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Miracle XII
 
  1. Cy conmence un miracle de Nostre Dame de la
    marquise de la Gaudine, qui par l' accusement
    de l' oncle de son mari, auquel son mari l' avoit
    conmise a garder, fu condampnée a ardoir, dont
    Anthenor par le conmandement de Nostre Dame
    s' en combati a l' oncle et le desconfit en champ
    .

    Acte premier.
    Scène I. Le château du marquis de la Gaudine.
    LE MARQUIS.     Dame, vueilliez a moy entendre.
  2. Il m' esconvient, sanz plus attendre,
  3. Aler en Pruce ; car, pour voir,
  4. Autrement en mon cuer avoir
  5. Ne peut aayse ne repos,
  6. Tant ay ce voyage en propos
  7. Et en memoire.
  8. LA MARQUISE.     Hé ! sire, pour le roy de gloire,
  9. Pruce est un pais moult lointain.
  10. Qui aura la cure et le soing
  11. De vo gent et de vostre terre ?
  12. Sire, pour Dieu, amez vous guerre
  13. Tant a avoir ?
  14. LE MARQUIS.     M' amie, je vous diray voir:
  15. S' estre y devoie mors ou pris,
  16. Si yray je pour los et pris
  17. Acquerre et honneur vraiement ;
  18. Et lairay le gouvernement
  19. De ma terre et de vous aussi
  20. A mon oncle ; ainsi sanz soussi
  21. Vous lairay, dame.
  22. LA MARQUISE.     Sire, de cuer pri nostre dame
  23. Qu' amie vous soit et garant.
  24. Mais je vous pri pour Dieu qu' avant,
  25. Sire, que faciez ceste emprise,
  26. Au mains que nous deux a l' eglise
  27. Aillons vous a Dieu conmander
  28. Et li sa grace demander ;
  29. Ce sera sens.
  30. LE MARQUIS.     Dame, a ce conseil bien m' assens.
  31. Voulentiers a l' eglise iray.
  32. Ernault, or m' alez sanz delay
  33. Tantdis a mon oncle noncier
  34. Que cy viengne sanz atargier ;
  35. Je le lui pry.
  36. ERNAUT.     Sire, voulentiers sanz detry.
  37. J' y vois sanz faille.
    ( Il sort )
  38. LE MARQUIS.     Messire Almaurry de la Paille,
  39. Sa compaignie me tenez.
  40. Dame, après nous vous en venez ;
  41. Je vois devant.
    ( Le marquis, son épouse, le premier chevalier
    et une demoiselle se rendent à l’église
    )

    Scène II. L’église.
  42. PREMIER CHEVALIER. ( Montrant un prêcheur )
    Mon seigneur, je voy la estant
  43. Un frére qui pas ne verseille,
  44. Ains m' est advis qu' il s' appareille
  45. Pour preeschier.
  46. LA MARQUISE.     Or vous pri je, mon seigneur chier,
  47. Qu' il vous plaise que nous l' oions,
  48. Car aussi bonne euvre ferons
  49. Com d' oir messe.
  50. LE MARQUIS.     Donc, dame, ains qu' il y ait plus presse,
  51. Cy m' asserray.
  52. LA MARQUISE.     Et j' autel ci endroit feray.
  53. ( Au chevalier ) Seez vous cy hault.
  54. PREMIER CHEVALIER. ( A la demoiselle ) Or ça, damoiselle, il vous fault
  55. Aussi seoir.
  56. LA DAMOISELLE.     Ça me serray pour le veoir
  57. En my le vis.
  58. ( Tous se sont assis pour écouter le prêcheur )
  59. LE PRESCHEUR.     <Entre deux est fait un sermon qui se fenist in secula seculorum.>

  60. ( Entre les deux répliques de la demoiselle et du marquis le prêcheur fait un sermon
    qui se termine par «  in saecula saeculorum »
    )
    LE MARQUIS.     Dame, j' ay oy un sermon
  61. Bon et bien fait.
  62. LA MARQUISE.     Sire, on ne peut miex par souhait.
  63. La vierge par son doulx plaisir
  64. Le nous doint si bien retenir
  65. Qu' a no preu soit.
  66. LE MARQUIS.     Alons nous ent de ci endroit,
  67. Messire Almaurry, je vous pri.
  68. Je n' y vueil plus faire detry,
  69. Car temps en est.
  70. PREMIER CHEVALIER.     Mon chier seigneur, je sui tout prest
  71. De voz grez faire.
    ( Le marquis sort, suivi du premier chevalier )
  72. LA MARQUISE.     Pensons de nous a l' ostel traire,
  73. Damoiselle, après mon seigneur ;
  74. Ce ne seroit pas nostre honneur
  75. Ce n' y estions.
  76. LA DAMOISELLE.     Dame, c' est voir ; or en alons
  77. Donques bonne erre.
    ( La marquise sort, suivie de la demoiselle )

    Scène III. Le château de l’oncle du marquis.
    ( Entre Ernaut )
  78. ERNAUT.     Le dieu du ciel et de la terre,
  79. Mon seigneur, vous doint paix et joie.
  80. Vostre nepveu a vous m' envoye
  81. Qui marquis est de la Gaudine,
  82. Et vous prie par amour fine
  83. Qu' a li veigniez.
  84. L' ONCLE.     Vous estes moult bien enseigniez.
  85. Sus ! levez vous, amis Arnault ;
  86. De cuer iray joiant et bault.
  87. Ça alons ment nous deux ensemble.
    ( Ils se rendent dans le château de la Gaudine )

    Scène IV. Le château de la Gaudine.
  88. L’ONCLE. ( Désignant le marquis )   Je le voy la, si com me semble:
  89. Nous sommes venuz bien a point.
  90. ( Au marquis ) Qu' est ce la, biaux niez ? en quel point,
  91. Qui me mandez ?
  92. LE MARQUIS.     Biaux oncles, moult bien demandez
  93. Et voulentiers le vous diray.
  94. En Pruce vueil aler, pour vray,
  95. Mettre aux aventures mon corps.
  96. Je sui jounes et assez fors
  97. Et riche homme, la Dieu mercy.
  98. Je ne sers de nulle rien cy,
  99. Et la je apprendray la guerre ;
  100. Si que pour gouverner ma terre,
  101. Biaux oncles, tant con seray la
  102. Vous ay je mandé par deça
  103. Et dès maintenant chevetain
  104. Vous en fas sur touz souverain:
  105. Car de vous sur touz je me fy ;
  106. ( Montrant son épouse ) Mais de la dame que veez cy
  107. Vous pri tresespeciaument
  108. Que la me gardez loyaument ;
  109. C' est quanque j' aim.
  110. L' ONCLE.     Biaux niez, tenez pour tout certain
  111. Que ma niéce vous garderay
  112. Et vo terre gouverneray
  113. Si bien que quant retournerez,
  114. Se Dieu plaist, honneur y arez
  115. Et moy aussi.
  116. LE MARQUIS.     Biaux oncles, je vous en mercy ;
  117. Je ne vous vueil plus demander.
  118. Dame, a Dieu vous vueil conmander.
  119. Je vous pri, soiez preude fame
  120. Et vueilliez pour moy prier, dame,
  121. Je vous en proy.
  122. LA MARQUISE.     Mon chier seigneur loyal, le roy
  123. De paradis qui es cieulx maint
  124. A honneur vostre corps ramaint
  125. Et a grant joie.
  126. L' ONCLE.     Biaux niez, il fault que vous convoie ;
  127. Si fera messire Almaurry
  128. Et Ernault aussi que vezcy.
  129. Il appartient.
  130. LE MARQUIS.     Or soit donc, puis qu' il esconvient ;
  131. Esmouvons nous.
  132. LA MARQUISE. ( Embrassant le marquis )
    A Dieu, a Dieu, mon seigneur doulx !
  133. Mon ami, lasse ! je ne say
  134. Se jamais je vous reverray.
  135. La tresdoulce vierge Marie
  136. Vueille estre en vostre compagnie,
  137. Car ceste compagnie voir
  138. Me fait au cuer grant dueil avoir ;
  139. Je n' en puis mais.
  140. ( Elle pleure )
  141. LA DAMOISELLE.     E ! dame, souffrez vous huy mais.
  142. Est ce bien fait d' ainsi plourer ?
  143. Vous vous ferez des gens moquer
  144. De tel dueil faire.
  145. LA MARQUISE.     Ha ! chiére amie debonnaire,
  146. Mon solaz pers et m' amistié,
  147. Si que se j' ay de li pitié,
  148. C' est bien raison.
    ( Le marquis, son oncle, Ernaut et le premier
    chevalier se sont avancés jusqu’au seuil du château
    ).
  149. LE MARQUIS.     Biaux oncles, il est mais saison
  150. De retourner. Alez a Dieu ;
  151. Gardez bien ma femme et mon lieu.
  152. ( À Ernaut ) Ernaut, avecques moy venez,
  153. ( Au premier chevalier ) Mais vous vous en retournerez,
  154. Sire Almaurry.
  155. PREMIER CHEVALIER.     Chier sire, pas ne vous desdy ;
  156. Je feray vostre voulenté.
  157. Dieux a honneur et a santé
  158. Vous ramaint, sire.
  159. ERNAUT.     Amen chiet bien icy a dire.
  160. A Dieu trestouz !
  161. L' ONCLE.     A Dieu, Ernault, a Dieu, niez doulx !
  162. Messire Almaurry, retournons.
    ( Ils se séparent  ; l’oncle et le premier chevalier
    reviennent auprès de la marquise
    )
  163. ( À la marquise ) Belle niéce, nous revenons
  164. Pour vous compagnier et garder
  165. Et les besongnes regarder
  166. Qui sont a faire.
  167. LA MARQUISE.     Faites ent, oncle debonnaire,
  168. Tout vostre vueil.
  169. L' ONCLE.     Niepce, bien dites ; pour ce vueil
  170. Les registres aler veoir,
  171. Et sur ce pourray pourveoir
  172. A voz besongnes.
  173. LA MARQUISE.     Damoiselle, sanz plus d' eslongnes
  174. Querir, venez avecques moy
  175. En nostre eglise ou j' ay, par foy,
  176. Un poy affaire.
  177. LA DAMOISELLE.     Treschiére dame debonnaire,
  178. Vez me cy preste, a brief parler,
  179. En quel lieu qu' il vous plaise aler
  180. De vous suivir.
  181. LA MARQUISE.     Je vois la vierge requerir,
  182. Damoiselle, pour mon seigneur,
  183. Que Dieu le ramaint a honneur.
    ( La marquise se rend à l’église avec la demoiselle )

