May Plouzeau, PercevalApproches, Chapitre 4
◊Chap4 (§99-§122)

 

Sommaire.

            4.1. Corrigé d’exercices proposés ◊Chap3 et quelques réflexions à propos de ces exercices. (§99, §100, §101, §102, §103, §104, §105, §106)
                        4.1.1. Loi rythmique. (§99, §100, §101)
                        4.1.2. À propos de l’exercice précédent : nos compétences en ancien français. (§102)
                        4.1.3. À propos des exercices : quelques instruments de travail. (§103)
                        4.1.4. Quelques mots rendant la notion de “vieux” dans PercL. (§104, §105)
            4.2. Un exercice de versification proposé. (§106)
            4.3. Traduction et/ou commentaire de PercL v1824-v1879. (§107, §108, §109, §110, §111, §112)
                        4.3.1. Traduction et/ou commentaire de PercL v1824-v1827 : conclusion du portrait de Blancheflor. (§107)
                        4.3.2. Traduction et/ou commentaire de PercL v1828-v1832 : premier contact entre Perceval et Blancheflor. (§108)
                        4.3.3. Traduction et/ou commentaire de PercL v1833-v1843 : premières paroles de Blancheflor à Perceval. (§109)
                        4.3.4. Traduction et/ou commentaire de PercL v1844-v1859 : petit groupe dans une chanbre celee. (§110)
                        4.3.5. Traduction et/ou commentaire de PercL v1860-v1872 : propos des chevaliers. (§111)
                        4.3.6. Traduction et/ou commentaire de PercL v1873-v1879 : attente de paroles de Perceval. (§112)
            4.4. Tiroir conditionnel et tiroir futur. (§113, §114, §115, §116, §116a)
                        4.4.1. Le tiroir conditionnel : valeurs. (§113)
                       4.4.2. Le tiroir conditionnel, conjugaison : les terminaisons. (§114)
                        4.4.3. Le tiroir futur, conjugaison : les terminaisons. (§115)
                        4.4.4. Conditionnel et futur, conjugaison : quelques détails sur le radical. (§116, §116a)
            4.5. Pronom personnel : morphosyntaxe. (§117, §118, §119, §120, §121, §122)
                        4.5.1. Pronom personnel : remarques d’ensemble, tableau. (§117)
                       4.5.2. Remarques de détail sur les formes du pronom personnel ; formes de PercL. (§118)
                        4.5.3. Pronom personnel : un peu de vocabulaire. (§119)
                        4.5.4. Notes sur la syntaxe du pronom personnel régime dit atone. (§120)
                        4.5.5. Notes sur la syntaxe du pronom personnel régime dit tonique. (§121)
                        4.5.6. Notes sur la syntaxe du pronom personnel sujet. (§122)

 

 

4.1. Corrigé d’exercices proposés ◊Chap3 et quelques réflexions à propos de ces exercices. (§99, §100, §101, §102, §103, §104, §105, §106)

 

4.1.1. Loi rythmique. (§99, §100, §101)

§99

            Les exercices sur la loi rythmique proposés ◊Chap3 §70 étaient libellés comme suit : “Tout en gardant le corps verbal comme deuxième corps de la phrase, vous allez recomposer les vers suivants de Chrétien, où je marque le corps verbal en caractères gras soulignés ; conservez des octosyllabes en veillant à ne pas changer la signification des vers.”(Suivaient les vers.)

 

            Dans ces exercices sur la loi rythmique, exceptionnellement, je n’utilise pas le signe “/./” pour les vers objets d’exercices sur lesquels j’opère, et je supprime le dernier signe de ponctuation que Félix Lecoy leur affecte dans son édition. Je néantise les éléments zéro initiaux de phrase que je considère comme non toniques (en l’occurrence, conjonctions de coordination, conjonction de subordination, pronom relatif) par des parenthèses doubles (cf. ◊Chap2 §31a).

            Je commence par ce qui ne soulève pas trop de difficulté à ce qu’il me semble.

 

peut devenir

          ou
((et)) chascuns | ot | ceinte une espee

((et)) ceinte | ot | chascuns une espee

((et)) une espee | ot | chascuns ceinte,
v1739




 

 

ce qui obligerait à refaire le v1740 pour la rime. Nous n’avons pas d’autre solution si nous voulons garder tous les mots du v1739 : les autres combinaisons, même si elles respectent la loi rythmique, aboutissent à des vers faux.

 

 

peut devenir ((Se)) bien | esteüst | as sergenz 

((Se)) as sergenz | esteüst | bien
v1742V


 
                                                                                              

mais cela obligerait à refaire le v1741 pour la rime.

 

 

§100

 

pourrait devenir

          ou
si | ont | la porte desfermee

la porte | ont | si desfermee

desfermee | ont | si la porte  
v1740




 

 

mais — outre que la deuxième solution change la rime — dans les deux cas il manque maintenant une syllabe, parce que le ‑e final de porte ou de desfermee s’élide normalement devant ont. On pourrait donc envisager de changer en

          ou en la porte | ont | desfermee si

desfermee | ont | la porte si, 
   

 

qui sont impeccables au plan de la loi rythmique et au plan de la versification.

            Reste un problème dans les quatre cas de figure : en changeant de place, l’adverbe +si change de valeur ; en effet, au lieu de jouer le rôle de simple démarquateur tonique de phrase que lui assigne sa position en début de phrase v1740, délogé de cette position, il prend la signification de “ainsi” ou de “si” (qui marquerait l’intensité) : il devient sémantiquement un mot plein, avec des valeurs qui ne conviennent pas du tout dans le contexte ! (Voyez des réflexions similaires à propos du v1313 ◊Chap3 §69.)

 

 

peut devenir ((don)) l’an | poïst | un denier prandre

((don)) un denier | poïst | l’an prandre.  
v1768


 

 

En effet, même si, le plus souvent, après le pronom relatif atone +dont l’ordre des mots est sujet + verbe, il arrive néanmoins (mais il faut soigneusement chercher !) que l’on puisse avoir l’ordre +dont + complément tonique + verbe. Exemple : ((Dont)) si grant coveitise /  eüsse  / v14951, littéralement “dont j’eusse un si grand désir”.

Quant à la permutation

 

  ((don)) prandre | poïst | l’an un denier,    

 

elle n’est pas possible, parce qu’elle produirait un vers faux, trop long d’une syllabe (en outre, mais cela n’est pas pour nous effrayer, il nous faudrait récrire le v1767 pour la rime).

 

 

§101

 

peut donner

ou

ou encore
((Et)) ((s’)) il | ot | bien defors trovee

((Et)) ((se)) bien | ot | defors trovee

((Et)) ((se)) defors | ot | bien trovee

((Et)) ((se)) trovee | ot | bien defors,
v1747V






 

 

qui est acceptable rythmiquement, mais qui ruine la rime et dont le bien est curieusement placé. Noter que je ne puis cumuler devant ot le pronom personnel sujet il, qui est tonique, avec un autre corps tonique. Noter aussi que s’ v1747, forme de la conjonction +se “si” quand elle est élidée, appelle nécessairement après elle un corps tonique. Noter enfin, qu’au plan du sens, je peux supprimer il sans difficulté (alors que nous sommes obligés de conserver l’an “l’on” au v1768 commenté ◊Chap4 §100 : on ne peut au plan du sens supprimer le pronom +on (ou sa variante l’on), que je me garderai bien d’étiqueter comme “personnel”, même s’il est tonique, tout comme un pronom personnel sujet).

 

 

peut devenir mout | fussent | bel, ((mes)) il | avoient

bel | fussent | mout, ((mes)) il | avoient |  | 

v1743



 

 

qui est acceptable au plan rythmique, mais pose problème ; en effet, nous déterminons ici la place de l’adverbe +mout par rapport au corps verbal fussent, mais mout porte sémantiquement sur bel2. Or, dans le cas où mout porte sémantiquement sur un adjectif, les deux types de constructions de PercL sont surtout mout | corps verbal  | adjectif et corps tonique 13  | corps verbal  | mout + adjectif. Nous avons v1743 un exemple du premier cas de figure ; voici deux exemples du second : ((Et)) si / est / mout legier a fere v2403 “et c’est très facile à faire”, El roncin / ot / mout leide beste v6915, littéralement “dans la rosse il y avait une bête très laide”, c’est-à-dire “la rosse était une bête repoussante”. Donc, dans le cas de Bel / fussent / mout, je m’interroge : la phrase produite est-elle acceptable ? Sauf erreur, dans l’ensemble de PercL, une seule occurrence correspond à cet ordre des mots : desheitiee / Est / mout por moi v6408-v6409 “elle est très abattue à cause de moi”, et l’exemple n’est pas rigoureusement similaire, parce qu’à l’origine, desheitiee est un participe.

