Éditions antérieures
(Pour les éditions de chansons individuelles, nous renvoyons à la
bibliographie)
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Emil Winkler, Die Lieder Raouls von Soissons (Halle a.S. , Max
Niemeyer Verlag, 1914)
L'ouvrage d'Emil Winkler, seule édition critique de l'ensemble de l'œuvre lyrique de Raoul de
Soissons, présente tous les textes que
les chansonniers du Moyen Age lui attribuent. Des considérations d'ordre paléographique et l'examen du contenu des chansons ayant amené
l'éditeur à rejeter l'attribution à Raoul de quatre pièces, il en admet treize (y compris un jeu-parti avec Thibaut de Champagne). L'édition est précédée d'une biographie fort
détaillée, produit d'un dépouillement minutieux d'anciennes
sources [1],
ainsi que d'une liste des manuscrits et d'un chapitre sur les attributions de l'auteur et la chronologie des chansons. Les principes
sur lesquels repose l'établissement des textes (meilleur manuscrit de base pour chaque chanson) ne sont mentionnés que dans un seul
paragraphe au tout début ; l'éditeur y ajoute que dans le cas de R1154, il a remplacé la graphie lorraine, qu'il considère
allzu
störend (par trop gênante), par une graphie francienne (d'ailleurs peu
systématique [2]). L'édition est suivie de quelques remarques sur
les textes, d'une table des manuscrits qui donnent les chansons de Raoul et d'une généalogie de la famille du roi de Jérusalem.
Malgré son apport indéniable, surtout sur le plan historique, et sa transcription soignée,
l'ouvrage a reçu un accueil mitigé de la part
des spécialistes du domaine (Suchier, Wallensköld, Jeanroy, Långfors, Lubinski, Guesnon), en raison du manque d'apparat critique
et de
commentaires sur la versification et la langue du trouvère. A cela s'ajoutent des questions à propos du choix des manuscrits de base
et des doutes quant aux rapports de parenté entre les manuscrits. Par ailleurs, l'ouvrage est dépourvu de glossaire et l'éditeur ne
mentionne ni les caractéristiques paléographiques ni les dimensions intertextuelles.
Pour ce qui est de l'attribution des chansons, certains des
arguments de Winkler semblent avoir été remis en doute dans des publications
récentes.
Dans le cas de la chanson R1204
Se j'ai esté lonc tens en Romanie, par exemple, chanson que
Winkler a rejetée, Linker l'attribue à Raoul, ainsi que
Baumgartner et Ferrand, qui affirment que « tout permet de croire que [R1204] est bien du trouvère Raoul
de Soissons » [3]. Par ailleurs, la chanson R1885
Des ore mais est raison, que Winkler, parmi d'autres, attribue à Jean de Neuville, constitue un des objets de l'étude
Trois chansons de Raoul de Soissons d'Anne
Marie Gauthier (infra). Silvia Ranawake, par contre, suit les attributions de Winkler mais y ajoute le jeu-parti R294
Baudoÿn, il sunt
dui amant entre Thibault de Champagne et « Baudoÿn », personnage
inconnu. [4]
Sans doute s'agit-il d'une erreur : Ranawake le cite comme le « Jeu-parti R294 von Raoul und Thibaut » (p. 81) et ailleurs, elle l'attribue à Thibaut (p. 75). Ensuite, la chanson de croisade R1887
Nus ne poroit
de mauvaise raison, pièce anonyme, nous semble attribuable à Raoul. [5] Ces quelques
exemples, on le voit, mettent en lumière le besoin de reprendre la question des attributions.
Mentionnons ensuite le problème de l'identité de
« Thierri », personnage inconnu auquel les
manuscrits K, N et Me
attribuent certaines des chansons que les autres manuscrits donnent à Raoul. Winkler, et avant lui,
Paulin Paris [6], ont affirmé que
Thierri et Raoul étaient la même personne (il s'agit là d'une opinion, d'ailleurs, que l'on retrouve dès 1584, date de la publication
des ouvrages de François La Croix du Maine et Antoine Du Verdier [7]). Ce qui n'empêche pas Linker de
donner sous la rubrique de « Thierri
de Soissons » huit des chansons que Winkler attribue à Raoul. Lubinski, quant à lui, a émis des doutes considérables sur les
arguments de Winkler. Nous reviendrons sur cette question dans la section
Le cas de Thierri de Soissons.
Quant à l'établissement du texte par Winkler,
l'éditeur semble avoir été motivé par des considérations
linguistiques plutôt que philologiques, comme l'a fait remarquer Suchier :
« ... die Gründe, die ihn bei der Wahl dieser Grundhss. bestimmt haben,
[scheinen] rein sprachlicher Natur gewesen zu sein » (p. 239).
Son choix de manuscrit de base repose sur l'idée selon laquelle, grosso modo, le
texte du ms.
