, a dire voir,
- Et
avoit chier.
- PIERRE.
Conment me pourray
depeschier?
- Vray
Diex, j' ay bien apperceu
- Que
ces gens ci m' ont cogneu.
- Ne
m' en merveil en verité,
- Car
ilz ont mes voisins esté.
- Proposé
ont qu' il me tendront
- Au
retourner, mais il fauldront
- Certainement
a leur entente,
- Car
de ci m' en vois sanz attente
- La
ou Diex me voulra mener
- Sanz
y plus jamais retourner.
- La
fille mon seigneur voy la,
- Qui
encore onques ne parla:
- Mercier
la vois des biens faiz
- Qui
m' ont par son pére esté faiz.
- Ma
chiére dame, a vous vien ci
- Congié
prendre, et si vous merci
- De
voz biens, sanz plus dire, mais
- Je
tien ne me verrez jamais;
- Car,
pour plus grace desservir,
- Ailleurs
m' en vois mon Dieu servir,
- A
qui seul tout mon cuer ottroy,
- Et
li pri, si con je le croy,
- Estre
vray Dieu sur touz les Diex,
- Qu'
il vous regart de ses doulx yex
- Et
sur vous si sa grace estende
- Qu'
en brief la parole vous rende,
- Si
qu' aiez cause de venir
- A
baptesme et sa foy tenir.
- A
Dieu, dame! Portier amis,
- Ou
nom de Jhesu qui fu mis
- Pour
nous en croiz, ne te deporte
- Qu'
en l' eure ne m' euvres la porte,
- Car
issir vueil.
- LE
PORTIER. Sire, je feray
vostre vueil
- De
voulenté grant et apperte.
- Regardez,
sire, elle est ouverte:
- Ysterez
vous?
- PIERRE.
Oil. A Dieu, mon ami doulx,
- Qui
t' ait en garde!
- LE
PORTIER. Avant que jamais
plus je tarde,
- A
mon seigneur vois sanz doubter
- Dire
de Pierre, et li compter
- Conment
le pert.
- LA FILLE. Mon
seigneur mon pére, or appert
- De
vostre serf et cuisinier
- La
bonté, ce puis tesmoingnier.
- Regardez
que vous en ferez:
- Il
dit que plus ne le verrez
- Et
qu' ailleurs va son Dieu servir
- Pour
miex sa grace desservir
- Et
son amour.
- ZOILE.
Fille, dites moy sanz
demour
- De
quoy ne par qui tant valez
- Qu'
ainsi bien con je fas parlez.
- Ne
parlastes puis que nasquistes
- Que
maintenant: dont vient ce? dites
- Tost
sanz songier.
- LE
PORTIER. Sire, celi sanz
mençongier
- Qui
ceens d' escurer servoit
- Les
vaissiaux et les draps lavoit
- S'
en va du tout.
- ZOILE.
Sueffre tant que ma fille
au bout
- Soit
de ce que veult raconter.
- Avant:
vueillez me voir compter,
- Ma
belle fille.
- LA FILLE. Ne
cuidez point que vous babille
- Mençonge,
pére. Voir diray
- Certes
le miex que je pourray.
- Quant
Pierre par devers moy vint
- Et
qu' a moy parla, il advint
- Que
de sa bouche vi issir
- Une
grant flame, qui ferir
- Se
vint en ma bouche dedans
- Sanz
meffaire a bouche n' a dens,
- Mais
a si bel en moy ouvré
- Que
la parole ay recouvré
- De
sa puissance.
- LE
PORTIER. Mon seigneur,
sachiez sanz doubtance
- Qu'
ainsi m' est il, ce vous afferme;
- Car
si tost qu' il me dist: "Deferme
- Ou
nom Jhesu, si istray hors;"
- De
sa bouche en m' oreille lors
- Vint
celle flambe et s' i feri
- Si
doulcement et si sery
- Que
je vous di, c' est brief et court,
- J'
oy tresbien, ne ne sui mais sourt
- En verité.
- ZOILE.
Seigneurs, avez vous
escouté?
- Pour
Mahon, alons touz après.
- De
li suivre soiez si près
- Que
nous le puissons ramener.
- Voir,
en grant estat ordener
- Le
pense et mettre.
- DEUXIESME
COMPéRE. Chier sire, il ne peut
pas loing estre.
- Alons
tantost, quoy qu' il aviengne,
- Et
un chascun son chemin prengne,
- Et
n' alons mie touz ensemble.