            Notez que l’hémistiche ((mes)) il / avoient  / est parfaitement formé. Nous n’y toucherons pas.

 

 

4.1.2. À propos de l’exercice précédent : nos compétences en ancien français. (§102)

§102

            Vous voyez que ces exercices de permutation nous obligent à contrôler l’acceptabilité du vers touchant loi rythmique, autres règles de grammaire, versification. C’est dans notre aptitude à nous demander si les phrases produites par nous sont acceptables et, dans les cas les plus heureux, à pouvoir répondre à ces questions, que nous mesurons notre compétence — ou notre incompétence — en ancien français.

 

 

4.1.3. À propos des exercices : quelques instruments de travail. (§103)

§103

            J’ajoute que pour préparer mes cours et en l’occurrence ici, pour savoir comment se conduit mout — dont je n’ai pas dévoilé tous les comportements —, il m’est très utile de pouvoir accéder facilement à tous les mots du texte de PercL. Pour cela, je dispose d’instruments dont un assez grand nombre sont librement accessibles, et qui constituent des outils de travail indispensables à qui veut commenter PercL (même si l’on est effaré du nombre de personnes qui produisent des articles à orientation linguistique sur ce texte sans mentionner ce qu’ils ont utilisés). Rappelons donc que si vous aussi vous voulez entrer dans PercL par d’autres moyens encore que par une lecture suivie, vous avez le choix entre le bon vieux tirage papier du Concordancier de PercL réalisé à Aix-en-Provence en 1976, qui est souvent très commode (voyez sous PercLConcAndrieu dans la ◊Bibliographie), la concordance lemmatisée de madame Ollier sur microfiches4 (voir sous Ollier2 dans la ◊Bibliographie), une concordance non lemmatisée sur CD-ROM (voir sous PercLConcLéonard dans la ◊Bibliographie), et sur la Toile une transcription semi-diplomatique de la copie de Guiot (voir sous PercK dans la ◊Bibliographie), un index lemmatisé de la copie de Guiot préparé par Pierre Kunstmann à la page </activites/textes/perceval/cgrlex/cgrindex.htm> et un index de PercL v1301-v3407 (Voir sous PercLIndexLeclanche dans la ◊Bibliographie).

 

 

4.1.4. Quelques mots rendant la notion de “vieux” dans PercL. (§104, §105)

§104

            En particulier, pour traiter de questions de vocabulaire, j’ai bien besoin de relevés complets. C’est en effet à partir d’eux que je puis dresser les listes de la section ◊Mots en contexte. À laquelle je vous invite à vous reporter maintenant, aux pages intitulées “Quelques mots pour dire “vieux” dans PercLLé”. En effet, dans le ◊Chap3 §73, j’écris dans le commentaire au v1752 : “Pour exprimer la notion de “vieux”, on trouve (au moins) les trois mots suivants dans PercL (je les graphie sous la forme qui est la leur en tant qu’entrée du TL) : +ancïen (v7322°), +vieil (v4892, v8773, explicit), +viez (v1752, v7235°, v8171). En vous reportant aux passages où apparaissent ces mots (voir ◊Mots en contexte), pouvez-vous montrer en quoi ils ne sont pas interchangeables ?”

 

            Commençons par le plus simple. L’adjectif +viez s’applique exclusivement à des mots qui désignent des choses. Et le mot +viez n’est pas d’un emploi figé, puisqu’il qualifie meisons, vin et plaies. L’adjectif +vieil, quant à lui, s’applique exclusivement à des mots qui désignent des personnes5. Nous avons là une répartition qui était courante en plus ancien français, et qui s’est perdue en français standard d’aujourd’hui : les descendants de AF +viez ne survivent que régionalement et les descendants de AF +vieil s’appliquent indifféremment à des animés ou à des inanimés.

            Un peu d’histoire. En latin pour dire “vieux”, on disposait de v´etus, adjectif dont le féminin est identique au masculin. La forme viez provient de lat. v´etus et vous comprenez pourquoi elle est la même au masculin et au féminin. En outre, comme le [ts] final (écrit ‑z) appartient à son radical, la marque [s] des déclinaisons se fond dans [ts] et +viez est donc invariable (cf. ◊Chap2 §62) : vous le vérifiez aisément dans les emplois du texte.

Toutefois, sur v´etus, le latin a formé un diminutif, v´etulus masculin et v´etula féminin, qui a dû être expressif et traduire par exemple l’affection ou la commisération.

On s’explique dans ces conditions que son produit ait pu être appliqué à des personnes. Or, ce produit n’est autre que le mot +vieil6. Et l’adjectif +vieil a un féminin, vieille, différent du masculin, vieil, ce qui s’explique facilement : le mot latin de départ a un masculin différent du féminin7.

 

 

§105

            Vous constatez que PercL ne présente qu’une fois l’adjectif +ancïen, dans dames ancïenes v7322°, où dames désigne des personnes. Il est donc normal de chercher en quoi cet adjectif se différencie de +vieil. Contrairement à ce qui se produit dans certains textes, nous n’avons pas du tout ici un usage d’+ancïen qui serait à prendre en bonne part tandis que +vieil serait à prendre en mauvaise part. En effet, comme vous pourrez le voir en vous reportant aux passages impliqués, les personnages qualifiés par ces l'un ou l'autre de ces adjectifs par l’instance narrative sont des personnages dignes et que l’âge n’a pas diminués. La différence entre nos deux épithètes est semble-t-il d’ordre grammatical : +vieil est antéposé au nom, tandis que +ancïen le suit. L’adjectif antéposé, en partie désaccentué dans le syntagme nominal, a en quelque sorte moins d’éclat que l’adjectif postposé, qui d’ailleurs se soutient par un nombre de syllabes plus grand. Mais nous ne devons pas oublier que le couple +vieil / +ancïen est réalisé dans trop peu d’occurrences dans le texte pour que nous puissions tirer des conclusions fermes.

            En préparant l’exercice qui vous était proposé, je me suis d’ailleurs demandé pourquoi ces adjectifs +vieil et +ancïen se rencontraient si peu dans PercL, alors que les allusions à des personnes âgées y sont plutôt nombreuses. En vous reportant à un des instruments de travail mentionnés supra dans le présent ◊Chap4 §103, vous verrez que les notions de “vieux”, “chargé d’ans” ne se traduisent pas non plus par le syntagme d’äage (j’écris +äage dans le système du TL), ni, sauf exception, par l’adjectif +blanc. Or, en lisant par ailleurs une chanson de geste bien intéressante éditée par Takeshi Matsumura, je tombe sur ce passage :


  “/./
Et qu’il n’y ait Françoiz ne jone ne quenu
Qu’il ne se soit armez, car li rois l’a volu.
/./.”8
   


On voit que le mot +chenu peut servir à évoquer le vieillesse, puisque qu’il s’oppose à jone (TL +juene) “jeune”. J’ai donc fait un relevé de +chenu dans PercL. On se rend compte qu’il peut effectivement fonctionner comme un substitut de +vieil : cf.


et encore /./
et a mandez toz ses cosins,
hauz et bas, juenes et chenuz,
/./.

“/./
et des juenes et des chenuz
seroiz serviz et enorez
/./.”
v4858
v4859



v7628
v7629
 


Qu’apporte ce mot +chenu ? Contrairement à +vieil, qui s’antépose, c’est un adjectif qui avec ses deux syllabes se postpose, et a plus de corps. En outre, étant donné son sémantisme (cf. le commentaire au v1788 ◊Chap3 §78), c’est un mot qui a l’avantage de colorer le texte mieux que ne le font +vieil ou +ancïen.