    Scène V. L’église.
    ( La marquise entre dans l’église en compagnie de sa demoiselle )
  184. LA MARQUISE. ( À la demoiselle ) Tenez vous cy, ne vous soit paine.
  185. ( Avançant vers la statue de la Vierge ) Vierge royal, puis et fontaine
  186. De pitié, d' amour et de grace,
  187. Dame, confortez ceste lasse
  188. Qui de cuer devost vous appelle.
  189. Glorieuse vierge pucelle,
  190. Donnez moy tel priére faire,
  191. Vierge, qui a vous puisse plaire
  192. Et a la sainte trinité,
  193. Troys personnes en unité,
  194. Pére, filz et saint esperit,
  195. Et priez au doulx Jhesu Crist
  196. Qu' a mon seigneur vueille estre aidant
  197. Si que le voie reparrant
  198. Sain et sauf arriére en ce lieu.
  199. Et si vous requier, mére Dieu,
  200. Que me gardez de l' anemi ;
  201. Et touz les jours venray icy
  202. Vous deprier, haulte royne,
  203. Dame des archanges tresdigne ;
  204. Vueilliez a ma priére entendre,
  205. Car je doubte moult de mesprendre
  206. Vers vostre enfant.
    ( Le diable apparaît à l’extérieur de l’église et observe
    la marquise en prière
    )
  207. LE DYABLE.     Haro ! que j' ay le cuer dolant
  208. Et aray se tant ne puis faire
  209. Que je puisse a ma part attraire
  210. La femme au marquis qui s' en va
  211. Oultre mer: il li mecherra
  212. Se j' onques puis ains qu' il retourne ;
  213. Mes elle a desja passé bourne
  214. Et est auques hors de mes laz.
  215. Mais ainsi n' eschappera pas ;
  216. Combien que Marion la rouce,
  217. Qui tout adès nous est rebource,
  218. Serve de cuer a son pouoir:
  219. Je li feray meschief avoir
  220. Se j' onques puis.
  221. LA MARQUISE. ( Continuant sa prière )
    Vierge royal, fontaine et puis
  222. De doulceur, de misericorde,
  223. De mon doulx seigneur vous recorde,
  224. Glorieuse vierge Marie.
  225. Gardez que son cuer ne varie
  226. Le faulx Sathenaz deputaire
  227. Et m' ottroiez tel chose faire
  228. Que nostre sauvement y soit.
  229. Je croy, damoiselle, qu' il soit
  230. Temps de raler en no manoir,
  231. Car il est, je le croy de voir,
  232. Bien hault diner.
  233. LA DAMOISELLE.     Ma dame, sanz plus sejourner,
  234. Mouvez et je vous suiveray,
  235. Et si vueilliez tenir de vray
  236. Que j' ay grant fain.
    ( Elles retournent au château )
  237. LE DYABLE.     Haro ! que j' ay le ventre plain
  238. De dueil et de sanglante rage
  239. Quant je ne puis en mon servage
  240. Mettre la femme du marquis !
  241. Elle a le cuer trop fort espris
  242. De requerir la mére Dieu.
    ( Montrant le château )
  243. Mais je li pance d' un tel jeu
  244. A jouer qui fort li nuira:
  245. Se je puis, son oncle gerra
  246. La nuit qui vient avecques elle ;
  247. Et s' il avient qu' elle soit telle
  248. Qu' elle s' en garde, tant feray
  249. Qu' a son oncle en teste mettray
  250. Qu' il pensera de la trahir,
  251. Par quoy il la face morir.
    ( On voit l’oncle aller au-devant de sa nièce )
  252. C' est bien a point ; je le voy la
  253. Ou devers sa niéce s' en va.
  254. Je me vois bouter dedanz li ;
  255. De moy ne peut estre parti
  256. N' aler arriére.

    Scène VI. Le château de la Gaudine.
  257. L' ONCLE. ( À sa nièce )     Qu' est ce la, belle niéce chiére ?
  258. Est il bien temps de retourner ?
  259. J' ay puis fait pour vous attourner
  260. Mainte besongne.
  261. LA MARQUISE.     Par la mére Dieu de Boulongne,
  262. Tant veez vous miex qu' est a faire ;
  263. Et se riens veez a refaire,
  264. Pour Dieu soit fait.
  265. L' ONCLE.     Dieu mercy, rien n' y a meffait
  266. Que je sache. Que feray je,
  267. Belle niéce ? Me serray je
  268. Decoste vous ?
  269. LA MARQUISE.     Oil, s' il vous plaist, oncle doulx,
  270. Je vous em proy.
  271. L' ONCLE. ( S’étant assis auprès d’elle )    Voulentiers: certes je vous voy
  272. Moult voulentiers, n' en doubtez mie,
  273. Conme celle qui est m' amie
  274. Sus autre toute.
  275. LA MARQUISE.     Vostre amie sui je, sanz doubte,
  276. Et par nature et par lignage,
  277. Quant seigneur m' est par mariage
  278. Vostre nepveu.
  279. L' ONCLE.     Niéce, je vous promet et veu,
  280. Soit que j' en soie ou non repris,
  281. De vostre amour sui cy espris
  282. Que je ne scé qu' en doye faire,
  283. N' envers vous ne m' en puis plus taire
  284. Bien cuit mourir s' il n' est ainsy
  285. Que vous aiez de moy mercy
  286. Et que de vous soie privez,
  287. Et je vous pri ne m' estrivez
  288. Point du contraire.
  289. LA MARQUISE.     Oncle, bien vous peussiez taire
  290. De moy parler de tel langage.
  291. Ou avez vous pris ce courage ?
  292. Dya ! se je vouloie ce faire,
  293. Si m' en devriez vous retraire.
  294. Je croy, par foy, que m' essaiez.
  295. Mais, oncle, ne vous esmaiez:
  296. Ja, se Dieu plaist, tel deshonneur
  297. Ne feray envers mon seigneur ;
  298. Et ne m' en parlez plus, pour Dieu,
  299. Car je ne pourroie estre en lieu
  300. Ou vous fussiez.
  301. L' ONCLE.     Certes, niepce, se sceussiez
  302. Conment de vostre amour forment
  303. Sui surpris, je croy qu' autrement
  304. Respondissiez.
  305. LA MARQUISE.     Certes, vous ne me pourriez
  306. Monstrer que ce soit cy amour,
  307. Mais grant honte et grant deshonnour,
  308. Au mains a moy, je vous dy voir ;
  309. Et pour ce vous fas je savoir,
  310. Prenons que je voulsisse amer,
  311. Ne se pourroit mon cuer donner
  312. A ce que m' amour eussiez
  313. Ne que ja de moy joissiez ;
  314. Nanil, sanz faille.
  315. L' ONCLE.     Dame, je n' en puis mais ; or aille
  316. Ainsi conme il pourra aler.
  317. Jamais ne vous en quier parler,
  318. Ençois men vois, pour l' oublier,
  319. En voz besongnes emploier
  320. En quelque lieu.
  321. LA MARQUISE.     C' est bien dit ; alez, de par Dieu,
  322. Ou vous vouldrez.
    ( La marquise se retire )
  323. L' ONCLE. ( Seul )     Las ! je sui malement navrez,
  324. Car j' ains, dont moult me puis blasmer,
  325. Celle qui ne me veult amer,
  326. Ainçois asprement me refuse,
  327. Dont j' ay la pensée confuse.
  328. Mais chiérement li venderay,
  329. Car si grant honte li feray
  330. Que ne le pourra amender.
  331. ( S’approchant de Galot, le nain du marquis )
    Galot, je te vueil demander
  332. En secré, ne m' encuse pas,
  333. Se pour m' amour faire vouldras
  334. Ce que diray.
  335. GALOT.     Sire, conmandez: je feray,
  336. Se fait peut estre.
  337. L' ONCLE.     Il te fault ja assez tost mettre
  338. En la chambre de la marquise.
  339. Sez tu conment ? en telle guise
  340. Que nulx ne sache que la soiez ;
  341. Et après ce, mais que tu voies
  342. Qu' elle soit endormie bien,
  343. Delez elle en son lit te tien
  344. Jusques a tant que la venray
  345. Et d' emprès li te leveray ;
  346. Car j' ay mis et gagié de fait
  347. Qu' aussi com j' ay dit sera fait
  348. Sanz riens remaindre.
  349. GALOT.     Sire, je doy doubter et craindre
  350. Que ne s' en courrouce ma dame,
  351. Car en tout le monde n' a fame
  352. A qui je soie tant tenuz ;
  353. Et s' elle se courrouce, nulz
  354. Ne me fera vers li ma pais:
  355. Ainsi sa grace a touzjours mais
  356. Aray perdu.
  357. L' ONCLE.     Galot, n' aiez cuer esperdu ;
  358. De ce pren je sur moy la charge.
  359. Je te seray escu et targe,
  360. N' en aies doubte.
  361. GALOT.     Dont sera vo voulenté toute,
  362. Sire, acomplie.
  363. L' ONCLE.     Galot, or ne le laisse mie,
  364. Va penser de bien besongnier ;
  365. Et se tu me fais gaaignier,
  366. Je te promet et si me vant
  367. Qu' a touz les jours de ton vivant
  368. Riche seras.
  369. GALOT.     Sire, ne vous en doubtez pas,
  370. Je vois la besongne esploitier
  371. Et moy en sa chambre mucier
  372. En un quignet.
  373. L' ONCLE.     Garde bien que deffaut n' y ait
  374. Que ne t' y truisse.     
  375. GALOT.     Non ara il voir, que je puisse ;
  376. Ce vous afferme.
    ( Galot va se cacher dans la chambre de la marquise )
  377. L' ONCLE. ( Seul )     Or say je bien, dedans court terme
  378. Feray si grant honte a ma niepce
  379. Qu' il ne sera jusqu' a grant piéce
  380. Qu' il ne l' en doie souvenir.
  381. Trop m' a volu pour vil tenir
  382. Pour s' amour que requis li ay.
  383. Certes des chevaliers iray
  384. Querre qui avec moy venront,
  385. Qui contre elle tesmoingneront
  386. Ce qu' aront veu.
    ( Il sort )

