Chanson m'estuet et faire et conmancier
(R1267=R1264, L 215-1, MW 870,7)
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Sources manuscrites
K : Messires Raoul de Soissons (138-140), I-V, notée ;
N : Messires Th. de Soissons (65ro - vo),
I-V, notée (mélodie dans Räkel, 357) ;
P : Messire Raoul de Soisons (86 ro - 87 ro),
I-V, notée ;
X : anonyme (95 vo - 96 vo), I-V, notée ;
V : anonyme (84ro - vo), I-V, notée ;
C : anonyme (176 ro - 177 ro), I-V, portée s vides ;
U : Raoul de Soissons (main postérieure), 105 ro - v ro,
I-VI, sans mélodie ;
H : anonyme (84ro), I-V, sans mélodie (image
du ms.) ;
M : Mesire Raous de Soissons (main postérieure), 85ro - vo,
I, III-V, notée
(mélodie dans Beck, CLVIII) ;
T : Maistre Raols de Soisons (97 ro - vo),
I-V, notée ;
R : anonyme (41 ro - vo), I-V, notée.
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Éditions antérieures
- Winkler, chanson 7, p. 49-51 : texte de M (I, IV, V),
K (II, III), U (VI)
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Classement des manuscrits / attribution de la chanson
L'étude des variantes montre
que les accidents et les croisements qui se sont produits dans la transmission
sont assez nombreux. À titre d'exemple, au v. 20 on trouve plaie dans KXH,
biauté dans NPVCU et biaus vis
dans TR. Au même vers, CU donne
angoisse, X donne la biauté, et KNPVHTR
donnent la dolor. Néanmoins,
il est possible de distinguer trois familles: KNPX et
V (sous-groupes de la même famille), MTR et
CUH (Winkler ne s'est pas aperçu de la présence de la
chanson dans H ; si aucun des critiques ne l'a fait remarquer,
c'est qu'ils ont sans doute été induits en erreur, eux aussi, par la
bibliographie de Raynaud qui attribue la chanson ā Moniot d'Arras).
Rien ne contredit l'attribution ā Raoul par les mss KPUMT
; le
Thierry dans N, croyons-nous, n'est autre que Raoul (voir
Le cas de Thierri de Soissons).
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Établissement du texte
L'on comprend difficilement pourquoi Winkler a choisi M comme ms. de base,
étant donné les lacunes qui s'y sont produites par suite de l'enlèvement d'une miniature. Pour combler
les lacunes, Winkler a recouru ā K, ms. qui n'appartient même pas ā la
même
famille ; il aurait fait mieux de choisir T. Le résultat
est un mélange de M, K et U qui nous
semble peu efficace. Nous voyons deux possibilités : la version de K,
ms. qui transmet une série de chansons de Raoul et qui donne en général des
textes soignés, et celle de U, qui demande plus de corrections.
En optant pour U, notre choix a été dirigé non seulement par
le désir d'éviter un mélange de leçons (et de dialectes) mais aussi par le fait que l'enchaînement strophique en
coblas capfinidas, technique qu'on
rencontre dans plusieurs chansons de Raoul, y est maintenu dans les str.
III-VI.
Comme les rimes en -s l'emportent sur celles en -t dans les str.
V et VI (comme dans MT), nous avons corrigé les rimes aux v. 37 et 42. Les cinq corrections que Winkler
a apportées ā la str. VI (s'an > s'en, foīr >
fuīr, si > se, savrois > savrez, que >
qui) nous semblent toutes inutiles.
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Interventions
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v. 5 - et : le sens exige la leçon de KNPXVHMTR ;
correction en mais ;
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v. 23 - ce : forme qui pręte ā la confusion ; correction en son
d'aprčs KNPXVHT ;
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v. 29 - que jai i truis : le sens exige la leçon de KNPXVM
; correction
en quen moi ne truist ;
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v. 37 - grant : la rime exige la leçon de MT ;
correctionen grans ;
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v. 38 - antaindre : le sens exige la leçon de KNPXVMTR
; correction
ataindre ;
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v. 41 - vers hypométrique : le scribe a omis le mot dame ; nous
l'avons inséré ;
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v. 42 - ardant : la rime exige la leçon de CMTR ;
correction
en ardans.
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Versification et stylistique
Six strophes décasyllabiques isométriques de 9 vers en coblas doblas.
Les str. III-VI sont enchaînées selon la technique de coblas capfinidas
; le premier vers de la str. III reprend le mot thématique mort de
l'avant-dernier vers de la strophe précédente [1].
Mélodie : |
A |
B |
A |
B |
C |
D |
E |
F |
G |
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Schéma : |
a |
b |
a |
b |
b |
a |
a |
b |
b |
(MW : 39) |
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10 |
10' |
10 |
10' |
10' |
10' |
10 |
10' |
10' |
(MW : 5) |
Particularités stylistiques :
- césure féminine élidée au v. 28
;
- césure lyrique aux v. 6 / 20 / 36 ;
- rimes paronymes aux v. 11/14: ozoie / soie
et 38/40 :
ataindre / taindre.
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Langue
Le texte de U (d'origine messine) présente des traits
lorrains [2] :
- -e devant nasale devient -a : conmancier, panser,
antandre , santiroie, sans ;
-
-o fermélibre devient -ou :
amerous pour amoros, paour pour paor ;
- palatalisation du -a ouvert en -ai: saige, saigement ;
- diphtongaison du -e tonique en -ei et rétention du -t final : biauteit ;
- -o ouvert devient -ou : ous ;
- l'art. déf. le devient lou ;
- le pron. dém. ce devient ceu ;
- chute du -l dans mas.
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MusiqueVoir Räkel pour une description (p. 297) et la mélodie (p. 357).
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Contrafacta
Les chansons R462
Par mainte fois m'ont mesdisans grevé et R1315 Chanter m'estuet de cele sans targier, toutes deux anonymes,
sont construites sur le même schéma métrique et chantées sur la même mélodie
(version de KNPX, cf. Räkel, p. 239-40) que la chanson de Raoul. R462 est en coblas unissonans
alors que R1315, chanson religieuse, donne les str. I-II en coblas unissonans et III-IV en coblas doblas.
Une analyse des trois chansons révèle peu de rapports frappants mais on peut
noter que R462 reprend la rime en -oie dans la str. I ainsi que le thème « manque de courage » aux v. 28
et 40 : je ne vos os proier, (Raoul:
je ne l'ous esgarder ne proier), je n'i os aler.
[1] Mölk et Wolfzettel admettent sous la rubrique
coblas capfinidas
des chansons « où l'avant-dernier vers d'une strophe est repris comme premier vers de la strophe suivante
» (p. 19), tout en affirmant
que dans ce genre de strophes, « un ou plusieurs mots du dernier vers d'une strophe est répété, sous sa forme employée ou
légèrement modifiée, dans le premier vers de la strophe suivante ». Les auteurs donnent les strophes III-VI de R1267
comme coblas capfinidas (p. 390).
[2] Cf.
M.K. Pope,
From Latin to Modern French (Manchester Univ. Press, 1966), p. 494-497, et David Trotter, « Boin sens et bonne memoire: tradition,
innovation et variation dans un corpus de testaments de Saint-Dié-des-Vosges (XIIIe XVe siècles) ģ,
Historische Pragmatik und historische Varietätenlinguistik in den romanischen
Sprachen, A. Schrott et H. Völker éds
(Göttingen, Universitätsverlag, 2005),
p. 271.
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