May Plouzeau,
PercevalApproches, Chapitre 6
◊Chap6
(§140-§176a)
Sommaire
6.1.
Traduction et/ou commentaire du texte proposé dans le devoir n° 1 :
PercL v1919-v1942. (§140, §141, §142)
Rappel : le sujet du devoir n° 1 se trouve ◊Chap5 §139.
Le ◊Glossaire est très détaillé et fournit de nombreuses informations tant sur le sémantisme des mots que sur leur identification grammaticale. Voilà pourquoi je traduis peu : vous devez faire un effort personnel.
6.1.1.
Traduction et/ou commentaire de PercL v1919-v1929 : repas et
dispositions pour la nuit. (§140)
§140
•v1919-•v1920. Dans la traduction, ne pas s’éloigner du texte : le v1919 nous montre des gens à table, et le second vers nous parle de leur appétit : garder le petit tableau des convives assis et la notion d’appétit (talant) là où ils apparaissent. Ce qui pourrait donner : “Il sont restés à table fort peu de temps, mais ont mangé avec grand appétit”. En ancien français, +talent signifie le plus souvent “inclination”, “envie”, “désir” (la traduction par “appétit” est ici amenée par le contexte). Dans PercL, nous avons, sur le radical du mot +talent, le verbe +atalenter à aucun, voir ◊Glossaire, et le verbe +entalenter, qui se réalise dans le participe graphié avec antalant‑ (voir le glossaire de PercL) ; entalenté (graphie du TL) de signifie “désireux de” ; nous avons enfin le nom +mautalent, écrit mautalant v1273, v4383, et qui signifie en ses deux occurrences “mauvaises dispositions d’esprit”. Certains ont coutume de réciter des fiches sur talent et son histoire pittoresque ; je ne me livrerai pas à cette activité.
•v1922-•v1923. L’autre nuit c’est littéralement “l’autre nuit” et en l’occurrence “la nuit d’avant” : il s’établit un roulement pour garder le château la nuit. Littéralement : “Ceux-là restèrent, qui dormirent, qui avaient veillé la nuit d’avant”, ou bien “Restèrent, qui dormirent, ceux qui avaient veillé la nuit d’avant” : comme Cil est séparé de qui l’autre nuit /./ par une proposition encadrée de virgules, nous ne pouvons savoir s’il faut interpréter Cil /./, qui l’autre nuit /./ “ceux-là /./, lesquels /./ ” ou Cil /./ qui l’autre nuit “ceux qui /./”. En comparant avec le v1924, nous comprendrons Cil /./ qui l’autre nuit “ceux qui” (mais nous n’oublierons pas que toutes les virgules sont dues à l’éditeur, Félix Lecoy, qui aurait pu choisir de ponctuer autrement). Le verbe +dormir soi, pronominal, indiquerait une participation plus intime du sujet à l’action ; si en outre nous nous rappelons que l’ancien français utilise souvent le passé simple là où en français moderne nous utilisons l’indicatif imparfait, nous pourrions comprendre “restèrent, car ils dormaient, ceux qui avaient veillé la nuit d’avant” : Chrétien serait en train de nous montrer littéralement dormant debout ces malheureux ! Je ne crois pas qu’aucune objection d’ordre linguistique puisse valoir contre la possibilité d’interpréter ainsi. Une deuxième interprétation, plus banale, est “restèrent pour dormir ceux qui avaient veillé la nuit d’avant”. Je note avec amusement que QuéreuilVoixPronGraal commente l’effet de sens de +dormir soi v1963° mais omet de mentionner l’occurrence du v1922°.
•v1925 par le chastel. On peut traduire “à travers le château”.
•v1926-•v1927. “Auxiliaires et écuyers au nombre de cinquante, tels furent ceux qui veillèrent cette nuit-là” ou bien “il y eut des auxiliaires et des écuyers au nombre de cinquante pour veiller cette nuit-là”. Je donne à la dans la nuit le sens d’un démonstratif. Je garde l’effet produit par la position de .L. rejeté en début de vers (effet déjà rencontré, cf. Et aprés lui vienent vaslet Dui ; desafublé sont venu v1354-v1355). Si nous voulons non seulement traduire, mais aussi comprendre (ce n’est pas la même chose !), nous devons nous demander si le nombre de cinquante porte sur l’ensemble Sergent /./ et escuier ou seulement sur le dernier de ces mots. La grammaire ne le dit pas, non plus que le reste du texte. Notons que dans la copie Guiot, ce sont des subalternes que l’on prive de sommeil. Dans l’énorme majorité des autres manuscrits de Perceval, au lieu de escuier, nous avons ici chevalier, ce qui d’une part donne une image un peu différente de la vie sociale et militaire de Beaurepaire, et d’autre part, incline à faire porter le chiffre de cinquante seulement sur le mot chevalier : cf. v1999 et écoutez l’enregistrement e6.
•v1928-•v1929 mout se traveillierent De lor oste bien aeisier. Identifier la construction : +travaillier soi +de + infinitif ; lor oste est le complément d’objet direct de l’infinitif aeisier. Ont peut traduire “se donnèrent beaucoup de peine pour le bien-être de leur hôte”.
6.1.2.
Traduction et/ou commentaire de PercL v1930-v1942 : coucher
de Perceval. (§141, §142)
§141
•v1931 au chief. “À la tête” ; on rencontre aussi le mot +teste dans PercL. L’étude des emplois et sens de +teste et +chief dans un texte médiéval donné est toujours très intéressante à conduire.
•v1931-•v1932 mestent et antremestent. Indicatif présent 6 respectivement de +metre et de +entremetre (ce dernier verbe étant formé sur +metre). Metre provient phonétiquement du lat. m´ittere et l’indicatif présent 6 lat. m´ittunt donne metent en ancien français central de la fin du 12e siècle1. Guiot écrit encore mestent au v4925, mais partout ailleurs dans Perceval2, il graphie (‑)met‑ le résultat de lat. (‑)mitt‑, que ce soit dans le verbe simple ou dans des dérivés ; on lit par exemple metent v7633 et promet v731°. On peut trouver plusieurs causes à cette graphie en (‑)mest‑. La première, c’est qu’en écrivant de la sorte, Guiot réaliserait — au moins graphiquement — une plus grande unité entre les différents radicaux du verbe metre, verbe dont le participe passé est mis, et dont le passé simple a une base terminée par s à plusieurs de ses personnes (cf. mist v4281, remist v3163, passé simple 3 respectivement de +metre et +remetre). La deuxième est d’un autre ordre.
La lettre e chez Guiot pourrait noter quatre valeurs
phonétiques [],
[
],
[
]
et [
]
(je note par convention au moyen de [
]
le produit de a tonique libre latin ni précédé de palatale ni suivi
de nasale3).
Par exemple, le CRSm bel (lat. b´ellum) se prononce [
],
met (lat. m´ittit) s’est prononcé [
]4,
nue (lat. n´uda) se prononce [
]
et le CRS tel (lat. t´alem) se prononcerait [
]5.
Généralement, les copistes du Moyen Âge n’ont pas mis au
point l’usage d’accents qui indiqueraient la prononciation de la lettre e
dans les mots : il n’est pas impossible qu’en écrivant mestent
et entremestent, Guiot cherche un moyen de distinguer dans ces mots
le e tonique de []
non tonique. Mais, nous l’avons vu, il n’a pas généralisé ce système ;
peut-être parce que dans le cas de notre verbe, il aurait été générateur d’ambiguïtés :
ainsi, dans PercL, la forme mestre est utilisée pour le mot
issu du lat. magister6
(exemple : li sages mestre Les petiz anfanz andoctrine v7932° ;
le lemme du TL est +maistre), mais l’infinitif de +metre y est
toujours écrit metre. On peut se demander si ce type de graphie, mestent
pour metent, à l’époque de la copie de Guiot, relève plus spécifiquement
de certaines régions. Je ne sais répondre7.
§142
•v1933 Trestot l’eise et tot le delit. “Composé de tot et de l’adv. tres, le mot {trestot} conserve parfois une partie de la valeur de superlatif qu’il a dû avoir à l’origine /./. Mais dans la plupart des cas trestot n’est qu’un synonyme commode de tot” lit-on dans FouletPerceval p308. Ces énoncés peuvent s’appliquer semble-t-il à PercL. On notera que dans PercL, +trestot est beaucoup moins fréquent que +tot, ce qui permettrait de croire qu’il conserve “une partie de la valeur de superlatif qu’il a eue à l’origine”. +Trestot se décline comme +tot. — La présence de trestot, forme de masculin, devant eise montre qu’ici le mot +aise est du genre masculin8. — Le mot +delit est de la même famille que +delectable. Si nous nous livrons à un travail de traducteur, nous devons être attentifs. Nous pouvons comprendre “plaisir”, mais si nous rendons deduit v1936° (TL +deduit) par “plaisir”, nous aurons besoin d’un autre mot ici. — Au terme de ces observations, je propose comme traduction du v1933 “absolument tout le bien-être et tout l’agrément”.
•v1934 Qu’an saüst deviser. Saüst est un subjonctif imparfait (voir infra dans le présent ◊Chap6 §174a). Le texte ne porte ni sot ni savoit : il ne s’agit pas de substituer un indicatif au subjonctif dans la traduction ! Par ailleurs, étant donné le contexte, on peut traduire ici +savoir par “pouvoir”. D’où “qu’on eût pu souhaiter”. — An lit : “dans un lit (quel qu’il soit)” : ce lit n’est pas actualisé, aussi l’ancien français ne met-il pas d’article.
•1935 li chevaliers. Notre héros n’est plus appelé li vaslez : voir commentaire du v1828 ◊Chap4 §108. La dénomination peut être ironique, car le passage décrit précisément le delit d’un simple enfant.
•v1936 Fors que solement. Mot à mot “excepté seulement”. L’expression est redondante dans le texte de départ, gardons la redondance dans le texte d’arrivée : l’exercice de traduction ne consiste pas uniquement à faire passer le sens général, mais à épouser dans la mesure du possible le mouvement des phrases d’origine.
•v1936 le deduit. Le mot existe encore en français d’aujourd’hui, mais son emploi est qualifié de “vieux” dans PetitRobert1993 p560b. C’est dire qu’il n’est pas possible de l’utiliser pour rendre le mot +deduit du texte, parce qu’à l’époque de Chrétien, l’emploi de ce mot ne créait pas d’effet d’archaïsme. Concernant ce mot, il est une autre différence entre l’ancien français et le français moderne : dans PetitRobert1993 il est traduit : “Divertissement. Jeux amoureux.” Et en effet, deduit, se trouve aujourd’hui semble-t-il surtout dans des contextes érotiques. Or, en ancien français, le mot +deduit n’est pas limité à ces seuls contextes : par exemple, l’on parle souvent de deduit d’oiseaus ou de deduit en riviere, en référence au plaisir de la fauconnerie.
