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Miracle XV
 
  1. Cy conmence un miracle de Nostre Dame conment
    un enfant  resucita entre les braz  de sa mére que
    l' en vouloit ardoir pour ce qu' elle l' avoit noié
    .

    ACTE I.
    Scène 1. La demeure de la dame et de son mari.
  2. S' il pleust a Dieu nostre sire
  3. Que vous veisse enfans avoir,
  4. J' aroye tresgrant joye, voir,
  5. Et bien y a raison pour quoy :
  6. Car, Dieu mercy, je sçay et voy
  7. Que nous avons de biaus menages
  8. Et s' avons de grans heritages
  9. Et foison de biens temporiex,
  10. Si que s' a Dieu pleust c' un fiex
  11. Ou une fille nous donnast,
  12. Qui après nous les possessast,
  13. Au moins quant je trespasseroie
  14. Que sceusse a qui les lairoie,
  15. Ce me seroit a grant confort
  16. Et si en prendroie la mort
  17. Miex en bon gré.
  18. LA DAME.     Certes, quant je suis a secré,
  19. Mon seigneur, et seule me voy,
  20. Je dy souvent : Et Diex  ! pour quoy
  21. Ne te plaist il que j' aie enfant ?
  22. Et m' avient souvent qu' en pensant
  23. A ce moult grant piéce demeure,
  24. Et quant j' ai bien pensé je pleure
  25. Et fais dueil fort.
  26. LE MARI.     Dame, preuz n' est le desconfort.
  27. S' il ne li plaist point n' en arons.
  28. Mais je vous diray que ferons :
  29. Il est temps d' aler a l' eglise
  30. Pour oir le divin servise
  31. Et le sermon c' on y doit faire.
  32. Venez y, ma suer debonnaire ;
  33. G' y vois : or ne vous detriez
  34. Et la nostre dame priez
  35. Humblement et de devot cuer,
  36. Et je aussi feray, ma suer.
  37. ( À son valet ) Or tost, Gençon, pren mon mantel ;
  38. Fay, si vien après moy ysnel
  39. Jusqu' au moustier.
  40. LE VALLET.      Mon seigneur, puisqu' avez mestier
  41. De moy, sachez que tout prest suy.
  42. ( Lui apportant un manteau )   Alez devant et je vous suy
  43. Sanz plus attendre.
  44. LA DAME. ( À sa chambrière )   Agnesot, va mes heures prendre ;
  45. Fay tost, si me convoieras
  46. Au moustier, puis t' en revenras
  47. Quant la seray.
  48. LA CHAMBERIÉRE.      Dame, voulentiers le feray ;
  49. Je n' en seray mie rebource.
  50. ( Lui apportant un livre d’heures dans son étui  )
    Vezcy les heures en leur bource
  51. Alons nous ent.
  52. LA DAME.     Alons, m' amie, appertement,
  53. Car je desire la venir
  54. A temps pour le sermon oir.
    ( La dame et son mari se rendent à l’église
    accompagnés de leurs serviteurs respectifs
    )

    Scène 2. L’église dédiée à Notre-Dame.
    ( Ils entrent à l’église )
  55. LA DAME.     Dieu mercy, je vien bien a point ;
  56. De sermon encor n' y a point.
  57. Je prenderay ycy ma place.
  58. Agnesot, que Dieu preu te face ;
  59. Va t' en garder l' ostel bonne erre.
  60. Ja assez tost me reviens querre
  61. Quant point sera.
  62. LA CHAMBERIÉRE.     Voulentiers.
    ( La chambrière quitte l’église et retourne dans
    la demeure de ses maîtres
    )

  63. LA DAME. ( Priant la Sainte Vierge )   Ave Maria
  64. Gracia plena, dominus tecum, benedicta tu in
    mulieribus et benedictus fructus ventris tui.
  65. Dame, deffendez moy d' annuy
  66. Et me donnez grace de vivre,
  67. Si que m' ame s' en voit delivre
  68. De pechié, quant il avenra
  69. Que de mon corps departira,
  70. S' il vous est bel.
  71. LE SERMON.     Missus est angelus Gabriel
  72. In secula seculorum.
  73. LE MARI.. ( Priant à son tour la Sainte Vierge
    Tresor de consolacion,
  74. Souveraine dame des cieulx,
  75. E  ! mére Dieu, de voz doulx yex,
  76. Qui plain sont de misericorde,
  77. Par qui a Dieu treuvent accorde
  78. Ceulx qui de cuer sont repentant,
  79. Vueillez me regarder et tant
  80. Que par le vostre saint plaisir
  81. Puisse avenir a mon desir,
  82. C' est que ligniée puisse avoir
  83. Telle que vous et vo doulz hoir
  84. En puissez estre loez, dame,
  85. Et que le sauvement de m' ame
  86. Y puist estre, et non autrement.
  87. Amen. Sa, Gençon, alons ment
  88. Sa en la ville ou affaire ay.
  89. A l' ostel m' en retourneray
  90. Assez briefment.
  91. LE VALLET.     Sire, voulentiers vraiement.
  92. Alez, de par sainte Marie,
  93. Devant ; je ne vous lairay mie,
  94. Mon seigneur chier.
    ( Le mari quitte l’église en compagnie de son valet.
    On voit à ce moment la chambrière sortir de la
    demeure de sa dame en direction de l’église
    )
  95. LA CHAMBERIÉRE.     ll me fault huy mais avancier
  96. D' aler savoir se s' en venra
  97. Ma dame, que grant piéce a ja
  98. Qu' avec li au moustier alay.
  99. Je la vois querre ; n' y feray
  100. Plus demourée.
  101. LA DAME. ( Priant dans l’église )
    E ! tresdoulce vierge honnorée
  102. Qui le fruit de vie portastes,
  103. Qui vierge homme et Dieu enfantastes
  104. Et qui vierge fustes après
  105. L' enfanter, dame, a mes regrez
  106. Que cy vous bée a descouvrir
  107. Deignez vos oreilles ouvrir
  108. De pitié et m' entendez, dame.
  109. Je sui une brehaingne fame
  110. Qui desire l' eure veoir
  111. Qu' enfant peusse concevoir.
  112. Mais je croy, selon mon propos,
  113. Que Dieu ceste grace forclos
  114. M' a pour ce que je n' en suis digne.
  115. Si ne say je, vierge benigne,
  116. Car je sens ma condicion
  117. Muée et ma complexion
  118. Si que ce que souloie amer
  119. M' aist maintenant sur et amer :
  120. Pour ce d' estre grosse doubte ay,
  121. Mais de certain pas ne le say ;
  122. Car onques tel chose n' apris.
  123. Pour ce, vierge d' excellent pris,
  124. De ce me vueillez faire ottry
  125. Que ce ne le suis, je vous pri
  126. De cuer que ma priére oiez
  127. Et a vostre doulz filz proiez
  128. Qu' envers moy tant par grace approuche
  129. Que destaint me soit ce reprouche
  130. Que je ne soie plus nommée
  131. Brehaigne, mais mére clamée,
  132. Et que tel enfant puisse avoir
  133. Qui me doint cause de savoir
  134. Ordener mes faiz et mes diz,
  135. Si qu' avoir puisse paradis
  136. En la parfin.

    Scène 3. Le Paradis.
  137. DIEU.. ( À Notre-Dame ) Mére, je voy que de cuer fin
  138. Ces gens la vous servent et aiment
  139. Et devotement vous reclaiment
  140. Et vous prient et main et soir
  141. A ce que de leurs corps avoir
  142. Puissent enfant.
  143. NOSTRE DAME.     Chier filz, s' ilz en sont desirant,
  144. Puis que vous veez qu' ilz me servent,
  145. Pour ce je vous pri qu' ilz desservent
  146. Qu' ilz aient leur petticion,
  147. Afin qu' en leur affeccion
  148. Soit miex causée en vraie amour
  149. Raison de servir nuit et jour
  150. Vous et moy, sire.
  151. DIEU.     Mére,je vous puis pour voir dire
  152. La femme a enfant conceu
  153. Combien qu' encore cogneu
  154. Ne l' ait ; briefment le sentira.
  155. Mais se bien ou mal li fera
  156. Ne vous diray je nullement,
  157. Mais ce sera au sauvement
  158. De touz les deux.
  159. NOSTRE DAME.     Filz, on doit dire que li deulx
  160. Soit beneurez qui affine
  161. Si bien qu' en gloire qui ne fine
  162. Fait venir l' ame.

