E! coens d'Anjo
(R1154, L 215-3, MW 891,2)

  1. Sources manuscrites

    C : Messires Raious de Soixons (64 vo - 65 ro), I-VI + envoi, portées vides ;
    O : anon. (12 vo), I, notée ;
    Me : Messire Thierry de Soissons, ± 57 vo, III (d'après Fauchet [1]).
  1. Éditions antérieures

    • Winkler, chanson 6, p. 46-48 ;
    • Jubinal, p. 46 ;
    • Beck, p. 17 (1 str.) ;
    • Rosenberg, 1981, p. 389-392 ; 1995, p. 646-651.
  1. Classement des manuscrits / attribution de la chanson

    Rien ne contredit l'attribution à Raoul, d'autant plus que les données biographiques contenues dans la chanson (séjour en « Syrie », emprisonnement en Egypte) correspondent à ce qu'on sait de la vie de Raoul. On notera que les vers 54/55 figurent mot à mot dans la chanson R363 (v. 54/55, dans l'ordre inverse).
  1. Établissement du texte

    Comme O ne donne qu'une seule strophe, le choix de C comme manuscrit de base s'impose. Winkler a tenté (sans trop de succès) de normaliser la graphie lorraine, sans doute par souci d'homogénéité, mais nous suivons les principes de Bédier (« orthographe du codex optimus », cf. Lepage, Guide, p. 68) en respectant la graphie du copiste. Winkler et Rosenberg ont cependant corrigé tous les cas de -c- pour -s- (v. 14/17/43) et effectivement, les formes ces pour ses ne sont pas attestées dans le TL. Nous avons adapté les formes aux v. 14 et 17 pour éviter la confusion entre ces pron dém. et ses adj. poss., mais quant à la forme c'elle pour s'elle au v. 43, on retrouve la même graphie dans la chanson R929 (C’ançois au v. 14) et il ne nous a pas paru utile d'intervenir.
  1. Interventions

    • v. 14 - barons : la rime exige un singulier ;
    • v. 14 - ces : corrigé en ses ;
    • v. 15 - les povres : singulier imposé par la correction de barons ;
    • v. 17 - ces : corrigé en ses ;
  1. Versification et stylistiquee

    Six strophes isométriques décasyllabiques de 9 vers construites selon la technique de coblas redondas avec une rime constante (cf. Billy, L'architecture, p. 112).
    Mélodie:  A B A B C D E F G  
     Schéma:  a b a b b a a c c (MW : 20)
      10 10' 10 10 10 10' 10' 10 10 (MW : 1)
    Schéma des rimes :
      a -ie -ie -ie -ie -ie -ie  
      b -ui -on -is -ir -er -or  
      c -on -is -ir -er -or  
    Il s'agit d'une formule complexe d'enchaînement strophique dont on ne trouve que de très rares exemples dans l'œuvre des trouvères (cf. Dragonetti, p. 450)

    Particularités stylistiques:
    • rimes paronymes : v. 34/28 lie / oblie ;
    • rimes dérivées : v.23/27 partis/partir ; v. 28/35 oblie/oblieir ;
    • césures lyriques au v. 15, 25, 37, 54 ;
    • césures féminines élidées : v. 17, 20.

    La chanson utilise la croisade comme un moyen au service du chant ; l'image de la prison renvoie alternativement à la prison d'Egypte et à la prison d'Amour, deux captivités qui risquent d'avoir le même aboutissement : la mort. Cf. l'analyse de Marie-Noëlle Toury.[2]
  1. Langue

    Le copiste de C présente un texte fort marqué par la scripta lorraine :
    vocalisme
    • -ai- pour -a- : saichiés (7), saiche (9), jai (11), outraige (33), paisse (53) ;
    • -ei- pour -e- : chanteir (2), douteis (10), teil (45), etc. ;
    • -i- pour -ei- : signorie (12) ;
    • -e- pour -a- : per (6) ;
    consonantisme
    • -x- pour -s- : cortoixie (6), plux (14), angoixe (37),  maix (48), jamaix (50) ;
    • -eit- pour -e- tonique final : lenteit (8), bonteit (53), crestïenteit (54) ;
    • c pour s initial : ces (=ses) ;.
    morphologie
    • pronom relatif : ke pour ki (39, 53) ;
    • adverbe : se pour si (56) ;
    • démonstratif : ceu pour ce (23) ;
    • désinences verbales : ait (=a, 7, 19, 34), vait (=va, 30), avrait (=avra, 44) ;
    • pp. avec -t- final : esproveit (19), retorneit (49).

    Ainsi que le signale Rosenberg, la forme sui au v. 5 (au lieu de seux comme au v. 40) indique un modèle non-lorrain (probablement picard).
  1. Destinataire

    Le coens d'Anjo renvoie à Charles d'Anjou (cf. les chansons R767 et R929), lui-même auteur de deux chansons (R423 et R540). Frère de Louis, Charles, comte d'Anjou et du Maine depuis 1246, roi de Naples depuis 1265, il naquit en mars 1226 et mourut à Foggia le 7 janvier 1285 à l'âge de 59 ans. Il protégeait plusieurs trouvères, parmi lesquels Rutebeuf et Adam de la Halle. Il figure dans bon nombre de chansons et de jeux-partis composés par Perrin d'Angicourt, Gillebert de Berneville, le comte de Bretagne, Jehan Bretel, Lambert Ferri et Audefroi le Bastart.[3] Raoul a dû se battre à ses côtés au cours de la croisade de 1249.
  1. Mélodie

    La mélodie est donnée par Rosenberg et Tischler dans Chansons de trouvères (1995), p. 646-7.


[1] Fauchet cite la strophe comme faisant partie de la « II. chanson [de Thierry de Soissons] » (p. 133).

[2] Marie-Noëlle Toury, « Raoul de Soissons : Hier la croisade », Les Champenois de la croisade,  Y. Bellenger et D. Quéruel éds (Paris, Aux Amateurs de livres, 1989), p. 97-107.

[3] Cf. Dragonetti, p. 662-3 et Dyggve, Onomastique, p. 36.