•v1933 /./ •v1935-•v1936-•v1937-•v1938 tot le delit /./ Ot li chevaliers /./ Fors que solement le deduit De pucele, se lui pleüst, Ou de dame, se li leüst. Plëust et leüst, subjonctif imparfait 3 dans des propositions introduites par +se “si” traduisent des irréels du passé : se lui pleüst c’est littéralement “s’il lui avait plu”, donc “si tel avait été son désir” et se li pleüst c’est littéralement “s’il lui avait été permis”. Noter la différence des verbes : il y a bien une pucele au chastel, donc il eût suffi à Perceval de désirer ; mais (du moins selon la description du chastel qui est faite), il n’y a pas de dame en ce lieu : voilà pourquoi dans ces circonstances le deduit de dame ne peut être envisagé comme permis. Noter l’absence de symétrie dans le mode des verbes de la principale et des propositions introduites par la conjonction +se “si” : ot est un indicatif, en l’occurrence au passé simple (Perceval a vraiment éprouvé tot le delit Qu’an saüst deviser an lit), tandis que les propositions introduites par +se, avec leur imparfait du subjonctif, renvoient à des irréels.
•v1941 auques par tans. En utilisant les traductions fournies dans le ◊Glossaire aux entrées +auques et +tens et en les adaptant on peut aboutir à “passablement vite”.
6.2.
Syntaxe, à propos d’une question posée dans le devoir n° 1 :
revenons sur la loi rythmique. (§143, §144)
§143
Ainsi qu’il a été rappelé ◊Chap5 §139, dans le devoir n° 1 figurait la question de syntaxe suivante : “La place du corps verbal sur le passage v1919-v1928 (à l’exclusion des propositions relatives).”
Pour traiter cette question , nous devons d’abord définir ce que nous entendons par “corps verbal”. Le “corps verbal” comprend nécessairement une forme conjuguée. Les formes verbales qui ne portent pas de marques de personne (participes, infinitif, gérondif) n’appartiennent pas au corps verbal. Si la forme qui porte des marques de personne est accompagnée de pronoms personnels compléments proclitiques (c’est-à-dire de pronoms personnels compléments atones qui la précèdent), ces pronoms appartiennent au corps verbal (mais les pronoms personnels dits toniques et en particulier le pronom personnel sujet n’appartient pas au corps verbal). Enfin, l’adverbe de négation +ne appartient souvent au corps verbal. Pour ce que nous étudions dans le présent cours, aucun autre élément ne peut composer le corps verbal. Nous nous intéressons au corps verbal principalement sous l’angle de sa place dans la phrase. En effet, les lois qui régissent cette place sont parmi les plus importantes de la syntaxe de l’ancienne langue. À mon sens, elles définissent la principale originalité du vieux français par rapport au latin et au français moderne. Parmi ces lois, il en est une que d’aucuns appellent “loi rythmique”, et que l’on peut énoncer comme suit : dans une proposition qui n’est ni jussive ni interrogative, le corps verbal constitue le deuxième corps tonique de la proposition.
Exemples (inventés, et écrits dans les graphies du TL ; le corps verbal est marqué d’un soulignement) :
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Gauvains | vient | ui.
“Gauvain vient aujourd’hui” ou (tout dépend du contexte) “c’est Gauvain qui vient aujourd’hui”. Ui | vient | Gauvains. Ui | a | Gauvains | veü | le roi. Veü | a | Gauvains | le roi | ui. Le roi | a | Gauvains | veü | ui. Li rois | est | venuz | dans le chastel. Dans le chastel | est | venuz | li rois. Dans le chastel | n’est | venuz | li rois. Venuz | i est | li rois. Venuz | n’i est | li rois. |
Vous voyez que ce qui vient après la forme qui porte des marques de personne est susceptible d’être coupé aussi en plusieurs corps rythmiques.
Passons à la question posée dans le devoir. Je vais d’abord m’occuper des vers où la loi rythmique est respectée. Je place entre des parenthèses doubles les mots joncteurs atones, je marque le corps verbal d’un soulignement, je sépare les différents corps toniques par des barres verticales. Je ne découpe pas les propositions relatives.
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Au mangier | ont
| mout petit | sis,
| ((mes)) par mout grant talant | l’ont | pris. | Aprés mangier | se departirent ; | cil | remestrent, | qui se dormirent, /./. /./ cil | s’an issirent | qui devoient la nuit par le chastel veillier. Sergent | furent | et escuier | .L. | qui la nuit veillierent ; /./. |
v1919 v1920 v1921 v1922 v1924 v1925 v1926 v1927 |
Proposition ne respectant apparemment pas la loi rythmique :
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
/./ li autre | mout | se traveillierent | de lor oste bien aeisier. |
v1928 v1929 |
Il semble que nous ayons ici un corps verbal en position 3, ici à la rime et donc particulièrement mis en valeur : cf. nos remarques de l’enregistrement e4.
§144
On constate que parmi les propositions qui respectent la loi, deux ou trois commencent par le sujet (v1922, v1924 et sans doute v1926), trois font précéder le corps verbal d’un corps tonique comportant un complément prépositionnel (v1919, v1920, v1921).
J’ai considéré que le v1928 ne respecte pas la loi, c’est-à-dire que j’ai traité mout comme un mot tonique en ce vers. Or le statut accentuel de +mout est double. Il ne fait aucun doute qu’il se comporte souvent comme un mot tonique, en particulier quand il constitue l’attaque de la proposition, exemple :
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
“/./ Mout | voldroie | que j’an seüsse autretant com vos an savez. /./.” |
v1496 v1497 |
(Traduction possible, “je voudrais ardemment en savoir autant que vous”.)
Mais il se comporte aussi parfois comme un adverbe collé au mot qui le suit (en particulier un adjectif ou un adverbe) avec lequel il fait corps, comme la partie tres‑ de trestot (lemme du TL : +trestot). Exemples :
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
“/./ c’uns miens oncles, qui est prieus, mout sainz hom et religieus /./.” |
v1909V v1910 |
ou encore mout petit v1919 “très peu” ou par mout grant talant v1920 (deux passages cités supra dans le présent ◊Chap6 §143).
Il est possible de démontrer le caractère tonique de mout v1928 cité supra dans le présent ◊Chap6 §143, mais je n’entreprendrai pas la démonstration.
6.3.
Morphologie non verbale : quelques déclinaisons de syntagmes proposées
dans le devoir n° 1. (§145)
§145
La question de morphologie ne portant pas sur le verbe posée dans le devoir n° 1 (cf. ◊Chap5 §139) commençait comme suit : “Après en avoir donné la fonction, décliner au singulier et au pluriel les syntagmes nominaux suivants (lesquels peuvent se réduire à un élément) : le chastel v1925, biax dras v1930, chief v1931, cele nuit v1935.”
Au v1925, le chastel appartient au syntagme par le chastel qui commence par une préposition et qui est complément de lieu de veillier. Nous sommes en présence d’un CRS. Décliné dans les graphies de Guiot9, cela donne : CSS li chastiax, CRS le chastel, CSP li chastel, CRP les chastiax. Dans les graphies du TL10, nous aurions CSS li chasteaus, CRS le chastel, CSP li chastel, CRP les chasteaus.
Au v1930, Biax dras est le complément d’objet direct de mestent. Nous sommes en présence d’un CRP. Entre autres documents fournis dans le présent cours, le ◊Glossaire nous donne pour forme de CRS du nom la forme drap, laquelle est la même chez Guiot que dans le TL. Déclinons donc, et de préférence avec les graphies de Guiot, puisque les particularités (comparées à celles du TL) s’en actualisent dans le syntagme tel qu’il est écrit au v1930 : CSS biax dras, CRS bel drap, CSP bel drap, CRP biax dras11.
Chief v1931 se trouve dans le
syntagme au chief, complément de lieu de mestent ; au,
contraction de +à + le, nous montre que chief est à interpréter
ici comme un CRSm. On déclinera : CSS chiés, CRS chief,
CSP chief, CRP chiés. La labiodentale disparaît devant [s] final.
J’ai utilisé les graphies de PercL (cf. ses chiés CSS v3078),
qui coïncident avec celles du TL. L’accent aigu dans chiés (une syllabe,
cf. Et ses chiés fu anchapelez v3078) est un ajout de l’éditeur :
on a coutume d’écrire ‑és à la finale d’un mot si dans ce mot
le graphème e (sans accent dans les manuscrits, sauf cas particuliers)
ne correspond pas à [].
Les lemmes des mots que nous avons déclinés dans ce §145 sont dans le TL +chastel, +bel, +drap, +chief. Nous allons traiter cele nuit au §146.
6.4.
Morpho-syntaxe : les démonstratifs. (§146, §147, §148, §149, §150,
§151, §152, §153, §154, §155, §155a, §155b, §155c, §155d, §156, §157)
6.4.1.
Les démonstratifs : transition avec le §145 et plan de l’exposé.
(§146)
§146
Dans le devoir n° 1 il était aussi demandé de décliner au singulier et au pluriel cele nuit v1935. Au v1935, cele nuit a la fonction grammaticale de complément circonstanciel de temps de ot, et est au CRS. Nuit est féminin. On peut décliner CSS cele nuiz ou cele nuit et au pluriel CSP celes nuiz et CRP celes nuiz. (Lemmes du TL : +cel, +nuit.) Voilà ce que j’ai trouvé dans les copies, où cele a donc été aligné sur un adjectif qualificatif comme bele. Toutefois, cele est un démonstratif, et les démonstatifs ont des déclinaisons particulières. En l’occurrence, le démonstratif féminin cele possède deux formes de CRS : cele et celi. De sorte qu’une copie où on eût trouvé précisé CRS1 cele nuit et CRS2 celi nuit, aurait été fort acceptable (même si, comme nous le verrons, il faut nuancer). Cette déclinaison me fournit le prétexte d’un exposé sur les démonstratifs soumis à la flexion casuelle (j’exclus donc les adverbes). Je vais d’abord rappeler certains fonctionnements en français moderne12, puis présenter une série de tableaux simples en ancien français. Pour terminer, nous examinerons certains comportements des démonstratifs dans PercL.
6.4.2.
Démonstratifs en français moderne. (§147, §148, §149)
6.4.2.1.
Les démonstratifs : quelques emplois en français moderne académique.
(§147)
§147
Une constatation simple, mais qui est loin de décrire toutes les valeurs sémantiques des démonstratifs13, c’est qu’au plan du sens, certains démonstratifs réfèrent à ce qui est éloigné par rapport à un locuteur ou à son auditeur, à un écrivain ou à son lecteur (dans l’espace, dans le temps, dans le texte même), d’autres à ce qui est proche, d’autres encore n’expriment pas ces notions.
A. Je regarde ce garçon-là.
Celui-là me plaît.
Cela me plaît.
B. Je regarde ce garçon-ci.
Celui-ci me plaît.
Ceci me plaît.
C. Je regarde ce garçon.
Celui qui travaille réussit.
Ce n’est pas juste.
Sur ce, il est parti.
Les démonstratifs de “A” expriment l’éloignement, ceux de “B” la proximité. Les informations concernant éloignement et proximité nous sont données par les morphèmes ‑là et ‑ci (cas général) et par les syllabes ‑la, ‑ci dans le cas des pronoms neutres.
