| Quant voi 
    la glaie meüre(R2107, L 215-5, MW 962,4)
 
Sources manuscritesK : Messires Raoul de Soissons (141 ro  - vo), notée  ;N : Messires T. de Soissons (65 vo - 66 ro), notée;
 P : Mesire Raoul de Soisons (86 ro - vo), notée ;
 X : Raoul de Soissons (97 ro - 98 ro), 
notée ;
 V : anonyme (118 ro - vo), notée ;
 R : anonyme (93 vo - 94 ro), notée ;
 S : anonyme (231 ro), sans mélodie ;
 C : Perrins d'Angincourt (197 vo -198 ro), 
portées vides ;
 U : Raoul de Soissons (main moderne), 28 ro - 129 ro, sans mélodie ;
 F : Raoul (101 ro  - vo), sans mélodie
 [1];
 a : Mesire Raous de Soisons (29 ro - vo), notée ;
 Metz  (ms. perdu [2]) : anonyme (dernier fol.), sans mélodie ;
 Maz : anonyme (162 vo - 163 ro), sans mélodie.
 
 
  
  Éditions antérieures
    Winkler, chanson 12, p. 65-69 : texte de K, str. VI 
    d'après V ;
    La Borde, p. 218, texte de K ;
    
    
    Keller, p. 262, texte de a ;
    
                  
    Auguis, p. 45, texte de K ;
    
    
    Maetzner, p. 18, texte de a ;
    
    
    Meissner, p. 124-25, texte de a ;Steffens, 
    p. 282-90, texte de K, str. VI 
    d'après V
    ;Rosenberg, p. 381, texte de V ;Gauthier, p. 
    107-144, texte de V. 
    
  Classement des manuscrits / attribution de la chanson
 
L'attribution à Raoul n'étant contredite que par seul le ms. C (pas toujours fiable), nous rangeons la pièce parmi les chansons attribuables à Raoul.|  
    
      | K | I | II | III | IV | - | VI |  
      | N | I | II | III | IV | - | VI |  
      | P | I | II | III | IV | - | VI |  
      | X | I | II | III | IV | - | VI |  
      | V | I | II | IV | III | V | VI |  
      | R | I | II | III | IV | - | VI |  
      | S | I | II | III | IV | V | - |  
      | C | I | II | IV | III | V | - |  
      | U | I | II | III | IV | VI | V |  
      | F | I | II | III | - | - | - |  
      | a | I | II | III | IV | - | VI |  
      | Metz | I | II | III | - | - | - |  
      | Maz | I | - | - | - | - | - |  | À en juger par le nombre de manuscrits qui 
	la transmettent, la 
  chanson a dû jouir d'une grande popularité, ce qui peut expliquer la variation dans l'ordre des strophes et la confusion des 
  relations manuscrites. Comme le montre la table à gauche (ordre 
  d'après KNPX), VSCU donnent une strophe supplémentaire 
  qui, en tant qu'envoi, doit précéder la strophe donnée en dernier lieu par le groupe
  KNPXRa. VC inversent l'ordre des str. III et IV et U 
  inverse l'ordre des str. V et VI, et c'est donc seul S qui donne 
  le bon ordre, tout en omettant l'envoi. Au niveau lexical, les relations entre les 
  manuscrits ne se dévoilent pas de façon plus claire. À titre d'exemple, 
  au v. 2 VR s'opposent aux autres mss, au v. 13 Ca 
  s'opposent aux autres mss, au v. 15 RC s'opposent aux autres mss et au v. 29, 
  KPX s'écartent de la leçon de NU et de celle des autres mss. 
  Comme à son habitude, V donne un 
  certain nombre de leçons qui lui sont propres. Le ms. de Metz ne transmet que les trois premières strophes 
  et suit la disposition du groupe KNPXURa. S est également conforme au grand groupe, à 
  l'exception de la strophe V, qui est identique à celle donnée dans les mss
  C et V. L'on voit bien ce qui a amené Suchier à 
  affirmer que même dans la tradition des chansons lyriques, il est 
  rare de rencontrer une telle confusion.  |  
  Établissement du texteLe choix du manuscrit de base 
  n'est pas sans poser des problèmes. Les mss V et U 
  donnent 6 strophes mais, comme le montre la table ci-haut, l'ordre des str. 
  n'est pas évident, surtout en ce qui concerne les str. III et IV. Winkler et 
  Steffens ont eu tort de suivre l'ordre de U, car la str. V dans
  U (VI dans KNPXVRa) est un envoi, qui doit clore 
  la chanson. Rosenberg et 
  Gauthier ont préféré l'ordre donné par V pour des raisons 
  d'ordre poétique : « The order of ms. V ... seems to us more satisfying 
  poetically » (Rosenberg, 385), sans toutefois préciser leurs critères. 
  On notera cependant une sorte de 
  liaison strophique du type coblas capfinidas reliant 
  les str. II et III (dame aux v. 25/28) et III et IV (amor / amee) 
  suivant l'ordre donné par tous les manuscrits à l'exception de VC, ce 
  qui pourrait indiquer que l'ordre donné par VC est fautif. Nous voyons 3 possibilités pour l'établissement de ce texte :
  Afin d'éviter les mélanges, nous avons opté pour V, à 
  l'instar de Rosenberg et Gauthier, mais en renversant les str. III et IV. À 
  l'exception de quelques variantes négligeables du type tout aussi au 
  lieu de autresi (v. 8) et mes au lieu de
  et (v. 16), V s'écarte des autres témoins au v.  46 
  (avec C) et au v. 68, mais comme la charpente métrique y est 
  maintenue et que leur sens s'inscrit dans le contexte, nous ne sommes pas 
  intervenue.I, II, III, IV, VI d'après KNPXRa  (N) avec la str. V selon  VSCU 
  (V) ; 
  la version de S avec la str. VI donnée par  
  KNPXVRUa  (N) ;  la version de V
  avec les str. III et IV dans l'ordre donné par les autres témoins (à 
  l'exception de U).
   