            Il est intéressant de noter d’une part que le mot v´etus latin n’a pas laissé de descendant direct en français général et d’autre part qu’on a utilisé des mots variés pour référer à l’âge avancé des gens. C’est que l’âge est perçu comme une réalité qui gêne, et que l’on préfère parfois ne pas appeler les choses par leur nom. Ce n’est pas un hasard si les vendeurs américains ont mis sur le marché le mot senior9, qui a séduit en France jusqu’au ministère de l’Éducation nationale. Je vois en effet dans un document émanant de ce ministère (Direction de la recherche) et daté du 20 janvier 2000 mentionnés les “membres seniors” de l’Institut universitaire de France. Le tabou de l’âge est tel que ce document indique bien que les “membres juniors” doivent avoir moins de quarante ans, mais ne précise pas ce qui définit un “membre senior” en terme d’ans.

 

 

4.2. Un exercice de versification proposé. (§106)

§106

            Nous voyons ◊Chap4 §100-§101 qu’il est capital de maîtriser la versification. Voici encore des octosyllabes postérieurs au Moyen Âge dans lesquels vous placerez les coupes syllabiques.


Commerçant ! colon ! médium !

Ta Rime sourdra, rose ou blanche,

Comme un rayon de sodium,

Comme un caoutchouc qui s’épanche !

/./

Surtout, rime une version

Sur le mal des pommes de terre !


Et de qui sont ces vers ?

            Les réponses se trouvent ◊Chap5 §123.

 

4.3. Traduction et/ou commentaire de PercL v1824-v1879. (§107, §108, §109, §110, §111, §112)

            Le ◊Glossaire est très détaillé et fournit de nombreuses informations tant sur le sémantisme des mots que sur leur identification grammaticale. Voilà pourquoi je traduis peu : vous devez faire un effort personnel.

 

 

4.3.1. Traduction et/ou commentaire de PercL v1824-v1827 : conclusion du portrait de Blancheflor. (§107)

§107


  Por anbler san et cuer de gent
fist Dex de li passemervoille,
n’onques puis ne fist la paroille
ne devant feite ne l’avoit.
v1824
v1825
v1826
v1827

ou bien

 

            •v1824 san. Forme de Guiot pour +sen du TL. J’ai traduit au ◊Glossaire “bon sens”, “intelligence”, “raison” : les germanistes reconnaîtront une parenté de sens et de forme avec all. der Sinn. Et en effet, le mot +sen a une origine germanique.

Toutefois, dans son histoire, il a vite été confondu avec sens, qui lui vient du lat. s´ensum10.

La proximité des formes et de certaines significations ont fait que sen a été remplacé par sens. Le radical de sen se retrouvait en ancien français en particulier dans l’adjectif +sené11, “celui qui est pourvu de sen”, “raisonnable”, mot qui se rencontre dans PercL. Ce mot a aussi été éliminé du français, pour laisser la place à sensé. Existe également le mot forsené (que le TL classe sous le verbe +forsener), où vous reconnaissez +fors “hors” dans la première partie. Le mot signifie littéralement en ancien français “qui est hors du sen”, il se lit dans PercL. Étant donné qu’en français d’aujourd’hui nous ne disposons plus des mots fors et sen, nous ne savons plus analyser ce mot ; il a donc été écrit forcené, par rapprochement avec force, et exprime une idée de violence qui n’est pas présente dans le forsené de l’ancien français.

            •v1825, •v1826 fist. Passé simple 3 de +faire. À ne pas confondre avec feïst v1871°, subjonctif imparfait 3 de +faire. Pour un verbe donné, et dans la langue de Guiot, le subjonctif imparfait 3 est toujours plus long que le passé simple 3.

            •v1825, •v1826 passemervoille et paroille. Ces mots présentent ‑´oille au lieu de ‑´eille du françois ; ce trait graphique, typique de la Champagne, est constant chez Guiot, qui, semblablement, écrit par exemple consoil au lieu de conseil du françois. (Les lemmes des mots commentés sont dans le TL +passemervoille — voir sv au ◊Glossaire, +pareil et +conseil.)

            •v1826-•v1827 N’onque puis ne fist la paroille Ne devant feite ne l’avoit. Reconnaissez bien en N’ et Ne la conjonction de coordination, +ne, qui vous le voyez s’élide ici devant initiale vocalique : le français moderne dit ni, forme qui a un peu plus de corps, et en particulier dont le [i] ne s’élide pas. Le portrait se termine sur une assertion de rigueur dans la description des héros des romans courtois. Chrétien avait déjà écrit d’une héroïne d’Erec : De ceste tesmoingne Nature C’onques si bele criature Ne fu veüe an tot le monde, puis Onques Dex ne sot fere mialz Le nes, la boche ne les ialz12. L’on voit donc en quel sens il faut comprendre ge ne mantirai de mot v1807 !

 

 

4.3.2. Traduction et/ou commentaire de PercL v1828-v1832 : premier contact13 entre Perceval et Blancheflor. (§108)

§108

 

  Et quant li chevaliers la voit,
si la salue, et ele lui,
et li chevalier amedui ;
et la dameisele le prant
par la main debonerement,
/./.
v1828
v1829
v1830
v1831
v1832

 

            •v1828 li chevaliers. Le syntagme réfère à Perceval, que dans les passages précédemment étudiés nous avons vu désigné par le mot +vaslet “jeune homme”. C’est que le prodom v1349 qui s’esbatoit sur son pont a fait Perceval chevalier.

            •v1828-•v1829 quant li chevaliers la voit, Si la salue. Emploi de l’adverbe +si décrit au ◊Glossaire. On peut saisir ici le passage entre la valeur sémantique étymologique “dans ces conditions” et la valeur de fonctionnement en ancien français : Si joue le rôle de corps tonique devant le corps verbal la salue.

            •v1829 Si la salue, et ele lui. Le CRSm lui est au ◊Glossaire décrit comme “dit tonique”. Je m’exprime de cette façon lourde, avec “dit”, parce que dans certains types de réalisations, nous ne somme pas tout à fait sûrs que le pronom reçût un fort accent tonique et par ailleurs il me semble que les auteurs actuels — j’écris ceci en décembre 2000 — des grammaires de l’ancien français tendent à bannir les termes tonique et atone dans leur description du fonctionnement de certains mots. Ici, la place dans le vers montre suffisemment son caractère tonique. Lui CRSm dit tonique s’oppose à li CRSm dit atone. Exemple de li : del chasti  / li sovenoit  /  v1856 littéralement “il lui souvenait du chasti” : li pronom conjoint proclitique appartient au corps verbal. La forme régime dite tonique s’emploie entre autres quand le verbe n’est pas exprimé, ce qui est le cas ici : exprimé, ce verbe serait salue.

            •v1830 et li chevalier amedui. Le syntagme li chevalier ne peut que désigner les Dui prodome v1786. Deux manuscrits ont d’ailleurs ici li prodome au lieu de li chevalier14 ; la variation lexicale est intéressante. Notez bien les marques de CSP, qui nous montrent donc les chevaliers en train d’adresser un salut à Perceval, et non en train d’en recevoir. Il y a là une subtile hiérarchie établie par l’auteur entre les différents actants de cette petite scène. Veillons à rendre cela dans la traduction : par exemple “et les deux chevaliers saluent”, ou “et les deux chevaliers de saluer”. Pour exprimer la notion de “deux en même temps” ou “deux ensemble”, le latin avait un mot spécial : ´amb‑o, ‑æ, ‑o15. L’ancien français a cumulé le produit de lat. ´ambo16 avec produit du numéral lat. d´uo, d´uæ, d´uo17 “deux” pour créer un mot qui se décline au masculin (le CSm est en ‑dui et le CRm en ‑dos), et dont la première partie occupe une ou deux syllabes tantôt à cause de l’évolution phonétique, tantôt à cause de l’analogie18. Le TL présente bien la chose, puisque sa tête d’article est “ambedos, andos” (lemme, donc, +ambedos). Au plan de la versification, il peut être utile de disposer d’une forme longue et d’une forme courte : cf. andui v1866°.