Si l’on ne veut pas préciser, on s’abstient d’utiliser ces morphèmes : voyez les exemples de “C”.
Toutefois, la langue n’est pas vraiment d’un emploi aussi simple que ce qui vient d’être décrit. Ainsi, au plan sémantique, il n’y a pas de parallèle entre un méprisant “Qui c’est celui-là ?” et il voudrait celui-ci. En outre, certaines contraintes de syntaxe nous obligent à préciser : par exemple, nous ne pouvons dire *il regarde celui, mais obligatoirement il regarde celui-ci ou celui-là.
Mais d’autres contraintes de syntaxe nous obligent à ne pas préciser : celui qui chante est beau, et non pas (en général) *celui-ci qui chante est beau ou *celui-là qui chante est beau ; je veux ceux du roi, et non pas (en général) *je veux ceux-ci du roi ou *je veux ceux-là du roi.
6.4.2.2.
À propos des démonstratifs en français moderne : terminologie.
(§148)
§148
Cet emploi de celui, ceux, celle, celles du français moderne qui interdit la présence de ‑là et de ‑ci nous permet d’identifier un emploi particulier des démonstratifs qui ne sont ni démonstratifs pronoms (comme dans il voudrait celui-ci) ni démonstratifs déterminants (comme dans Je regarde ce garçon-là), et à quoi on peut affecter une dénomination spéciale. À la suite de Povl Skårup (et de quelques autres) j’appellerai démonstratif “déterminatif”14 un démonstratif dans un emploi de type celui qui chante est beau ou je veux ceux du roi, en d’autres termes, un emploi où “le démonstratif est suivi d’un élément distinctif, qui sert à identifier la personne ou la chose en question”15. Dans les autres cas, nous venons de le voir, je parle de démonstratifs pronoms (exemple, celui-ci est beau) et de démonstratifs déterminants16 (exemple, je veux ce livre).
6.4.2.3.
Récapitulation express sur les démonstratifs en français moderne. (§149)
§149
En bref, on n’oubliera pas qu’un mot démonstratif a une forme, un emploi (de déterminant, de pronom ou de “déterminatif”), un sémantisme qui dans certains cas peut être mis en rapport avec la notion de distance — et on n’oubliera pas en outre qu’un démonstratif est nécessairement dans la sphère du sujet ou dans la sphère du complément17.
Pour simplifier passablement, nous allons résumer de la sorte les ressources du français moderne. Il existe des pronoms neutres : ce, ceci, cela. En outre, les formes des démonstratifs déterminants masculins ou féminins (ce, cet, cette, ces) se distinguent de celles des démonstratifs pronoms (celui, celle, ceux, celles). Si l’on veut ou peut préciser éloignement ou proximité, on adjoint ‑là ou ‑ci à ces séries.
6.4.3.
Démonstratifs en ancien français. ( (§150, §151, §152, §153, §154,
§155, §155a, §155b, §155c, §155d, §156, §157)
6.4.3.1.
Les démonstratifs en ancien français : vue d’avion. (§150, §151)
§150
Les morphèmes ‑là et ‑ci ne sont pas grammaticalisés : on exprime par d’autres moyens les notions d’éloignement ou de proximité, quand elles sont nécessaires, en les incluant à l’intérieur même du mot démonstratif18. En effet, il existe deux séries de démonstratifs (sans compter le pronom neutre ce), la série cil et la série cist : la première réfère au lointain et la seconde au proche lorsque ces notions sont opérantes. Chacune de ces séries, et c’est une autre différence avec le français moderne, peut en principe s’employer comme pronom ou comme déterminant — nous verrons plus tard comment se réalisent les “déterminatifs”, du moins dans PercL. (Mais en réalité, les conditions d’emploi de la série cil et de la série cist sont bien plus subtiles, et il se fait depuis fort longtemps des travaux pour déterminer la valeur d’emploi de l’une et l’autre série.) Par ailleurs, les démonstratifs prennent des marques de genre, de nombre et de cas.
Je ne vais pas approfondir l’emploi du démonstratif neutre. Sachez que dans PercL, les démonstratifs neutres, pronoms ou “déterminatifs” sont, massivement ce19, c’ devant voyelle et ice. Dans ces formes, les notions de proximité ou d’éloignement ne sont pas précisées. On trouve aussi une occurrence de cel pronom neutre : puet cel estre v1838 commenté ◊Chap4 §109, littéralement “cela peut se produire”, d’où “peut-être”.
Les lemmes du TL pour les démonstratifs cités dans ce §150 sont +cel, +cest, +ce et +ice.
§151
Nous allons nous concentrer sur les masculins et féminins. Les formes varient selon les régions et leur usage évolue au cours du temps. On peut néanmoins dégager quelques tableaux — en partie théoriques — que vous devrez apprendre par cœur. Les deux tableaux de ce ◊Chap6 §151 sont donnés dans les graphies du TL.
Apprenez par cœur les deux tableaux qui viennent.
Série cist au masculin et au féminin
CSSm cist |
CSPm cist |
CSSf ceste |
CSPf cestes |
CRSm1 cest CRSm 2 cestui |
CRPm cez |
CRSf1 ceste CRSf2 cesti |
CRPf cestes |
Série cil au masculin et au féminin
CSSm cil |
CSPm cil |
CSSf cele |
CSPf celes |
CRSm1 cel CRSm 2 celui |
CRPm ceus |
CRSf1 cele CRSf2 celi |
CRPf celes |
On notera qu’en fait le féminin pluriel ne porte pas de marques casuelles.
Toutes ces formes peuvent apparaître précédées de i‑, sans que cela ajoute quoi que ce soit au sens : icist, icil, etc. Ces formes longues sont moins fréquentes que les autres.
Les lemmes du TL pour les démonstratifs cités dans ce §151 sont +cest, +cel, +icest et +icel.
J’ai fourni des tableaux qui brillent par leur symétrie et leur intelligibilité. En fait, toutes ces formes ne sont pas attestées dans PercL 1301-3407, qui, par contre, en connaît aussi quelques autres, comme nous allons le voir.
6.4.3.2.
Les démonstratifs en ancien français : réalisations dans PercL.
(§152, §153, §154, §155, §155a, §155b, §155c, §155d, §156, §157)
6.4.3.2.1.
Vers l’étude des démonstratifs dans PercL ; clés du tableau du
§153. (§152)
§152
En effet, il est intéressant d’examiner le fonctionnement d’une classe de mots dans un texte donné. Pour les démonstratifs, les principales questions à se poser sont les suivantes : quelle est la fréquence du mot démonstratif (par rapport aux autres mots démonstratifs), a-t-il une place priviligiée dans la phrase ou dans le vers, quel est le fonctionnement grammatical du mot démonstratif, d’une part pronom, déterminant ou “déterminatif”, d’autre part sujet (ou appartenant au groupe sujet), complément (ou appartenant au groupe complément) — et quel type de complément, etc., quel est son sémantisme (notions de proximité / éloignement — et par rapport à qui ou à quoi —, autres). Il s’agira de voir si des formes spécifiques s’attachent à des fonctionnements spécifiques.
Ce travail, s’il vous intéresse, vous pouvez le faire seuls : vous êtes en effet armés pour procéder avec méthode, c’est-à-dire pour vérifier comment ces formes fonctionnent chez un copiste donné20. Je ne m’y livrerai pas de façon systématique, mais vais vous fournir des tableaux supplémentaires. Dans ces tableaux, je relève l’ensemble des formes de démonstratifs du genre masculin ou du genre féminin qui se rencontrent dans PercL. (Les tableaux ne comprennent pas les réalisations des pronoms neutres +ce, +ice et +cel, tous trois présents dans PercL.) Vous verrez en quoi la symétrie des tableaux qui précèdent est loin de se refléter dans notre texte. Dans chaque cellule je passe en revue, de haut en bas, les formes de la série cist (avec la sous-catégorie icist), puis de la série cil (avec la sous catégorie icil), puis, s’il s’en trouve, d’autres catégories (ce / ces). Je mets en caractères italiques gras soulignés les formes relevant d’emplois grammaticaux vraiment fréquents. Les formes simplement écrites en caractères italiques gras relèvent d’emplois grammaticaux peu fréquents. Les formes en caractères italiques non graissés ne sont pas attestées dans PercL. Par exemple on opposera ces CSPf déterminant (4 occurrences) à ces CRPf déterminant (une douzaine d’occurrences). Par “fréquents” j’entends “attestés plus de dix fois”, mais le chiffre de dix est arbitraire, et une forme attestée à peine plus de dix fois dans un emploi donné ne peut pas être considérée comme vraiment fréquente dans PercL : voilà pourquoi il m’arrive de préciser le nombre d’occurrences. Lorsque je fournis la ou les références de vers, cette ou ces références sont complètes pour l’emploi donné (pronom, déterminant, ou “déterminatif”). Mon instrument de travail a été PercLConcAndrieu, mais je me suis assurée que je ne prenais pas en compte les vers portés en italique dans PercL, qui ne proviennent pas du manuscrit de base21. Ce dont je suis curieuse en effet, c’est d’examiner la pratique des démonstratifs de Guiot. Il va de soi que le tableau qui vient n’est pas à apprendre, mais à consulter et à utiliser.
6.4.3.2.2.
Tableau des démonstratifs de PercL au masculin et au féminin.
(§153)
§153
Les lemmes du TL pour les démonstratifs cités dans ce §153 sont +cest, +cel, +ce, +ice, +icest et +icel.
CSSm cist, pron. et déterminant passim.
CSSm icist, pron. (?) (v3614), déterminant (v4941)
CSSm cil, pron., déterminant, “déterminatif”.
CSSm icil, (4 occ.) pron., déterminant.
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CSPm cist, pron. (v1608°).
CSPm icist, ø occ.
CSPm cil, pron., déterminant (v71, v6465, v8771), “déterminatif”. CSPm icil, “déterminatif” (v5537).
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CSSf ceste, pron. (v2286) et déterminant (6 occ.).
CSSf iceste, ø occ.
CSSf cele, pron., déterminant, “déterminatif”.
CSSf icele, déterminant (v2150). |
CSPf cestes, ø occ. CSPf cez, ø occ. CSPf icestes, icez ø occ.
CSPf celes, (7 occ.) pron., “déterminatif”.
CSPf iceles, ø occ.
CSPf ces déterminant (4 occ.)
CSPf ices, icés ø occ. |
CRSm1 cest, déterminant.
CRSm1 icest, déterminant (v8391).
CRSm1 cel, déterminant.
CRSm1 icel, déterminant (v840).
CRSm2 cestui, pron.
CRSm2 icestui, ø occ.
CRSm2 celui, pronom, déterminant (v3260), “déterminatif”. CRSm2 icelui ø occ.
CRSm ce, déterminant.
CRSm ice, déterminant (v6577).
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CRPm cez, pron. (v7989), “déterminatif”.
CRPm icez, ø occ.
CRPm ceus, cex, ciaus, ciax, çaus, çax ø occ.
CRPm iceus, icex, iciaus, iciax, içaus, içax ø occ.