 Steffens et Winkler ont corrigé au v. 54 De la mort que pour vous sent en
  De l'amor que pour vous sent ; Rosenberg traduit « de la mort que je 
  ressens pour vous », sens qu'il relie au v. 23, « elle préfère que je mène la 
  vie d'un martyr ». Il ne nous semble cependant pas impossible que « pour » 
  (por) soit employé ici en fonction causale et nous comprenons « de la 
  mort que je ressens à cause de vous ».
 
Interventions
  v. 22 - languir : répétition de la rime au v. 19 ; 
  correction d'après KNPXFR ;
  v. 25 - servi : atteinte à la rime ; correction d'après PaFSC ;
  v. 26 - mi : forme qui ne convient pas ici ; correction d’après KPXaFSCUMetz ; 
  v. 29 - aviez : le sens exige le présent ; correction d'après aRSCMetz ;
  
  v. 46 - car : le sens exige une conjonction de subordination 
  plutôt que de coordination ; correction d'après les autres témoins. 
Versification et stylistiqueSix strophes hétérométriques de 13 vers en coblas doblas.
 
  Particularités stylistiques:
    | Mélodie : | A | B | A | B | C | D | E | F | G | D | E | F | G |  |  
    | Schéma  : | a | b | a | b | b | b | a | a | b | b | a | b | b | (MW : 5) |  
    |  | 7' | 7 | 7' | 7 | 3 | 7 | 7' | 7' | 7 | 7 | 7' | 7 | 7 | (MW : 5) |  
  rimes paronymes : 44/51 si / ainsi ;
  rimes dérivées : 40/48 amee / ami ; 66/78 atendre /
  atent ;
  figure étymologique : 68/75 reprendre / esprent ;
  enchaînement strophique selon la technique de coblas capfinidas : 
  fere / fet (13/14), amour / aimée 
  (39/40), éventuellement dame aux v. 25/28 ;  
richesse d'images et de comparaisons : le groupe glaïeul / rosier / verdure / rosée (introduction 
printanier), le feu (à deux reprises), 
la piqûre du scorpion, le prisonnier en route pour la potence, le chevalier qui rend son épée 
et l'amant qui se livre à sa dame en lui demandant de le capturer sans le tuer ; 
  abondance d'allusions bibliques : le feu (« enflammé par un feu », 
  Genèse 19:24),
  la piqûre du scorpion (Apocalypse 
  9:5), le martyr, la cendre, le jugement, le commandement et, bien sûr, la merci 
  ; l'effet circulaire de la réapparition du feu à la fin de la chanson, qui 
  permet de rapprocher la dernière strophe de la première ;
  la ressemblance 
  interne de la sonorité des rimes (-üre et -ir, -ee et -i, 
  et -endre et -ent), mettant en valeur l'unité des paires de 
  strophes.
 