            •v1831 dameisele. En françois on aurait damoisele, qui est aussi la forme d’entrée du TL. Mais Guiot écrit toujours ce mot +damoisele soit dameisele (au singulier) soit dameiseles (au pluriel) dans l’ensemble de sa copie de Chrétien, où les occurrences sont très nombreuses19.

 

 

4.3.3. Traduction et/ou commentaire de PercL v1833-v1843 : premières paroles20 de Blancheflor à Perceval. (§109)

§109


  /./
et dist : “Biau frere, vostre ostex
certes n’iert pas anquenuit tex
com a prodome covandroit.
Mes qui vos diroit orandroit
tot nostre covine et nostre estre,
vos cuidereiez, puet cel estre,
que de malvestié le deïsse
por ce qu’aler vos an feïsse.
Mes se vos plest or remenez,
l’ostel tel com il est prenez,
et Dex vos doint meillor demain.”

v1833
v1834
v1835
v1836
v1837
v1838
v1839
v1840
v1841
v1842
v1843



ou bien


 

            •v1833 biau frere. Dans le syntagme en fonction d’apostrophe, nous avons ici les formes courtes tant de l’adjectif +bel (cf. le commentaire du v1363 ◊Chap2 §27) que du nom +frere (cf. ◊Chap2 §49). Opposez Tant est cil biax v1867 : en fonction d’attribut se réalise la forme pourvue du [s], désinence casuelle. Par ailleurs, on pourrait croire que la forme biau est amenée par un phénomène de phonétique syntactique, et que le [l] de bel se vocalise devant l’initiale consonantique du mot qui le suit et avec lequel il est étroitement lié dans l’émission vocale. Cette explication ne tient pas si l’on examine l’ensemble de PercL. C’est ainsi que nous lisons Un bel prodome seoir vit v3076 ou Qui si bel conpaignon me preste v5742. En fait notre Guiot, dont nous avons souligné le sens de la déclinaison, n’utilise quasiment jamais biau en dehors de syntagmes ayant la fonction d’apostrophe21. Si on utilise, ce qui est ici tout à fait justifié, la terminologie du ◊Chap2 §49, nous pourrions décrire comme suit la déclinaison de +bel au masculin chez Guiot dans PercL : nominatif singulier devant consonne et devant voyelle biax, vocatif singulier devant consonne biau et biax22, vocatif singulier devant voyelle biax, CRS devant consonne et devant voyelle bel, nominatif et vocatif pluriel devant consonne et devant voyelle bel, et CRP devant consonne et devant voyelle biax.

            •v1833 ostex. Ce serait mauvais de traduire AF +ostel par “hôtel” : dans l’état de langue actuel, hôtel n’évoque pas ce qu’évoquait +ostel au temps de Chrétien. Souvent en ancien français, +ostel signifie “maison”. Toutefois, les mots +ostel et +maison ne sont pas interchangeables dans PercL. J’ai préparé dans la section ◊Mots en contexte un relevé des attestations de +ostel et +maison dans PercLLé v1301-v3407. Pouvez-vous formuler ce qui distingue l’emploi de ces mots dans ce passage ? Je donne des réponses ◊Chap5 §126 et suivants.

            •v1834 iert. Futur 3 de +estre. Dans PercL, iert est exclusivement une forme de futur, et ert tend à se spécialiser comme forme d’indicatif imparfait. Certains copistes réalisent une répartition rigoureuse entre ert indicatif imparfait et iert futur.

            •v1835 Com a prodome covandroit. “Comme il le faudrait pour un homme de bien” ; ici, il me semble que le contexte oblige à repousser pour prodome la traduction par “digne personnage” (opposer par exemple notre remarque au v1349 ◊Chap2 §25). Noter l’absence d’article devant prodome : à ce sujet voir infra ◊Chap4 §111, commentaire au v1863. (Rappelons que prodome est dans le TL une sous-adresse de l’article +pro).

            •v1836-•v1838 qui vos diroit /./, Vos cuidereiez. “Si l’on vous disait /./, vous croiriez” : le tiroir conditionnel exprime l’hypothèse (qui vos diroit) et son résultat envisagé (Vos cuidereiez) portant sur le futur, considérée comme réalisable, mais tandis que le futur “réduit le plus possible la part d’incertitude inhérente à l’avenir, le conditionnel au contraire la renforce : il présente le procès avec une surcharge d’hypothèse”23.

            •v1838 puet cel estre. Littéralemnent “cela peut être” d’où “peut-être”. Cel, sujet de puet (indicatif présent 3 de +pöoir), mais ne portant pas de marque casuelle, est ici un pronom neutre24.

            •v1838-•v1839-•v1840. Vos cuidereiez /./ Que de malvestié le deïsse /./ Por ce qu’aler vos an feïsse. Les verbes deïsse et feïsse sont un subjonctif imparfait 1. Une complétive de +cuidier introduite par +que est généralement au subjonctif, et par ailleurs une proposition à valeur de but introduite par +por ce que “pour que” est aussi au subjonctif. Ici nous avons en outre l’imparfait du subjonctif parce que l’ensemble est soumis à une visée hypothétique. Traduction possible : “Vous croiriez que je le dirais par méchanceté pour vous faire partir”. N’omettons pas la loi rythmique (je place entre parenthèses doubles les mots joncteurs dépourvus d'accent tonique, je sépare les corps toniques par une barre oblique, et je manifeste le corps verbal en caractères gras soulignés) : ((qu’)) aler  / vos an feïsse  /. Le pronom An (+en) marche avec aler au plan sémantique, mais se bloque avec les autres pronoms conjoints devant le verbe conjugué ; s’il n’y avait pas de contraintes de versification, on pourrait écrire ((que)) / vos an feïsse  /  aler (j’ai conservé les graphies de Guiot).

            •v1843 Dex vos doint. “Que Dieu vous donne” : le subjonctif présent à lui seul exprime le souhait dans une proposition principale ou indépendante et l’ancien français n’a pas besoin de +que. Sur +doint, subjonctif présent 3 de +doner, voir ◊Chap7 §213.

 

 

4.3.4. Traduction et/ou commentaire de PercL v1844-v1859 : petit groupe dans une chanbre celee. (§110)

§110

 

  Ensi l’an mainne par la main
jusqu’an une chanbre celee,
qui mout ert bele et longue et lee.
Sor une coute de samit
qui fu tandue sor un lit
se sont leanz andui asis.
Chevalier quatre, cinc et sis
vindrent leanz et si se sistrent
tot par tropeax et mot ne distrent,
et virent celui qui se sist
delez lor dame et mot ne dist.
Por ce de parler se tenoit
que del chasti li sovenoit
que li prodom li avoit fet,
s’an tenoient antr’ax grant plet
tuit li chevalier a consoil.
v1844
v1845
v1846
v1847
v1848
v1849
v1850
v1851
v1852V
v1853
v1854
v1855
v1856
v1857
v1858
v1859

 


 

            •v1845 chanbre. Il est souvent judicieux de traduire par “pièce” le mot +chambre, qui ne recouvre pas exactement les notions que véhicule aujourd’hui le mot chambre quand il désigne un pièce d’un bâtiment. Sur l’histoire sémantique du mot chambre et son emploi dans un texte un peu postérieur à Perceval, on peut consulter PlouzeauMéthode3 §107. (PlouzeauMéthode3 a la même numérotation de paragraphes que l’édition de 1994 de May Plouzeau, Avec La Mort Artu : une méthode d’ancien français, Aix-en-Provence.)

            •v1847 samit. Félix Lecoy glose “riche étoffe de soie”. On aimerait savoir ce que désigne exactement le mot +samit, pour pouvoir se représenter la scène. En effet, la soie peut être travaillée de différentes façons (pensons, simplement, à de la soie mate ou à de la soie brillante), et c’est une matière qui est souvent mentionnée, ne fût-ce que dans la partie PercL v1301-v3407 (cf. v1599, v1950, v2801). Dans l’ensemble de PercL, sont faits de samit : une coste v7449 sur un lit extraordinairement somptueux (coste est une autre forme du mot +coute : le contexte du v7449 est similaire à celui de notre v1847) ; une manche v5397 confectionnée tout exprès pour être placée au sommet d’un casque ; une Robe d’ermine et de samit v8011 préparée pour Gauvain ; et des vêtements de dameiseles : Les dameiseles de samiz Furent vestues les plusors ; Bliauz de diverses colors Et dras de soie a or batuz Avoient les plusors vestuz v7002 et suivants. Tous les contextes sans exception évoquent luxe et raffinement. Sans doute n’est-ce pas un hasard si Chrétien a toujours placé en rime le mot samit. Notons que l’étymon est un mot grec : comme le mot, la matière venait de la porte de l’Orient. Ce mot signifie en grec “tissé à six fils”. Il devait donc s’agir d’une étoffe lourde, épaisse. Le PetitRobert1993 donne de samit une définition de type encyclopédique peut-être trop détaillée pour convenir aux emplois de notre texte.