    Scène VII. En un autre endroit du château.
  387. LA MARQUISE.     Damoiselle, se j' eusse beu
  388. Je deisse que je fusse yvre.
  389. Ne me puis avoir a delivre
  390. Tant sui chargiée de sommeil.
  391. Gardez cy ; aler dormir vueil
  392. Un seul petit.
  393. LA DAMOISELLE.     Dame, quant si grant appetit
  394. En avez, alez de par Dieu.
  395. Je ne me mouvray de ce lieu
  396. S' arez dormi.
    ( La marquise se retire dans sa chambre. Entre l’oncle,
    suivi de deux chevaliers
    )
  397. L' ONCLE.     Seigneurs, vous venrez avec my,
  398. Car de vous moult bien a faire ay:
  399. Certes un fait vous monsterray
  400. Villain et lait.
  401. PREMIER CHEVALIER.     Sire, il n' est nul de nous qui n' ait
  402. Grant desir de faire voz grez.
  403. Menez nous partout ou vouldrez,
  404. Car touz prestz sommes.
  405. SECOND CHEVALIER.     Voire, et si vaudrons bien deux hommes,
  406. S' il y convient nulz cox ruer ;
  407. Car noz corps bien esvertuer
  408. A point sarons.
  409. L' ONCLE.     C' est bien dit. Seigneurs, or alons.
  410. Je doy un grant mechief trouver
  411. Que vous m' aiderez a prouver,
  412. Se mestier est, car il me touche,
  413. Afin que n' en aie reprouche.
  414. Suivez moy ; je m' en vois devant.
    ( Il s’approche de la demoiselle )
  415. Damoiselle, venez avant:
  416. Ou est la marquise ?
  417. LA DAMOISELLE.     Sire, n' a guéres que si prise
  418. Estoit de sommeil, par ma foy,
  419. Qu' elle est alée dormir un poy,
  420. N' a pas granment.
    ( L’oncle se rend dans la chambre, suivi des deux chevaliers et de la demoiselle )

    Scène VIII. La chambre de la marquise.
    ( L’oncle entre dans la chambre et montre à la demoiselle et aux deux
    chevaliers la marquise endormie sur son lit, le nain Galot allongé auprès d’elle
    . )
  421. L' ONCLE.     Par mon chief, il va autrement.
  422. Messire Almaurry, levez sus:
  423. Nous sommes honniz et perduz.
  424. Venez veoir euvre cruelle ;
  425. Et vous, suivez moy, damoyselle.
  426. Veez, seigneurs, quel mauvestié !
  427. Dites, doit on avoir pitié
  428. D' ardoir une si faite dame
  429. Qui si deshonneure et diffame
  430. Un tel homme que le marquis,
  431. Et qui ce meschant nain a pris
  432. Pour acomplir sa lecherie,
  433. Afin c' on n' aperçoive mie
  434. Son grant hontage ?
  435. PREMIER CHEVALIER.     Certes, c' est pitié et dommage
  436. Quant se meffait si noble dame.
  437. Eveilliez vous, eveilliez, dame ;
  438. Trop fort dormez.
  439. LA MARQUISE.     Egar ! biaux seigneurs, que querez
  440. Vous cy endroit ?
  441. L' ONCLE.     Dame, vostre ribaut destroit,
  442. Qui lez vostre costé se gist.
  443. ( Au nain ) Mais, par le sanc que Dieu me fist,
  444. Jamais a femme ne jerras
  445. N' a marquis honte ne feras.
  446. De ce lit te sacheray hors
  447. Et de ce coustel par le corps
  448. Te donrray. Tien, pour ta desserte:
  449. Droiz est que tu voises a perte ;
  450. Trop as fait mal.
    ( Il poignarde le nain )
  451. LA MARQUISE.     Ha ! tresdoulce vierge royal,
  452. Dont vient ceste grant trahyson ?
  453. Ha ! oncle, a tort et sanz raison
  454. Sui diffamée, c' est pechié.
  455. Dieu scet qu' a mon corps n' a touchié
  456. Au moins pour euvre de nature,
  457. Ne li ne autre creature,
  458. Ne ne fist onques vraiement
  459. Que mon chier seigneur seulement.
  460. Diex, a tesmoings je t' en appelle
  461. Et toy, doulce vierge pucelle:
  462. Fays y vertuz.
  463. L' ONCLE.     Dame, je croy bien, levez sus,
  464. Mais nous veons bien le contraire.
  465. Il n' en fault plus enqueste faire:
  466. Le fait si est assez prouvé.
  467. Mais puis que je vous ay trouvé
  468. En si vilaine mesprison,
  469. Certes vous venrez en prison.
  470. ( Aux chevaliers ) Seigneurs, vous deux l' en enmenrez
  471. Et en prison la garderez
  472. Tant que soit venuz le marquis.
  473. Quant il ara du fait enquis,
  474. Si en face ce qu' il voudra.
  475. Avant, avant: enmenez la
  476. Appertement.
  477. PREMIER CHEVALIER.     Voulentiers: ça, dame, alons ment,
  478. Puisqu' il le veult.
  479. SECOND CHEVALIER.     Grant chose a en " faire l' esteut" ;
  480. Avant passez.
    ( Les deux chevaliers la font sortir brutalement de sa chambre )
  481. LA MARQUISE.     Seigneurs, j' ay de douleur assez.
  482. Je vous pri, pour Dieu, humblement
  483. Qu' a moy mener courtoisement
  484. Au moins vous plaise.
  485. L' ONCLE.     Passez, passez, dame mauvaise.
  486. Certes s' a droit de vous ouvrasse,
  487. Maintenant ardoir vous menasse
  488. Sanz respit prendre.
    ( L’oncle et les deux chevaliers conduisent la marquise dans la prison du château )

    Scène IX. La prison, à l’extérieur puis à l’intérieur.
  489. PREMIER CHEVALIER.     Dame, cy vous convient aprendre
  490. Et savoir qu' est prison fermée.
  491. Entrez ens tost ; sanz demourée
  492. Delivrez vous.
  493. LA MARQUISE.     Lasse ! se j' ay dueil et courroux,
  494. Je n' en puis mais, quant vilener
  495. Me voy si et emprisonner
  496. Sanz cause. Ha ! doulce mére Dieu,
  497. Confortez moy ; trop est ce lieu
  498. Obscur et noir.
    ( Elle entre dans la prison dont la porte est refermée )
  499. L' ONCLE.     Seigneurs, il vous fault cy manoir ;
  500. Et gardez cy ceste prison
  501. Que par la vostre mesprison
  502. Elle n' eschappe.
  503. PREMIER CHEVALIER.     Il sara bien jouer soubz chappe,
  504. Sire, qui la nous ostera,
  505. Car nul devers li n' entrera,
  506. Tant soit grant maistre.
  507. L' ONCLE.     Seigneurs, je ne la vueil conmettre
  508. Fors qu' a vous ; or en faites tant
  509. Que ne soiez pas consentant
  510. De son meffait.
  511. SECOND CHEVALIER.     Sire, sire, il sera bien fait,
  512. N' en aiez doubte.
  513. L' ONCLE.     J' en mett sur vous la charge toute
  514. Et si m' en vois par de dela.
  515. A Dieu vous dy ; or y parra
  516. Con le ferez.
    ( L’oncle part  ; les deux chevaliers restent en faction devant la porte )
  517. LA MARQUISE. ( A l’intérieur de la prison, priant la Vierge )
    Doulce mére Dieu, soufferrez
  518. Vous qu' ainsi soie dyffamée
  519. A tort et que la renommée
  520. Aie d' avoir fait avoultire ?
  521. Dame, trop ay au cuer grant ire
  522. Quant de si laide trayson
  523. Sui accusée sanz raison,
  524. Car onques jour je ne pensay,
  525. Combien c' on m' en ait fait essay,
  526. A faire telle mauvaistié.
  527. Ha ! dame, par vostre pitié,
  528. Vueilliez y telles vertuz faire
  529. Qu' a touz evidanment appaire
  530. S' ay tort ou droit.