CRPm ces, déterminant, “déterminatif”.
CRPm ices, icés ø occ.
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CRSf1 ceste, pron. (v5741°), déterminant passim.
CRSf1 iceste, ø occ.
CRSf1 cele, pron. (v3957), déterminant.
CRSf1 icele, déterminant (v368).
CRSf2 cesti, (3 occ.) pron., “déterminatif”. CRSm2 icesti, ø occ.
CRSf2 celi, (11 occ., ce qui est peu) pron., “déterminatif”. CRSf2 iceli ø occ. |
CRPf cestes, ø occ. CRPf cez, pron. (v874), déterminant (v5717). CRPf icestes, icez ø occ.
CRPf celes, “déterminatif” (v4094).
CRPf iceles, ø occ.
CRPf ces, déterminant.
CRPf ices, icés ø occ.
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6.4.3.2.3.
Notes sur les démonstratifs de PercL. (§154, §155, §155a, §155b,
§155c, §155d, §156, §157)
Voici de simples notes, qui seraient à prolonger pour une étude complète.
6.4.3.2.3.1.
Remarques sur le tableau du §153. (§154)
§154
Dans le tableau du ◊Chap6 §153, j’ai distingué entre CSPf et CRPf parce que je tenais à vérifier si des formes différentes se distribueraient entre la sphère du sujet et la sphère du complément ; par ailleurs, l’usage de ces deux étiquettes me permet d’observer une présentation qui est parallèle à celle des CSPm et des CRPm.
Ces relevés montrent que certaines formes des tableaux théoriques (présentés §151) ne sont pas du tout attestées. C’est ce qui se produit en particulier pour cestes et icestes. Brian Woledge faisait remarquer il y a déjà longtemps à propos du roman d’Yvain de Chrétien : “Le pluriel cestes se lit une fois chez Guiot et dans {le manuscrit} V /./. Le mot est prononcé par le Bouvier et avait peut-être une tonalité naïve, ou campagnarde, ou archaïque”22.
Un autre enseignement, c’est l’existence du couple ce / ces. Il y a véritablement couple quand ces formes correspondent à un emploi de déterminant (ce qui est toujours le cas pour ce et souvent le cas pour ces) : on est bien tenté de voir là un calque du fonctionnement des formes de l’article le (CRSm) / les (CRPm, CSPf et CRPf), surtout chez un copiste comme Guiot, qui a coutume de ne pas utiliser indifféremment les graphèmes ‑s et ‑z23.
Une troisième chose digne d’intérêt, c’est l’absence complète du CRPm ceus et iceus, lequel ne se réalise pas non plus semble-t-il dans des variantes graphiques, étant donné la scripta du copiste24. Ce trait est notable25.
Les lemmes du TL pour les démonstratifs cités dans ce §154 sont respectivement +cest, +icest, +ce, +cel et +icel.
Voici maintenant quelques compléments et illustrations d’emplois des démonstratifs dans PercL, principalement dans le passage v1301-v3407. Consultez le ◊Glossaire pour élucider le sens des mots.
6.4.3.2.3.2.
Cist et cil et notion de distance (spatiale ou autre) dans
PercL : un exemple. (§155)
§155
Le couple cist / cil (TL : +cest vs +cel) réalise l’opposition notionnelle de proximité / éloignement dans l’exemple suivant (qui met en jeu l’éloignement dans le temps par rapport au locuteur) :
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“/./ Ensi maleüree sui que je ne verrai ja mes nuit que solemant cesti d’annuit ne jor que celui de demain, ençois m’ocirrai de ma main. /./.” |
v1992 v1993 v1994 v1995 v1996 |
6.4.3.2.3.3.
Sens d’“indéfini” des démonstratifs pronoms dans PercL. (§155a)
§155a
“Cist et cil peuvent prendre un sens indéfini (“l’un… l’autre”) soit en opposition, soit en répétition”26. Voici des exemples :
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/./ cestui abat, cestui afole, /./. /./ et vit les places et les voies, qui totes sont plainnes d’ovriers qui feisoient divers mestiers, si com li mestier sont divers. Cil fet hiaumes et cil haubers et cil lances et cil blazons cil lorains et cil esperons et cil lor espees forbissent ; /./. |
v2450 v5696 v5697 v5698 v5699 v5700 v5701 v5702 v5703 |
Les lemmes du TL pour les pronoms cités dans ce §155a sont respectivement +cest et +cel.
6.4.3.2.3.4. Cil
pronom anaphorique dans PercL. (§155b)
§155b
Les démonstratifs de la série cil (TL +cel) en emploi pronominal apparaissent très souvent en début de phrase pour rappeler un personnage dont il vient d’être question. Les exemples pullulent de cet emploi anaphorique. En voici deux :
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“/./ Et que dirai ge donc, biau sire ? — Li vavasors, ce poëz dire, qui vostre esperon vos chauça, le vos aprist et anseigna.” Et cil li a le don doné /./. /./ tant i feri qu’en es le pas vint as fenestres de la sale une pucele meigre et pale, et dist : “Qui est qui la apele ?” Cil regarde vers la pucele, si la voit et dit : “Bele amie, uns chevaliers sui, qui vos prie que leanz me faciez antrer /./.” |
v1683 v1684 v1685 v1686 v1687 v1720 v1721 v1722 v1723 v1724 v1725 v1726 v1727 |
Les attestations abondent, mais il n’est pas toujours facile de traduire : tout dépend du contexte : “et lui”, “ce dernier”, “l’autre”, par exemple.
6.4.3.2.3.5.
Quelques remarques sur les démonstratifs déterminants de PercL.
(§155c, §155d)
6.4.3.2.3.5.1. Cele
nuit. — Cest / ce. (§155c)
§155c
Cele nuit.
D’après le tableau du ◊Chap6 §153, nous constatons que celi nuit (voir ◊Chap6 §146) n’aurait pu apparaître sous la plume de Guiot copiste de Perceval, puisque celi ne se rencontre pas dans PercL comme déterminant. À ce propos, il est intéressant de noter que les formes de CRS2 (en ‑i ou en ‑ui, respectivement féminin et masculin dans les tableaux traditionnels comme celui du ◊Chap6 §151), ne sont jamais employées comme déterminants dans PercL, ce qui se comprend bien : ces formes ont plus de corps et sont réservées à des emplois plus indépendants que celui de simple déterminant. (Rappel : lemme du TL, +cel.)
Cest / ce déterminants.
Une des questions qui intéressent non seulement la description de la langue de PercL, mais encore l’histoire des démonstratifs, est celle de l’emploi comme déterminants des formes ce au masculin singulier, ces au masculin et féminin pluriel et cez au féminin pluriel. On notera que je n'ai pas fait figurer ces formes dans cet emploi dans les tableaux du ◊Chap6 §151.
Si nous travaillons sur des formes fréquentes, le couple pertinent à étudier dans PercL est cest / ce. Notons d’emblée que, contrairement à ce qui se produit en français moderne, où l’on a ce devant consonne et cet devant voyelle (ce garçon / cet enfant), ce type de distribution ne se trouve pas dans PercL : ce déterminant apparaît exclusivement devant consonne (exemple, ce chastel v2266), mais cest apparaît indifféremment devant voyelle (exemple, cest ost v4202) et devant consonne (exemple, cest païs v2145). Dans ces conditions, il reste à se demander selon quels critères se fait la répartition entre ce et cest dans PercL. On ne peut répondre sans avoir étudié en détail toutes les occurrences. Je ne ferai pas cette étude.
(Rappel : lemmes du TL, +ce, +cest.)
6.4.3.2.3.5.2. Démonstratif
de notoriété. (§155d)
§155d
Comme déterminant, le démonstratif connaît un usage plutôt rare (en termes de statistiques) mais bien repéré, que l’on appelle parfois le démonstratif de notoriété : “{Il} s’emploie parfois, surtout au pluriel, pour indiquer des personnes ou des choses conformes à un type ou à un modèle connu. /./ Cet emploi curieux se rencontre, comme il est naturel, surtout dans les descriptions conventionnelles du printemps, dans les récits de fête, etc., chaque fois en un mot qu’il s’agit d’évoquer un tableau pittoresque dont les éléments sont traditionnellement les mêmes et que la vie réelle ou les récits qu’en font les livres ont rendu familier à tous.”27 Les courageux liront dans WilmetDétermination p166 et suivantes une description (à affiner) de l’emploi et un “essai de réinterprétation” de cet usage du démonstratif. En voici un exemple :
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Ce fu au tans qu’arbre florissent, fueillent boschaige, pré verdissent, et cil oisel an lor latin dolcemant chantent au matin /./. |
v69 v70V v71 v72 |
6.4.3.2.3.6.
Notes sur le démonstratif “déterminatif” dans PercL. (§156,
§157)
§156
Dans de nombreux textes, l’emploi de “déterminatif” est dévolue à la série cil (TL +cel). Il est facile de vérifier grâce au tableau du présent ◊Chap6 §153 que la série cil joue ce rôle (attendu) pour certains cas (je prends ce mot dans son sens grammatical) seulement. Voici des exemples où la série cil réalise cet emploi :
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Cil qui vient a bien retenu ce que sa mere li aprist, /./. |
v1356 v1357 |
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Cil v1356 est un CSS. |
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“/./ — Sire, ma mere m’anseigna que vers les prodomes alasse et que a aus me conseillasse, se creüsse ce qu’il diroient, que preu i ont cil qui les croient.” |
v1398 v1399 v1400 v1401 v1402 |
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Cil v1402 est un CSP. |
§157
Mais si le démonstratif en emploi “déterminatif” occupe la fonction de complément, et donc que soit appelé un CR, et si ce que l’on a à exprimer exige en outre que le démonstratif soit un masculin pluriel, dans PercL, ce n’est pas (i)ceus que l’on lit (ou une variante remontant aussi à lat. (ecc)´illos), mais, à la place de (i)ceus, toujours cez ou ces. Voici des exemples :
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“/./ De cez qui sont an prison mis me poise autant com des ocis, car je sai bien qu’il i morront, que ja mes issir n’an porront. /./.” Lors ont fet son pavellon tandre et toz ces qu’aportez i orent /./. A la nef deschargier antandent, s’an font tot devant ax porter por cez dedanz reconforter. |
v2005 v2006 v2007 v2008 v2510 v2511 v2556 v2557 v2558 |
Cez dedanz sont “ceux de l’intérieur”, c’est-à-dire “les assiégés”.
Dans l’emploi “déterminatif”, la répartition au pluriel (nous ne pouvons comparer que ce qui est comparable : voyez le tableau du présent ◊Chap6 §153) entre cil d’un côté et cez, ces de l’autre est rigoureuse, et frappante quand les occurrences se succèdent de façon rapprochée. Exemples :
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/./ et cil dedanz ont abatue une porte sor ces desoz ques ocit et esquaiche toz cez que consilt an son cheoir ; /./. |
v2478 v2479 v2480 v2481 |
Povl Skårup, qui a noté l’emploi de cez, ces (mais dans d’autres corpus) comme “déterminatif”, apporte la réponse suivante : le démonstratif se conduirait là comme un déterminant : autrement dit on opérerait les regroupement et découpages suivants cez qui sont an prison v2005 perçu comme un seul syntagme vs cil / qui les croient v1402 perçu comme deux syntagmes. Reste à expliquer, ce qui est certainement faisable, pourquoi la fonction de sujet et la fonction de complément ne reçoivent pas le même traitement. Je vous laisse réfléchir seuls à la chose28, ainsi qu’aux nombreux problèmes que soulève l’examen des démonstratifs dans tout texte donné29.