- C'
est le meilleur, si con moy semble,
- A mon advis.
- ZOILE.
Je m' acors a vostre
devis.
- Fille,
vous demourrez ici,
- Et
toy avecques elle aussi.
- Sus,
alons ment.
- PIERRE.
Sire Diex, graces humblement
- Vous
rens, et je le doy bien faire;
- Car
n' empreng nul si grief afaire
- Pour
vostre amour, non, ne si fort
- Que
je n' aie de vous confort
- Qui
d' annuy me jette et de soing:
- Pour
quoy je voi qu' a mon besoing
- En
ce desert ci toute faitte
- Par
vous truis, sire, une logette,
- Dont
je vous doy bien adourer.
- Entrer
y vueil pour demourer
- Au
mains maishuy.
- ZOILE. Syquar,
par foy, j' ay grant anuy
- Que
ne faisons que gaster pas.
- Cet
homme ne trouverons pas,
- Il
est perdu.
- PREMIER
ESCUIER. Sire, j' en sui
tout esperdu:
- Qu'
est devenu en si po d' eure?
- Car
n' avons goute de demeure
- Fait
après lui.
- ZOILE.
Je ne scé s' il y a celui
- Des
autres qui se soit prouvé
- Si
bien qu' avoir le puist trouvé
- Aucunement.
- PREMIER
ESCUIER. Je vous conseil,
sire, alons ment:
- La
verité d' eulz en sarons,
- Quant
a l' ostel venuz serons.
- Egar!
vez lez la, ce me semble,
- Ou
atroupelez sont ensemble.
- ça,
seigneurs, ça!
- RAINFROY.
Seigneurs, je voy Zoile la
- Qui
nous appelle. Alons a li.
- Ne
cé s' il a trouvé celi
- Que
quis avons.
- PREMIER
COMPéRE. Quelle part aler
ne savons.
- Sire,
avez vous point trouvé Pierre?
- Ne
le finasmes puis de querre.
- De
nous a eu grant marchié.
- De
terre avons pour li marchié
- Bien
cent arpens.
- ZOILE. Certes,
nanil. Je me repens
- De
ce qu' onques je l' asservy
- A
faire ce dont m' a servi,
- Mais
je ne le puis amender;
- Si
vous vueil ainsi demander
- Qu'
est bon a faire.
- DEUXIESME
COMPéRE. Sire, puis qu' ainsi va
l' affaire,
- Je
conseil en ceste maniére
- Que
nous en retournons arriére:
- Ne
scé miex dire.
- PREMIER
ESCUIER. Certainement il
dit bien, sire,
- A
mon avis.
- ZOILE.
Alons donc sanz plus de
devis,
- Mais
savoir vueil sanz remanoir
- S'
alé est point en mon manoir
- Appellé
les Belles Fontaines.
- Siquar,
fay tost; si nous y maines
- Et
vaz devant.
- PREMIER
ESCUIER. Sire,
voulentiers. Je me vent,
- Seigneurs,
puis que la mer passastes,
- En
hostel nul si bel n' entrastes
- Conme
est celi ou nous alons.
- Suivez
moy de près aux talons
- Touz
trois bonne erre.
- DIEU.
Gabriel, vaz me dire a Pierre,
- Qui
la s' est logiez en ce brueil,
- Que
plus n' y soit, et que je vueil
- Qu'
a Zoile retourne arriére
- Et
qu' il li die en quel maniére,
- S'
en gloire veult sanz fin venir,
- Le
fault crestien devenir
- Et
croire de neccessité
- Qu'
il est un Dieu en trinité,
- Non
pas trois diex, mais une essance,
- Trois
personnes, une substance;
- Et
par ce qu' il a ja veu
- Et
oy sera tost meu
- D'
estre crestien.
- PREMIER
ANGE. G' y vois et si li diray
bien,
- Vrays
Diex, tout ce que vous me dites.
- Diex
te mande que plus n' abites
- Ici,
Pierre, mais tost t' aournes
- Et
a Zoile t' en retournes
- Et
li moustre et presche conment
- Il
n' est qu' un Dieu tant seulement,
- Qui
a creé ciel, mer et terre;
- Et
te paine de li requerre
- Que
crestienner il se face,
- Par
quoy sanz fin Dieu voie en face;
- Et
tu venras a ton entente,
- Car
tu verras que sanz attente
- Le
voulra estre.
- PIERRE.