    ACTE II.
    Scène I. Aux environs du château de la Gaudine, quelques mois plus tard.
    ( Entrent le marquis et Ernaut )
  531. LE MARQUIS.     Puis que nous sommes cy endroit,
  532. Ernaut, a mon oncle en irez
  533. Et si le me saluerez,
  534. Et li direz de mon estat,
  535. Et que sanz plus faire debat
  536. Il viengne a l' encontre de moy
  537. Et qu' il amaine avecques soy
  538. Toutes mes gens.
  539. ERNAUT.     Sire, voulentiers diligens
  540. Seray de ce message faire,
  541. Et si li saray bien retraire
  542. Ce que me dictes, n' en doubtez.
    ( Ernaut se rend auprès de l’oncle du marquis )

    Scène II. Le château du marquis de la Gaudine.
    ( Entre Ernaut )
  543. ERNAUT. ( À l’oncle )    Diex vous croisse honneur et bontez.
  544. Mon seigneur, oiez mon langage.
  545. Je vous fas savoir con message
  546. De par mon seigneur le marquis
  547. Qu' il est retourné du pais
  548. De Pruse et est de cy bien près.
  549. Si vous mande que soiez près
  550. Et voz gens, et qu' a li veigniez
  551. Et compagnie li teigniez
  552. Tant qu' il soit ceens a repos.
  553. Ainsi com je le vous propos
  554. Il le m' a dit.
  555. L' ONCLE.     Amis, ja n' en serez desdit,
  556. Que bien veigniez en verité !
  557. A il depuis touzjours esté
  558. Haistié et sain ?
  559. ERNAUT.     Oil, sire, par saint Germain,
  560. Et s' a puis fait a gentillesce
  561. Mainte honneur par sa grant prouesce
  562. Et mainte jouste fort jousté.
  563. Pour Dieu n' y ait plus arresté ;
  564. Venez vous ent.
  565. L' ONCLE.     Ernault, voulentiers ;
    ( au premier chevalier ) sus briefment.
  566. Messire Almaurry, s' en alons
  567. A mon nepveu, quant nous l' avons
  568. De cy bien près.
  569. PREMIER CHEVALIER.     Sire, alons ; je suis moult engrès
  570. Que je le voie.
  571. L' ONCLE. ( Aux deux chevaliers )    Seigneurs, il vous fault mettre a voye.
  572. Suivez moy sanz arrestoison ;
  573. Mais gardez que celle prison
  574. Soit bien fermée.
  575. SECOND CHEVALIER.     Si ferons nous sanz demourée ;
  576. Avant alons ; ( passant devant la prison ) tout est bien clos.
  577. Sire, de vous nous soit desclos
  578. Ou vous nous pensez a mener,
  579. Qui nous avez volu haster
  580. Si malement.
  581. L' ONCLE.     Contre mon nepveu vraiement
  582. Qui vient, si con mandé le m' a.
    ( Ils sortent du château )

    Scène III. Aux environs du château.
    ( L’oncle, suivi des deux chevaliers, avance vers son neveu )
  583. L’ONCLE.     Egardez, je le voy ja la.
  584. Pour l' amour Dieu, avançons nous.
  585. Biau doulx nepveu, bien vegniez vous !
  586. Conment vous a il puis esté ?
  587. Vous tenez bien du corps chaté,
  588. A ce que voy.
  589. LE MARQUIS.     Biaux oncles, bien, foy que vous doy
  590. Et vous, estes vous sains et druz ?
  591. Seigneurs, bien soiez vous venuz,
  592. Touz ensemble et chascun par soy !
  593. Conment vous est ? dites le moy,
  594. Je vous em pry.
  595. LES CHEVALIERS.     Mon seigneur, bien, vostre mercy,
  596. Et vous conment ?
  597. LE MARQUIS.     Dieu mercy, bien et liement.
  598. Par Dieu, conment le fait ma femme ?
  599. Dites, mon oncle, par vostre ame,
  600. La verité.
  601. L' ONCLE.     Sire, elle est en bonne santé,
  602. Ce m' est advis.
  603. LE MARQUIS.     Hé dia ! vous me tournez le vis,
  604. Qui malement me reconforte.
  605. Je voy bien que c' est ; elle est morte !
  606. Halas ! m' amie.
  607. L' ONCLE.     Non est, biau niez, n' en doubtez mie ;
  608. Mais il le vaulsist miex, par m' ame,
  609. Car elle ert une vaillant femme ;
  610. Je n' en dy plus.
  611. LE MARQUIS.     Il me fault oir le surplus.
  612. Qu' i a il ? je le vueil savoir.
  613. Je vous pri, dites m' en le voir
  614. Sanz riens celer.
  615. L' ONCLE.     Que voulez vous ? a brief parler,
  616. Je l' ay mise en forte prison,
  617. Car fait a si grant mesprison
  618. Que son ribault de vostre nain
  619. A fait, et ceci tout a plain
  620. Ont veu ces chevaliers cy,
  621. Moy et la damoiselle aussy,
  622. Car on le m' avoit endité ;
  623. Et, pour savoir la verité,
  624. Touz ensemble en la chambre entrasmes,
  625. Et la en un lit les trouvasmes
  626. Touz deux couchiez, dont sanz delay
  627. Du dueil que j' oz le nain tuay ;
  628. Cecy est vray.
  629. LE MARQUIS.     Helas ! en qui me fieray
  630. Des ores mais ? C' estoit ma joie.
  631. Par ceste ame, je tant l' amoie
  632. Que je n' en savoie que faire,
  633. Et elle m' a fait tel contraire !
  634. Voirement est il folz, par m' ame,
  635. Qui se fie en amour de fame.
  636. Haro ! biaux oncles, ne puis croire
  637. Que ceste chose cy soit voire.
  638. Avant, avant: pensons d' aler.
  639. Je la voulray oir parler
  640. Certainement.
  641. L' ONCLE.     Certes, mais il n' est autrement
  642. Que je vous compte.
  643. LE MARQUIS.     Seigneurs, sanz plus faire lonc compte,
  644. Puis que je sui cy a requoy,
  645. Amenez la par devant moy ;
  646. Or tost bonne erre.
  647. PREMIER CHEVALIER.     Sire, nous la vous alons querre
  648. Quant vous agrée.
    ( Le second chevalier va ouvrir la porte de la prison )
  649. SECOND CHEVALIER.     Dame, issez hors sanz demourée.
  650. A mon seigneur venir vous fault
  651. Le marquis, qui de ce deffault
  652. Trop grant dueil a.
  653. LA MARQUISE.     Seigneurs, j' iray ou vous plaira ;
  654. Appareilliée en suiz et preste.
  655. Lasse ! ne feray pas la feste
  656. Qu' a son retour cuidoie faire.
    ( La marquise avance vers son époux et se jette à ses pieds )
  657. Ha ! mon chier seigneur debonnaire,
  658. Aiez de moy compassion
  659. Et pitié, pour la passion
  660. Que Jhesu Crist pour nous souffri
  661. Quant a son pére en croix s' offri
  662. Pour noz meffaiz.
  663. LE MARQUIS.     Hé ! dame, et qui cuidast jamais
  664. Que me feissiez tel diffame ?
  665. L' ay je desservi, belle dame ?
  666. Dittes me voir.
  667. LA MARQUISE.     Ha ! lasse, si puist m' ame avoir
  668. Paradis, qui touzjours durra,
  669. Quant de ce corps departira,
  670. Conme je suis de ce meffait
  671. Innocent, et que pas n' ay fait
  672. Ce qui m' est mis sus a grant tort,
  673. Combien que je voy que la mort
  674. M' en fault encorre.
  675. L' ONCLE.     Certes ne vous en doit rescourre
  676. Amour ne pitié nullement,
  677. Ou vous ferez faux jugement,
  678. Biaux niez, que le nain fut trouvé
  679. Couchié avec li tout prouvé ;
  680. Ce scet chascun.
  681. LA MARQUISE.     Mon treschier seigneur, il n' est qu' un
  682. Qui le voir en sache, que Diex,
  683. Et celi en plorant des yex
  684. Tray a tesmoing.
  685. LE MARQUIS.     Dame, il vous sera bien besoing.
  686. Avant, seigneurs, renmenez la
  687. Et puis l' en en ordenera
  688. Selon raison.
  689. PREMIER CHEVALIER.     Sus, dame, venez en prison,
  690. Il esconvient.
    ( Les deux chevaliers reconduisent la marquise en prison )
  691. LA MARQUISE.     Lasse ! or va bien ma vie au nient,
  692. Quant sanz pitié, dur et amer
  693. M' est cil qui me soloit amer,
  694. C' est mon bon seigneur le marquis.
  695. Il n' a pas bien le voir enquis
  696. De la besoingne.
  697. PREMIER CHEVALIER.     Dame, entrer vous fault sanz eslongne
  698. Icy dedans.
  699. LA MARQUISE.     Voulentiers, seigneurs, sanz contens,
  700. Combien que ce me soit ennuiz.
  701. Je suiz dedans ; or pouez l' uiz
  702. Tirer a vous.
  703. PREMIER CHEVALIER.     C' est voir, dame, et si ferons nous
  704. Et a la clef le fermerons.
  705. ( Au second chevalier, après avoir refermé la porte de la prison )
    C' est fait, sire ; or nous en alons
  706. Vers mon seigneur.
  707. SECOND CHEVALIER.     Sire, j' en ay desir greigneur
  708. Que ne pensez.
    ( Les deux chevaliers reviennent près du marquis )
  709. LE MARQUIS. ( À son oncle )     Oncles, je sui touz trespensez.
  710. Que ferons nous de la marquise ?
  711. Je vueil que fin en soit cy prise.
  712. Vous qu' en direz ?
  713. L' ONCLE.     Je ne scé, biau niez, qu' en ferez ;
  714. Mais se cent foiz estoit ma femme
  715. Je la feroye ardoir, par m' ame,
  716. Puis qu' elle m' aroit fait tel trait.
  717. Encore s' elle eust attrait
  718. A soy un noble homme de pris,
  719. Ce fust une ; mais elle a pris,
  720. Un nain contrait, mal affaittié.
  721. Hé ! sire, qui en a pitié
  722. Pendu soit il !
  723. LE MARQUIS. ( Au premier chevalier )
    Et vous assez estes soubtil,
  724. Messire Almaurri de la Paille.
  725. Qu' en jugez vous, vaille que vaille,
  726. Par vostre advis ?
  727. MESSIRE ALMAURRY.     Sire, vezcy que j' en devis.
  728. A faire bien un jugement
  729. Fault deux choses: premiérement
  730. Justice et puis misericorde,
  731. Car raison veult et droit s' accorde
  732. Que les maufaitteurs on pugnisse,
  733. Mais bon juge en faisant justice
  734. Doit avoir touzjours, bien s' i gart,
  735. A misericorde regart
  736. Aussi conme il a a justice.
  737. Voir est c' on doit pugnir le vice,
  738. Sire, mais du malfaitteur voir
  739. Doit on misericorde avoir
  740. Pour tant qu' il est ou homme ou femme.
  741. Je le dy pour tant ; ceste dame
  742. A moult meffait, ce poise moy:
  743. Mais je croy, sire, par ma foy,
  744. S' elle est jugée tellement
  745. Qu' elle ait pour pitié seulement
  746. De prison pardurable peine,
  747. Sanz son corps mettre a mort villaine,
  748. Ce sera bon.
  749. LE MARQUIS.     Je voy bien vostre opinion.
  750. Et vous qu' en dittes ?
  751. SECOND CHEVALIER.     Sire, en un cas seroit bien quittes
  752. Tel meffait qui le pugniroit
  753. Par prison, et si souffiroit:
  754. Car se femme s' estoit meffaitte
  755. Par ygnorance ou par souffraite,
  756. Conme plusieurs sont qui le font,
  757. Ou par mauvais mariz qu' ilz ont,
  758. Cy devroit bien ouvrer pitié.
  759. Mais je ne voy que mauvaistié
  760. Pure ou fait ceste dame cy ;
  761. Pour quoy a messire Almaurry,
  762. Par foy, sire, pas ne m' acors,
  763. Mais a vostre oncle m' en recors
  764. Du tout en tout.
  765. LE MARQUIS.     Or pais: nous sommes a un bout.
  766. Seigneurs, je vous diray, par m' ame,
  767. Il me fait moult mal que la dame
  768. Me convient condampner a mort,
  769. Et nul ne s' en doit, s' il n' a tort,
  770. Merveillier, car forment l' amoye
  771. Con celle qu' espousée avoie.
  772. Mais je vous dy en audience
  773. Qu' elle sera, c' est ma sentence,
  774. Demain devant touz aux champs arse,
  775. Et fust la royne de Tarse,
  776. Ja soit ce qu' el me fait si mal
  777. Que pour lui vouldroie estre ou val
  778. D' entre Goth et Magoth tout nu,
  779. Mais qu' il ne li fust advenu,
  780. Tant l' ain encor et tant l' ay chier.
  781. Si que, seigneurs, sanz plus preschier,
  782. Alez, si querez le bourrel
  783. Et faites faire l' appareil
  784. Pour la justice.
  785. ERNAUT.     Au bourrel duit tout cest office.
  786. Mon chier seigneur, je le vois querre.