            •v1850. Donc il y a au moins 4 + 5 + 6 = 15 chevaliers dans la chanbre.

            •v1852. Pouvez-vous réfléchir aux particularités de graphie et de morpho-syntaxe de ce vers ? Pour des éléments de réponse, consulter le ◊Chap 5 §124 et suivants.

            •v1855-•v1856 Por ce de parler se tenoit Que /./. Littéralement “pour cette raison il se retenait de parler à savoir que /./”. Nous pouvons traduire platement “il se retenait de parler parce que /./”, ou bien “il se retenait de parler pour la raison suivante : /./”, ou bien, en conservant l’ordre dans lequel nous sont fournies les informations, “voici pourquoi il se retenait de parler : /./”.

 

 

4.3.5. Traduction et/ou commentaire de PercL v1860-v1872 : propos des chevaliers. (§111)

§111

 

  “Dex, fet chascuns, mout me mervoil
se cil chevaliers est muiax.
Granz diax seroit, c’onques si biax
chevaliers ne fu nez de fame.
Mout avient bien delez ma dame,
et ma dame ausi delez lui.
S’il ne fussent muël andui,
tant est cil biax et cele bele
c’onques chevaliers ne pucele
si bien n’avindrent mes ansanble,
que de l’un et de l’autre sanble
que Dex l’un por l’autre feïst
por ce qu’ansanble les meïst.”
v1860
v1861
v1862
v1863
v1864
v1865
v1866
v1867
v1868
v1869
v1870
v1871
v1872

 

            •v1861 muiax. CSSm de müel, attesté sous cette forme au v1866, où il est au CSPm. Nous avons un adjectif qui se décline comme +bel. Pour dire “muet”, l’ancien français dispose de trois mots au moins.

Tout d’abord, +mu : le CRSm mu vient directement de l’accusatif singulier lat. m´utum25.

Et puis deux formes qui présentent des suffixes de diminutifs : +müet et +müel. Le français a fini par privilégier la forme muet. Dans PercL on ne rencontre pas +müet, mais deux fois +müel (précisement dans le passage que nous commentons) et trois fois +mu : “/./ Mout trovera et mu et sort Le roi /./” v8924, Li un as autres deduisoient, Fors il qui fu pansis et muz v909°, “/./ Plus fussiez muz que maz an engle /./” v817426. Y-at-il une différence entre ces trois mots ? En dépit de leur formation respective, ils ne semblent pas présenter de différence de sens, et le fait qu’ils se trouvent dans la bouche de personnages ou dans le récit du narrateur n’est pas non plus un critère de répartition (il est rare que dans la fiction d’oïl les personnages soient caractérisés par un vocabulaire spécifique). Pour la versification, ils ont des qualités spécifiques : +mu a une syllabe de moins que les deux autres. Enfin, il faut savoir qu’à l’époque de Chrétien, si +mu n’est peut-être pas marqué régionalement, il n’en va pas de même de +müet, qui est de l’Ouest, et de +müel, qui est du Nord et de l’Est. Or, le mètre nous prouve (en principe) que Chrétien a bien voulu un mot de deux syllabes v1861 et v1866, et en outre la rime montre que muiax v1861° remonte bien à Chrétien (il serait bien difficile de substituer à muiax un autre mot). Nous avons donc ici un emploi d’un mot régional. Il y a de la sorte plusieurs mots régionaux dans PercL27. Une fois qu’on les a repérés (ce que me semble-t-il les critiques ne font pas souvent, du moins dans la littérature sur Perceval que j’ai eue à ma disposition), il faudrait se mettre en devoir de les rendre, dans une traduction, par des mots du terroir ! Voilà qui dépasse mes forces.

            •v1862-•v1863 onques si biax Chevaliers ne fu nez de fame. Nous avons rencontré l’adverbe +onque dans un contexte non pleinement positif (cf. v1804) ; le voici employé, comme souvent, dans une phrase négative. Onques /./ ne signifie “jamais /./ ne”. Il réfère au passé, comme nous l’avons noté ◊Chap3 §80 à propos du v1803. Remarquez l’absence d’article devant Chevaliers et fame : ces mots évoquent des entités présentées comme non actualisées. Même chose pour chevaliers ne pucele v1868.

            •v1866-•v1867-•v1868-•v1869 S’il ne fussent muël andui,Tant est cil biax et cele bele C’onques chevaliers ne pucele Si bien n’avindrent mes ansanble. Fussent dans la proposition introduite par S’, forme de la conjonction +se, est un subjonctif imparfait qui traduit un irréel du présent : dans le moment où les chevaliers expriment cette hypothèse, nos deux jeunes gens sont effectivement muets. La suite du système hypothétique est exprimée avec des verbes à l’indicatif (est, avindrent), qui traduisent des constats.

            •v1868-•v1869 C’onques chevaliers ne pucele Si bien n’avindrent mes ansanble. Entre chevaliers et pucele apparaît la conjonction +ne, qui est courante chaque fois que l’on évoque des choses qui ne sont pas pleinement actualisées : ce qui est ici le cas. Mais nous traduisons “ni”, “ou” ou “et” en fonction du contexte. Ici “et” s’imposera. Notons par ailleurs Onques /./ n’ “jamais /./ ne” référant au passé, ce qui est normal. L’adverbe de temps +mais (écrit ici mes) se joint volontiers à d’autres adverbes. C’est ainsi que AF +ja +mais a donné notre jamais. Ici, +mais marche avec l’adverbe +onque, et il ne semble guère possible de traduire onques /./ mes autrement que “jamais”. D’où “jamais chevalier et jeune fille n’allèrent si bien ensemble”. Sur l’absence d’article dans chevaliers ne pucele, voir supra commentaire du v1863 ◊Chap4 §111.

            •v1870-•v1871 de l’un et de l’autre sanble Que Dex l’un por l’autre feïst. Notez bien feïst, qui est un subjonctif imparfait 3 (ne pas confondre avec le passé simple 3, qui est fist).Ce subjonctif évoque une action qui aurait eu lieu dans le passé (il y a belle lurette que Perceval et Blancheflor ont été faits), d’où l’imparfait, mais dont on n’affirme pas (il sanble) qu’elle s’est produite précisément l’un por l’autre, d’où le subjonctif : un procédé syntaxique (le subjonctif) redouble un procédé de lexique (il sanble). Traduction littérale, “au sujet de l’un et de l’autre il semble que Dieu les aurait faits l’un pour l’autre”. À vous de trouver une phrase finale élégante.

            •v1872 Por ce qu’ansanble les meïst. La forme meïst est ici le subjonctif imparfait 3 de +metre. Ne confondez pas avec mist, passé simple 3 du même verbe. Traduction littérale, “afin qu’il les mît ensemble”.

 

 

4.3.6. Traduction et/ou commentaire de PercL v1873-v1879 : attente de paroles de Perceval. (§112)

§112

 

  Et tuit cil qui leanz estoient
antr’ax grant parole an feisoient,
et la dameisele atandoit
qu’il l’aparlast de que que soit,
tant qu’ele vit tres bien et sot
que il ne li diroit ja mot
s’ele ne l’aresnoit avant,
/./.
v1873
v1874
v1875
v1876
v1877
v1878
v1879

 

            •v1875-•v1876 la dameisele atandoit Qu’il l’aparlast. La forme aparlast est à l’imparfait du subjonctif parce que atandoit est à l’imparfait de l’indicatif. Si nous remplacions atandoit par un présent de l’indicatif, nous aurions : la dameisele atant qu’il l’aparout (subjonctif présent). (J’ai écrit cette phrase avec les graphies de Guiot.)