    Scène 4. L’église.
  163. LA DAME. ( Attendant sa chambrière )
    Voiz ! pour la glorieuse dame,
  164. Ma chamberiére bien me tient,
  165. Quant elle ne va ne ne vient
  166. Et si l' ay cy tant attendue.
  167. ( Surprise ) Dieu ! que senz je qui se remue
  168. En moy si fort et qui si boute ?
  169. ( Prenant son ventre entre ses mains )
    Vraiement je ne fas point doubte,
  170. C' est enfant qu' ainsi sanz mouvoir.
  171. E ! mére Dieu, bien doy avoir
  172. De vous servir affection,
  173. Quant par vous a l' entencion
  174. Suiz venue ou je plus tendoie,
  175. Dame, par vostre grace a joie.
  176. Quant vous plaira m' en delivrez,
  177. Si qu' il soit, quant il sera nez,
  178. Plaisant a touz.
    ( Entre la chambrière dans l’église )
  179. LA CHAMBERIÉRE.     Ma dame, vous en venrez vous ?
  180. Je vous vien querre.
  181. LA DAME.      Oil, alons nous ent bonne erre :
  182. Je n' attendoie fors que toy.
  183. Que n' es tu revenue a moy
  184. Plus tost ? J' ay devant cest autel
  185. Musé grant piéce. Est a l' ostel
  186. Ton maistre ? dy.
  187. LA CHAMBERIÉRE.     Nanil, dame, ce vous affi.
  188. Puis qu' il s' en parti n' y entra,
  189. S' il n' est venuz puis que ving ça ;
  190. N' en doubtez mie.
    ( La chambrière et sa dame quittent l’église et retournent au logis )

    Scène 5. La demeure de la dame etde son mari.
    ( On voit à ce moment le mari etson valet se rendre eux aussi au logis )
  191. LE MARI.     ll me semble, conment c' on die,
  192. Gençon, nous ne pouons miex faire
  193. Que de nous vers l' ostel retraire.
  194. Il en est huy mais heure et temps,
  195. Car il est, si conme je pens,
  196. Près de disner.
  197. LE VALLET.     Voir est, combien qu' a desjuner
  198. Soie encore, mon chier seigneur ;
  199. Je vous dy bien, j' ay fain greigneur
  200. Que n' oy pieça.
  201. LE MARI.     De tant mangeras tu miex ja.
  202. Sueffres toy ; si n' en parles plus.
    ( Le mari et sa dame se retrouvent devant leur demeure )
  203. Dame, dame, li doulx Jhesus
  204. Soit avec vous.
  205. LA DAME.      Bien veignez vous, mon seigneur douls.
  206. Qu' est ce ? quel chiére ?
  207. LE MARI.     Bonne, dame, non mie chiére.
  208. Et vous conment ?
  209. LA DAME.     Bonne, sire, se Dieu m' ament.
    ( Ils pénètrent dans leur demeure, les serviteurs s’éloignent )
  210. Seez vous cy decoste moy ;
  211. J' ay a parler a vous.     LE MARI.     De quoy ?
  212. LA DAME.     De quoy, mon seigneur ? de nouvelles
  213. Que vous diray bonnes et belles,
  214. Mais qu' il vous plaise.
  215. LE MARI. ( S’asseyant auprès de son épouse )
    Oil, dame, par saint Nicayse,
  216. Je vueil que vous les me dictez.
  217. Faites, si vous en acquictez
  218. De les moy dire.
  219. LA DAME.     Voulentiers les vous diray, sire,
  220. Car j' espoir que vous en arez
  221. Grant joie quant vous les orrez.
  222. Je suis grosse de vif enfant
  223. Et si l' ay ja porté sentant
  224. Plus de deux mois, se Dieu me gart,
  225. Et se je le vous dy a tart,
  226. Ne vous en devez merveillier,
  227. Car femme doit moult resoingner
  228. De dire qu' elle ait conceu
  229. Jusqu' a tant qu' elle l' ait sceu
  230. Estre de vray.
  231. LE MARI.      Dame, de ces nouvelles j' ay
  232. Tresgrant joie, foy que doy m' ame.
  233. E ! loée soit nostre dame !
  234. Or ne fui je pieça si liez.
  235. Dame, pour Dieu, ne vous vueilliez
  236. Partir de ceens pour riens née
  237. Tant que vous soiez relevée,
  238. Se me creez.
  239. LA DAME. ( Éprouvant de la douleur
    Ha ! Dieu, les rains et les costez !
  240. Sainte Marie !
  241. LE MARI.     Qu' est ce la ? qu' avez vous, m' amie ?
  242. N' en mentez point.
  243. LA DAME.     Sire, il m' est avis c' on m' ait point
  244. D' un coustel au cuer maintenant,
  245. Tant s' est remué mon enfant
  246. En moy forment.
  247. LE MARI.     Vous en devez bien grandement
  248. Mercier la vierge Marie,
  249. Et pouez savoir qu' il a vie,
  250. Puis qu' il se meut en vous ainsi.
  251. M' amie, ne mouvez de cy :
  252. Gardez de travail vostre corps.
  253. Pour Dieu mercy, n' alez point hors
  254. Ce n' est a messe.
    ( Le cousin entre dans leur demeure )
  255. LE COUSIN.     Dieu gart ces gens ! Biau cousin, qu' est ce ?
  256. Avez diné ?
  257. LE MARI.     Nanil, cousin, par verité.
  258. Dont venez vous ? conment vous va ?
  259. Savez se rien de nouvel a
  260. Venu au Dan ?
  261. LE COUSIN.     Cousin, il n' i ot puis un an
  262. Tant conme il a de bonnes choses.
  263. Ce m' a mandé par lettres closes
  264. Nostre hoste, si que je conseil,
  265. J' ay ja prest tout mon appareil,
  266. Que sanz delay nous en alons
  267. Par quoy des premiers la soions,
  268. Se bon vous samble.
  269. LE MARI.     Je lo que nous alons ensamble,
  270. Cousin, ou que ce soit diner
  271. Et la pourrons nous ordener
  272. Nostre besoingne.
  273. LE COUSIN.     Or alons doncques sanz esloingne.
  274. Ou sera ce ?
  275. LE MARI.     Chiez Petillon, a la lymace,
  276. Se vous voulez.
  277. LE COUSIN.     Or vous diray que vous ferez.
  278. Prenez ma cousine congié,
  279. Car si tost conme arons mengié,
  280. C' est m' entente, nous en yrons
  281. Sanz retourner et monterons
  282. A Saint Lorens.
  283. LE MARI.     Vous dites bien ; je m' y assens.
  284. ( Se tournant vers la dame et prenant congé d’elle )
    Dame, a Dieu ; en Flandres m' en vois.
  285. Il sera bien avant deux mois
  286. Que je retourne, au mien cuidier ;
  287. Mais, si plaist a Dieu moy aidier,
  288. Je tien nous y arons prouffit.
  289. Gardez tout. A Dieu qui vous fist
  290. Vous conmans, dame.
  291. LA DAME.     Dieu vous ottroit de corps et d' ame,
  292. Mon seigneur, et joie et santé,
  293. Qui vous ramaint par sa bonté
  294. Sain et sauf, sire.

    Scène 6. Le château de la ville.
    ( Entrent le comte, le chevalier, l’avocat, deux sergents d’armes )
  295. LE CONTE.    Or entendez ce que vueil dire.
  296. Seigneurs, il est bien verité
  297. Que je ne puis pas ma conté
  298. Gouverner par moy seulement,
  299. Sanz gens avoir, et mesmement
  300. Pour la terre dont est creue,
  301. Qui de nouvel m' est escheue
  302. Et dont j' ay fait au roy hommage.
  303. Or savez vous, pour mon dommage
  304. Eschiver, j' ay mestier de garde
  305. Qui mes villes justice et garde,
  306. Et qui congnoisse sur mes hommes,
  307. Especialement ceste ou sommes.
  308. Car pour ç' amenez vous y ay
  309. C' un juge establir y voulray.
  310. Si vous pri que vous me doingniez
  311. Conseil et aucun m' enseigniez
  312. Qui bon y soit.
  313. LE CHEVALIER.    De quanque mon cuer en conçoit
  314. Je n' en say nul si bon eslire
  315. Conme seroit le maire, sire,
  316. De Tortevoye.
  317. L' ADVOCAT.    Certes dire aussi le vouloie.
  318. Il est subtilz et cler veant,
  319. Bien entendant et arguant.
  320. Il a biau lengage en la bouche
  321. Et si est sanz nul mal reprouche,
  322. Dont miex le pris.
  323. LE CONTE.    Puis que vous loez qu' il soit pris,
  324. ll me plaist bien certainement.
  325. Alez le querre appertement,
  326. Sergent, alez.
  327. PREMIER SERGENT. D' ARMES.    Il ne fault que plus en parlez,
  328. Sire, je vois sanz plus cy estre.
    ( Le premier sergent s’éloigne en direction du logis du maire )
  329. Aussi scé je moult bien son estre ;
  330. Je le voy ou contre moy vient.
  331. ( Au maire qu’il voit approcher )  Ça, maire, ça, il vous convient
  332. A mon seigneur tantost venir.
  333. Alons men sanz nous plus tenir
  334. Cy par amour.
  335. LE MAIRE.     Sohier, je ne quier cy demour
  336. Faire, puis que vous me hastez.
  337. Alons, je suis touz aprestez
  338. De son gré faire.
    ( Il suit le sergent qui le conduit auprès du comte )
  339. PREMIER SERGENT. D'ARMES.    Mon chier seigneur, vezcy le maire
  340. Que demandez.
  341. LE CONTE.    Bien veigniez, maire : or m' entendez.
  342. Je me lo de vous grandement,
  343. Car servi m' avez loyaument
  344. Tant conme avez esté mon maire,
  345. Et pour ce vous vueil baillif faire
  346. De ceste ville.
  347. LE MAIRE.    Mon chier seigneur, plus de cent mille
  348. Merciz de l' onneur que m' offrez ;
  349. Mais, pour Dieu, que vous en souffrez :
  350. N' en suis pas digne.
  351. LE CONTE.    Je say tant de vostre convine
  352. Et de vostre renom sanz vice
  353. Que je vueil qu' aiez ceste office.
  354. Or paiz atant.
  355. LE CHEVALIER.    Mon seigneur vous fait honneur grant,
  356. Maire, ne la refusez point.
  357. Faites touzjours bien et a point
  358. Et bien arez.
  359. SECOND SERGENT. D' ARMES.    Voire, mais vous nous en donrrez
  360. A boire, maire.
  361. LE MAIRE.    Vous arez, amis debonnaire,
  362. Quanque voulrez.
  363. L' ADVOCAT.    Maire, de ceste honneur pourrez
  364. Encores venir a greigneur ;
  365. C' est l' entente de mon seigneur,
  366. Je vous promet.
  367. LE CONTE.    Par saint George, voirement est,
  368. S' il le dessert, a brief parler.
  369. Or ça, il nous en fault raler
  370. Puis qu' establi bailli l' avons,
  371. Et aux assises revenrons
  372. D' uy en quinzaine.
  373. LE MAIRE.    S' il plaist a Dieu, g' y mettray paine
  374. Telle que g' y aray honneur
  375. Et vous prouffit, mon chier seigneur :
  376. De ce me vent.
  377. LE CONTE.    Bien est ; or tost alez devant.
  378. Sohier, faites nous destasser
  379. Ces gens si que puissions passer
  380. Aisiement.
  381. PREMIER SERGENT. D' ARMES..
    ( Faisant s’écarter la foule sur le passage du comte et de sa suite )
    Voulentiers, sire, vraiement.
  382. Alez arriére sanz delay
  383. Ou vraiement je vous ferray
  384. Sus sanz demour.