Les lemmes du TL pour les démonstratifs cités dans ce §157 sont respectivement +cel, +icel et +cest.)
6.5.1.
Morphologie du verbe : le passé simple (suite du ◊Chap5 §137, §138). (§158,
§159, §160, §161, §162, §163, §164, §165, §166, §167, §168, §169, §170)
6.5.1.1.
Le passé simple : commentaire des conjugaisons données ◊Chap5 §138. (§158)
§158
Les passés conjugués ◊Chap5 §138 partagent tous les traits suivants : les désinences de l’extrême droite sont, graphiquement P1 ‑i ou rien, P2 ‑s, P3 ‑t ou rien, P4 ‑mes, P5 ‑stes, P6 ‑rent. Nous pouvons décider que ces désinences d’extrême droite sont les marques de personne. Elles se trouvent dans le passé simple de tous les verbes, mais la distribution aux P1 et P3 entre rien et respectivement ‑i ou ‑t n’est pas aléatoire ! Nous le verrons.
Ensuite, il s’établit un partage capital entre les conjugaisons qui vous étaient proposées : les verbes +apeler et +parler se démarquent de tous les autres : l’accent tonique frappe toujours la voyelle graphiée ai ou a qui suit [l], et la place de l’accent tonique est fixe. On peut appeler passé faible un passé simple où l’acccent tonique a une place fixe qui n’est pas sur le radical. (En effet, dans certaines descriptions de morphologie, on appelle forme forte une forme qui porte l’accent tonique sur le radical ; une forme faible ne porte pas l’accent tonique sur le radical30). Il n’en va pas de même pour les autres passés simples conjugués ◊Chap5 §138 : pour tous (et rappelez-vous la fonction du tréma), l’accent tonique balance : il s’établit un schéma accentuel qui oppose d’un côté les personnes 1, 3, 6 et de l’autre les personnes 2, 4, 5 : si nous soulignons la voyelle tonique, et que nous utilisions le signe “=” pour séparer les syllabes, nous aurons par exemple ot, mais e=üs, fist, mais fe=ï=mes, co=nut, mais co=ne=ü=mes. De nombreuses grammaires appellent passés forts les passés qui connaissent un balancement d’accent tonique. J’utiliserai cette dénomination de passé fort31 bien que la dénomination de passé mi-fort (ou semi-fort) soit plus appropriée.
Parmi les passés forts se dégagent deux catégories : ceux dont les désinences des personnes 2, 4 et 5 ont le timbre [y] (graphème ü dans les exemples : +jesir, +movoir, +avoir, +conoistre, +savoir) et ceux dont les désinences des personnes 2, 4 et 5 ont le timbre [i] (graphème i dans les exemples : +dire, +faire, +ocire, +venir et +vëoir).
Et chacune de ces deux dernières catégories se divise en deux groupes.
La première oppose les verbes qui présentent une alternance o / e (type oi, eüs) à ceux qui présentent une alternance u / e (type jui, jeüs).
La seconde peut sembler plus hétéroclite, étant donné les conjugaisons que j’avais présentées. Vous verrez qu’on peut opposer les passés simples dont le radical comporte un s, au moins à certaines personnes, à ceux qui n’en ont pas aux personnes correspondantes : on trouve ainsi dist, fist, ocist en face de vint, vit.
Sachez que le petit exposé qui précède, joint au fait que vous avez j’espère appris par cœur comme il était recommandé de le faire vous avance beaucoup dans la maîtrise de la morphologie des passés simples. Je vais maintenant compléter l’exposé, en m’appuyant assez largement sur les paragraphes 132 et suivants de PlouzeauMéthode3.
6.5.1.2. Le passé simple :
informations d’ordre général ; définitions. (§159)
§159
Les passés simples du français proviennent des parfaits du latin ; les subjonctifs imparfaits du français proviennent des subjonctifs plus-que-parfaits du latin ; ces indications (données à l’intention des latinistes) expliquent certains traits des conjugaisons du passé simple et du subjonctif imparfait du français, mais non toutes leurs particularités, car évolutions phonétiques ou analogiques ont fortement perturbé les choses ; je n’entrerai pas dans le détail de l’évolution.
Venons-en aux passés simples de l’ancien français.
Mis à part le cas de +estre (fui, fus, etc.), qui sera traité plus loin, je distinguerai entre les passés simples faibles et les passés simples forts.
Les passés faibles ne comportent aucune forme accentuée sur le radical et la place de leur accent tonique est constante ; exemple en ancien français pour le verbe +chanter : (je souligne la syllabe tonique) chantai, chantas, chanta, chantames, chantastes, chanterent.
Les passés forts comportent un balancement de l’accent tonique, qui oppose les personnes 1, 3, 6 aux trois autres ; exemple en ancien français pour le verbe +venir : (je souligne la syllabe tonique) ving (ou dans certains textes vin32), venis, vint, venimes, venistes, vindrent.
Passés forts et passés faibles se subdivisent en un certain nombre de types. Je présenterai les types principaux sous formes de tableaux. Dans ces tableaux, le tiret sépare différents morphèmes, et la syllabe placée sous l’accent tonique est soulignée : exagérez son intensité en la prononçant.
6.5.1.3.
Passés faibles. (§160, §161)
6.5.1.3.1.
Passés faibles : grandes subdivisions, tableaux. (§160)
§160
Sauf erreur, dans PercL ne se rencontrent que trois types de passés faibles : le type en a (qui se subdivise lui-même en deux sous-groupes, selon que l’infinitif du verbe est en ‑er ou en ‑ier), le type en i et le type en u. Cette classification repose sur le timbre le plus souvent représenté de la voyelle accentuée des passés faibles. Voici un tableau correspondant à ces trois types. Il est écrit dans les graphies du TL, qui en l’occurrence coïncident avec celles de Guiot. Par ailleurs, il n’a pas lieu de croire qu’en ce qui concerne la morphologie le système de Guiot contredise celui du TL pour les formes de ce tableau. Rappel : la syllabe placée sous l’accent tonique est soulignée : exagérez son intensité en la prononçant. Ce tableau est à apprendre par cœur.
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6.5.1.3.2. Remarques sur les
passés faibles. (§161)
§161
Notez avant toute chose qu’en principe deux groupes de verbes ont un passé prévisible : les verbes du premier groupe (groupe qui se divise en deux sous-groupes : avec infinitif en ‑er et avec infinitif en ‑ier), qui ont un passé faible en a, et les verbes du deuxième groupe, qui ont un passé faible en i.
Le type +couchier ne se distingue du type +chanter qu’à la personne 6 : ‑ierent au lieu de ‑erent. Ne pas écrire d’accent sur e, car dans les conventions actuelles pour éditer les textes écrits en ancien français, on n’accentue jamais la lettre e quand elle est suivie de la lettre r.
Sur le modèle de +partir se conjuguent presque tous les passés simples des verbes du deuxième groupe, comme +garir “protéger”, “guérir”36. C’est aussi sur ce modèle que se conjugue par exemple oï, oïs, oï, etc. (attention au tréma, qui marque la syllabation : o=ï, etc.), passé simple de +oïr “entendre”, verbe très fréquent. Dans PercL, le passé simple de +chëoir “tomber” se conjugue aussi comme celui de +partir : cheï, cheïs, etc.37 Noter que le “modèle” que j’ai mis en tableau, +partir, n’est pas du deuxième groupe, pas plus que +oïr (contrairement à +garir : ind. pr. 5 nos garissons).
Sur le modèle de parui se conjuguent encore le passé simple des verbes en ‑paroir préfixés, par exemple +aparoir38, le passé simple de +morir “mourir”39, le passé simple de corre40 “courir”, et des verbes en ‑corre, par exemple +secorre “secourir”.
Le type perdi, passé simple de +perdre, tel qu’il est donné dans un tableau d’Introd1993, § 159, est déjà réduit (par analogie) au type parti dans PercL ; on lit par exemple perdirent v3215, v608841.
Notez bien les terminaisons de la personne 3 des passé faibles dans PercL : ‑a, ‑i et ‑ut. Ces terminaisons sont aussi celles du français central de la fin du 12e et du début du 13e siècle.
6.5.1.4. Passés forts. (§162,
§163, §164, §165, §166, §167, §168, §169)
Apprenez bien les tableaux qui viennent en exagérant l’intensité de la syllabe tonique (partout soulignée) ; ainsi prendrez-vous conscience de la concomitance de l’alternance vocalique (quand il s’en trouve) et du déplacement de l’accent tonique ; déplacement que j’ai matérialisé aussi en décalant vers la droite les personnes 2, 4 et 5, qui marchent ensemble contre les autres en ce qui concerne la place de l’accent tonique.
6.5.1.4.1. Passés forts en
u et passés forts en i. (§162)
§162
Les passés forts partagent tous le même schéma accentuel, à part celui du verbe +estre, qui sera traité séparément, au ◊Chap6 §167. Si l’on met à part +ester, dont je ne parlerai que dans une note au ◊Chap6 §170, il faut savoir que seuls des verbes du troisième groupe ont un passé fort. Mais nous avons vu dans le ◊Chap6 §160 et §161 que certains verbes du troisième groupe ont un passé faible : si l’on sait qu’un verbe est du troisème groupe, on ne peut prédire comment il se conjugue au passé simple. On peut distinguer entre les passés forts qui présentent le timbre [y] dans les terminaisons accentuées et les passés forts qui présentent le timbre [i] dans les terminaisons accentuées. On peut écrire aussi “passés forts en u” et “passés forts en i”. On opposera ainsi, globalement, les modèles du tableau qui vient. Ce tableau est écrit avec les graphies les mieux représentées dans PercL, qui pourraient correspondre en l’occurrence aux graphies du TL (mais à dire vrai, je ne suis pas en mesure de trouver dans ce dictionnaire l’ensemble des conjugaisons du passé simple de +avoir et +venir telles qu’elles seraient voulues par les auteurs du dictionnaire, ce qui est normal). J'ai souligné la syllabe tonique ; j’ai matérialisé le déplacement de l’accent tonique en décalant vers la droite les personnes 2, 4 et 5, qui marchent ensemble contre les autres en ce qui concerne la place de l’accent tonique. Ce tableau est à apprendre par cœur.
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Mais ce n’est pas tout : chacun de ces deux types se subdivise à son tour.