            •v1876 que que soit. Signifie “quoi que ce soit”.

            •v1879. “Si elle ne lui adressait pas la parole auparavant” d’où “si elle ne lui parlait pas la première”.

 

 

4.4. Tiroir conditionnel et tiroir futur. (§113, §114, §115, §116, §116a)

 

4.4.1. Le tiroir conditionnel : valeurs. (§113)

§113

            Nous avons remarqué dans le texte travaillé dans ce chapitre que le tiroir conditionnel peut avoir une valeur modale. Il traduit une hypothèse qui porte sur le futur au v1836 et le résultat de cette hypothèse au v1838. Hypothèse et résulat envisagés sont perçus comme des potentiels. Au v1862, il exprime un potentiel ou un irréel (il est difficile de savoir si l’hypothèse porte sur le présent ou sur le futur). Au v1835 Com a prodome covandroit “comme il le faudrait pour un homme de bien”, le tiroir conditionnel répond à une hypothèse implicite “si nous avions un tel ostel”.

            Dans ele vit tres bien et sot Que il ne li diroit ja mot v1878, la valeur du tiroir conditionnel est temporelle. Ici, ce tiroir exprime “un futur vu à partir d’un moment du passé”28. Si l’on transpose les verbes vit et sot au tiroir présent de l’indicatif, nous obtenons ele voit tres bien et set Que il ne li dira ja mot29.

 

 

4.4.2. Le tiroir conditionnel, conjugaison : les terminaisons. (§114)

§114

            Si le tiroir conditionnel est apte à rendre la transposition du futur vu du passé, on peut s’expliquer la formation de ce tiroir. Le parallélisme au plan des notions se refléterait dans un parallélisme des formes. En effet, à l’origine, le futur 6 partir‑ont (ancien français = français moderne) c’était “(ils) ont (à) partir”, avec l’ordre latin des mots : infinitif partir + indicatif présent 6 du verbe avoir, ont ; le conditionnel 6 partir‑aient (ancien français partir‑oiënt) s’analyserait en “(ils) avaient (à) partir”, avec la forme “avaient” (ancien français avoiënt) un peu écrasée. Dans cette optique, on comprend pourquoi tiroir conditionnel et tiroir futur ont le même radical, terminé par r : c’est parce qu’à l’origine, ce radical n’est rien d’autre que l’infinitif du verbe (lequel peut se retrouver intact, au moins graphiquement, comme dans partir‑ai, chanter‑ai, ou un peu écrasé, comme dans prendr‑ai [ces trois formes et les infinitifs respectifs chanter, partir, prendre sont les mêmes en ancien français et en français moderne30]).

Je m’arrêterai à cette explication traditionnelle, bien qu’André Lanly, dans Deux problèmes de linguistique française et romane (Paris, Champion, 1996), nous invite à emprunter des pistes autres pour expliquer l’origine de la forme en ‑rais31.

Les considérations exposées §113 et §114 montrent aussi pourquoi depuis quelque temps (j’écris ceci en avril 2004), d’aucuns en France n’utilisent plus les dénominations de tiroir futur et tiroir conditionnel, mais respectivement de futur I et futur II (ce qui au plan de l’enseignement est peu judicieux).

            En français moderne, les désinences du tiroir conditionnel sont celles du tiroir de l’indicatif imparfait. Il en va de même dans PercL : puisque vous savez conjuguer l’indicatif imparfait (cf. ◊Chap2 §39, §40), vous savez aussi conjuguer le tiroir conditionnel. Voici néanmoins deux tableaux pour fixer les choses. Je prends le verbe +cuidier (inf. cuidier dans PercL32) ; je pourrais prendre n’importe quel verbe non impersonnel. Dans la colonne de gauche je présente un système normalisé qui en particulier met en évidence la syllabation ; dans la colonne de droite, j’écris les désinences telles qu’on les trouve dans PercL. La colonne de gauche est à apprendre par cœur, celle de droite est à consulter.

 

+cuidier normalisé

+cuidier à la PercL

cuider-oië

cuider-oie

cuider-oiës

cuider-oies

cuider-oit

cuider-oit

cuider-iiens

cuider-ïens33

cuider-iiez

cuider-ïez, cuider-eiez34

cuider-oiënt

cuider-oient

 

            Attention ! Ne confondez pas dans PercL tiroir conditionnel et tiroir futur. L’un et l’autre tiroir ont le même radical, mais les terminaisons diffèrent.

 

 

4.4.3. Le tiroir futur, conjugaison : les terminaisons. (§115)

§115

            Pour bien fixer les choses, je conjugue maintenant le verbe +cuidier au futur. Dans la colonne de gauche je choisis des formes qui seraient en principe courantes en françois au début du 13e siècle. Cette colonne de gauche est à apprendre par cœur. Dans la colonne de droite, j’écris les désinences telles qu’on les trouve dans PercL. Cette colonne de droite est à consulter.

 

+cuidier normalisé

+cuidier à la PercL

cuider-ai

cuider-ai, cuider-é

cuider-as

cuider-as

cuider-a

cuider-a

cuider-ons

cuider-ons, cuider-omes

cuider-ez

cuider-ez, cuider-oiz

cuider-ont

cuider-ont

 

 

            Dans PercL, on trouve ‑é pour ‑ai au futur 1 une fois : beiseré v694. Dans PercL, la désinence ‑omes au futur 4 n’est pas très souvent représentée, mais bien attestées. On trouve aussi cette désinence à l’indicatif présent dans PercL. Le mètre et la rime prouvent qu’elles remontent à Chrétien. Reconnaissez bien en cuideroiz un futur 5. Le futur 5 en ‑oiz est plus fréquent que le futur 5 en ‑ez dans PercL ; on le trouve à l’intérieur du vers et aussi en rime, par exemple voldroiz v3995° (: reisons et droiz), rime qui théoriquement remonte à Chrétien. Il me semble qu’à l’époque de la composition de Perceval, les terminaisons de futur en ‑romes et en ‑roiz sont surtout du Nord-Est. Les traits régionaux exploités (affichés ?) par Chrétien ne se bornent donc pas au lexique (voir supra ◊Chap4 §111, commentaire du v1861).

 

 

4.4.4. Conditionnel et futur, conjugaison : quelques détails sur le radical. (§116, §116a)

§116

            Comme il est exposé supra ◊Chap4 §114, le radical de ces deux conjugaisons est le même pour un verbe donné. Je prendrai tous les exemples à l’aide de formes de futur. Ce radical a pour origine l’infinitif du verbe, mais cet infinitif subit parfois quelques transformations. Ces transformations peuvent être importantes, minimes, ou inexistantes, du moins dans la graphie. Voici ce qui se produit pour +tenir, +prendre et +chanter en français central : AF inf. tenir / fut. 1 tendrai, AF inf. prendre / fut. 1 prendrai, AF inf. chanter / fut. 1 chanterai35.

            Si un enseignant interroge sur le futur ou le conditionnel à propos d'un passage, il demande en général de travailler à partir des formes de futur ou de conditionnel effectivement attestées dans ledit passage : c’est dire qu’il faut être capable de produire les désinences, mais que le radical sera donné par le passage. Toutefois, pour pouvoir traduire le texte, vous devez être en mesure d’identifier sans erreur une forme comme étant un futur ou un conditionnel et de reconnaître de quel verbe elle relève. Pour cela, le principal est de bien connaître le jeu des désinences, et de se rappeler que le radical qui précède ces désinences est toujours terminé par r : un peu d’intuition linguistique fera la reste.

            En principe, il existe de belles règles qui permettent de prédire quelle forme va prendre le futur (ou le conditionnel) d’un verbe donné si l’on connaît son infinitif et le groupe dont il relève. Mais dans PercL une multitude de réajustements, souvent dus à des développements phonétiques particuliers, en brouillent la lisibilité pour des débutants. Voici toutefois les règles de correspondance entre infinitif et futur : elles vous serviront peut-être pour la suite de vos études.