    Scène 7. La demeure de la dame, sa chambre. Deux mois plus tard.
  385. LA DAME.    Agnesot, toy pri par amour,
  386. Conseille moy que je feray.
  387. Onques mais enfant ne portay ;
  388. Pour ce me vois je plus doubtant.
  389. Parmy le ventre ay doleur tant
  390. Et par les reins sanz tant d' angoisse
  391. Qu' il m' est avis c' on les me froisse,
  392. Ma doulce amie.
  393. LA CHAMBERIÉRE.    Dame, ne vous decevez mie ;
  394. Mandez la ventriére briefment.
  395. Vous traveilliez certainement,
  396. Bien dire l' os.
  397. LA DAME.    Diex ! Diex ! le ventre ! Dieux ! le dos !
  398. Doulce mére Dieu, que feray ?
  399. Ha ! Dieux ! si grief mal n' enduray
  400. Onques mais jour.
  401. LA CHAMBERIÉRE.    Gençon, sanz plus faire sejour,
  402. Vas tantost la ventriére querre
  403. Et la fay cy venir bonne erre :
  404. Delivres toy.
  405. LE VALLET.    Est ç' ore a certes par ta foy ?
  406. Dy, Agnesot.
  407. LA CHAMBERIÉRE.    Oil : fay la venir tantost
  408. Pour l' amour Dieu.
  409. LE VALLET.    Je n' arresteray point en lieu
  410. Tant qu' en son hostel aie esté.
    ( Le valet se rend chez la sage-femme )

    Scène 8. Chez la sage-femme.
  411. LE VALLET..    Berthe, que Dieu vous doint santé.
  412. Venez a ma dame bonne erre.
  413. Par moy vous a envoié querre,
  414. Car fort travaille.
  415. LA VENTRIÉRE.    Elle n' a garde, non, sanz faille :
  416. Je la vi au moustier orains.
  417. Espoir sant elle mal es rains
  418. Du fais de l' enfant qu' elle porte ;
  419. Si lui est avis qu' elle est morte
  420. Se tantost n' a la sage femme.
  421. Pour ce qu' elle est bien riche dame
  422. Nonpourquant voulentiers iray ;
  423. De li bien payer me feray.
  424. Sa, alons ment
    ( Ils se rendent chez la dame )

    Scène 9. La chambre de la dame et une pièce attenante.
  425. LA DAME.    Mére Dieu, mére Dieu, coment
  426. Passeray ceste douleur cy ?
  427. Tresdoulce mére Dieu, mercy.
  428. Diex ! les rains ! Diex !
  429. LA CHAMBERIÉRE.    Ma dame, je pense c' un fiex
  430. Arez : ce me dit vostre cri.
  431. Pacience aiez, je vous pri,
  432. En vostre mal.
  433. LA DAME.    Ha ! Agnesot, ma suer loyal,
  434. Je croy c' onques mais telle ondée
  435. N' endura femme qui soit née
  436. Com j' ay fait ore.
  437. LA CHAMBERIÉRE.    Ce ne sont que roses encore.
  438. Ma dame, soiez en certaine ;
  439. Car il n' y ara sur vous vaine,
  440. Quant venra a l' enfantement
  441. Qui ne rompe, fors seulement
  442. Du petit doit.
    ( Entre le valet suivi de la sage-femme )
  443. LE VALLET.    Berthe, entrez leens, bon exploit.
  444. Ça demourray.
  445. LA VENTRIÉRE.    Tu diz bien ; je vois sanz delay.
  446. Diex soit seens et saint Mandé.
  447. Dame, vous m' avez demandé ;
  448. Pour ce vien cy.
  449. LA DAME.    Ha ! Berthe m' amie, mercy.
  450. Ne me say conment contenir ;
  451. Je croy que je suis au fenir,
  452. Tant sui malade.
  453. LA VENTRIÉRE.    De dire rondel ne balade,
  454. Dame, ne vous chaille maishuit.
  455. Nous prendrons bien nostre deduit
  456. Ailleurs huy mais.
  457. LA DAME.    Pour Dieu mercy, laissiez m' en pais !
  458. Trop sanz angoisse et grant ahan.
  459. Ami Dieu, sire saint Jehan,
  460. Et vous, mére Dieu debonnaire,
  461. Jettez me hors de ceste haire
  462. Par quelque tour. Diex ! que feray ?
  463. Diex  ! Diex  ! je croy que je mourray
  464. En ceste place.
  465. LA VENTRIÉRE.    Se Dieu plaist, il nous fera grace
  466. Briément et sainte Marguerite,
  467. De qui vezcy la vie escripte :
  468. Mettez sur vous.
    ( Elle lui tend le livre que la dame place sur son ventre )
  469. LA CHAMBERIÉRE..     E ! biau sire Dieux, faites nous
  470. Joieux et de mére et d' enfant.
  471. Trop sueffre angoisse et douleur grant
  472. Iceste femme.
    ( Entre le mari, revenant de son voyage )
  473. LE MARI.. ( Au valet )   Qu' est ce, Gençon ? ou est ta dame
  474. Ne Agnesot ?
  475. LE VALLET.     Mon seigneur, je croy qu' assez tost
  476. Orrez dire qu' enfant avez.
  477. Leens travaille, or le savez,
  478. Grant piéce a ja.
  479. LA CHAMBERIÉRE.  ( Arrêtant le mari sur le seuil de la chambre )
    Mon seigneur, attendez me la ;
  480. Je vois un po a vous parler.
  481. Ne vous en vueillez pas aler,
  482. Sire, depriez nostre dame
  483. Qu' elle vous vueille vostre femme
  484. Sauver lui et sa porteure,
  485. Car elle est en telle aventure
  486. Que se Dieu sa grace n' y met,
  487. Ly et l' enfant, je vous promet,
  488. Sont au morir.
  489. ( Elle rentre dans la chambre )
  490. LE MARI. ( Resté seul )  Elas ! que pourray devenir ?
  491. ( Priant Notre-Dame )  Doulce mére Dieu, je vous proy
  492. De cuer plaise vous sauver moy
  493. Ma doulce compaigne loyal
  494. Et que l' enfant, vierge royal,
  495. Dont travaille puist mettre hors
  496. Sain et sauf, vivant l' ame ou corps,
  497. Si qu' il puist recevoir baptesme
  498. Et de la sainte huile et du cresme
  499. Estre enoint conme crestien,
  500. Et je vous promet une rien
  501. Que pour chose, tant me soit male,
  502. Ne lairay qu' au Puy de la Sale
  503. Ne voise mon corps traveillier
  504. Et en vostre moustier veillier
  505. Com pelerin.
  506. LA DAME.    Dieux ! je croy que suis a ma fin.
  507. Dieux ! Dieux ! or ne say que je face.
  508. E ! mére Dieu, faites moy grace :
  509. Je n' en puis plus.
  510. LA VENTRIÉRE.. ( Ayant délivré la mère de son enfant )
    Or pais, de par le doux Jhesus.
  511. Dame, voz griez maus sont passez.
  512. Vous avez enfant : demandez
  513. Quel enfant c' est.
  514. LA DAME.    Et pour Dieu, mon enfant quel est ?
  515. Dites le moy.
  516. LA VENTRIÉRE.    Dame, par la foy que vous doy,
  517. C' est un biau filz.
  518. LA DAME.    Or en soit loez Jhesu Criz,
  519. Qui par grace li ait donné
  520. A estre de bonne heure né !
  521. Car, mon enfant, il vault miex naistre
  522. De bonne heure que de bons estre,
  523. Selonc m' entente.
  524. LA VENTRIÉRE. ( À la chambrière )
    Agnesot, sanz plus faire attente,
  525. Alon men au moustier errant
  526. Faire crestien cest enfant,
  527. Car au naistre a eu tant paine
  528. Que je ne suis mie certaine
  529. Que guères vive.
  530. LA CHAMBERIÉRE.    Contre ce conseil point n' estrive.
  531. Or alons, Berthe.
  532. LE MARI. ( Abordant la servante quand elle sort de la
    chambre avec la sage-femme tenant l’enfant dans ses bras
    )
    Agnesot, moult es ore apperte.
  533. Conment va, dy ?
  534. LA CHAMBERIÉRE.    Bien, mon seigneur, la Dieu mercy.
  535. Vous avez un fil sanz doubter
  536. Que nous portons crestienner.
  537. Courez devant ; faites ouvrir
  538. L' eglise et les fons decouvrir,
  539. Car besoing est.
  540. LE MARI.    De ce faire suis trestout prest ;
  541. Je vois devant.
    ( Ils vont à l’église et reviennent quelques temps plus
    tard auprès de la dame restée dans sa chambre
    )
  542. LA VENTRIÉRE.    Nous vous rapportons vostre enfant
  543. Crestien, dame ; c' est son preu.
  544. Gardez le bien d' yaue et de feu,
  545. Sy c' on ne vous en puist reprendre,
  546. Set ans, et li faites apprendre
  547. Sa credo et sa patenostre
  548. Pour son honneur et pour le vostre,
  549. Car c' est raison.
  550. LA DAME.    Berthe, je croy bien que c' est mon ;
  551. Si le feray.
  552. LA VENTRIÉRE.    Dame, a Dieu vous conmanderay.
  553. Je vois ailleurs ou l' en m' atent.
  554. Mais revisiter vueil souvent
  555. Ceste maison.
  556. LE MARI. ( À la dame )   Doulce amie, pour l' achoison
  557. De l' aventure ou vous estiez
  558. Ainçois que vous enfantissiez,
  559. Je requis la vierge Marie
  560. Que garant vous fust et amie
  561. Et je son pelerin seroie
  562. S' elle vous delivroit a joie.
  563. Dieu mercy, vous estes delivre
  564. Et si voy vous et l' enfant vivre.
  565. Si vous dy, je ne fineray
  566. Tant qu' ou moustier veillié aray
  567. Nostre dame c' on dit du Puy,
  568. Car vraiement, dame, j' y suy
  569. Par veu tenuz.
  570. LA DAME.    Sire, il me plaist, sanz dire plus,
  571. Quanqu' il vous plaist.
  572. LE MARI.    A Dieu, dame, sanz plus de plait,
  573. Pensez de vous tenir toute ayse.
  574. Je revenray, mais qu' a Dieu plaise,
  575. Avant que relevez, ce croy.
  576. Gençon, tu venras avec moy,
  577. Mais qu' il t' agrée.
  578. LE VALLET.    Mon seigneur, c' est bien ma pensée.
  579. Il ne vous en fault plus parler ;
  580. Seul ne vous lairay pas aler.
  581. Avant, mouvons.
  582. LE MARI.    Alons men, de par Dieu, alons
  583. Puis qu' ainsi est.
    ( Le mari sort accompagné de son valet )
  584. LA CHAMBERIÉRE.    Ma dame, le baing est tout prest
  585. Pour y entrer quant vous plaira.
  586. Je tieng que grant bien vous fera.
  587. Entrez dedans.
  588. LA DAME.    Agnesot, et je m' y assens,
  589. Mais a par moy ne m' y puis mettre.
  590. D' aidier moy te fault entremettre
  591. Tant que g' y soie.
  592. LA CHAMBERIÉRE.    Voulentiers, se Dieu me doint joye.
  593. Ma dame, or sa.
    ( La chambrière conduit sa dame versla cuve du bain )