Puis qu' il plaist au doulx
roy celestre,
- Ceste
loge dont et ce bois
- Laisse
du tout, et m' en revois
- Dont
sui venuz.
- RAINFROY.
Grant piéce nous sommes tenuz,
- Sire,
en vostre lieu delitable
- Qui
bel est et tresagreable
- Se
Dieu me voie.
- ZOILE.
Or ça! nous prendrons
ceste voie
- Et
tout droit devant nous irons
- Tant
qu' en mon autre hostel venrons,
- Ou
est ma fille.
- PREMIER
ESCUIER. N' acontasse pas
une quille
- En
quanque avons erré de terre,
- Se
nous eussons trouvé Pierre
- Que
quis avons.
- PREMIER
COMPéRE. Alons men, alons;
ne savons
- S'
a l' ostel retourné sera
- Ne
conment besongnié ara
- Puis
qu' en ala.
- DEUXIESME
COMPéRE. C' est voir. Egar! je le
voy la
- Ou
a l' encontre de nous vient.
- De
lui taire a tant nous convient,
- Puis
qu' il vient ci.
- ZOILE.
Pierre, dont venez vous
ainsi?
- Pour
vous ay esté courroucié,
- C'
on disoit que m' aviez laissié.
- Par
vostre foy, dites me voir,
- Dont
vous est venu ce pouoir
- Qu'
a ma fille avez la parole
- Rendu?
car aussi bien parole
- Conme
je fas.
- PIERRE.
Sire, ainsi ne le dites pas,
- Mais
dites que ç' a fait celi
- Qui
crea vous et moy et li,
- Et
non pas nous tant seulement,
- Mais
tout le monde onniement,
- Qu'
il gouverne par noble arroy
- Conme
seul Dieu, conme vray roy
- Qui
n' ot onques ne n' ara fin,
- Qui
nous a amé de cuer fin
- Tant
qu' a deignié sa deité
- Couvrir
de nostre humanité,
- En
laquelle la mort gousta,
- Par
quoy de mort nous acquitta,
- Ce
fu quant il fu mis en croiz.
- Ha!
Zoile, se tu me croiz,
- Tes
ydoles delaisseras
- Et
cestui seul aoureras
- Conme
celi qui t' a creé.
- Car,
or te viengne ou non a gré,
- Je
te di que le jour venra
- Que
tout le monde il jugera
- Par
raison vraie et autentique,
- Et
ce tient la foi catholique
- Des
crestiens.
- ZOILE.
Pierre, ceste foy que tu
tiens
- Je
vueil dès ores mais tenir,
- Et
bon crestien devenir;
- Car
je puis bien apercevoir
- Et
si tieng que tu me diz voir.
- Or
considére qui sera
- Celi
qui me baptizera,
- Et
le fay brief.
- LA FILLE. Pére,
ce me sera trop grief
- Que
je vous voie crestien
- Et
je ne le soie aussi bien.
- Je
vous pri que par vostre ottri
- Crestienne
sanz nul detri
- Soie
avec vous.
- DEUXIESME
ESCUIER. Sire, aussi vous en
prions nous,
- Cestuy
et moy.
- ZOILE.
Fille, et vous deux, je m'
i ottroy
- Et
si le vueil.
- PREMIER
COMPéRE. Or affiert bien
avoir conseil
- Au
remanant.
- PIERRE.
Vezci, sire, dès maintenant.
- C'
est voir qu' en Jherusalem sommes:
- Entre
nous touz, et fille et hommes,
- Droit
au patriarche en irons
- Et
ceste chose li dirons;
- Certain
sui quant il nous orra
- De
ce parler grant joie ara,
- Et
de cuer vous donrra baptesme
- Et
vous enoindra du saint cresme,
- Et
les articles de la loy
- Que
nous tenons en nostre foy
- Voulentiers
vous dira aussi.
- Alons
y sanz plus estre cy,
- Se
me creez.
- DEUXIESME
COMPéRE. Sire, il dit bien, se l'
agreez
- Et
bon vous semble.
- ZOILE.
Or sus! alons y tous
ensemble
- Sanz
plus d' espace.
- RAINFROY.
Alons, seigneurs, et pour la grace
- Que
Diex a huy sa fille fait
- Et
qu' ainsi euvre en li de fait
- Qu'
a loy paienne renoncer
- L'
a fait pour sa foy exaucer,
- Chantons,
nous y sommes tenuz:
- Te Deum laudamus.