 

 

§116a

            La première grande idée est qu’une voyelle ou une diphtongue placée dans l’intérieur d’un mot, et donc qui n’est pas sous l’accent tonique, va disparaître. Cela se vérifie bien dans de nombreux verbes du troisième groupe. Je marque parfois en caractères MAJUSCULES les éléments vocaliques de la syllabe tonique dans mes couples d’exemples : infinitif / futur 1, écrits dans les graphies du TL. Faites bien entendre les partie accentuées pour saisir comment cela fonctionne.

                        Infinitif en ‑re : le [] final de l’infinitif disparaît. Exemples, +prendre, +metre ; schémas, inf. prendre / fut. 1 prendrai, inf. metre / fut. 1 metrai36.

                        Infinitif en ‑oir : ‑oi‑ disparaît. Exemples,+avoir, +savoir, +paroir “paraître” ; schémas, inf. avoir / fut. 1 avrai, inf. savoir / fut. 1 savrai, inf. paroir / fut. 1 parrai.

                        Infinitif en ‑ir : ‑i‑ disparaît (généralement). Exemple, +morir “mourir” : schéma, inf. morir / fut. 1 morrai.

            Quelques accidents phonétiques peuvent résulter du contact de la dernière consonne du radical avec [r]. Exemples, +tenir, +manoir “rester”, +voloir, +chëoir “tomber”, +pöoir “pouvoir”. Les schémas sont : tenir / fut. 1 tendrai, inf. manoir / fut. 1 mandrai (apparition d’un [d] de transition entre [n] et [r] dans ces deux verbes) ; inf. voloir / fut. 1 voudrai ([d] de transition, puis [l], placé devant consonne, se transforme en []) ; inf. chëoir / fut. 1 cherrai, inf. oir / fut. 1 porrai (dans ces deux cas, le radical se termine par une dentale “cachée”, laquelle se combine avec [r] pour donner [rr]).

 

            La deuxième grande idée, c’est que, même amenées à l’intérieur du mot, certaines voyelles se conservent : soit à cause du timbre de la voyelle latine de départ, qui était prononcée particulièrement audible (c’est le cas de la voyelle a du latin) ; soit pour d’autres raisons, en particulier pour maintenir au futur et au conditionnel un radical qui est reconnaissable par rapport aux autres tiroirs de la conjugaison du verbe (c’est ce qui se produit pour les verbes du deuxième groupe), ou pour prévenit des séquences de consonnes difficiles à prononcer (par exemple dans le verbe +partir).

            Était prononcée particulièrement audible la voyelle a du latin ; or les infinitifs latins en ‑´are donnent nos verbes du premier groupe, avec deux sous-groupes en ancien français (en fonction de ce qui précédait ‑´are en latin vulgaire) : en ‑´er et en ‑´ier. Résultat, voici les schémas de correspondance entre infinitif et futur pour les verbes du premier groupe. Je prends pour exemples respectivement +prover “prouver” et +cuidier. Nous avons inf. prover fut. 1 proverai37, et inf. cuidier38 / fut. 1 cuiderai.

                        La voyelle [i] a été maintenue dans la majeure partie des verbes du deuxième groupe et dans certains verbes du troisième groupe. Le schéma des verbes du deuxième groupe, infinitif en ‑ir avec infixe [is] à l’infectum est donc par exemple pour +garantir : inf. garantir / fut. 1 garantirai39. En ce qui concerne +partir (troisième groupe), on notera : inf. partir / fut. 1 partirai.

 

                        Autres types : reportez-vous à votre grammaire favorite. Un relevé des formes de futur et de conditionnel de PercL v1301-v3407 qui pourraient être perçues comme difficiles figure dans MarcotteFuturs.

 

 

4.5. Pronom personnel : morphosyntaxe. (§117, §118, §119, §120, §121, §122)40

            Les lemmes des pronoms dits personnels dans le présent cours sont dans le TL, par ordre alphabétique, +i, +il, +je, +nos, +soi, +toi, +tu, +vos ; je joins les adverbes pronominaux (on dit aussi pronoms-adverbes) +en (◊Glossaire : +en1) et +i.

 

4.5.1. Pronom personnel : remarques d’ensemble, tableau. (§117)

§117

            Attention ! Je ne procède PAS à une définition de ce qui est entendu par pronom personnel, catégorie hétéroclite au plan du sémantisme, mais qui partage des caractéristiques communes concernant son fonctionnement dans la phrase. Je catégorise (à la suite de bien d’autres !) comme pronoms personnels d’une part ce qui est donné infra dans le tableau qui termine le présent §117 et d’autre part +en et +i mentionnés ◊Chap3 §118. L’exposé qui vient est très simplifié par rapport à ce que vous pouvez lire ailleurs. En particulier, je ne parlerai pas de la façon dont les pronoms se comportent dans les phrases jussives ou interrogatives, et n’aborderai pas toutes les particularités de construction des pronoms personnels employés avec l’infinitif.

 

            Je pars d’exemples en français moderne, où, ceci est très important, je me borne au fonctionnement de pronoms compléments. Je prends comme exemple la sixième personne du masculin (on peut dire aussi troisième personne du masculin pluriel). Soit la phrase :

Hannibal exhibe ses soldats aux Romains.

 

            Remplaçons le complément d’objet direct par un pronom personnel :

Hannibal LES exhibe aux Romains.

            Remplaçons le complément d’objet second par un pronom personnel :

Hannibal LEUR exhibe ses soldats.

            Remplaçons les deux compléments par des pronoms personnels :

Hannibal les leur exhibe.

 

            Nous constatons donc qu’aujourd’hui encore, le pronom personnel se décline. Et il nous manque une forme de complément de personne 6 du masculin : eux. Eux est la forme que revêt le pronom personnel masculin complément de personne 6 d’une part après préposition :

Hannibal exhibe ses soldats pour eux

et d’autre part chaque fois que l’on veut mettre le pronom en relief, en particulier en le détachant du verbe en le plaçant quelque part avant lui :

Eux, Hannibal les exhibe, mais il cache ses éléphants,

ou en le postposant au verbe :

Hannibal les exhibe, eux, mais pas ses éléphants.

 

            En d’autres termes, et en gardant l’exemple de la sixième personne du masculin : dans les phrases assertives, eux est la forme du pronom personnel complément quand il est placé sous l’accent tonique (ce qui veut dire notamment : quand il suit une préposition, et, à l’écrit, quand il est entre deux ponctuations), tandis que si le pronom complément n’est pas accentué et qu’il précède le verbe conjugué, il revêt la forme les s’il est complément d’objet direct, leur s’il est complément d’objet indirect (comme dans FM je leur obéis) ou complément d’objet second (comme dans FM je leur donne une pomme). Les et leur sont des formes atones. La forme des pronoms personnels est donc susceptible de changer selon leur fonction et selon leur caractère tonique ou atone. En ce qui concerne les pronoms personnels compléments, les principes de répartition des formes compléments de verbes conjugués sont à peu près les mêmes en ancien français et en français moderne.

 

            Reste le pronom personnel sujet. Sur ce point, on ne peut éclairer l’ancien français par le français moderne. Je considère par commodité que dans les exemples de PercL que je commente, le pronom personnel sujet est toujours tonique.

 

            Voici un tableau de la déclinaison des pronoms personnels dans le système graphique du TL. Les formes dites toniques sont en caractères gras soulignés. CRD atone = cas régime direct dit atone ; CRI atone41 = cas régime indirect dit atone ; CR tonique = cas régime dit tonique (forme qui répond indifféremment à la fonction d’objet direct, d’objet indirect ou d’objet second). J’utilise souvent (hors tableaux), je l’ai déjà dit, les dénominations “dit tonique” au lieu de “tonique” ou “dit atone” au lieu de “atone”. Par scrupule, mais en fait, en dehors de certaines constructions statistiquement plutôt rares (avec impératif comme dans AF regarde le ou avec infinitif comme dans AF por moi vëoir “pour me voir”), les formes dites atones sont en effet dépourvues d’accent tonique, et les formes dites toniques tombent en effet sous un accent tonique de syntagme.

 

 

1

2

3m.

3f.

4 et 5

6m.

6f.

réfl.