    ACTE II.
    Scène 1. Le tribunal dans le château.
  594. LE JUGE.    Or me dites conment ce va.
  595. Tristan, trop me puis merveillier.
  596. Je ne voy devant moy plaidier
  597. Cause nulle dont bien me viengne,
  598. Ne ne fis, dont il me souviengne,
  599. Il a ja plus d' un mois entier.
  600. Dites moy, je le vous requier,
  601. Que veult ce dire ?
  602. LE SERGENT.    Ne vous y say respondre, sire,
  603. Foy que vous doy.
  604. LE JUGE.    Et je le sçay bien, par ma foy.
  605. En la taverne despendues
  606. Sont, et en voz bourses pendues,
  607. Sonnant ; et conment ? vez le cy.
  608. Quant d' aucun vous tenez saisy
  609. Qui aucune chose a meffait,
  610. Je say trop bien conment on fait :
  611. Ains que j' en aie congnoissance
  612. Il vous ample de vin la pence
  613. Et vous est la bourse fourrée :
  614. Ainsi m' amende est recelée,
  615. Que point n' en ay.
  616. LE SERGENT.    Sire, par m' ame, je feray
  617. Bon serement c' onques encore,
  618. Puis que sergent sui jusqu' a ore,
  619. Ce que vous dites ne m' avint,
  620. Ne du faire ne me souvint,
  621. Ne je ne quier.
  622. LE JUGE.    Je vous en croy bien, ami chier ;
  623. Voir vous estes le non pareil.
  624. Des autres plus dire n' en vueil ;
  625. Entens a moy ; n' en parlons plus.
  626. Par ceste ville sus et jus
  627. T' en vas tout bellement querant
  628. Un petit homme de corps grant
  629. Vestu d' un royé en travers
  630. Fait de pers rouge et de blanc pers,
  631. C' on appelle Lupin Coquet :
  632. Il a deux bons yex, mais borgne est.
  633. Quant trouvé l' aras, si te peines
  634. Et fai tant que tu le m' amaines
  635. Ou mort ou vif.
  636. LE SERGENT.    Sire, je feray sanz estrif
  637. Vostre conmandement ; c' est droiz.
  638. Dès maintenant enquerir voiz
  639. Ou il demeure.

    Scène 2. La chambre de la dame.
  640. LA DAME. ( Dans la cuve de son bain )
    Agnesot, se Dieu te sequeure,
  641. Or me vas querre mon enfant.
  642. Je sui de li tenir engrant
  643. Dedans ce bain.
  644. LA CHAMBERIÉRE.    Dame, si m' aist saint Germain,
  645. Je ne le feray mie envis,
  646. Mais a tout vostre plain devis ;
    ( La chambrière va prendre le nouveau-né et le remet à sa mère )
  647. Dame, tenez.
  648. LA DAME.    Sa, mon doulx enfant, sa venez.
  649. Ores scez tu que tu feras,
  650. Agnesot ? Bien tost t' en yras
  651. Dire a ma conmére Marie
  652. Que par amour ne laisse mie
  653. Que cy ne viengne, sanz debatre,
  654. Avec moy soy un po esbatre,
  655. Que je l' en pri.
  656. LA CHAMBERIÉRE.     Dame, voulentiers : sanz detri
  657. G' y vois courant.

  658. ( La chambrière sort )

    Scène 3. Une rue de la ville.
  659. LE SERGENT. ( Faisant une halte )    
    J' ay ja grant piéce esté querant
  660. Ce que mon maistre enchargié m' a,
  661. Et si n' en truis ne ça ne la
  662. Nulles nouvelles ; qu' est ce cy ?
  663. Encores veulz j' aler par cy
  664. Tout au lonc enquerre et savoir
  665. Se je le pourroie veoir
  666. Aucunement
    ( Il prend une autre direction )

    Scène 4. La chambre de la dame.
  667. LA DAME. ( Tenant le nouveau-né dans la cuve du bain )
    Mon enfant, je suis malement
  668. Traveillie de toy tenir.
  669. Egar ! que met tant a venir
  670. De la ou est ma chamberiére ?
  671. La male passion la fiére  !
  672. Elle me fait si ennuyer
  673. Qu' il me fault ycy apuier
  674. Pour dormir, tant ay grant sommeil.
  675. Un petit de l' ueil cligner vueil
  676. Tant qu' elle viengne.
    ( La dame s’endort la tête appuyée contre le bord de la cuve et ne
    s’aperçoit pas qu’elle noie le nouveau-né. La chambrière rentre alors
    )
  677. LA CHAMBERIÉRE.    Ma dame, en santé Dieu vous tiengne.
  678. Elle dort, si con m' est avis.
  679. Ou a elle son enfant mis ?
  680. Pas ne le tient. Diex ! que feray ?
  681. Lasse ! lasse ! que devenray ?
  682. Lasse ! son enfant est noyé.
    ( Retirant de la cuve le nouveau-né inanimé )
  683. Lasse ! mal sonmes avoié
  684. Et elle et moy.
  685. LA DAME. ( S’éveillant en sursaut )
    Agnesot, vien avant : dy moy
  686. Qu' est ce ? qu' as tu ?
  687. LA CHAMBERIÉRE. ( Lui montrant le corps de l’enfant
    Dame, nous avons tout perdu.
  688. Vous avez en vostre dormant
  689. En ce bain noié vostre enfant :
  690. C' est grant damage.
  691. LA DAME. ( Poussant des gémissements )
    Ha ! lasse  ! meschant  ! que feray je ?
  692. Lasse ! lasse ! maleureuse !
  693. Lasse ! chetive ! dolereuse !
  694. Ay je mort mon enfant je mismes ?
  695. A ! tresdoulx Dieu, pére hautismes,
  696. Cy a douleur dure et amére
  697. Que l' enfant est mort par la mére
  698. Qui en a fait l' occision.
  699. Certes droite conclusion
  700. Juge en moy qu' ainssi avenra :
  701. La mére pour l' enfant mourra ;
  702. Si seront deux mors assez dures,
  703. Assez miserables et sures.
  704. Lasse ! de quel heure fu née ?
  705. Ma fin de douleur destinée
  706. Est, ce me semble.