6.5.1.4.1.1. Les passés
forts en u. (§163)
§163
Les passés forts en u (c’est-à-dire ceux qui qui présentent le timbre [y] dans les terminaisons accentuées) ont tous les mêmes terminaisons, mais se répartissent entre le modèle +avoir (cf. tableau précédent : alternance o / e de la voyelle du radical, selon qu’elle est ou non sous l’accent) et le modèle +devoir (alternance u / e de la voyelle du radical). On opposera ainsi, globalement, les modèles du tableau qui vient. Ce tableau est écrit avec les graphies les mieux représentées dans PercL, ce qui pourrait correspondre en l’occurrence aux graphies du TL (mais à dire vrai, je ne suis pas en mesure de trouver dans ce dictionnaire l’ensemble des conjugaisons du passé simple de +avoir et +devoir telles qu’elles seraient voulues par les auteurs de ce dictionnaire, ce qui est normal). J'ai souligné la syllabe tonique ; j’ai matérialisé le déplacement de l’accent tonique en décalant vers la droite les personnes 2, 4 et 5, qui marchent ensemble contre les autres en ce qui concerne la place de l’accent tonique. Ce tableau est à apprendre par cœur.
Remarques sur les passés forts en u.
N’oubliez pas les trémas ! Ils indiquent la syllabation : une voyelle munie d’un tréma n’appartient pas à la même syllabe que sa voisine ; ainsi, oi ou ot ont une syllabe, eüs, deux ; un des traits distinctifs des passés forts est qu’ils ont une syllabe de plus à la personne 2 qu’à la personne 1.
Sur le modèle de oi, sachez conjuguer et reconnaître si vous les rencontrez dans PercL je ploi, tu pleüs etc., passé simple de +plaire ; je poi, tu peüs etc., passé simple de +pöoir “pouvoir”44 ; je soi, tu seüs etc., passé simple de +savoir.
Sur le modèle de dui, sachez conjuguer et reconnaître si vous les rencontrez dans PercL je bui, tu beüs etc., passé simple de +boivre “boire” ; je conui, tu coneüs etc., passé simple de +conoistre “connaître” ; je crui, tu creüs etc., passé simple de +croire “croire” ou de +croistre “croître” ; je jui, tu jeüs etc. passé simple de +jesir ; je mui, tu meüs etc., passé simple de +movoir.
Nous avons là des verbes très courants, et attestés dans PercL.
6.5.1.4.1.2. Les passés
forts en i. (§164, §165, §166)
§164
Les passés forts en i (c’est-à-dire ceux qui présentent le timbre [i] dans les désinences accentuées) ont tous le même jeu de désinences, mais se répartissent entre deux catégories : les passés où ces terminaisons sont précédées d’un s, et les passés où ces terminaisons se soudent à un radical qui ne se termine pas par s. On opposera ainsi, globalement, les modèles du tableau qui vient. Je cite d’abord le passé fort sans s. Ce tableau est écrit dans les graphies du TL, avec lesquelles celles de Guiot coïncident très souvent. En ce qui concerne +vëoir, le système morphologique est celui de Guiot dans PercL ; en ce qui concerne +metre, le système morphologique choisi n’est pas celui de Guiot : voir infra ◊Chap6 §168, §169. Les formes les plus proches de l’étymologie sont citées en premier à l’intérieur d’un modèle donné : misdrent avant mistrent. J'ai souligné la syllabe tonique ; j’ai matérialisé le déplacement de l’accent tonique en décalant vers la droite les personnes 2, 4 et 5, qui marchent ensemble contre les autres en ce qui concerne la place de l’accent tonique. Ce tableau est à apprendre par cœur.
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Cet état de choses est souvent hérité du latin, où certains verbes avaient un parfait construit sur un thème en s et d’autres non : opposer lat. scr´ibere “écrire”, parfait scr´ipsi, et lat. l´egere “lire”, parfait l´egi.
§165
Et ce n’est pas tout : certains verbes présentent une alternance vocalique, d’autres pas ; et lorsque le radical du passé simple se termine par une consonne, la désinence ‑rent est presque toujours précédée d’une consonne épenthétique, [d] ou [t], qui facilite la transition de la prononciation entre la dernière consonne du radical et la désinence. Tous ces mystères s’expliquent en partie par l’étude de la phonétique historique ; autant s’armer de courage, lire les remarques rédigées plus bas — conçues pour vous aider —, et apprendre par cœur les tableaux qui viennent (comme ceux qui précèdent), lesquels procèdent d’un choix de verbes parmi les plus courants.
Le tableau qui
vient reprend certains verbes déjà vus : il permet d’opposer les trois
grands cas de figure concernant la personne 6 (‑rent, ‑d‑rent
ou ‑t‑rent) dans des conjugaisons où la forme conservée
en ancien français classique coïncide avec la forme que laisse prévoir l’étymologie.
Ce tableau est écrit dans l’orthographe du TL (mais il est plus difficile
de savoir quels sont ou seraient les systèmes morphologiques du TL) ;
cette orthographe coïncide avec les graphies de Guiot pour +vëoir et
pour +venir, mais non pour +traire. Pour ce dernier verbe, le
TL écrirait ‑ai‑ là alors qu’au passé simple Guiot utilise
exclusivement ‑e‑45 :
dans ces formes, ‑e‑ est une graphie de [].
Sur le choix de ving comme personne 1 du passé simple de +venir,
voir la note 32 du Chapitre 6. J'ai souligné la syllabe tonique ;
j’ai matérialisé le déplacement de l’accent tonique en décalant vers la droite
les personnes 2, 4 et 5, qui marchent ensemble contre les autres en ce qui
concerne la place de l’accent tonique. Ce tableau est à apprendre par cœur.
+vëoir |
+venir |
+traire |
vi |
ving |
trais |
ve-ï-s |
ven-i-s |
trais-i-s |
vi-t |
vin-t |
trais-t |
ve-ï-mes |
ven-i-mes |
trais-i-mes |
ve-ï-s-tes |
ven-i-stes |
trais-i-stes |
vi-rent |
vin-d-rent |
trais-t-rent |
§166
Dans le tableau qui vient, les formes les plus proches de l’étymologie sont citées en premier à l’intérieur d’un modèle donné : mesdrent avant mestrent, fesis avant feïst, par exemple. Pour +manoir “rester”, les formes fortes ne contredisent pas ce qu’on lit dans PercL, où toutefois, sauf erreur, le passé simple ne se réalise pas dans le verbe simple (mais cf. par exemple remest v1419 ou remestrent v1922, dans un passage étudié dans le ◊Chap6). Monsieur Takeshi Matsumura a bien voulu me faire remarquer, ce dont je le remercie, que PercL ne présente pas d’occurrence de forme faible du radical de +manoir (verbe simple ou verbe préfixé) ; et j’ajoute que dans PercL, on n’a pas non plus d’occurrence du subjonctif imparfait de ce verbe (simple ou préfixé) ; or voir dans le ◊Chap6 §173. Je donne en tableau un type présumé “classique” du passé simple de +manoir. Notons que Guiot écrit remassist comme subjonctf imparfait 3 de +remanoir dans Yvain : cf. YvainRBO p427. Le verbe ardoir46 “brûler” n’est pas attesté au passé simple dans PercL ; je l’ai toutefois fait figurer dans le tableau parce qu’il offre un bel exemple de passé simple fort en s très lisible. En ce qui concerne +faire et +dire, les conjugaisons proposées dans le tableau qui vient sont moins élaguées (quant au nombre de formes) que celles qui ont été données ◊Chap5 §138, où je me bornais pour ces deux verbes à fournir les conjugaisons de PercL, qui coïncident avec ce qui est le plus répandu en français central au 13e s. Nous y reviendrons. Ce tableau est écrit dans l’orthographe du TL, qui coïncide très largement avec les graphies de Guiot ; mais il est difficile de savoir quels sont ou quels seraient les systèmes morphologiques du TL. Les systèmes morphologiques présentés ne coïncident pas entièrement avec la pratique de Guiot dans PercL, qui sera exposée plus loin. Je me résouds toutefois à vous les donner sous la forme qu’ils revêtent dans ce tableau, car de nombreux collègues français attendent je crois une récitation qui reproduise ce qui figure dans le tableau qui vient. J'ai souligné la syllabe tonique ; j’ai matérialisé le déplacement de l’accent tonique en décalant vers la droite les personnes 2, 4 et 5, qui marchent ensemble contre les autres en ce qui concerne la place de l’accent tonique. Ce tableau est à apprendre par cœur.
+manoir |
+ardoir |
+faire |
+dire |
mes |
ars |
fis |
dis |
mas-is |
ars-is |
fes-is, fe-ï-s |
des-is, de-ï-s |
mes-t |
ars-t |
fis-t |
dis-t |
mas-imes |
ars-imes |
fes-imes, fe-ï-mes |
des-i-mes, de-ï-mes |
mas-i-stes |
ars-i-stes |
fes-i-stes, fe-ï-stes |
des-i-stes, de-ï-stes |
mes-d-rent, mes-t-rent |
ars-t-rent |
fi-rent |
dis-t-rent |
Nous verrons infra ◊Chap6 §168 et §169 que dès l’époque de Guiot, et en particulier dans PercL, la multitude de modèles pour les passés simples en s à alternance i / e pour la voyelle du radical (passés qui dans les tableaux du ◊Chap6 §164 et §166 se réalisent dans +metre, +faire, +dire) se réduit à deux types seulement : et je citerai des verbes courants qui en relèvent ; vous verrez alors que ce n’est pas aussi compliqué.
6.5.1.4.2.
Le passé simple du verbe +estre. (§167)
§167
Ce passé simple est en ancien français central classique (je souligne la syllabe tonique) fui, fus, fu, fumes, fustes, furent. Par la comparaison des langues indo-européennes, on peut démontrer que la voyelle u du passé simple du verbe +estre appartient au radical de ce verbe, et non à ses désinences ; nous avons là un passé simple intégralement fort, le seul de son genre dans l’ancienne langue.
Notez bien la personne 3, fu, qui est la forme normale en ancien français central classique, et où la terminaison ‑u s’oppose à la terminaison ‑ut des passés faibles comme parut ou des passés forts comme dut. Dans PercL, on a d’ailleurs toujours fu (très très nombreuses occurrences) sauf une fois, ce qui m’amène à une petite digression grammaticalo-stylistique. L’exception est la suivante :
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Et Clamadex leanz venoit
toz seus, si armez com il fut, et Anguinguerrons le conut, /./. |
v2754 v2755 v2756 |
Le texte est plat. Il faut savoir que notre manuscrit est le seus (comme écrirait Guiot v2755) c’est-à-dire le seul à porter fut : tous les autres sauf un ont dut, qui rime avec conut (et l’exception, le manuscrit U, porte doit qui rime avec connoit). Il ne fait presque aucun doute que fut est du cru de Guiot, qui a utilisé ici une forme plus jeune que fu, et du reste celle que l’histoire allait faire prévaloir. Par ce petit excursus, j’ai voulu montrer que la connaissance de la langue aide à juger de la valeur des textes édités : les études médiévales ne sauraient se passer d’études grammaticales sérieuses et d’examen des traditions manuscrites.