M est proche de la κοινη des trouvères (p. VI). Pour
les chansons absentes dans M, Winkler a préféré K, puis N, puis
V. En raison des mutilations subies par le manuscrit M, il s'est cependant trouvé obligé de recourir
à d’autres témoins dans chaque cas et les résultats sont peu satisfaisants, comme le montre la chanson R1267 (Text
nach M ») :
- v. 1 et 9 d'après K, les autres vers d'après
M
- K
- K (avec une leçon de N)
- M
- M (avec deux leçons de K)
- U
|
Comme U est le seul manuscrit à donner l'ensemble des six strophes, l'on peut se
demander pourquoi l'éditeur n'a pas choisi U comme
base plutôt que de présenter un mélange assez bizarre de leçons. En effet, le
texte de la plupart des chansons de l'édition a été établi à partir de
plusieurs manuscrits
:
- N
- K, N (avec des leçons de VB)
- K, N
- K, N
- V
- C
- M, K, U, N (avec des leçons de V)
- K, N
|
- K
- M (avec des leçons de NP)
- K, N
- K, V (avec des leçons de CUS)
- M
- K, N
- N, B
- M, Z
- M (avec des leçons de K)
|
La tendance de Winkler à mettre l'accent sur des aspects
linguistiques aux dépens des considérations philologiques se manifeste aussi dans le genre de corrections qu'il
entreprend ; dans la chanson R1267, par exemple, il corrige
s'an > s'en, foïr > fuïr, si > se, savrois
> savrez, que > qui, interventions qui nous semblent
toutes inutiles. Par ailleurs, il s'écarte parfois sans nécessité du manuscrit
de base sans fournir de raisons. Dans le cas de la chanson R2107, par exemple, tous les manuscrits (CSUV)
s'accordent pour donner au v. 67 de la mort que por vos [li] sent et l'on se
demande pourquoi l'éditeur a éprouvé le besoin de modifier cette leçon, devenue
de l'amor que por vous sent.
Compte tenu des analyses fort détaillées de Suchier et de Wallensköld dans leurs comptes
rendus de l'édition de Winkler, il nous semble
peu utile de nous arrêter davantage sur les faiblesses de l'ouvrage. Tout en reconnaissant l'apport de son édition, on
en arrive à la
conclusion que ses textes méritent une confiance limitée et qu'une nouvelle édition
serait souhaitable. Toujours est-il que les
lacunes et les fautes identifiées nous ont instruite sur les erreurs à éviter.
-
Anne Marie Gauthier, « Trois chansons de Raoul de Soissons, trouvère du XIIIe
siècle. » (Mémoire de maîtrise en linguistique et
philologie, Univ. de Montréal, 1989)
Le mémoire de Gauthier représente une étude philologique
valable, comblant certaines des lacunes de l'édition
de Winkler. Il est regrettable, cependant, que l'auteur ne se soit pas penchée sur les rapports de parenté entre les manuscrits,
selon le classement établi par Schwan. Et il y a plus : comme elle affirme n'avoir choisi pour son édition que des chansons
« dont l'attribution est incontestable » (p. 1), l'on voit mal pourquoi elle a choisi la chanson R1885 comme un des objets de
son étude. L'attribution de cette chanson à Raoul est en effet loin d'être incontestable : Winkler (p. 24) ainsi
qu'Elisabeth Nissen [8]
l'attribuent à Jean de Neuville. La chanson est anonyme dans ORUVZ,
M l'attribue à Guiot de Dijon et F la donne à Jean
de Neuville ;
C, manuscrit dont les témoignages sont peu fiables, est le seul à l'attribuer à Raoul.
Par ailleurs, l'affirmation de Gauthier selon laquelle l'édition de Winkler se fonde sur les
principes de l'école de Lachmann « ... sur la
recherche, la reconstruction de l'archétype » (p. 13) nous semble mal fondée. En effet, Winkler
annonce dès le début son intention de
reproduire « die jeweils beste Handschrift möglichst unverändert », donc de
suivre, autant que possible, la leçon du meilleur manuscrit. C'est la définition de
« autant que possible » qui soulève des
problèmes, nous semble-t-il : comme nous l'avons vu, Winkler
est résolu à suivre ses manuscrits de base préférés même quand cela l'oblige à recourir à d'autres témoins.
C'est donc l'application de ses critères qui laisse à désirer plutôt que ses principes. Même le fait d'avoir corrigé la graphie
lorraine d'une seule chanson (R1154) n'indique pas automatiquement que l'éditeur ait voulu restituer la langue du texte original
ou une prétendue κοινη : comme il l'a indiqué, la raison pour laquelle il a cherché à neutraliser la graphie
lorraine était qu'elle
lui paraissait trop gênante. (Notons en passant qu'il a fini par substituer une graphie francienne, tandis que la langue de notre
trouvère était le picard.)