    Scène 5. Devant la maison de la dame, puis à l’intérieur.
  707. LE SERGENT. ( Passant dans la rue )
    J' oy haro de femmes ensemble
  708. Leens ; je vueil aler savoir
  709. Se mon maistre y pourra avoir
  710. Une amende a droit ou a tort.
    ( Le sergent entre dans la maison )
  711. Qui veille ceens ne qui dort ?
  712. Y a il ame ?
  713. LA CHAMBERIÉRE.    Oil, sire, moy et ma dame,
  714. Vous plaist il rien  ?
  715. LE SERGENT.    Oil ; mon Dieu, savoir vueil bien
  716. Qu' avez ceens a cy crier :
  717. Ne m' en vueillez le voir nier,
  718. Ou vraiement je t' enmenray
  719. Avec moy et si te mettray
  720. En fort prison.
  721. LA CHAMBERIÉRE.    Certes, sire, par mesprison
  722. Avons ceens un meschief grant :
  723. Ma dame a noyé son enfant
  724. Dont elle gist.
  725. LE SERGENT.    Ne m' en di plus : il me souffist.
  726. Et ou est elle ?
  727. LA CHAMBERIÉRE.    Vez la la en douleur cruelle
  728. Encore en bain.
  729. LE SERGENT. ( Pénétrant dans la chambre )
    Dame, je met a vous la main
  730. De par le baillif mon seigneur,
  731. Et pour plus seurté greigneur
  732. Avoir, entens ça, chamberiére :
  733. Garde bien qu' en nulle maniére
  734. Ta dame de ceens ne parte,
  735. Car sur toy tournera la perte
  736. S' elle se meut.
  737. LA DAME.    Ja doubter ne vous en esteut,
  738. Tristan, n' en suis pas bien aisie.
    ( Le sergent sort )
  739. Sa, vien ; fay que soie couchie,
  740. Agnesot, oste moy de cy.
  741. Mére Dieu, par vostre mercy
  742. Confortez moy.
  743. LA CHAMBERIÉRE.    Dame, pour l' amour Dieu vous proy
  744. Gardez ne vous desesperez,
  745. Mais l' aide Dieu esperez ;
  746. Ce vous conseil.
    ( La chambrière aide la dame à sortir de la cuve et à s’étendre sur son lit )

    Scène 6. Le tribunal.
    ( Entre le sergent )
  747. LE SERGENT.    Sire, un grant fait dire vous vueil.
  748. En alant ou vous m' envoiez
  749. J' ay trouvé c' uns enfes noiez
  750. A esté n' a mie granment
  751. Et de sa mére proprement
  752. Qui encore en gist de jesine.
  753. Si ay d' elle pris la saisine
  754. Et des biens touz.
  755. LE JUGE.    Ou est ce, Tristan, amis douz ?
  756. Savoir le fault.
  757. LE SERGENT. ( Montrant la demeure )
    Sire,c' est a cel hostel hault
  758. Que la veez.
  759. LE JUGE.    Sanz ce que point vous asseez,
  760. Tost menez m' y.
  761. LE SERGENT.    Sire, il me plaist, par saint Remy.
  762. Or me suiez ; devant iray.
    ( Ils sortent )

    Scène 7. La maison de la dame.
    ( Entrent le sergent et le juge )
  763. LE SERGENT.    C' est icy, sire ; j' enterray
  764. Tost avant vous.
  765. LE JUGE.    Amis, de ce sui tout jalous.
  766. Sa, chamberiére, ou est la dame ?
  767. Dy moy verité, par ton ame ;
  768. Ne me mens point.
  769. LA CHAMBERIÉRE.    Par m' ame, elle est en petit point
  770. En son lit, sire.
  771. LE JUGE.    Maine nous y tost sanz plus dire
  772. Isnel le pas.
  773. LA CHAMBERIÉRE.    Venez : ne vous contredy pas,
  774. Sire ; je n' ose.
    ( La chambrière conduit le juge et le sergent
    dans la chambre de la dame
    )
  775. LE JUGE.    Dame, entendez cy une chose
  776. Que je vous bée a pronuncier,
  777. Et ne vous vueilliez courroucier.
  778. En a un enfant mis a mort
  779. Seens, je ne say par quel sort,
  780. Si que savoir vueil qui ç' a fait.
  781. Dame, savez vous de ce fait
  782. Ne tant ne quant ?
  783. LA DAME.     Il me poise que j' en say tant,
  784. Sire, mais il ne peut autre estre.
  785. Ne le vueillez sur ame mettre,
  786. Car en verité j' en descoulpe
  787. Tout le monde : moye est la coulpe,
  788. Ne nulz fors moy coulpe n' y a ;
  789. Je vous diray conment il va.
  790. Je sui une povre acouchée
  791. De grant douleur au cuer touchée.
  792. Ores quant en mon bain entray
  793. Ma chamberiére demanday
  794. Mon enfant avoir pour baignier
  795. Et pour lui ses membres aisier.
  796. Quant je le ting entre mes braz,
  797. Voir est qu' il ne demoura pas
  798. Que de dormir l' affeccion
  799. Me vint par la subgeccion
  800. De l' ennemi : si m' endormi,
  801. Et en dormant mes braz ouvri,
  802. Et mon enfant si m' eschapa :
  803. Ainsi en l' yaue se noya
  804. Par ma meschance.
  805. LE JUGE.    Monstrez le moy sanz detriance.
  806. Ou est il, dame ?
  807. LA DAME.    Sire, je ne say, par mon ame,
  808. Ou il est. Qu' en vault le mentir ?
  809. La douleur que sa mort sentir
  810. Me fait m' est grief tourment et rage.
  811. Lasse  ! je muir ; lasse ! j' enrage,
  812. Quant m' en souvient.
  813. LE JUGE.    Veoir le me fault, c' est pour nient.
  814. Sa, chamberiére, vien avant.
  815. Qu' avez vous fait de cel enfant ?
  816. Ne me mens goute.
  817. LA CHAMBERIÉRE.    Sire, du bain l' ostay sanz doubte.
  818. A jointes mains vous cri mercy.
  819. De bonne foy l' apportay cy
  820. Ou vous le veez.
  821. LE JUGE.    Dame, il fault que vous vous levez.
  822. Vous m' avez dit, bien m' en remort,
  823. Que vous avez cest enfant mort.
  824. Vestez vous tost appertement,
  825. Car vous en venrez vraiement
  826. Com prisonniére.
    ( La dame se lève et sa chambrièrel’aide à se vêtir
    tandis qu’elle rononce la réplique suivante :
    )
  827. LA DAME.    Lasse ! or voy je bien que priére
  828. Cy endroit rien ne me vauldra.
  829. A honte mourir me fauldra :
  830. Nulle riens n' y vault l' estriver.
  831. E ! Diex, com cy a dur lever
  832. Qui ma vie a grief douleur fine !
  833. Onques mais femme de jesine
  834. Ne releva si dolereuse.
  835. Ha ! doulce vierge glorieuse,
  836. Ceste dolente pecheresse
  837. Qui tant a au cuer de detresce,
  838. Par vostre grace confortez.
  839. Car en moy est desconfors telz
  840. Qu' a espoir nul ne me say prendre
  841. Fors de honteuse mort attendre,
  842. Se par vous, vierge, secourue
  843. Ne sui. Sire, je sui vestue,
  844. Puisqu' il vous plaist.
  845. LE JUGE.    Par m' ame, dame, il me desplaist
  846. Qu' il le me convient faire ainsi.
  847. Ore il nous fault partir de cy.
  848. Chamberiére, entens ma raison :
  849. Touz les biens de ceste maison
  850. Et l' ostel aras en baillie.
  851. Sur peine de perdre la vie
  852. Garde que rien n' en soit osté
  853. Tant qu' il ait esté ordené
  854. C' on en fera.
  855. LA CHAMBERIÉRE.    Sire, quanqu' il y est sera
  856. Gardé bien et seurement.
  857. De ce ne doubtez nullement,
  858. S' il plaist a Dieu.
  859. LE JUGE.    Dame, avant, partons de ce lieu :
  860. Avec nous vous en fault venir.
  861. Tristan, vueillez la soustenir
  862. Et la laisse a son aise aler.
  863. Delivre toy sanz plus parler :
  864. Il est ja tart.
  865. LE SERGENT.    Sus, dame, que Diex y ait part.
  866. Alons men tost.
  867. LA DAME. ( Quittant sa chambrière en l’embrassant )
    A Dieu, chiére amie Agnesot :
  868. Tu n' as mais en moy point de dame.
  869. Prie Dieu qu' il ait de mon ame
  870. Mercy, car le corps va a perte.
  871. Tu vois bien que c' est chose apperte :
  872. Jamais cy ne retourneray.
  873. Pour ç' a Dieu te conmanderay,
  874. M' amie chiére.
  875. LA CHAMBERIÉRE.    Lasse, j' ay bien de mate chiére
  876. Faire cause et raison sanz faulte
  877. Pour vous, ma dame. A Dieu. La haulte
  878. Royne d' amour et de grace
  879. A vostre ame vray pardon face,
  880. Se plus n' avez de jours a vivre
  881. Ou briément doint qu' estre delivre
  882. Puissez a joie.
    ( La dame est emmenée par le juge et le sergent au château )