    Scène V. Chez le bourreau.
    ( Entre Ernaut )
  787. ERNAUT. ( Au bourreau )    Pierre du pré, vien t' en bonne erre
  788. Estache, feu, corde aprester
  789. Et si penses de toy haster,
  790. Car il le fault.
  791. LE BOURREL.     Sire, il n' i ara nul deffault ;
  792. Est ce homme ou femme ?
  793. ERNAUT.     C' est pour la marquise ma dame,
  794. Dont pitiez est.
  795. LE BOURREL.     Je vois faire que tout soit prest,
  796. Mon amy doulx.
    ( Le bourreau va dresser, avec des aides, une potence et un bûcher )

    Scène VI. La prison.
    ( Entre le second chevalier )
  797. SECOND CHEVALIER.     Qu' est ce la ? Dame, dormez vous ?
  798. Dites me voir.
  799. LA MARQUISE.     Certes je n' en ay nul vouloir,
  800. Ains sui de cuer a grant mechief.
  801. Pour Dieu, dites moy a quel chief
  802. Est ma besoingne.
  803. SECOND CHEVALIER.     Dame, priez Dieu qu' il vous doingne
  804. Remission, car, sanz mentir,
  805. Au jour d' ui vous convient mourir.
  806. Pour Dieu, ne vous desesperez,
  807. Ainçois de bon cuer requerez
  808. La tresdoulce vierge Marie,
  809. Tant conme vous estes en vie,
  810. Ce vous conseil.
  811. LA MARQUISE.     Puis qu' ainsi est, faire le vueil.
  812. Sire, alez un po loing de moy.
    ( Le second chevalier retourne auprès du marquis )
  813. Ha ! vierge mére et fille au roy
  814. De paradis, c' est li vray Diex,
  815. Regardez moy de voz doulx yex,
  816. Qui ravoiez les desvoiez,
  817. Et aucun confort m' envoiez
  818. Par quoy dampnée ne soit m' ame.
  819. Si voirement con tu scez, dame,
  820. Qu' a tort sui si emprisonnée
  821. Et sanz cause a mort condampnée,
  822. Me doingnez vous grace et victoire,
  823. Que je ne perde mon memoire
  824. De vous avoir touzjours en bouche
  825. Pour honte ne pour lait reprouche
  826. Qui fait me puist estre au jour d' ui,
  827. Ainçois par ce cruel annuy
  828. C' on a de moy faire en propos,
  829. Dame, m' ottroiez le repos
  830. Qui touzjours dure.

    Scène VII. Le Paradis.
  831. NOSTRE DAME.     Sus, mi ange, bonne aleure
  832. Alons m' amie consoler
  833. Que la voy forment desoler.
  834. Je vueil que li soit desservi
  835. Ce que de bon cuer m' a servy.
  836. Alez ci devant moy chantant
  837. Que son cuer soit joie sentant
  838. En vous oir.
  839. GABRIEL.     Dame, nous ferons par desir
  840. Ce qu' il vous plaist nous conmander.
  841. Michiel, il nous convient chanter
  842. Par doulx accors.
  843. MICHIEL.     Gabriel, a dire m' acors
  844. Ce rondel ici a voiz clére.
  845. RONDEL.     Vierge royne, fille et mére
  846. Au Dieu de toute creature,
  847. Onc de grace ne fuz avére,
  848. Vierge royne, fille et mére,
  849. D' obscurté touzdis en lumiére
  850. Jettes ceulx que veulx prendre en cure.
    ( Les archanges accompagnent Notre-Dame auprès de
    la marquise en chantant ce rondeau
    )

    Scène VIII. La prison.
  851. NOSTRE DAME. ( À la marquise )   Doulce amie, en Dieu t' asseure
  852. Et si laisses ton lamenter.
  853. Ne te vault riens tel dementer
  854. Des ores mais.
  855. LA MARQUISE.     Lasse ! dame, je n' en puis mais.
  856. Conment m' en pourroy je tenir ?
  857. A tort sui jugie a mourir ;
  858. N' atens que l' eure.
  859. NOSTRE DAME.     M' amie, tais toy ; plus ne pleure.
  860. Mon filz Jhesus, qui est vray Dieux,
  861. A ta clameur oy des cieulx
  862. Et l' a receue en pitié ;
  863. Et pour ç' a toy par amistié
  864. Suis venue, ne doubtes pas.
  865. Secourue au besoing seras
  866. Et eschapperas ceste paine
  867. A t' onneur, soies ent certaine.
  868. A Dieu te dy ; or loe Dieu.
  869. Mi ange, alons men de ce lieu,
  870. Car temps en est.
  871. MICHIEL.     Chiére dame, nous sommes prest
  872. A voz grés faire.
  873. GABRIEL.     Michiel, il ne nous fault pas taire
  874. En alant, ains nous deduisons
  875. Et nostre rondel pardisons
  876. A lie chiére.
  877. RONDEL.     D' obscurté touzdis en lumiére
  878. Jettes ceulx que veulx prendre en cure,
  879. Vierge royne, fille et mére
  880. Au Dieu de toute creature.
    ( Les archanges raccompagnent Notre-Dame au Paradis
    en chantant le même rondeau
    )
  881. LA MARQUISE.     Ha ! mére Dieu, con d' amour pure
  882. Nous amez qui sommes saval,
  883. Et conme il péche grief et mal
  884. Qui ne pense de toy servir !
  885. Conment pourray je desservir
  886. Ceste bonté que m' avez faite ?
  887. Certes, dame, mes cuer s' affaitte
  888. A vous loer toute ma vie
  889. Et servir: d' autre chose envie
  890. Avoir ne quier.