CS

je

tu

il

ele

nos, vos

il

eles

 

CRD atone

me

te

le

la

nos, vos

les

les

se

CRI atone

me

te

li

li

nos, vos

lor

lor

se

CR tonique

moi

toi

lui

li

nos, vos

eus

eles

soi

 

 

4.5.2. Remarques de détail sur les formes du pronom personnel ; formes de PercL. (§118)

§118

 

            NB. N’oubliez pas que les graphies sont celles du TL : je signale infra les divergences entre les formes de Guiot et celles du tableau ; elles sont peu nombreuses.

            1. Au CSS de la première personne, on trouve aussi ge ; je et ge peuvent s’élider devant voyelle et devenir j’ et g’. Se rencontre aussi gié (par exemple v1676°) ; gié est toujours postposé au verbe et presque toujours placé à la rime.

            2. Me, te, le, la et se s’élident obligatoirement devant voyelle en m’, t’, l’ et s’ ; li ne s’élide que devant le pronom-adverbe +en : l’en.

            3. Le et les peuvent se souder à certains mots qu’ils suivent (phénomène souvent dit d’enclise, mais il y aurait à discuter; on pourrait simplement parler de contraction). Voici les formes d’enclise de ces pronoms attestées dans PercL : gel et jel (issus de ge/je + le)42, ges v6761, jes v1142, v1388 (issus de ge/je + les)43, nel (issu de l’adverbe +ne + le), nes (issu de l’adverbe +ne + les)44, ques (issu du relatif +qui + les) v2480, sel (issu de l’adverbe +si + le), ses (issu de l’adverbe si + les)45.

            4. La forme eus ne se trouve pas dans PercL : on trouve aus (par exemple v1400) et ax (par exemple v1783) ; as CRP de il ne se trouve qu’une fois dans PercL, au v2657, où il reproduit bien le manuscrit.

            5. Je considérerai que +en et +i, pronoms46 absents du tableau, fonctionnent toujours comme des régimes atones47.

 

 

4.5.3. Pronom personnel : un peu de vocabulaire. (§119)

§119

            Consciente que je suis de ne pas traiter l’ensemble de la question, je la présente sous forme de “notes” ; mais vous devez retenir la substance de toutes ces notes. N’omettez pas d’enrichir votre vocabulaire et votre bagage conceptuel en consultant n’importe quelle grammaire récente. En particulier, sachez utiliser et comprendre les mots représentant, conjoint et prédicatif. Les pronoms des personnes 1, 2, 4 et 5 ne sont pas des représentants. Un pronom conjoint est lié au verbe, dont il ne peut être séparé que par un autre pronom conjoint : par exemple dans FM le roi leur parle, il est impossible d’intercaler quoi que ce soit d’autre que en entre leur et parle. On peut opposer pronom conjoint et pronom disjoint. Un mot prédicatif est un mot qui “peut faire phrase à soi seul”, selon la “définition incomplète, mais opératoire” de LireTU p11 : par exemple, est prédicatif le pronom lui dans FM Qui vois-tu ? — Lui. Pour décrire les formes des pronoms personnels régimes, de nombreux grammairiens utilisaient les termes faible et fort au lieu de atone et tonique. On parle aussi de pronom clitique pour désigner un pronom qui n’a pas d’accent propre mais fait nécessairement corps avec un autre mot. Le proclitique fait corps (au plan accentuel) avec le mot qui le suit.

 

 

4.5.4. Notes sur la syntaxe du pronom personnel régime dit atone. (§120)

§120

            Je ne m’intéresse qu’aux propositions assertives et je simplifie un peu.

            Les CR dits atones ne s’emploient que pour des pronoms qui ont la fonction de complément. Ils s’emploient le plus souvent comme proclitiques : ils sont placés devant le verbe conjugué et dans cette position sont véritablement atones. Notons trois différences par rapport au français moderne :

            1. Quand deux pronoms personnels régimes atones précèdent le verbe, le pronom au CRD vient toujours avant le pronom au CRI, quel que soit le rang des personnes impliquées : il la me dona v3652.

            2. Si les pronoms compléments atones sont tous deux des personnes 3 et/ou 6, dans ce cas, l’ancien français n’exprime pas toujours le pronom qui a la fonction d’objet direct : li rois lor done, “le roi la leur donne” ou “le roi le leur donne” ou “le roi les leur donne” ; li rois li done, “le roi la lui donne” ou “le roi le lui donne” ou “le roi les lui donne”. Dans PercL on rencontre déjà la façon de faire moderne, par exemple v3154 (qui est cité ◊Chap2 §48) ; mais si l’on se reporte à PercB, on voit qu’aucun des autres manuscrits que celui qui est la base de PercL ne présente La li à l'endroit correspondant. (Je dois cette remarque à l’obligeance de Monsieur Takeshi Matsumura.)

            3. Les pronoms compléments d’un infinitif qui lui-même est un complément dépendant étroitement d’un verbe conjugué se mettent le plus souvent devant ce verbe conjugué et au CR dit atone. Opposer FM le roi veut le voir, et AF li rois le veut vëoir ; opposer FM le roi commence à le faire, et AF li rois le comence à faire ; opposer FM le roi veut leur donner le cheval et AF li rois lor veut doner le cheval. Exemple : Or se puet li vaslez deduire v2572.

 

 

4.5.5. Notes sur la syntaxe du pronom personnel régime dit tonique. (§121)

§121

            1. Les CR dits toniques ne s’emploient en principe que pour des pronoms qui sont compléments ou dans la sphère du complément (cf. ◊Chap2 §18).

            2. Les CR dits toniques sont le plus souvent en effet placés sous l’accent tonique ; c’est pourquoi ils peuvent servir à mettre en relief le pronom. Exemples (inventés, sinon inventifs) : li rois L’aime “le roi l’aime” (L, pronom atone, n’est pas mis en relief) ; LI aime li rois “c’est elle que le roi aime” ; LUI aime li rois “c’est lui que le roi aime”.

            3. L’emploi d’un CR dit tonique est obligatoire quand le pronom est complément d’un verbe non exprimé : Si la salue, et ele LUI v1829.

            4. L’emploi d’un CR dit tonique est obligatoire après préposition : tu me voiz, mais tu viens por MOI.

            5. Attention ! Opposer FM le roi vient pour te voir, et AF li rois vient por TOI vëoir ; Opposer FM le roi vient pour les voir, et AF li rois vient por EUS vëoir ou li rois vient por ELES vëoir : la présence de la préposition appelle la forme dite tonique du pronom personnel complément quand ce pronom suit immédiatement la préposition, même si ce pronom est complément de l’infinitif régi par la préposition (ici, les pronoms sont le complément d’objet direct de vëoir)48. Exemple Devant le palais fu asise La reïne por LUI atandre v8717.

 

 

4.5.6. Notes sur la syntaxe du pronom personnel sujet. (§122)

§122

            Pour l’étude du pronom personnel sujet dans PercL, il est opérant de considérer que celui-ci est toujours tonique. Ce qui veut dire entre autres que dans le cadre de la loi rythmique qui régit la place du corps verbal, il est apte à former à lui seul le corps tonique n° 1 ou le corps tonique n° 3. Très souvent, donc, l’expression ou la non-expression du pronom personnel sujet est liée aux contraintes de la loi rythmique : vous noterez en particulier que c’est ce qui se produit dans le cas de il sujet grammatical d’un verbe impersonnel. Le pronom personnel sujet est également apte à être détaché du verbe et à s’employer dans des propositions où le verbe n’est pas exprimé : tout cela peut être lié à son caractère tonique.

            Exemples, avec les conventions suivantes : je néantise les éléments zéro (en l’occurrence, des conjonctions, considérées comme atones) au moyen de parenthèses doubles, j’écris les pronoms personnels au cas sujet en MAJUSCULES, je sépare les corps toniques par une barre oblique, et je manifeste le corps verbal en caractères gras soulignés.

 

 

IL | esgarde | la vile | tote,                                                               

/./.

 

((Et)) IL | dormi | jusqu’au matin                                                    

/./.

 

“/./

((qu’)) IL | est | mes sire | ((et)) JE | ses hom.                                  

/./.”

v5692



v3342



v2773

 

 

Fin du Chapitre 4 de May Plouzeau, PercevalApproches
◊Chap4 Fin

Dernière correction : 11 décembre 2012.
Date de mise à disposition sur le site du LFA : 16 avril 2007.

haut de page | retour à la page d'accueil