NOTICE
Sire,
loez moi a choisir
(R1393 = R1423a, L 215-7, MW 1090,7)
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Sources manuscrites
K : Li rois de Navarre (43-44), notée (I-V) ;
N : Li rois de Navarre (10 ro - vo), notée
;
X : anonyme (42 ro - 43 ro), notée ;
V : anonyme (22 ro - vo), notée ;
O : Roi de Navarre - main postérieure (128 ro -
vo), notée ;
M : anonyme (72 ro - vo), notée.
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Éditions antérieures
- Winkler, chanson 13, p. 70-61 : texte de M
;
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Levesque de la Ravallière, p. 117
: texte de O
;
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Tarbé, p. 105 : texte de O et N
;
- Långfors (Recueil), p. 29-33 : texte de M
;
- Wallensköld, p. 203-208 : texte de K.
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Classement des manuscrits / attribution de la chanson
Les variantes qui séparent les mss sont peu nombreuses et plutôt négligeables.
M s'écarte des autres mss aux v. 7 et 51, mais on dirait
qu'il
s'agit plutôt de variantes attribuables au scribe (douçors vs
douz cors ; au v. 7, reprise du verbe parler du v. 5 ;
lacune au v. 25). Il n'est donc guère possible de regrouper les manuscrits, qui
remontent probablement à un seul modèle.
L'identité des partenaires du débat ne fait pas de doute. Ainsi que nous le savons, Raoul et Thibaut de
Champagne avaient l'habitude de s'adresser des chansons (R1811, R2063, R741) et
entretenaient des relations d'amitié et de féodalité (voir
La vie de Raoul). L'embonpoint de
Thibaut est bien connu, cf. le jeu-parti R1335 :
trop megres n'estes encore mie (v. 11), pour ce ai ma graisse recouvree (v. 18)
; la canne de Raoul est sans doute reliée à la goutte dont il
souffrait de son propre aveu (cf. la chanson R1154:
je cuidai de ma goute morir [v. 26]). Comme Raoul donne à Thibaut le
titre de « roi », la chanson est postérieure à l'avènement de celui-ci au
trône de Navarre, en 1234. Winkler croit pouvoir placer la chanson après le
retour de Raoul de la première croisade de Saint Louis, probablement en 1253,
et avant la mort de Thibaut à l'âge de 52 ans en juillet de la même année,
mais il nous semble plus probable que la chanson fut composée
après le retour de Raoul en France en 1243 suivant la croisade des barons (cf.
Wallensköld, p. 151). Puisque c'est Raoul qui propose le jeu-parti, nous le classons sous son nom, suivant ainsi la tradition
des éditeurs de jeux-partis.
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Établissement du texte
La leçon de M, adoptée par Winkler et Långfors, n'est pas sans fautes et le ms. K,
choisi par Wallensköld, ne donne que 5 strophes. Pour éviter un mélange de
leçons, nous nous en tenons à N, manuscrit que nous préférons quand cela
est possible.
Le sens de mere mellin ou mere merlin (M) au v. 22
est ambigu. Selon Wallensköld (p. 151), il s'agirait d'une forme défigurée
du nom
Miramolin, corruption à son tour du mot Emir al-Mumemin
(« commandant des croyants »), titre du roi qui commanda l'armée almohade lors de la bataille de
Las Navas de Tolosa en 1212 [1]. Winkler, quant à lui,
comprend « mère de Merlin » (personnage qui conçut son enfant du diable) [2], interprétation que Wallensköld
rejette en disant qu'elle n'est pas appuyée par la graphie des mss. Il se trompe
cependant, car le ms. M donne bien Merlin au lieu de Mellin, et tous les mss
séparent les deux mots. La forme Mellin est d'ailleurs une
des graphies données par Futre pour le nom propre « Merlin ». À cela s'ajoute l'observation de Lepage dans
Le sourire de Thibaut de Champagne
[3],
soulignant que mellin (avec
assimilation du -r) est précisément la graphie du vers 37 de la chanson
Dieus est ainsi comme est li pelicans de Thibault de Champagne,
dans laquelle Wallensköld n'hésite pas à voir « Merlin ». Ce n'est pas dire que la forme
transmise ne peut pas être corrompue, mais le sens de la leçon donnée par l'ensemble
des manuscrits étant satisfaisant, nous ne voyons pas de raison pour la rejeter.
Au v. 52, le mot enbracié fait atteinte à la rime en -er.
Winkler a corrigé pooie ... embracier en tenoie ...
enbracié, mais comme la leçon est transmise par tous les mss, on peut se
demander si la rime enbracié / ennuier dénote l’amuïssement du -r
final, phénomène qui, selon Fouché, se rencontre dès la seconde moitié du XIIe
siècle. [4] Citons par
exemple Octavian : Quant soudans l'a veu verser / Ses Sarrazins a
escriés (v. 4612/13) [5]. Il nous a donc paru préférable de retenir la graphie.
Le v. 50, où tenebros rime avec cors, soulève le
même genre de question : l’effacement du -r dans le groupe -rs
en position finale. Selon Fouché (p. 863), l’r est tombé de bonne heure
dans les groupes r + consonne, et Pope (§ 396) cite cors :
enclos et fors : clos. [6]
La rime fait preuve de la qualité assez faible du -r préconsonantique, surtout
en combinaison avec -s. Nous ne sommes pas intervenue.