  
 LangueDans son ensemble,  V 
 présente un texte francien 
 qui ne présente qu'une trace de picard, soit la graphie du -o 
 fermé libre qui devient -ou : amour, dolour. 
  
  Interprétation / traductionWinkler a signalé à juste titre selon nous que prendre au v. 60 doit être 
compris comme « capturer » (faire prisonnier), sens qui renvoie à 
  l'image du chevalier qui livre son épée (v. 65). 
  
MélodieLa mélodie est donnée par Rosenberg (p. 153), Gennrich (Altfr. 
  Liederhs p. 417, Troubadours p. 36), Aubry (p. 48), et Räkel (p. ?) ; voir 
  aussi Hughes (pp. 11,17,22).La présence d'une rime b au douzième vers présente une particularité 
intéressante dans la mesure où il se heurte au schéma symétrique de la mélodie 
qui se déroule de façon parallèle à celui du texte (cf. le schéma sous 4. 
supra). Il ressort de cette construction qu'à l'intérieur de la même strophe, la phrase mélodique F 
doit accompagner deux vers dont l'un se termine par une rime féminine et l'autre 
par une rime masculine.
 
  ContrafactaSi la riche tradition manuscrite témoigne de la grande popularité dont a dû jouir 
  cette chanson, les contrafacta qu'elle a inspirés, au nombre de six, la 
  soulignent aussi. Långfors 
  en cite cinq, dès 1926 :
  Toutes les chansons sont notées. 
   
  Deux des auteurs (Jacques de Cambrai et Adam de la Bassée) ont indiqué 
  eux-mêmes que leur chanson devait être chantée sur la mélodie de R2107 de 
  Raoul. Vu la ressemblance entre les mélodies et le caractère unique de la charpente 
  métrique (les cinq chansons françaises occupent une catégorie à part dans 
  l'ouvrage de Mölk et Wolfzettel), il est hors de doute que ces pièces constituent des contrafacta 
  métriques et mélodiques de la chanson de Raoul. [3] 
  Bien que la chanson d'Adam de la Bassée suive un schéma rimique légèrement différent (ababbbccbdcb : deux nouvelles rimes dans 
  la cauda), elle comporte la même particularité au douzième vers, soit 
  une rime masculine.R1104 : Dex je n'os nonmer (anon.), canso en coblas 
  doblas, cinq strophes ;
  R2091 : Mere, douce creature (Jacques de Cambrai), chanson pieuse en coblas doblas avec un rim 
  unissonans et un rim doble, cinq strophes ;
  R2096 : Aussi com l'eschaufeüre (Philippe de Remi), canso en coblas unissons, cinq  strophes ;
  R2112 : Virge des ciels clere (anon.), chanson pieuse en coblas doblas, cinq strophes 
  ;
  AH48,313 : O constantia dignitas (Adam de la Bassée), cantilène d'une 
  seule strophe. 
 À cette liste de 
  contrafacta connus nous ajoutons une 
  chanson d'Arnaut Vidal, soit Mayres de Dieu, 
  sirventes religieux en coblas
 singulars de cinq strophes avec un envoi de huit vers ; elle présente 
  la même charpente métrique (unique 
  dans le corpus des troubadours) et une série de liens sémantiques et 
  stylistiques avec la chanson de Raoul qui permet d'affirmer sans beaucoup de doute que Mayres de Dieu est, elle aussi, un 
  contrafactum de Quant voi la glaie meüre. [4]
 
 
 [1] Le premier folio de ce manuscrit est un palimpseste. 
  La musique a, elle aussi, été grattée et réécrite. 
 [2] Ms. 
  détruit en 1944. Première strophe d'après la transcription de Paul Meyer, dans 
  « Notice du ms 535 de la Bibliothèque Municipale de Metz », Bulletin de la Société des anciens textes 
  français  I (1886), p. 66 ; strophes II et III reconstituées d'après les variantes 
  fournies par Winkler.
   
 [3] 
  Cf. Räkel, pp. 148-151,  157-160, 205-6, 232.   
 [4] 
  Pour plus de détails, voir notre article « Mayres de Dieu , contrafactum occitan d'une chanson de Raoul de Soissons », Atti del Congresso Internazionale di Linguistica e Filologia Romanza  t. 
  VI (Tübingen, Niemeyer, 1998), p. 225-234. 
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