    Scène 8. Le château.
    ( Ils entrent dans la partie où se trouve située la prison )
  883. LA DAME.    Lasse ! chetive ! je soloie
  884. Desirer que Dieu tant m' amast
  885. Qu' enfant concevoir me donnast.
  886. Mais il pert bien que ne savoie
  887. Que c' estoit que je demandoie,
  888. Car par un qu' ay eu tout seul
  889. Me fauldra a honte et a deul
  890. Mourir sur terre.
  891. LE JUGE. ( Montrant la porte d’une cellule )
    Or tost, Tristan, leens l' enserre
  892. Si qu' elle n' ysse.
  893. LE SERGENT.    Sire, je n' ay pas cuer si nice
  894. Qu' ouvert li laisse huis ne fenestre.
  895. Entrez, dame, ycy vous fault estre
  896. Un po de temps.
  897. ( Le sergent ferme la porte à clef )
  898. LA DAME. ( Seule à l’intérieur de la cellule )
    E ! Dieux ! ou sui je ? ou ? tout seens
  899. Ne voi lieu dont clarté me viengne.
  900. Mére Dieu, de moy vous souviengne ;
  901. Dame, trop sui desconfortée :
  902. Onques mais si dure portée
  903. Femme ne porta com j' ay fait.
  904. Ha ! mon bon seigneur, quant ce fait
  905. Sarez, au cuer arez grant rage.
  906. Certes vostre pelerinage
  907. A grant douleur vous tournera,
  908. Mais encore vous doublera
  909. La douleur quant vous orrez dire
  910. La mort amére et le martire
  911. Qu' a souffrir pour ce fait attens,
  912. Ne jamais ne venrez a temps
  913. Que plus vous voie, ami loyal.
  914. Ha !tresdoulce vierge royal,
  915. C' est ce qui plus me desconfit,
  916. Car onques homme tant ne fist
  917. Pour femme conme il a pour moy,
  918. N' onques homme n' ama, ce croy,
  919. Autant femme conme il m' amoit :
  920. Touzjours s' amie me clamoit.
  921. Or est fait : plus ne le verray.
  922. Lasse ! chetive  ! que feray ?
  923. Bien me doit li cuers fondre en lermes,
  924. Car de ma vie est brief li termes
  925. Et la fin honteuse et despite.
  926. Doulce vierge, par ta merite
  927. Estain mon dueil et mon ennuy :
  928. En toy me fy, en toy m' apuy,
  929. Toy de cuer lo et loeray ;
  930. Toy seule gloriffieray,
  931. Car seulement par ta puissance
  932. J' atens a avoir delivrance
  933. Et brief secours.

    Scène 9. Près du château.
    ( Entrent l’avocat, le chevalier, le comte et le sergent d’armes )
  934. LE CHEVALIER.    Mon seigneur, huy a quinze jours
  935. Que vous promistes a venir
  936. En ce chastiau la pour tenir
  937. Voz assises ; il est grant jour.
  938. Alons y sanz faire sejour,
  939. S' il vous agrée.
  940. LE CONTE.    Par foy, c' estoit bien ma pensée ;
  941. Oublié ne l' avoie pas.
  942. Alons y tost ysnel le pas.
  943. Vous deux m' aiderez a jugier.
  944. Alez devant ; alez, Sohier,
  945. Que je vous voie.
  946. LE SERGENT D' ARMES. ( Écartant la foule sur le passage du comte)
    Voulentiers, sire. Faites voie !
  947. Avant ! avant ! sus de cy ! sus !
  948. Par amour, traiez vous en sus
  949. De ce chemin.

    Scène 10. Le château où se tient le tribunal.
    ( Entrent le sergent, le chevalier, le comte, l’avocat ; le bailli les accueille )
  950. LE BAILLIF    Mon chier seigneur, par saint Copin,
  951. Vous soiez li tresbien venuz
  952. Et a grant joie receuz,
  953. Et vous, mes seigneurs, touz ensemble.
  954. Vous n' avez pas, si com me semble,
  955. Esté oblieux de venir
  956. Cy pour voz assises tenir.
  957. Irez seoir ?
  958. LE CONTE.    Oil, baillif ; je vueil veoir
  959. L' entencion et le propos
  960. D' entre vous sur les faiz plus gros
  961. De ceste court.
  962. L' ADVOCAT.    Or nous delivrez brief et court,
  963. Baillif : il en est temps huy mais.
  964. Faites enconmencier les plais.
  965. Or sus ! bonne erre.
  966. SECOND SERGENT. D' ARMES.    Mon seigneur, je vous vueil requerre,
  967. Tandis que serez cy endroit,
  968. Que je voise boire ou que soit :
  969. J' ai soif trop grant.
  970. LE CONTE.    De ce avez vous cuer engrant
  971. Souvent, mon ami, bien le say.
  972. Alez, revenez sanz delay
  973. Yci bonne erre.
    ( Sort le second sergent )
  974. LE BAILLIF. ( Au premier sergent ) Or nous va celle femme querre,
  975. Tristan, que tenons prisonniére.
  976. Je vueil qu' elle soit la premiére
  977. En jugement.
  978. LE SERGENT.    Sire, je vois, se Dieu m' amant.
    ( Le sergent fait sortir la dame de la cellule où elle est enfermée )
  979. Sa, dame, sa, passez avant ;
  980. Yssez hors, n' alez demourant ;
  981. Delivrez vous.
  982. LA DAME.    Tristan, je vois, mon ami doulz.
  983. Que me veult on ?
  984. LE SERGENT.    Alons men sanz arrestoison.
  985. Ge ne le sçay pas bien, par m' ame.
    ( Conduisant la dame vers le bailli et ceux qui l’entourent )
  986. Sire, vezcy la bonne dame
  987. Que demandez.
  988. LE BAILLIF    Mon chier seigneurs, or entendez,
  989. Et vous, mes seigneurs, touz aussi.
  990. Ceste dame que veez cy
  991. A mort un anfant qu' elle avoit
  992. Duquel encore elle gisoit :
  993. Pour ce la tien je prisonniére.
  994. Or dites en quelle maniére
  995. J' en ouverray.
  996. LE CHEVALIER.    Ma sentence vous en diray.
  997. Justice et droiz, qui bien y garde,
  998. Si dient et jugent c' on l' arde :
  999. C' est ce qu' en dy.
  1000. LA DAME.    Ha ! mes seigneurs, mercy ! mercy !
  1001. Ne regardez pas le meffait
  1002. Quel il est, mais conment fu fait,
  1003. En quel lieu, par quelle aventure,
  1004. Afin que de moy creature
  1005. Povre, chetive et miserable
  1006. Chascun ait le cuer piteable
  1007. Aucunement.
  1008. LE CONTE.    Tu diz bien, femme. Or dy conment
  1009. Le fait avint de point en point,
  1010. Et gardes que ne mentez point,
  1011. Car de tant con plus nous diras
  1012. Verité, plus tost grace aras
  1013. D' entre nous touz.
  1014. LA DAME.    Certes creez, mon seigneur doulx,
  1015. Que ja de mot n' en mentiray,
  1016. Mais verité pure diray.
  1017. Il est voir que je me baingnoye
  1018. Conme acouchiée que j' estoye
  1019. D' un filz qui tant m' a donné paine
  1020. Que j' en travaillay bien quinzaine
  1021. Et fu de mort en aventure,
  1022. Pour quoy de cuer par grant ardure
  1023. Mon vray compaignon et ami
  1024. Se voua a aler pour my
  1025. Nostre Dame du Puy requerre.
  1026. Lasse ! pour lui le cuer me serre
  1027. De douleur, et je n' en puis mais,
  1028. Car veoir ne le cuit jamais,
  1029. Et s' est alez pour moy orer.
  1030. Donc doy je bien pour ly plourer.
  1031. Ore de li me tays atant.
  1032. Sire, pour baingnier mon enfant
  1033. Requis, et il me fu baillié,
  1034. Mais mon povre corps traveillié
  1035. Avoie tant et estourmy
  1036. Qu' assez tost après m' endormy
  1037. Ou baing, et l' enfant de mes mains
  1038. M' eschappa. N' y a plus ne mains :
  1039. Il est com je le vous recorde.
  1040. Si vous requier misericorde
  1041. A vous touz ; ne sçay plus que dire,
  1042. Car certes assez me martire
  1043. Le dueil que j' ay.
  1044. LE CONTE.    Remet la en sauf sanz delay,
  1045. Sergent.
    ( Le sergent reconduit la dame dans sa cellule )
    Sa, or parlons ensemble.
  1046. Par foy, biaux seigneurs, il me semble,
  1047. Ce fait est de grant pitié plain,
  1048. Je le vous vueil bien dire a plain ;
  1049. Car c' est dure chose et amére
  1050. A croire qu' avenist a mére
  1051. Qu' a mort mist son enfant jamais
  1052. Ou trop aroit le cuer mauvais,
  1053. Si que je ne m' accorde mie
  1054. Qu' elle perde pour ce la vie,
  1055. Mais c' on li pardoint son meffait,
  1056. Car, par ma foy, elle m' a fait
  1057. Pitié au cuer.
  1058. LE SERGENT. D' ARMES.    Je ne me peusse a nul fuer
  1059. Estre aussi tenuz de plourer.
  1060. Sire, quant je l' oy parler ;
  1061. N' en doubte nulz.
  1062. L' ADVOCAT.    Ore, sire, je sui venuz
  1063. Cy pour ce que je vous conseille.
  1064. Vous dites une grant merveille,
  1065. Et trop grant don voulez donner
  1066. D' un tel fait a plain pardonner,
  1067. Ja soit ce que pour bien le dites.
  1068. En pensez vous a estre quittes,
  1069. Se la quittez ? nanil, par foy ;
  1070. Et vezcy la raison pour quoy :
  1071. Combien, sire, que soiez conte
  1072. Et homme dont on fait grant compte,
  1073. Si est il voir que vous avez
  1074. Souverain, et vous le savez,
  1075. De qui voz fiez sont tuit tenu ;
  1076. Et si tost qu' il ara sceu
  1077. Que vous n' arez justice fait,
  1078. Il mettera la main de fait
  1079. Sur toute vostre seigneurie
  1080. Et si dira, je n' en doubt mie,
  1081. Que de droit li sera acquise.
  1082. Or regardez en quelle guise,
  1083. Sire, vous vous voulez deffaire,
  1084. Se pour pitié laissiez a faire
  1085. Droite justice.
  1086. LE CHEVALIER.    Marie ! je tenrroie a nyce
  1087. Le seigneur, se grace faisoit
  1088. A autruy et soy defaisoit
  1089. Par celle grace.
  1090. LE SERGENT. D' ARMES.    Sire, il vault miex donques c' on face
  1091. Justice, et que point ne tardez,
  1092. Que ce que la terre perdez
  1093. Dont estes conte.
  1094. LE CONTE.    Aussi aym je miex que a honte
  1095. Muire, puis qu' elle a fait le vice,
  1096. Que pour lui ma terre perdisse,
  1097. Se m' aist Diex.
  1098. L' ADVOCAT.    Sire, aussi le vous vault il miex,
  1099. Par verité.
  1100. LE CONTE.    Je conmans qu' il soit endité
  1101. A hault cri, en plain quarrefour,
  1102. Que tantost sanz faire sejour
  1103. De chascun hostel un homme isse
  1104. Qui viengne veoir la justice,
  1105. Et que l' en voit dire au bourrel
  1106. Qu' il s' en voit au devant ysnel
  1107. L' appareil faire.
  1108. LE BAILLIF    Tristan, vaz y tost sanz retraire.
  1109. Tu oz bien que mon seigneur dit.
  1110. Vaz, si le faiz sanz contredit :
  1111. Or t' en avance.
  1112. LE SERGENT.    Je vois, par saint Denis de France ;
  1113. Je sui d' avoir ja fait engrans.
    ( Il sort )