6.5.1.4.3. Nouvelles remarques
sur les passés forts. (§168, §169)
§168
Contrairement à ma présentation (cf. supra ◊Chap6 début du §164), certaines grammaires ne décrivent pas les passés forts en s comme une catégorie de passés forts en i. Cette disparate n’est pas importante.
Le passé simple de +tenir se conjugue comme celui de +venir : ting47, tenis, etc.
N’oubliez jamais d’écrire le ‑s de la première personne des passés simples en s : il y a le même rapport entre vi et vit qu’entre fis et fist.
Firent, passé simple 6 où manque le s, est une forme à l’origine exceptionnelle parmi les passés forts en s.
Les passés simples des verbes +faire, +dire, +metre, +ocire, +prendre, +querre, +sëoir (et de leurs dérivés préfixaux) comportent une alternance i / e. Ces verbes très courants étaient étymologiquement des passés simples intégralement en s, qui suivaient en principe une conjugaison où les personnes faibles commmençaient toutes par Kesi‑48 (je schématise par K‑ n’importe quelle lettre ou groupe de lettres transcrivant un phonème consonne). Mais, dans un deuxième temps s’est instauré une conjugaison où ce Kesi‑ s’est transformé en Keï‑ c’est-à-dire, où le ‑s‑ intervocalique a disparu aux personnes faibles ; ont dû jouer d’une part l’analogie du type vi, veïs, et d’autre part des raisons d’euphonie : essayez un peu de prononcer sesis, sesistes. En ce qui concerne PercL, voici ce qui se produit. Vérification faite à l’aide de PercLLé, où j’ai cherché toutes les occurrences des séquences esi et (par sécurité essi), il ne semble pas qu’un seul des verbes ayant un passé fort en s à alternance i / e présente jamais dans PercL de ‑s‑ intervocalique aux personnes faibles du passé simple ou au radical du subjonctif imparfait (nous verrons que ce radical entretient des rapports avec les personnes faibles du passé simple).
En ce qui concerne les personnes 6 des passés en s, il existe en ancien français, selon les lieux et les temps, un grand luxe de désinences ; j’ai choisi dans les tableaux d’une part celles qui me paraissent correspondre à ce que laissent attendre dans un premier temps les évolutions phonétiques régulières, et d’autre part celles qui sont effectivement attestées dans PercL. Quand dans une cellule je présente plusieurs formes de passé simple 6, le première citée est en principe la plus proche de l’étymologie, et la dernière, celle qui correspond au système verbal de PercL. Par exemple, dans le tableau du ◊Chap6 §164, on lit misdrent puis mistrent : la forme que laisse attendre l’étymologie est misdrent, mais celle que laisse attendre le système de Guiot est mistrent. En effet, on ne trouve nulle part ‑sdrent au passé simple 6 dans PercL. Mildred K. Pope souligne que ‑strent “became dominant in Later Old French” (Pope § 1018).
§169
Il résulte des processus de régularisation présentés supra ◊Chap6 §168 qu’en françois du 13e siècle et singulièrement dans PercL les verbes ayant un passé fort en s à alternance i / e se répartissent entre deux groupes seulement : +faire (et ses dérivés préfixaux), qui se distingue par sa personne 6 : fis, feïs, fist, feïmes, feïstes, firent, et tous les autres, qui suivent le modèle de +dire : dis, deïs, dist, deïmes, deïstes, distrent. Se conjuguent comme +dire des verbes fréquents : +metre, +ocire, +prendre, +querre, +sëoir (et leurs dérivés préfixaux).
Voici quelques attestations de verbes se conjuguant comme +dire. Elles sont classées par ordre d’apparition dans le texte.
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“/./ — Qu’i feïs ? — Chevalier m’a fait li rois, qui bone avanture ait. /./.” “/./ Et quant vos onques nel feïstes ne autrui fere nel veïstes, se vos fere ne le savez, honte ne blasme n’i avez.” /./ puis si s’asistrent au mangier, et li prodom lez lui asist le vaslet, et mangier le fist avoec lui an une escuële. “/./ Vos me deïstes, biax amis, qant je vos amenai ceanz, que vos toz mes comandemanz fereiez.— Et ge si ferai, /./.” Chevalier quatre, cinc et sis vindrent leanz et si se sistrent tot par tropeax et mot ne distrent, et virent celui qui se sist delez lor dame et mot ne dist. A grant joie l’ont receü et desarmé a un perron. Dient : “Sire, d’Anguinguerron la teste por coi n’an preïstes, qant vos ceanz ne le meïstes ?” |
v1365 v1366 v1465 v1466 v1467 v1468 v1558 v1559 v1560 v1560 v1612 v1613 v1614 v1615 v1850 v1851 v1852V v1853 v1854 v2336 v2337 v2338 v2339 v2340 |
Vous voyez comme ces passés sont… simples. Et si vous retenez le système de Guiot pour ces passés de type +dire, ce sera… parfait.
6.5.1.5.
Remarques d’ensemble sur les passés simples. (§170)
§170
Mais le tout vous paraît complexe ? À vrai dire, ce l’est en effet, bien que j’aie omis bon nombre de verbes assez courants. Cela reste compliqué de nos jours : assurez-vous que vous savez conjuguer en français moderne tous ceux des verbes des tableaux qui ont subsisté.
Le plus difficile est de prévoir quel type de passé simple correspond à un verbe dont on connaît par exemple l’infinitif ou les présents. Rappelez-vous que tous les verbes du premier groupe (infinitif en ‑er ou en ‑ier) ont respectivement en principe un passé simple du type de +chanter ou de +couchier49 et que pratiquement tous les verbes du deuxième groupe (type infinitif +garir, indicatif présent 1 nos garissons) ont un passé faible en i, du modèle de +partir50.
Pour le reste, rien n’est prévisible. C’est que la conjugaison du passé simple provient de la conjugaison du parfait latin, et que pour les verbes latins qui n’étaient pas en ´‑are, on ne pouvait prédire le parfait à partir de l’infinitif (les verbes en ´‑are ont généralement donné les verbes en ‑er et en ‑ier)51. C’est un ancien héritage du latin, remontant lui-même à l’indo-européen. Voici des exemples. Le verbe m´ittere, qui a donné en ancien français metre “mettre” (lemme du TL +metre) et qui signifiait en latin “envoyer” a pour présent m´itto, “j’envoie”, mais pour parfait m´isi “j’envoyai” ; voyez encore c´apio “je prends”, mais c´epi “je pris” ; d´o “je donne”, mais d´edi “je donnai”52.
N’oubliez pas que les verbes préfixés se conjuguent en principe comme les verbes simples correspondants. Citons par exemple +contredire, +recroire et +mescroire, +escroistre, +esmovoir et +removoir, +entremetre, +remetre et +prometre, +aprendre et +sorprendre, +enquerre et +requerre, +estraire et +retraire, +avenir, +mesavenir et +revenir.
Enfin, vous aurez remarqué qu’un certain nombre de traits sont communs à tous les parfaits : les désinences marquant la personne sont en effet (je ne parle pas de la première personne) : P2 ‑s, P3 rien (dans les types chanta, cuida, parti et dans fu) ou ‑t (dans tous les autres types), P4 ‑mes53, P5 ‑stes, P6 ‑rent.
6.5.2.
Morphologie du verbe : corrigé des questions proposées dans le devoir
n° 1. (§171)
§171
Les questions de morphologie verbale posées dans le devoir n° 1 étaient (cf. ◊Chap5 §139) : “3. Donner le mode, le temps, l’infinitif des formes verbales suivantes : avoient v1923°, pleüst v1937° ; conjuguez-les à ces temps et modes.”
Au v1923, avoient est l’indicatif imparfait 6 du verbe dont l’infinitif est avoir, aussi bien chez Guiot que dans le TL (lemme +avoir). Félix Lecoy n’a pas mis de tréma sur le ‑e‑ de cette forme, parce qu’il fait confiance aux capacités du lecteur de syllaber correctement les vers réguliers. Pour ma part, je vais disposer des trémas qui marquent bien les diérèses. Ce qui nous donne (j’utilise tout simplement le modèle fourni ◊Chap2 §40, en ne reprenant que le tableau normalisé) : avoië, avoiës, avoit, aviiens, aviiez, avoiënt.
Au v1937, pleüst est le subjonctif imparfait 3 du verbe dont l’infinitif est écrit plaire dans le TL ; dans PercL, cet infinitif, qui n’est attesté que deux fois, se lit pleire v6104° et plere v7942°. Plere et pleire sont de simples variantes graphiques par rapport à plaire (lemme +plaire) : les trois formes ont la même structure en ce qui concerne syllabation et accent tonique54. La conjugaison du subjonctif imparfait est la même que celle du verbe +avoir fournie ◊Chap3 §91, ce qui donne pleüsse, pleüsses, pleüst, pleüssiens, pleüssiez, pleüssent. L’usage du tréma est impératif : si vous l’omettez, on lit ‑eu‑ [ø] et la syllabation est bouleversée.
6.5.3.
Morphologie du verbe : subjonctif imparfait (suite du ◊Chap3). (§172, §173, §174,
§174a, §175)
6.5.3.1.
Subjonctif imparfait : tableaux. (§172)
§172
Il est temps maintenant de compléter ce qui a été dit du subjonctif imparfait ◊Chap3 §90 et §91. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été écrit là des terminaisons qui suivent le morphème [s] ( en principe écrit ‑ss‑ devant voyelle et ‑s‑ devant ‑t) : elles sont les mêmes pour tous les verbes. Je m’intéresserai à ce qui précède le morphème [s]. Avant de commenter, je vais fournir des tableaux de la conjugaison de plusieurs verbes. Ensuite, nous aborderons la question de la base55 des subjonctifs imparfaits. J’appelle ici base ce qui dans les tableaux du présent §172 précède le tiret. J’écris ces tableaux dans les graphies du TL, qui coïncident très largement avec celles de Guiot. En ce qui concerne les systèmes morphologiques, j’en justifie les désinences ◊Chap3 §90 et §91. Pour les bases choisies dans les tableaux, elles recoupent probablement celles que vous trouverez dans les grammaires sauf sans doute pour le verbe +querre ; je m’explique sur les bases de +chanter, +partir, +paroir, +avoir, +devoir, +vëoir et +estre infra dans le ◊Chap6 §173 et sur celles de +querre infra dans le ◊Chap6 §174. Je souligne les voyelles (graphèmes, en l’occurrence) de la syllabe tonique des formes du subjonctif imparfait : prononcez cette syllabe avec une énergie très forte ; j’ai décalé à droite les personnes 4 et 5, qui marchent ensemble contre les autres en ce qui concerne la place de l’accent tonique. Ces tableaux sont à apprendre par cœur une fois que vous aurez lu et compris le commentaire qui les suit.
+avoir |
+devoir |
+vëoir |
eüss-e |
deüss-e |
veïss-e |
eüss-es |
deüss-es |
veïss-es |
eüs-t |
deüs-t |
veïs-t |
eüss-iens |
deüss-iens |
veïss-iens |
eüss-iez |
deüss-iez |
veïss-iez |
eüss-ent |
deüss-ent |
veïss-ent |
+querre |
+estre |
queïss-e |
fuss-e |
queïss-es |
fuss-es |
queïs-t |
fus-t |
queïss-iens |
fuss-iens |
queïss-iez |
fuss-iez |
queïss-ent |
fuss-ent |
6.5.3.2.