    Scène IX. Aux environs du château de la Gaudine.
    ( Entre le chevalier Anthénor suivi de Grimaut son écuyer )
  891. ANTHENOR.     Grimaut, je te pri et requier,
  892. Puis que nous par cy revenons
  893. D' oultre mer ou esté avons
  894. Au saint sepulcre et Dieu requis,
  895. Alons men veoir le marquis,
  896. Car pour certain je le verroye
  897. Moult voulentiers et si feroie
  898. De bon cuer ce qui li plairoit.
  899. Car jamais de moy ne pourroit
  900. Estre rendu la courtoisie
  901. Que me fist ma dame m' amie,
  902. La marquise qui est sa femme,
  903. Et je croy qu' ou monde n' a dame
  904. Meilleur de li en conscience.
  905. J' estoye de mort en balance,
  906. Tu le scez, quant le riche roy
  907. Me mescrut et se print a moy
  908. En disant que traistre estoye
  909. Quant sa femme li fortreoye.
  910. Helas ! et il n' en estoit rien,
  911. Mais toutesvois il m' avint bien
  912. Qu' il me dist qu' excusé seroye
  913. Se je m' amie ly monstroie ;
  914. Et alors ne sos que penser,
  915. Si dis pour ma vie tenser
  916. Que la marquise estoit m' amie.
  917. Mais cela ne li souffist mie,
  918. S' il n' en avoit appercevance ;
  919. Et convint que en sa presence
  920. Je preisse le hardement
  921. De li demander plainement
  922. Un baisier qu' elle m' y donna,
  923. Et delivré fu par cela
  924. De la mescrantise du roy.
  925. Ceste courtoisie, par foy,
  926. Ne li pourroye jamais rendre ;
  927. Et pour ce vueil mon chemin prendre
  928. Par la Gaudine.
  929. GRIMAUT.     Alons, sire, par amour fine:
  930. Je vois devant pour hostel prendre.

    Scène X. Une hôtellerie près du château de la Gaudine.
    ( Entre Grimaut  ; Anthénor le suit )
  931. Biaux hostes, vueillez moy entendre.
  932. Pourrons nous ceens hebergier
  933. Et avoir de bon a mengier
  934. Pour nostre argent ?
  935. L' OSTE.     Sire, oil, vous me semblez gent
  936. Nobles ; bien serez hebergiez.
  937. Entrez ens et aise couchiez
  938. Et sans riote.
  939. GRIMAUT.     Sa, mon seigneur, vezci nostre hoste
  940. Qui nous fera aise, se dit,
  941. Et s' arons blans draps et mol lit
  942. Sur toute rien.
  943. ANTHENOR.     Et nous le paierons moult bien.
  944. Je le vueil, entre ens ; Diex y soit.
  945. Seoir me vueil ici endroit ;
  946. A boire ! a boire !
  947. L' OSTE.     Tantost, sire ; vezcy un voire.
  948. Tenez ; essaiez, mon seigneur:
  949. Je me vans que c' est du meilleur
  950. De ceste ville.
    ( L’hôtelier sert du vin à Anthénor )
  951. ANTHENOR.     Il est bon, hoste, par saint Gille:
  952. Vous en avez m' amour acquis.
  953. Dites moy que fait le marquis ;
  954. En savez rien ?
  955. L' OSTE.     Dieu mercy, sire, il le fait bien,
  956. Et nostre dame.
  957. ANTHENOR.     Et que fait ma dame sa femme ?
  958. Je vous en pry.
  959. L' OSTE.     Trop mal, sire, ce poise my,
  960. Se Dieu me voie.
  961. ANTHENOR.     Et pour Dieu convient que j' en oye
  962. La verité.
  963. L' OSTE.     Mon seigneur a ouen esté
  964. En Pruce. Or vous dy qu' il laissa
  965. Ma dame a son oncle et bailla
  966. Aussi sa terre a gouverner.
  967. Mais en la chose a tant d' amer
  968. C' on dit que le nain fu trouvé
  969. Avec ma dame tout prouvé
  970. Couchié avec elle en son lit
  971. Et la en faisoit son delit.
  972. S' en ot l' oncle si grant despit
  973. Que le nain tua sanz respit
  974. Et puis mist ma dame en prison.
  975. Or est pour ceste mesprison
  976. Du marquis meismes jugée
  977. Et a ardoir est condampnée,
  978. Dont le peuple plus de cent mille
  979. Pleure et gemist aval la ville,
  980. Car un chascun de cuer l' amoit
  981. Pour les grans biens qu' elle faisoit:
  982. N' avoit cure de nulle triche,
  983. Ains estoit au povre et au riche
  984. Doulce et courtoyse.
  985. ANTHENOR.     Biaux hostes, par m' ame, il m' en poise:
  986. Se je le peusse amender ?
  987. Or vous vueil je cy demander
  988. Se je pourray pour mon avoir
  989. Un bon harnois de guerre avoir,
  990. Bien fait pour moy.
  991. L' OSTE.     Oil, sire, foy que vous doy.
  992. J' en ay un ceens bon et cointe
  993. Ou il ne fault plate ne pointe.
  994. S' il vous plaist, vous l' essaierez ;
  995. S' il est bon, vous l' acheterez
  996. Ce qu' il vaulra.
  997. ANTHENOR.     Voulentiers, hostes, monstrez ça,
  998. Pour Dieu, bonne erre.
  999. L' OSTE.     Chier sire, je le vous vois querre.
    ( L’hôtelier apporte une armure )
  1000. Tenez: est il et gent et frais ?
  1001. Je le vous baille a touz essais,
  1002. N' en doubtez point.
  1003. ANTHENOR.     Or essaions s' il m' est a point,
  1004. Par amours, maistre.
  1005. L' OSTE.     Il n' y a qu' oster ne que mettre,
  1006. Ce m' est avis.
    ( Anthénor endosse l’armure )
  1007. ANTHENOR.     Hostes, tout a vostre devis
  1008. En paieray ; c' est un mot court.
  1009. Mais, pour Dieu, alez vers la court ;
  1010. Et se vous veez que l' en isse
  1011. Pour aler faire la justice,
  1012. Venez le moy tantost nuncier
  1013. Par quoy je me puisse avancier
  1014. D' estre au devant.
  1015. L' OSTE.     Sire, ne fineray mais tant
  1016. Qu' a la court soie.
    ( I’hôtelier sort )
  1017. ANTHENOR.     Et toy, Grimaut, se Dieu te voie,
  1018. Vas mettre la selle au coursier
  1019. Et gars qu' en arçon n' en estrier
  1020. Rien il ne faille.
  1021. GRIMAUT.     Mon seigneur, voulentiers, sanz faille
  1022. G' y vois courant.
    ( Grimaut sort )
  1023. ANTHENOR. ( Resté seul, priant la Vierge )
    Vierge a tous besoings secourant
  1024. Qui de cuer devost vous appelle,
  1025. Trop sui, dame, esbahis de celle
  1026. Qui assez tost arce doit estre,
  1027. Conment elle a peu conmettre
  1028. Tel meffait, que ja l' essaiay,
  1029. Mais si vraie en cuer la trouvay
  1030. Et si bonne que ne puis croire
  1031. Que ce meffait soit chose voire ;
  1032. Et ce m' esmeut, dame, a debatre
  1033. Qu' el ne muire et de m' en combatre,
  1034. Pour pitié. Ha ! vierge Marie,
  1035. Or ne say je se fas folie,
  1036. Car trop muable est cuer de femme:
  1037. Pour ce vous pri, tresdoulce dame,
  1038. Qu' aussi qu' en bonne entencion
  1039. Vois pour elle estre champion,
  1040. Soit qu' elle ait ou non ait mespris,
  1041. Gardez hui m' onneur et mon pris
  1042. Par vostre grace.

    ACTE III.
    Scène I. Le Paradis.
  1043. NOSTRE DAME.     Sus, my ange, sanz plus d' espace
  1044. Alons men a ce chevalier,
  1045. Et chantez si qu' esmerveillier
  1046. Faciez les gens.
  1047. MICHIEL.     Nul de nous n' en yert negligens:
  1048. Doulce vierge, bien chanterons.
  1049. Avant, Gabriel: que dirons
  1050. A ceste foiz ?
  1051. GABRIEL.     Michiel, disons cy d' une vois
  1052. Ce rondel cy qui est jolis.
  1053. RONDEL.     Marie, en faiz et en dis
  1054. Se doit de joie esmouvoir
  1055. Qui vous peut oir et veoir,
  1056. Amer et servir touzdis,
  1057. Marie, en faiz et en dis
  1058. Con dame de paradis,
  1059. Car vous li faites avoir
  1060. Grace et paiz a vo doulx hoir.
    ( Les deux archanges accompagnent Notre-Dame
    auprès d’Anthénor en chantant ce rondeau
    )