    Scène 11. Une place publique.
  1114. LE SERGENT. ( Faisant sa proclamation )
    Or entendez, petiz et grans,
  1115. Mon seigneur le conte vous mande
  1116. A touz ensamble et si conmande
  1117. De chascun hostel un homme ysse
  1118. Et si s' en viengne a la justice
  1119. Sanz nul demour.
  1120. LE COUSIN.    Tristan, je vous pri par amour
  1121. Que vous me vueillez denuncer
  1122. Qui est ce c' on veult justicer.
  1123. Est ç' homme ou femme ?
  1124. LE SERGENT.    Sire, c' est celle bonne dame
  1125. Qui l' autrier noya son enfant
  1126. Par meschief, dont est pitiez grant.
  1127. Je m' en revois au bourrel dire
  1128. Qu' il appareille et qu' il attire
  1129. Ce qu' il i fault.
  1130. LE COUSIN.    E ! mére Dieu, dame du hault
  1131. Firmament, vezcy grant damage.
  1132. Ceste dame de bon courage
  1133. Estoit et preude femme fine,
  1134. Et par meschief fault qu' elle fine
  1135. Selon le monde a deshonneur.
  1136. E las ! chier cousin, grant doleur
  1137. Arez quant vous sarez cecy.
  1138. Je ne vueil plus demourer cy :
  1139. Aux champs m' en vois bien hors de voie
  1140. A fin telle que ne la voie
  1141. Mener destruire.

    Scène 12. Campagne aux alentours de la ville.
    ( Entrent le mari et son valet )
  1142. LE MARI.    Or nous pouons nous bien deduire
  1143. Desoremais, Gençon amis,
  1144. Car, Dieu mercy, nous avons mis
  1145. Nostre pelerinage a fin.
  1146. Il n' a c' un trop po de chemin
  1147. Jusqu' a l' ostel ; tost y serons ;
  1148. Si pense que nous trouverons
  1149. La relevée de nouvel
  1150. Qui ja nous fera grant revel,
  1151. Et si verray mon petit filz.
  1152. C' est ce qui plus, soiez en fiz,
  1153. Me donne joye.
  1154. LE VALLET.    Par ma foy, mie ne vouldroie
  1155. Pour dix livres de bons deniers
  1156. Qu' il me convenist les centiers
  1157. Raler, sire, dont nous venons.
  1158. Pour Dieu, ce chemin affinons
  1159. Isnel le pas.
  1160. LE MARI.    Or escoute : tu t' en yras
  1161. A mon cousin tout seul devant
  1162. Et li diras que je li mant
  1163. Que l' estat de maison me mande
  1164. Tout, et a li me reconmande
  1165. Assez de fois.
  1166. LE VALLET.    Voulentiers, mon seigneur, g' y vois
  1167. Sanz targier point.
    ( Le valet se sépare de son maître )

    Scène 13. La place publique et le tribunal.
  1168. LE SERGENT. ( Voyant arriver le bourreau )
    Raoulet, je te truis bien a point.
  1169. Vas, si apreste ton affaire,
  1170. Car tantost fault justice faire
  1171. De celle femme qui noya
  1172. Son enfant, dont arse sera.
  1173. Or t' en depesche.
  1174. LE BOURREL.    Il ne m' y fault hoe ne besche.
  1175. Alez dire au baillif j' aray
  1176. Fait en l' eure, et qu' a ly iray
  1177. Tout maintenant.
  1178. LE SERGENT.    Or fay tost :je m' en vois devant.
    ( Le bourreau va dresser le bûcher ; le sergent revient
    au tribunal, devant le bailli et les autres juges
    )
  1179. Mes seigneurs, le bourrel ara
  1180. En l' eure fait, puis il venra
  1181. Icy, ce dit.
  1182. LE BAILLIF.    Nous l' attenderons un petit,
  1183. Puis qu' ainsi va.