Subjonctif imparfait : base. (§173, §174, §174a)
6.5.3.2.1. Base du subjonctif
imparfait : rapports entre passé simple et subjonctif imparfait. Cas
général. (§173)
§173
Pour n’importe quel verbe, il s’établit une correspondance entre la base du subjonctif imparfait et la forme de la deuxième personne du passé simple correspondant. Exemples : tu chantas, que je chantasse ; tu partis, que je partisse ; tu parus, que je parusse ; tu eüs, que j’eüsse ; tu deüs, que je deüsse ; tu veïs, que je veïsse ; tu fus, que je fusse. Cette règle ne connaît pas d’exception (nous consacrerons un examen particulier aux exceptions apparentes de PercL dans le ◊Chap6 §174 et §174a). Mutatis mutandis, elle s’est conservée en français moderne.
Si la deuxième personne du passé simple est terminée par ‑is, le timbre [i] s’entend partout devant le [s] du subjonctif imparfait. Si la deuxième personne du passé simple se termine en ‑us, le timbre [y] se retrouve partout devant le [s] du subjonctif imparfait.
Si la deuxième personne du passé simple est terminée par ‑as, ce qui est le cas pour les verbes du premier groupe, le timbre [a] se retrouve devant le morphème [s] du subjonctif imparfait sauf aux personnes 4 et 5, où il se transforme en [i], du moins dans mes tableaux et dans ceux de la plupart des grammaires. Mais, sauf erreur de ma part, le système de Guiot dans PercL est autre : chez lui le ‑a‑ se transforme en ‑e‑ ; en d’autres termes, au lieu d’avoir le système chantasse / chantissiez, on a chantasse / chantessiez56. Mais ce qu’il faut bien voir, c’est que, chez Guiot comme chez les autres, dans tous les cas, pour les verbes du premier groupe, l’élément vocalique qui précède le morphème [s] du subjonctif imparfait connaît une alternance qui est liée à la structure accentuelle.
6.5.3.2.2. Base du subjonctif
imparfait : rapports entre passé simple et subjonctif imparfait. Cas
particuliers dans PercL : verbes de type +querre, verbes
+voloir et +pöoir. (§174)
§174
Si le passé simple 2 d’un verbe donné apparaît sous plusieurs formes, chacune de ces formes peut théoriquement donner la base d’un subjonctif imparfait : par exemple, pour le verbe +querre (cf. supra dans le ◊Chap6 §168, §169), si un copiste écrivait au passé simple à la fois tu quesis et tu queïs, on pourrait rencontrer chez lui au subjonctif imparfait que je quesisse et que je queïsse. Comme Guiot n’utilise plus le ‑s‑ intervocalique dans les passés forts en ‑s‑ à alternance e / i décrits supra dans le ◊Chap6 §168, §169, j’ai choisi dans le tableau du ◊Chap6 §172 un début de subjonctif imparfait pour ce verbe en queïs‑ (cf. du reste queïst, subjonctif imparfait 3, v3068°).
Dans PercL, le subjonctif imparfait de +voloir a toujours pour base volsis‑; cela suppose un passé simple fort en s écrit volsis à la personne 2, et donc un début de passé simple partout écrit vols‑. Mais en fait, les formes du passé simple de +voloir attestées dans PercL sont exclusivement — sauf erreur de ma part — personne 1 vos par exemple v3891°, personne 1 vox v6858°, personne 3 volt entre autres v2439, formes qui supposent un passé fort pour le moins curieux. Cela implique qu’au passé simple, ce verbe, exceptionnel, mêle plusieurs types de conjugaison, fait bien connu. Inutile d’en apprendre par cœur un modèle qui n’aurait rien d’exemplaire : l’important est de reconnaître les formes que vous rencontreriez.
En ce qui concerne +pöoir, il a été dit qu’il se conjugue au passé simple comme avoir, soit, en se reportant supra au tableau du ◊Chap6 §163, poi, peüs, pot, peümes, peüstes, porent (passé fort en u, à alternance o /e). Mais la note 44 au même ◊Chap6 §163 informe qu’il existe une autre façon de conjuguer le passé simple de ce verbe. Ce type est : poi, poïs, pot, poïmes, poïstes, porent (passé fort en i, sans alternance). Ce qui différencie les deux conjugaisons, ce sont les personnes faibles (personne 2, personne 4, personne 5). En fait dans l’ensemble de PercL, les seules occurrences de personnes faibles du passé simple de +pöoir sont poïs, personne 2, v4632, et poïsmes57, personne 4, v4505°. Problème : si un passage de PercL ne nous fournit que des formes fortes du passé simple de +pöoir (à savoir poi, pot ou porent), en bonne méthode, nous ne pouvons deviner si les formes faibles vont relever du type tu peüs ou tu poïs. Et question : le type je poi, tu peüs, etc. est-il vraiment attesté dans PercL ? Réponse : oui. En effet, si la majorité des occurrences de +pöoir au subjonctif imparfait ont une base poïs(s)‑ (cf. entre autres poïst v3086, poïssiez v2119), qui donc suppose une conjugaison du passé simple de type je poi, tu poïs, le subjonctif imparfait nous offre aussi une (pas deux, il est vrai) occurrence de peüst subjonctif imparfait 3 v8460° (rimant avec deüst) qui laisse reconstruire le type de passé simple je poi, tu peüs, etc. Il est possible que le type je poi, tu poïs, etc. soit plus particulièrement fréquent dans l’Est. N’oublions pas que Guiot est de Champagne.
6.5.3.2.3. Base du subjonctif
imparfait : rapports entre passé simple et subjonctif imparfait. Cas
particuliers dans PercL : +morir, +avoir et +savoir.
(§174a)
§174a
Comme j'en fais la remarque dans la note 39 du présent ◊Chap6 (note incidente au§161), le verbe +morir se comporte curieusement dans PercL : on n’a d’attestations de son passé simple que sous la forme morut, passé simple 3, et d’attestations de son subjonctif imparfait que sous la forme morist, personne 3. Il est clair que morist suppose un passé simple 2 de type tu moris, alors que morut, passé simple 3 ne laisse pas prévoir de passé simple 2 moris. En d’autres termes, les formes attestées laissent penser que le texte présente deux façons de conjuguer +morir au passé simple.
Une dernière curiosité. Le passé simple de +avoir a été donné supra dans le présent ◊Chap6 §162 par exemple comme étant oi, eüs, ot, eümes, eüstes, orent. Cette conjugaison se réalise bien dans PercL, où l’on rencontre toutes les formes énumérées sauf la personne 4, qui ne se rencontre sous aucune forme dans PercL. Maintenant, si nous examinons le subjonctif imparfait de +avoir dans PercL, que constatons-nous ? D’une part, une quantité d’attestations de eüsse, eüsses, eüst, eüssiez, eüssent (il ne manque que la personne 4), qui correspondent bien à un passé simple 2 tu eüs. Mais d’autre part, il est vrai en quantité bien moindre, aüsses v2249, v6601, et aüst v3088, v5502, v6565 (donc seulement cinq occurrences en tout), lesquelles supposeraient un passé simple 2 tu aüs, absent de PercL (qui ne connaît pas non plus aümes ni aüstes au passé simple). Le verbe +savoir a le même comportement dans PercL : les formes attestées du passé simple sont soi v3871° etc., seüs v6197°, sot v1362° etc., seüstes v7506, sorent v314, ce qui suppose seümes (pas d’attestation). Les personnes attestées au subjonctif imparfait sont seüsse v1496° etc., seüst v1282° etc., mais aussi saüst v1934 dans le texte étudié ◊Chap6 §142. Les formes en aüs(‑) et saüs(‑) de +avoir et +savoir sont de l’Est.
6.5.3.3.
Subjonctif imparfait : ultimes remarques. (§175)
§175
Attention ! Une forme en ‑ist peut être a priori un passé simple 3 en s ou un subjonctif imparfait 358 : réfléchissez. Mais, dans PercL, un même verbe n’a aucune forme commune au passé simple et au subjonctif imparfait ; on opposera en particulier la troisième personne : ama et amast, parti et partist, fu et fust, fist et feïst, par exemple.
Cet état de choses s’est conservé en français moderne : on ne peut confondre chant-ai, ‑as, ‑a, ‑âmes, ‑âtes, ‑erent avec chant-asse, ‑asses, ‑ât, ‑assions, ‑assiez, ‑assent, ni fis, fis, fit, fîmes, fîtes, firent avec fisse, fisses, fît, fissions, fissiez, fissent. N’oubliez pas de munir le subjonctif imparfait 3 du français moderne de son accent circonflexe de rigueur ; dans certains verbes, il distingue à lui seul le passé simple 3 du subjonctif imparfait 3 : il dit, qu’il dît, il fut, qu’il fût, il vint, qu’il vînt. Profitez de l’occasion pour revoir vos conjugaisons en français moderne, et appréciez en connaisseurs les écrivains : Et loin que la thérapie du serrement indéfini de ma main dans la main du baron me fît approcher, même sans jamais l’atteindre, d’un semblant de guérison /./, au contraire je sentais que la gravité du mal, sans qu’il empirât, était constante59.
6.6.
Lexique : et le mot +drap ? (§176)
§176
La question de lexique du devoir n° 1 (voir ◊Chap5 §139) portait sur le mot +drap. J’en traite dans l’enregistrement e8 et ne la reprends que pour répondre à la devinette proposée à la fin de e8. Les deux citations du 20e siècle décrivent une rue de Marseille ; elles sont tirées de Noé de Jean Giono, Paris (La Table Ronde 1947), respectivement p270-p271 et p289. On notera que ces intéressantes citations manquent à l’article drapeau du TLF 7 (1979).
6.7.
Vers le Chapitre 7. (§176a)
§176a
Dans le chapitre 7 sera donnée entre autres la correction du devoir n° 2, dont voici le sujet.
Texte : PercL v1943-v1968. — 1. Traduire en français académique d’aujourd’hui. — 2. Morphologie : après en avoir donné la fonction, décliner au singulier et au pluriel les syntagmes nominaux suivants : un mantel cort v1950, son afere v1957, tuit li manbre v1960, li cors v1961. — 3. Syntaxe : la négation dans le passage. — 4. Lexique : afublé v1951. Définir les sens du verbe +afubler dans PercL et en français moderne. Comment peut-on caractériser l’évolution sémantique du mot de l’ancien français (tel qu’on le saisit à travers PercL) au français moderne ? Pour terminer, synthétisez ce qu’est devenu au plan sémantique le radical fibul‑ de f´ibula du latin à aujourd’hui, sans omettre d’utiliser les documents fournis dans la section ◊Mots en contexte.
Fin du Chapitre 6 de
May Plouzeau, PercevalApproches
◊Chap6 Fin
Dernière correction : 20 mars 2016.
Date de mise à disposition sur le site du LFA : 16 avril 2007.