    Scène II. L’hôtellerie.
    ( Entrent Notre-Dame et les deux archanges )
  1061. NOSTRE DAME.     Biaux amis, ne t' esteut doloir
  1062. De faire ce champ de bataille,
  1063. Car tu y es tenuz sanz faille.
  1064. Si te membre que ja pieça
  1065. Conment la dame te baisa
  1066. Et te monstra signe d' amour
  1067. Pour garder et toy et t' onnour,
  1068. Voire, et pour toy sauver la vie ;
  1069. Et si n' estoit de riens t' amie,
  1070. Car onques ne t' avoit veu,
  1071. Mais que pour pitié qui meu
  1072. L' ot et pour garder sa cousine
  1073. De honte, la riche royne.
  1074. Avec ce je te fas savoir
  1075. Qu' elle est une Susanne voir
  1076. Acusée de grief meffait,
  1077. Lequel elle n' a pas meffait:
  1078. Ce saras tu, ne t' en esmaies.
  1079. Mais pour ce que ne te retraies
  1080. D' aler pour la dame combatre
  1081. Me sui je cy venue embatre,
  1082. Qui sui de paradis royne.
  1083. Fay que ton bon propos s' affine
  1084. Seurement ; a Dieu te dy.
  1085. My ange, alons nous ent de cy:
  1086. Il en est temps.
  1087. GABRIEL.     Dame, nous ferons sanz contens
  1088. Vostre vouloir. Avant, Michiel.
  1089. Pardisons en alant au ciel
  1090. A voiz serie.
  1091. MICHIEL.     Quant de moy je n' y faudray mie,
  1092. Michiel amis.
  1093. RONDEL.     Com dame de paradis,
  1094. Car vous li faites avoir
  1095. Grace et paiz a vo doulx hoir.
  1096. Marie, en faiz et en diz
  1097. Se doit de joie esmouvoir
  1098. Qui vous peut oir et veoir.
    ( Les deux archanges raccompagnent Notre-Dame
    au Paradis en chantant ce rondeau
    )
  1099. ANTHENOR.     Mére Dieu, bien doit on avoir
  1100. En vous servir s' entencion.
  1101. Dame, grant consolacion
  1102. M' avez fait en double maniére
  1103. Dont je vous graci ; la premiére,
  1104. Par pitié qui en vous habonde,
  1105. M' avez visité ; la seconde
  1106. Est, dame, que je ne savoie
  1107. Du fait le voir, ains m' en doubtoye ;
  1108. Or en suis je seur par vous.
  1109. Pour quoy appareillié sui touz
  1110. De moy combatre.

    Scène III. Le château de la Gaudine.
    ( Entre le bourreau )
  1111. LE BOURREL.     Seigneurs, je vous dy sanz debatre
  1112. Que tout est prest.
  1113. LE MARQUIS.     Attaingnez la donc ; temps en est.
  1114. Seigneurs, au bourrel soit livrée ;
  1115. Pour Dieu, qu' elle soit delivrée
  1116. Ysnel le pas.
  1117. L' ONCLE.     Bourriau, scés tu que tu feras ?
  1118. Garde que si hault soit assise
  1119. En la charrette et de tel guise
  1120. Que de touz puist estre veue
  1121. Par quoy plus de honte hait eue
  1122. De son meffait.
  1123. LE BOURREL.     N' en doubtez: il sera bien fait.
  1124. Laissiez venir.

    Scène IV. Devant la prison.
    ( Les deux chevaliers suivis du bourreau se rendent à la prison.
    Une foule s’amasse sur leur passage  ; parmi elle, l’hôtelier
    )
  1125. PREMIER CHEVALIER. ( Faisant sortir la marquise )
    Dame, sanz vous plus ci tenir,
  1126. Venez vous ent.
    ( La marquise sort, le chevalier la livre au bourreau qui lui lie les mains )
  1127. LA MARQUISE.     Seigneurs, vois j' a mon jugement ?
  1128. Dites me voir.
  1129. SECOND CHEVALIER.     Dame, oil voir ; pensez d' avoir
  1130. Desoresmais Dieu en memoire,
  1131. Et priez la dame de gloire
  1132. Que par sa grant misericorde
  1133. Au jour d' ui appaise et accorde
  1134. A Dieu vostre ame.
    ( Les deux chevaliers et le bourreau conduisent la marquise
    vers son époux . L’hôtelier se détache de la foule et revient chez lui
    )

    Scène V. L’hôtellerie.
    ( Entre l’hôtelier )
  1135. L' OSTE. ( À Anthénor )     Las ! sire, j' ai veu ma dame
  1136. Bailler au bourrel en ses mains,
  1137. Et il n' en fait ne plus ne mains
  1138. Qu' il feroit d' une povre garce:
  1139. Mener la veult ou sera arsse.
  1140. Tout le monde la plaint et pleure.
  1141. Pour Dieu, ne faites plus demeure:
  1142. Montez bonne erre.
  1143. ANTHENOR. ( Qui s’est précédemment armé )
    C' est fait ; je voys mon cheval querre
  1144. Et monter, sire.