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Interventions
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v. 14 / 15 - aim / morir : le scribe a dû confondre morir et ami
au vers suivant. Ainsi :
En prendre ce dont il aim (rime en -ir) / Couvient morir par estouvoir au lieu de
En prendre ce dont il
morir / Couvient ami par estouvoir (leçon de tous les autres manuscrits).
Nous avons adopté la leçon de KXVOM.
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Versification et stylistique
Six strophes octosyllabiques isométriques de 11 vers en coblas doblas
avec deux rimes constantes (c et d).
Mélodie : |
A |
B |
A |
B |
C |
D |
E |
F |
G |
H |
I |
|
Schéma : |
a |
b |
a |
b |
b |
c |
c |
d |
d |
e |
e |
(MW : 12) |
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8 |
8 |
8 |
8 |
8 |
8 |
8 |
8 |
8 |
8 |
8 |
(MW : 2) |
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LangueDans son ensemble, N
présente un texte francien
qui ne présente que quelques traces de picard :
- graphie de l'affriquée prépalatale, g pour j francien : gieu (Gossen,
p. 101)
;
- -o fermé libre devient -ou : amor,
estouvoir pour estovoir (ibid., p. 80) ;
- forme affaiblie de l'adjectif possessif : voz pour vostre
(ibid., p. 127).
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Traduction / interprétation
L'expression mordre au baston (v. 47) au sens figuré signifiait
attaquer quelqu'un (Långfors, p. 32) et constitue ici un jeu de mots
autour de la canne dont se servait Raoul à cause de sa goutte et du
bâton en tant que symbole phallique. On pense aussi au « bordon grant et fort
» de l’amant dans le Roman de la Rose.
Winkler voit dans l'usage du mot alumer (v. 37) une autre référence au
roman de Merlin, qui raconte que la mère de Merlin s'endort en oubliant les recommandations de
son confesseur Blaise d'allumer une veilleuse avant d'aller au lit. Le diable intervient pendant la nuit et au réveil,
elle se retrouve dépucelée.
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MélodieLa mélodie est donnée par Beck
(p. 297), par Aubry (p. 14), par Räkel (pp. 297, 357) et par Anglés (p. 81).
On notera que la chanson est un contrafactum (mélodique et métrique) de la chanson R1410 de Thibaut
(voir infra).
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Destinataire
Le « roi » est Thibault de Champagne, né le 30 mai 1201, mort le 14 juillet 1253. Il était comte de Champagne sous le nom
de Thibault IV de Champagne et roi de Navarre (de 1234 à 1253) sous le nom de Thibault Ier de Navarre.
Pour les liens d'amitié et de féodalité entre Thibault et Raoul, voir
La vie de Raoul. Cf.
Onomastique des trouvères, p.
185.
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Contrafacta
Le schéma de rimes du jeu-parti est identique à celui de la chanson religieuse
Mauvez arbres ne puet florir de Thibaut de Champagne (R1410) [7] ;
les rimes constantes du jeu-parti sont les rimes c et d de R1410
et on rencontre bon nombre de mots rimes identiques. Les mélodies sont, elles
aussi, semblables (cf. Räkel p. 38-9), mais ne sommes pas convaincue que le
jeu-parti ait servi de modèle à la chanson de Thibaut comme le prétend Wallensköld.
Vraisemblablement, celui qui proposait un jeu-parti proposait effectivement aussi
une mélodie et il était préférable, on le voit, que le partenaire la connaisse afin de pouvoir
composer sa réponse. Il était donc d'usage de chanter les jeux-partis sur des
mélodies préexistantes. D'autre part, les chansons religieuses étaient, elles
aussi, souvent chantées sur des mélodies connues et comme le suggère Gennrich (Cantilenae
p.
188), il n'est pas impossible
que les deux chansons aient été composées d'après un modèle qui ne nous a pas
été transmis.
[1] On retrouve le
mot dans le
Dictionnaire Philosophique de Voltaire : « Le miramolin, le bey, le
dey, ont des chrétiennes dans leur sérails » (p. 104). L'abbé
Rohrbacher, quant à lui,
cite l'historien arabe Elmacin (mort en 1273) en disant que les Chrétiens
d'Occident firent le nom de Miramolin par contraction du titre émir
al-mounemim (dans
Histoire universelle de l'Église Catholique). Le mot est bien attesté dans les chroniques espagnoles.
[2] Dans le récit de Robert de Boron, Merlin est engendré par un démon surgi de l’enfer et
une vierge : Je voil que tu saiches et croies que je sui filz d’un ennemi qui engingna ma mere
(Robert de Boron, Merlin en prose [A. Micha éd., Genève, Droz, 1979], p. 68.
[3]
Yvan Lepage, « Le sourire de Thibaut de Champagne », Contez me tout : Mélange de langues et d'études médiévales offerts à Herman
Braet, réunis par Catherine Bel et al. (Louvain, Peeters, 2006), p. 365-384
[373].
[4] Pierre
Fouché, Phonétique historique du français vol. III (Paris, Klincksieck, 1966), p. 663.
[5] Karl
Volmöller éd.,
Octavian (Heilbronn, Henninger, 1883), p. 113.
[6] Voir
aussi Renée Curtis,
Le Roman de Tristan en prose I, Arthurian Studies (Cambridge, Boydell & Brewer, 1985), p. 25,
et Thera de Jong, La prononciation des
consonnes dans le français de Paris aux 13ème et 14ème siècles (Thèse de
doctorat, Vrije Universiteit, 2006), p. 125.
[7] Voir l’édition de Rosenberg, Chanter m’estuet (1995),
p. 612-617.
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