Mayres de Dieu
« Cirventés »
Arnaut Vidal
Édition et traduction : A. Jeanroy [1]

I

    Mayres de Dieu, verges pura,
    Vas vos me vir de cor pur,
    Ab speransa segura,
  1. Tal qu'ab merse m'assegur
              Que m'escur
    Say, tan qu'a la fi s'atur
    M'arma lay on gaugz s'atura;
  2. Verges, ab dreyta mezura,
    Prec preguetz Dieu no.m mezur,
    Car per dreg, en loc escur,
    M'arm'auria cambr'escura,
  3. E car de vos no m rancur,
    Dels gaugz dels sels non endur.

II

    Verges, ses par de plazensa,
    Per nostr'amor, fos plazens
  1. A Dieu tan que'n pres nayshensa,
    Dont pueys per nos fo nayshens.
              Humilmens
    Vos prec que.m siatz guirens,
  2. E que.m portetz tal guirensa,
    Qu'ieu an lay, ses defalensa,
    On gaugz non es defalhens:
    Car yeu, de cor, soy crezens
  3. Que qui'n vos ha sa crezensa,
    No mor perdurablemens,
    Ans er ab gaugz revivens.

III

    Regina dels sels, d'ondransa,
  1. Car totz oms que'us es ondrans,
    Ondratz sera, ses doptansa,
    Sol sia ferms, no doptans,
              .M. aytans
  2. Per vos, qu'etz fons aondans,
    On Dieus trobec aondansa
    De totz bes, vostr'amparansa
    Requier, que.m si 'amparans
  3. Vostre filhs e perdonans
    Mos pecatz, car perdonansa
    Fay als sieus fizels clamans,
    Tant es dous e merseyans.

IV

  1. Verges, us gaugz me coforta
    Tot jorn d'amoros cofort:
    Car, per la virginal porta,
    Intret Dieus dins vostre port,
  2.           Don estort
    Em tug a durable mort:
    Que nostra vid'era morta,
    Quar Adams tenc via torta,
  3. Manjan del frug a gran tort;
    Mas yeu en vos ay conort,
    Ab tal esper que.m conorta
    Que vostra bontatz me port
  4. Mest manh glorios deport.

V

    Flors de paradis, ondrada
    Per los Arcangels ondratz,
    Flors sus els tros aut montada,
  1. Flors que vostr'amic montatz,
              Flors de patz,
    Flors on gaugz s'es encastratz,
    Flors en purtat encastrada,
  2. Flors que ne fo desflorada
    Pel frug, ans remas floratz
    Vostre cors, quan Dieus fo natz
    De vos, Verges ses par nada,
  3. Prec vos que merse m'aiatz,
    Tan que.m n'an ab los salvatz.

VI

    Si cum soy lay autreyatz
    On vertutz es autreyada,
  1. En vostra cambra ondrada
    D'Uzesta, car lay ondratz
    Mans desfagz, si que.ls refatz,
    Prec vos que de la re fada,
  2. Verges, per qu'om es damnatz,
    Si.us plats, guirens nos siatz.
    Amen

I

    Mère de Dieu, Vierge pure,
    Vers vous je me tourne de coeur pur,
    Avec espérance sûre,
    Telle que, avec merci, je m'assure
    Que je me purifie
    Ici, tant qu'à la fin se fixe
    Mon âme là où joie est fixée;
    Vierge, avec juste mesure,
    Je vous prie que vous priiez Dieu qu'il ne me mesure pas
    Car par droit, en lieu obscur,
    Mon âme aurait chambre obscure;
    Et pour que de vous je ne me plaigne pas,
    Que des joies du Ciel je ne sois pas privé!

II

    Vierge, sans pareille de plaisance,
    Par amour pour nous, vous fûtes plaisante
    A Dieu, si bien qu'il en prit naissance,
    D'où ensuite, pour nous, il fut naissant.
    Humblement
    Je vous prie que vous me soyez garant,
    Et que vous me portiez telle garantie
    Que j'aille là, sans défaillance,
    Où joie n'est point défaillante,
    Car, de coeur, je suis croyant
    Que celui qui en vous a sa croyance
    Ne meurt point éternellement,
    Mais qu'avec joie il sera revivant.

III

    Reine des cieux, d'honneur,
    Parce que tout homme, qui vous est honorant,
    Honeré sera, sans aucun doute,
    Pourvu qu'il soit ferme, non doutante
    Mille fois autant
    A cause de vous, qui êtes la fontaine abondante,
    Où Dieu trouva abondance
    De tous biens, votre protection
    Je requiers, pour que me soit protecteur
    Votre fils et qu'il me pardonne
    Mes péchés, car pardon
    Il accorde à ses fidèles qui l'implorent,
    Tant il est doux et miséricordieux.

IV

    Vierge, une joie me conforte
    Toujours d'amoureux confort:
    C'est que, par la virginale porte,
    Dieu entra dans votre port,
    Grâce à quoi arrachés
    Nous sommes tous à la durable mort:
    Car notre vie était morte,
    Parce que Adam suivit une voie tortueuse
    En mangeant du fruit à grand tort;
    Mais en vous je mets mon réconfort
    Avec cet espoir qui me réconforte
    Que votre bonté me portera
    Au milieu de maintes glorieuses joies.

V

    Fleur de paradis, honorée
    Par les Archanges honorés,
    Fleur aux cieux haut montée,
    Fleur qui votre ami élevez,
    Fleur de paix,
    Fleur où joie s'est enchâssée,
    Fleur en pureté enchâssée,
    Fleur qui ne fut point déflorée
    Par le fruit, mais resta fleuri
    Votre corps, quand Dieu fut né
    De vous, Vierge sans pareille née,
    Je vous prie que merci m'ayez,
    Si bien que je m'en aille avec les sauvés.

VI

    Aussi vrai que je suis octroyé là
    Où vertu est octroyée,
    En votre chambre honorée
    D'Uzeste, parce que là vous honorez
    Maints défaits, de telle sorte que vous les refaites,
    Je vous prie que de la chose folle,
    Vierge, par laquelle on est damné,
    S'il vous plaît, garant nous soyez.


[1] Alfred Jeanroy, Les joies du gai savoir (Toulouse, Éd. Privat, 1914), p. 3-6. Reproduit avec l'aimable accord de la maison d'édition, tous droits réservés.