    Scène VI. Le château de la Gaudine.
    ( Une charrette est arrêtée devant le château. On voit plus
    loin le lieu du supplice ( potence et bûcher ). Entre la marquise,
    les mains liées, sous la conduite des deux chevaliers et du bourreau.
    )
  1145. LA MARQUISE. ( A la foule qui s’est amassée sur son passage )
    Hé ! bonnes gens, je puis bien dire
  1146. Que ce n' est mie de merveille
  1147. Se chascun de moy s' esmerveille.
  1148. Priez Dieu qu' il me tiengne en foy,
  1149. Car je pren sur l' ame de moy
  1150. Que je sui innocent et pure
  1151. Du fait pour quoy a tel laidure
  1152. Sui demenée.
  1153. LE MARQUIS.     Seigneurs, la chose est ordenée
  1154. Ainsi conme l' en vous dira.
  1155. ( Montrant la charrette ) Le bourrel tout a pié ira
  1156. Devant, la charrette menant,
  1157. Et vous deux irez costoiant
  1158. La dame, et vous irez après,
  1159. Biaux oncles. Or soiez engrés
  1160. De mouvoir ; je demourray ci.
  1161. Femme, Diex ait de toy mercy
  1162. Par sa pitié.
  1163. L' ONCLE.     Mouvez, seigneurs, par amistié
  1164. Isnellement.
  1165. SECOND CHEVALIER.     Sire, nous ferons bonnement
  1166. Vostre plaisir.
  1167. ERNAUT.     Bourrel, vaz ce cheval saisir
  1168. Et le maine si con tu dois,
  1169. S' avoir ne veulx de mes cinc doiz
  1170. Un bon tatin.
  1171. LE BOURREL.     Je n' ay cure de tel patin,
  1172. Sire, j' aim miex faire m' office.
  1173. Hary ! avant: Diex le garisse
  1174. Et saint Eloy.
    ( Le convoi se forme comme l’a ordonné le marquis : la
    marquise monte sur la charrette, les deux chevaliers
    se placent de chaque côté et l’oncle, derrière elle ; le
    bourreau, à pied, fait avancer le cheval
    )
  1175. PREMIER CHEVALIER.     Dame, se savez riens de quoy
  1176. Vous repreigne la conscience,
  1177. Dites le nous en audience:
  1178. Espurgiez vous.
  1179. LA MARQUISE.     Certes, nanil, mon ami doulx,
  1180. Ainçois vous di, si ait Diex m' ame,
  1181. Qu' a honte sui et a diffame
  1182. A tort menée.
    ( Au moment où part le convoi, Anthénor arrive à cheval et,
    lui barrant la route, l’oblige à s’arrêter
    )
  1183. ANTHENOR. ( À l’oncle et aux chevaliers )
    Ho ! seigneurs, il fault qu' arrestée
  1184. Soit la dame, pour voir le dy ;
  1185. Car maintenir vueil et si dy
  1186. Qu' elle est jugée sanz raison,
  1187. N' onques ne fist la mesprison
  1188. C' on li mett sus.
  1189. L' ONCLE.     Tu n' y es pas a temps venuz,
  1190. Ne riens n' en sera fait pour toy.
  1191. Bourrel, chasse avant, par ta foy ;
  1192. Va touzjours, va.
  1193. SECOND CHEVALIER.     Sire, vraiement non fera,
  1194. Car je vois le cheval saisir
  1195. Tant que le marquis son plaisir
  1196. Ait entendu.
    ( Le second chevalier vient immobiliser le cheval en le
    prenant en bride à la place du bourreau
    )
  1197. PREMIER CHEVALIER.     Pleust ore au doulx roy Jhesu
  1198. Que ce chevalier delivrast
  1199. Ma dame, et que le fait trouvast
  1200. A faux prouvé.
  1201. ANTHENOR. ( Au marquis )    Sire marquis, a point trouvé
  1202. Vous ay ; escoutez me parler.
  1203. Je dy sanz plus avant aler
  1204. Qu' a tort condampnez ceste dame,
  1205. Et s' il a ci homme ne femme
  1206. Qui ose dire du contraire,
  1207. Je sui prest de l' espée traire
  1208. Et moy combatre.
  1209. LE MARQUIS.     Biaux oncles, il vous fault debatre
  1210. Ce qu' il dit. L' avez entendu ?
  1211. Respondez ; n' y ait attendu:
  1212. Le fait vous touche.
  1213. L' ONCLE.     Biaux niez, il ment parmy la bouche.
  1214. Qui es tu ? dy.
  1215. ANTHENOR.     Qui je sui ? ne vous chaille qui.
  1216. Tant y a je sui chevalier,
  1217. Et plus dire ne vous en quier.
  1218. ( Lançant son gant ) Mais vezci mon gage pour elle.
  1219. A il ici celui ne celle
  1220. Qui le sien baille ?
  1221. L' ONCLE.     Oil, voir, j' en feray bataille
  1222. Contre toy, et dy que tu mens
  1223. Et que bons est li jugemens.
  1224. ( Jetant à son tour son gant ) Vezci mon gant.
  1225. LE MARQUIS.     Nous n' irons donques plus avant,
  1226. Si me soit Dieu misericors.
  1227. Je verray la force des corps,
  1228. Car le champ a pié se fera.
  1229. Au jour d' uy verray qui sera
  1230. Bon ou mauvays.
  1231. L' ONCLE.     Si chier mot ne dist onques mais,
  1232. Biaux niez ; je voys mes armes prendre.
  1233. Tantost reviens ; faites m' attendre
  1234. Qu' il ne se meuve.
  1235. ( L’oncle sort )
  1236. ANTHENOR.     Ne doubtez, non, c' on me repreuve
  1237. Que je fuie: ja Dieu ne vueille ;
  1238. Nanil, et veisse ma brueille
  1239. Gysant a terre.
  1240. LE MARQUIS.     Sire, qui voulez ceste guerre
  1241. Faire, dites moy vostre nom.
  1242. Dont venez vous ? ne quel raison
  1243. Vous a meu ?
  1244. ANTHENOR.     Se Dieu plaist, il sera sceu,
  1245. Sire, briefment.
    ( L’oncle rentre armé )
  1246. L' ONCLE.     Or ça, faux chevalier, conment
  1247. Le veulz tu dire ?
  1248. ANTHENOR.     Je dy ainsi, entendez, sire,
  1249. Qu' a tort est a mort condampnée
  1250. La dame qui si noble est née
  1251. Et c' onques le fait ne pensa ;
  1252. Et Dieu, qui les enfans tensa
  1253. De mort en la fornaise ardant,
  1254. Et je si li serons garant,
  1255. Si com je pens.
  1256. L' ONCLE. ( Tirant son épée )    Et je dy certes que tu mens
  1257. Et te prouveray le contraire
  1258. A m' espée que je vueil traire.
  1259. Gar toy de moy.
  1260. ANTHENOR.     Je ne vous doubte, par ma foy.
  1261. Or vous gardez de moy aussy.
  1262. ( Frappant de sa dague un premier coup )
    Vous arez ce premier cop cy
  1263. De conmensaille.
  1264. L' ONCLE.     Ains que parte ceste bataille,
  1265. Ne sera si bon ton escu
  1266. Que je ne te rende vaincu
  1267. Con faux traistre.
  1268. ANTHENOR.     Du champ vous feray avant istre,
  1269. Si plaist a la vierge honnourée
  1270. En qui me fy ; ( Brandissant son épée ) vezla m' espée.
  1271. A mes deux mains vous courray sus ;
  1272. Puis que vous tien vous irez jus.
    ( Anthénor se précipite sur l’oncle, tenant à la fois
    son épée et sa dague,
    et le terrasse )
  1273. Or y es tu. ( Le menaçant de ses armes ) Dy, larron, dy
  1274. La verité, ou je t' affy
  1275. Je t' occirray.
  1276. L' ONCLE.     Ha ! biaux niez, mercy, je feray
  1277. Ce que voulrez.
  1278. LE MARQUIS.     Ho ! sire, en ce point vous tenrez,
  1279. Que je le vueil.
  1280. ANTHENOR.     Sire marquis, point ne me dueil
  1281. De voz grez faire.
  1282. LE MARQUIS.     Avant, oncle, il vous fault retraire
  1283. Du fait le voir.
  1284. L' ONCLE.     Vueillez de moy mercy avoir,
  1285. Biaux niez, pour Dieu le vous requier.
  1286. Ne puis contre ce chevalier:
  1287. Il est jounes, je sui ja viex ;
  1288. Si en a d' avantage miex
  1289. Que je n' ay, sire.
  1290. ANTHENOR. ( Laissant l’oncle se relever )
    Sire marquis, faites li dire
  1291. Le voir, et qu' il ne mente point,
  1292. Ou rendez le moy en tel point
  1293. Con le tenoye.
  1294. LE MARQUIS.     Sy arez vous, se Dieu me voie,
  1295. Ou voir dira.
  1296. L' ONCLE.     Helas ! biaux niez, conment ! morra
  1297. Vostre oncle a honte ?
  1298. LE MARQUIS.     Oncle, sanz faire plus lonc compte,
  1299. Dites nous donques verité
  1300. Et on ara de vous pitié.
  1301. Ce non, je vous rendray u point
  1302. Que je vous pris, n' en doubtez point ;
  1303. C' est la parclose.
  1304. L' ONCLE.     Las, je ne sçay rien de la chose
  1305. Que demandez.
  1306. LE MARQUIS. ( Ordonnant la reprise du duel )
    Avant ! avant ! ensemble alez,
  1307. Et face chascun son devoir,
  1308. Mais en ce point serez mis voir
  1309. Qu' estiés avant.
  1310. ANTHENOR.     Traistre, jamais en avant
  1311. N' irez, foy que doy a saint George.
  1312. Ceste dague parmy la gorge
  1313. Vous bouteray.
  1314. L' ONCLE.     Ha ! frans hons, mercy ! je diray
  1315. Le mauvais mot.
  1316. ANTHENOR.     Or dy, mauvais, dy dont tantost
  1317. La verité.
  1318. L' ONCLE.     Conme faux plain d' iniquité
  1319. Vous recongnois, biau niez marquis,
  1320. Que d' amer la dame requis.
  1321. Mais elle, conme bonne et sage,
  1322. Refusa moy et mon langage,
  1323. Dont j' oz tel dueil et tel desdaing
  1324. Que je fis tant devers le naing
  1325. Qu' avec la dame se coucha,
  1326. Mais onques a li n' atoucha,
  1327. Ains s' i coucha en paour grant:
  1328. Si li promis je que garant
  1329. Envers vous de ce li seroye.
  1330. Et après ce je qui vouloye
  1331. Acomplir ma grant desverie,
  1332. Quant la dame fut endormie,
  1333. Pris des chevaliers, si entrasmes
  1334. En la chambre ou le nain trouvasmes
  1335. Couchié, qui ne savoit pourquoy.
  1336. La le tuay, afin que moy
  1337. N' encusast de ma mesprison,
  1338. Et puis mis la dame en prison.
  1339. Ainsi sans cause pourchacié
  1340. Ly ay ce meschief et bracié
  1341. Qu' elle a eu.
  1342. ANTHENOR.     Sire, se j' ay fait mon deu,
  1343. Puis que le traistre vous livre
  1344. Donnez moy congié qu' a delivre
  1345. Mette la dame.
  1346. LE MARQUIS.     Sire, c' est bien raison, par m' ame ;
  1347. Alez et si la desliez.
  1348. Onques mais jour ne fu si liez.
  1349. ( À son oncle ) Oncle, vous ay j' a moy attrait
  1350. Pour moy faire sy vilain trait,
  1351. Qui me vouliez faire a mort
  1352. Mettre ma propre femme a tort ?
  1353. Par mon chief, n' en estes pas quittes,
  1354. Ainçois par les plus tresdepittes
  1355. Voies que je pourray trouver
  1356. Vous feray a grief mort livrer.
  1357. Tost, seigneurs, sanz arrestoison
  1358. Alez le me mettre en prison
  1359. Et en bons fers.
  1360. ERNAUT.     De voz grez faire sui appers ;
  1361. Passez, passez.
  1362. SECOND CHEVALIER.     Uns telz fers vous seront lassez,
  1363. Sire, par les piez et les mains
  1364. Qui poisent bien deux cens du moins,
  1365. Ne vous deplaise.
    ( Ernaut et le second chevalier conduisent l’oncle en prison, l’y enchaînent
    et l’y enferment. Anthénor a cependant ôté ses liens à la marquise
    )
  1366. ANTHENOR. ( À la marquise )    Treschiére dame, or soiez aise
  1367. Et s' obliez vostre doleur,
  1368. Recouvré avez vostre honneur
  1369. Et s' estes delivrée a plain.
  1370. ( Lui tendant la main ) Sa, de par Dieu, ça, celle main,
  1371. Si descendez.
    ( La marquise descend de la charrette et se jette à ses pieds )
  1372. LA MARQUISE.     Sire, qui secoru m' avez,
  1373. A voz piez me doy bien jetter.
  1374. Pour Dieu, plaise vous a oster
  1375. Ce bacinet si que vous voie.
  1376. Congnoistre ainsi ne vous pourroye
  1377. Jamais nul jour.
  1378. ANTHENOR. ( Otant son casque ) Dame, voulentiers, sanz sejour.
  1379. Me veez vous ?
  1380. LA MARQUISE.     Ha ! loyal chevalier sur touz,
  1381. Anthenor sire, acolez moy.
  1382. Frans homs, bien mercier vous doy
  1383. Et l' eure que vous vy premier.
    ( Anthénor embrasse la marquise )
  1384. Certes, or vous vueil je baisier
  1385. Et bouche et piez.
  1386. LE MARQUIS.     Dame, pardonner me vueilliez
  1387. Mon meffait, et je vous en pri.
  1388. Sire, vostre nom sanz destry
  1389. Me vueilliez dire.
  1390. ANTHENOR.     Anthenor de Biauchastel, sire,
  1391. Sui nommez, voir.
  1392. LE MARQUIS.     Vous venrez en nostre manoir,
  1393. Sire ; je vous deffens l' aler.
  1394. J' ay tant oy de vous parler
  1395. Qu' assez vous congnois par renom,
  1396. Dieu mercy, que vous avez bon,
  1397. Et il a bien apparu cy,
  1398. Biau sire, dont je vous mercy.
  1399. Car mis m' avez de grant tristesse
  1400. Et de grant doleur en leesce,
  1401. Et la dame pour qui j' avoie
  1402. Plus dueil que dire ne pourroye,
  1403. Dont a touzjours vous ameray ;
  1404. Et certes destruire feray
  1405. Le traistre, si com direz:
  1406. Vous meisme juges en serez ;
  1407. Et de ma terre la moitié
  1408. Toute vous doing par amistié.
  1409. Alons nous en, sanz plus debatre,
  1410. Avant, seigneurs, pour nous esbatre ;
  1411. Et pour oblier nostre dueil,
  1412. Chantez ensemble, je le vueil,
  1413. Ce chant plaisant et amoureux:
  1414. « Pour l' amour du temps gracieux. »
  1415. Explicit.
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