En outre, les quelques données biographiques fournies par
Gauthier (n'occupant qu'un seul paragraphe) sur la vie pourtant si bien
documentée de ce trouvère sont incomplètes ; elle ne cite que les croisades
de 1239 et 1270 auxquelles Raoul aurait participé.
À l'exception des observations ci-dessus et de quelques fautes de transcription que nous croyons avoir
relevées, l'étude de Gauthier nous semble cependant bien fondée et nous a été utile dans notre travail d'édition.
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Ineke Hardy, « Étude philologique de deux chansons du trouvère
Raoul de Soissons. » (Mémoire de maîtrise, Univ. de la Colombie
Britannique, 1994)
Comprenant une édition critique de la chanson R1970
(version que nous avons modifiée dans la présente édition), des analyses
philologiques et stylistiques et une esquisse historique, notre étude fournit
une analyse littéraire détaillée des chansons R1970 et R2107.
Notre travail
nous a portée à conclure que « l'avenir de l'édition critique des textes
médiévaux se situe dans le domaine électronique par la voie de l'hypertexte »
(p. 164), constatation qui nous a inspirée d'emblée à produire une édition
électronique de l'ensemble des chansons de Raoul.
[1] Pour Winkler, l'intérêt historique
de l'édition se situait sur le même plan que l'intérêt littéraire : les chansons de Raoul,
dit-il, avaient sans doute joui d'une certaine popularité parmi les membres de
sa génération
(« waren, wie es scheint, bei den Zeitgenossen nicht unbeliebt ») malgré une
réputation loin d'être des plus exceptionnelles ; toutefois, il avait fait de son mieux
(« nach bestem Können seine Lieder gereimt ») et il mérite notre attention du
point de vue humain (« verdient ... unsere mensliche Teilnahme ») en tant que
« echter Sohn seiner ritterlichen Zeit » (véritable fils de son temps marqué
par la chevalerie) caractérisé par « Glaubensmut und Ehrgeist »
(foi et ambition).
[2] À titre
d'exemple, Winkler corrige - eit en
- é, mais il donne mercit à deux reprises, et pourquoi corriger sens
(préposition) en sanz (Tobler : sans) quand il donne
menés pour meneis ?
[3] Emmanuèle Baumgartner et Françoise Ferrand,
Poèmes d'amour des XIIe et XIIIe siècles (Paris, Union générale d'éditions, 1983), p. 117. Voir aussi l'article de
Marie-Noëlle Toury, « Raoul de Soissons : Hier la Croisade », dans Les Champenois et la Croisade (Paris, Aux amateurs des livres,
1989), p. 97-107.
[4] Silvia Ranawake, Höfische Strophenkunst (München,
C.H. Beck'sche Verlagsbuchhandlung, 1976). Voir l'édition de A. Wallensköld, Les chansons de Thibaut de Champagne (Paris,
Champion, 1925), p. 123.
[5] Ineke Hardy, « Nus ne poroit de mauvaise raison (R1887) : A Case for Raoul de Soissons »,
Medium Aevum LXX No. 1 (2001), p. 95-111.
[6] « Il est vrai qu'un de
nos manuscrits confond les deux noms, ou partage entre Raoul et Thierri
les treize chansons que toutes les autres leçons s'accordent à donner au seul Raoul. Mais nous ne voyons alors aucun chevalier de
la maison de Nesle porter ce nom de Thierri, et le témoignage des meilleurs textes, les envois de plusieurs chansons du roi de
Navarre, auxquels répondait "monseigneur Raoul de Soissons", tout se réunit pour démontrer l'erreur du manuscrit. ». Paulin
Paris, Histoire littéraire de la France 1856 (Mendeln, Liechtenstein, Kraus Reprint Co., 1971),
p. 700 (à l'évidence, P. Paris se réfère seulement à notre manuscrit K).
[7] « Thierry de Soissons, & selon d'autres Raoul de Soissons, comte dudit lieu en Picardie, Poëte
François, vivant en l'an de salut 1250. ... Ce Thierry ne peut être autre que
Raoul, Comte de Soissons. »
Les Bibliothèques françoises
de la Croix du Maine et Du Verdier Vol. II (Réimpression de l'édition de 1772-1773 qui réunit les ouvrages de François La Croix du
Maine et Antoine Du Verdier, publiés séparément en 1584 et 1585. Graz, Akademische Druck- und Verlagsanstalt, 1969),
p. 350 (affirmation inexacte, d'ailleurs : Raoul, comte de Soissons, était le père de notre trouvère).
[8] Elisabeth Nissen,
Les chansons attribuées à Guiot de Dijon et Jocelin. Les Classiques français
du moyen âge (Paris, Champion, 1928).
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