    ACTE III.
    Scène 1. Campagne aux alentours de la ville. Une chapelle.
    ( Le valet s’avance, tandis que lemari est resté à l’arrière )
  1184. LE VALLET.    Il me semble que je voy la
  1185. Le cousin mon maistre ; c' est mon.
  1186. A li vois sanz arrestoison.
  1187. ( Abordant le cousin ) Dieu vous gart, sire.
  1188. LE COUSIN.    Dieu te doint bien faire et bien dire,
  1189. Gençon. Qu' est ce  ? ou est mon cousin  ?
  1190. N' est il pas venu le chemin
  1191. Avecques toy ?
  1192. LE VALLET.    Si est, sire, foy que vous doy.
  1193. Je l' ay laissié bien près de cy.
  1194. Si vous prie, pour Dieu mercy,
  1195. Qu' avant qu' il se face apparoir
  1196. Que l' estat li faciez savoir
  1197. De sa femme et de son hostel
  1198. Et s' il y a rien de nouvel
  1199. Ou mal ou bien.
  1200. LE COUSIN.    Gençon, je ne t' en diray rien,
  1201. Mais avec toy a lui yray,
  1202. Car telle chose li diray
  1203. Que je ne te diroie pas.
  1204. Alons nous ent ysnel le pas
  1205. Sanz plus cy estre.
  1206. LE VALLET.    Alons, sire.
    ( Ils se dirigent vers le mari qui attend )  
    Veez vous mon maistre
  1207. Par devant nous ?
  1208. LE COUSIN.    Oil, Gençon, mon ami doulx.
  1209. A li m' en vois sanz demourée.
  1210. Abordant le mari ) Biau cousin, la vierge honnorée
  1211. Soit loée : en bon point vous truis.
  1212. Conment vous a esté depuis
  1213. Que ne vous vi ?
  1214. LE MARI.    Tresbien, cousin, par saint Remy.
  1215. Et vous, avez vous se bien non ?
  1216. Conment le fait on en maison ?
  1217. Ne me mentez.
  1218. LE COUSIN.    Je le vous diray, s' acoutez.
  1219. Je ne vueil point, se Dieu me voie,
  1220. Que vous aillez par ceste voie :
  1221. De ça tournons.
  1222. LE MARI.    Cousin, en mon hostel serons
  1223. Plus tost par cy.
  1224. LE COUSIN.    Vous n' irez pas, je vous en pri.
  1225. Or me creez.
  1226. LE MARI.    Vous me samblez touz effraez.
  1227. Pour Dieu, dites moy, qu' y a il ?
  1228. Vous doubtez vous d' estre en peril
  1229. Contre nul ame ?
  1230. LE COUSIN.    Nanil, cousin, par nostre dame,
  1231. Ne ne fis onques.
  1232. LE MARI.    Aucune chose y a il donques
  1233. Qui ne va mie bien a point.
  1234. Je vous pri, ne m' en mentez point ;
  1235. Dites m' en voir.
  1236. LE COUSIN.    C' est nient ; il le vous fault savoir.
  1237. Cousin, venez vous en, venez.
  1238. Certes point de femme n' avez
  1239. Ne point d' enfant.
  1240. LE MARI.    Las  ! qu' est ce que m' alez disant,
  1241. Cousin ? Vezcy parole amére.
  1242. Ay je perdu et filz et mére
  1243. Trestout ensemble ?
  1244. LE COUSIN.    Oil voir, cousin, ce me semble :
  1245. Ainsi est il.
  1246. LE MARI.    Elas  ! chetif ! par quel peril ?
  1247. Que je le sache.
  1248. LE COUSIN.    Certes avis m' est c' on me sache
  1249. Le cuer, tant ay dueil et hachie
  1250. Quant il fault que je le vous die.
  1251. Vezcy tout le fait. Ma cousine
  1252. Baignoit un jour de sa gesine,
  1253. Et son enfant avecques li :
  1254. En baingnant elle s' endormy,
  1255. Et l' enfant si lui eschapa
  1256. Des mains si qu' ou bain se noya.
  1257. Le haro conmença si grant
  1258. Que la justice y vint errant.
  1259. Prise fu ; a mort est jugée,
  1260. Maintenant sera amenée
  1261. Ardoir : n' en vault riens le mentir.
  1262. Pour ce n' ay volu consentir
  1263. Que ce chemin la alissiez
  1264. Afin que ne l' encontrissiez.
  1265. Or savez du fait l' aventure.
  1266. Si vous pri pour la vierge pure
  1267. Gardez ne vous desconfortez,
  1268. Mais prenez en vous confors telz
  1269. Que vostre ame en puist valoir miex,
  1270. Et dites que loé soit Diex
  1271. De quanqu' il fait.
  1272. LE MARI.    Elas ! chetif ! qu' ay je meffait
  1273. A vostre filz, vierge Marie ?
  1274. Je croy qu' il ne soit homs en vie
  1275. Plus maleureux que je sui.
  1276. Elas ! je cuidoie au jour d' uy
  1277. Avoir un jour plain de leesse,
  1278. Mais je l' ay plain de grant tristesse.
  1279. Ha ! compaigne loyalle et vraie,
  1280. Ta mort trop me tourmente et plaie
  1281. Quant par tel meschief je te pers,
  1282. Car tes tourmens qui sont apers
  1283. Aus gens me sont aussi ou cuer
  1284. Et m' engoissent si pour toy, suer,
  1285. Qu' a paine sçay je mais parler.
  1286. Las ! quelle part pourray aler ?
  1287. Las ! qui me reconfortera ?
  1288. Las ! conment sanz mort portera
  1289. Mon povre cuer le dueil que j' ay ?
  1290. Las ! se m' esbahis et esmay,
  1291. N' est de merveille.
  1292. LE COUSIN.    Soufrez, cousin, c' on vous conseille.
  1293. Biau sire, je vous cri mercy.
  1294. Venez ent sanz plus estre cy
  1295. Ou vous mainray.
  1296. LE MARI.    Certes, biau cousin, je n' iray
  1297. En maison nulle, tant soit belle,
  1298. Devant ce qu' en celle chappelle
  1299. Aie esté encore une piéce ;
  1300. Mais que jamais ne vous meschiéce,
  1301. Alez veoir ma povre femme
  1302. Et me rapportez, par vostre ame,
  1303. Ce que pourrez de ses regrez,
  1304. Car du savoir ay cuer engrez,
  1305. Et la maniére de sa fin.
  1306. Je vous attenderay, cousin,
  1307. Droit la dedans.
  1308. LE COUSIN.    Cousin, je feray sanz contens
  1309. Vostre plaisir ; c' est de raison.
  1310. Va t' en avecques lui, Gençon :
  1311. Point ne le laisse.
  1312. LE VALLET.    Nanil, tant qu' en telle tristesse
  1313. Je le voie estre.
    ( Le cousin se retire. Le mari et sonvalet entrent dans la chapelle )
  1314. LE MARI. ( Priant la Vierge Marie ) E ! dame, de qui daigna naistre
  1315. Li Diex qui toute chose a fait,
  1316. Qui tant en grace t' a parfait
  1317. Qu' en corps et en ame t' a mis
  1318. Lassus en son hault paradis
  1319. Ou de touz sains es honnorée,
  1320. Des anges servie et loée
  1321. Conme leur dame et leur maistresse,
  1322. Dame, moi qui sui en tristesse
  1323. Et en desconfort sanz mesure,
  1324. Regarde en pitié, vierge pure,
  1325. Car a toy seule me demente,
  1326. A toy me complain et lamente
  1327. Com cil qui en affliccion
  1328. Est d' amére compunccion.
  1329. Qu' en puis je mais, vierge Marie ?
  1330. J' ay desiré toute ma vie
  1331. Que ta grace a ce m' avoyast
  1332. Que Diex un enfant m' envoyast.
  1333. Mais se par toy m' a entendu,
  1334. Cest enfant m' est trop chier vendu,
  1335. Car onques a pére n' a mére
  1336. Ne donna fors qu' angoisse amére
  1337. Et bien y pert, vierge pucelle,
  1338. Car par lui muert a honte celle
  1339. Qu' ay espousé par mariage,
  1340. Dont a po que de dueil n' enrage
  1341. Et que mon cuer par my ne créve,
  1342. Tant me tourmente et tant me gréve
  1343. La paine qu' il ly fault encourre.
  1344. Las ! et je ne sçay ou recourre
  1345. Qu' a toy, fontaine de pitié.
  1346. Si te pri que de t' amistié
  1347. Monstre aucun petit a ce las
  1348. Que toute joie et touz soulas
  1349. Ont eslongié.

    Scène 2. Le Paradis.
  1350. NOSTRE DAME.    Chier filz, donne moy le congié
  1351. Que la jus voise visiter
  1352. Un mien ami que lamenter
  1353. Voy sanz mesure.
  1354. DIEU.    Chiére mére, bonne aleure
  1355. Alez y, car il me plaist bien.
  1356. Vostre vouloir si est le mien ;
  1357. Vous le savez.
  1358. NOSTRE DAME.    Or sus, Jehan, de cy levez,
  1359. Et vous, Eloy, Agnés, et vous.
  1360. Venez avec moy la jus tous
  1361. Par compagnie.
  1362. SAINT JEHAN .   Ce ne refuseray je mie,
  1363. Dame, mais a vostre plaisir
  1364. Sui de touz poins prest d' obeir :
  1365. C' est de raison.
  1366. SAINT ELOY.    Nous ne pouons sanz mesprison
  1367. De ce, Jehan, nous excuser.
  1368. Aussi vueil je sanz refuser
  1369. Son vouloir faire.
  1370. NOSTRE DAME.    Or tost, alons men sanz retraire
  1371. Droit a celle chappelle la.
  1372. Un mien loyal sergent y a
  1373. Que je voi trop desconforter,
  1374. Si que pour li reconforter
  1375. A li yrons.
  1376. LE PREMIER ANGE.    Dame, vostre vouloir ferons :
  1377. Il appartient.
  1378. SECOND ANGE.    C' est bien dit, et puis qu' a ce vient,
  1379. Alons men chantant touz ensemble,
  1380. C' est bien a faire, ce me semble,
  1381. Ce rondel qui est bel et dous.
  1382. LE RONDEL.    Royne des cieulx, qui en vous
  1383. Servir met son entencion
  1384. Moult fait bonne opperacion.
  1385. Quanque pour vous fait li est doulz
  1386. Et plaisant sanz confusion.
  1387. Royne des cieulx, qui en vous
  1388. Servir met son entencion
  1389. Dieu a ami et les sains touz,
  1390. Et si noble perfeccion
  1391. Que de gloire a refeccion.
  1392. Royne des cieulx, qui en vous
  1393. Servir met son entencion,
  1394. Moult fait bonne opperacion.
    ( Notre-Dame descend du Paradis accompagnée des deux
    anges chantant ce rondeau et des deux saints Jean et Eloi
    )

    Scène 3. La chapelle.
    ( Notre-Dame et son cortège pénètrent dans la chapelle )
  1395. NOSTRE DAME. ( Au mari ) Amis, ta lamentacion
  1396. Laisse ester huymais par amour.
  1397. Trop longuement y faiz demour.
  1398. Met toy en pais.
  1399. LE MARI.    Helas ! dame, je n' en puis mais
  1400. Se je pleure et suis esbahiz,
  1401. Car de douleur suis envahiz
  1402. Dure et cruelle.
  1403. NOSTRE DAME.    Et pour Dieu, mon chier ami, quelle ?
  1404. Dites le moy.
  1405. LE MARI.    Las ! a po que je ne marvoy.
  1406. Dieux m' avoit fait grace si grant
  1407. Qu' il m' avoit donné un enfant
  1408. D' une femme qu' espousé ay
  1409. Si bonne que meilleur ne say,
  1410. Et s' estoit quanque desiroie.
  1411. Las ! mais j' en ay petite joye,
  1412. Car l' aventure est si amére
  1413. Que noyé l' a sa propre mére,
  1414. Qui encore de lui gisoit,
  1415. Ou baing ou elle se baingnoit
  1416. Pour ce que s' endormi ou baing.
  1417. Or l' a pris justice en sa main
  1418. Et sy est jugée a ardoir
  1419. En l' eure. Doi je bien avoir
  1420. Grant douleur ? dites me voir, dame.
  1421. Mon enfant voy mort par ma femme,
  1422. Qui me met en affliccion,
  1423. Et si voy qu' a destruccion
  1424. Ma femme muert pour son enfant.
  1425. Ou est le cuer qui ne me fend
  1426. De dueil, d' angoisse et de meschief ?
  1427. Lever n' oseray mais le chief
  1428. Contre ame née.
  1429. NOSTRE DAME.    Mon ami, ceste destinée,
  1430. Je te promet, n' est qu' une espreuve,
  1431. Et te dy bien, se Dieu te treuve
  1432. Souffrant en ceste adversité,
  1433. Doulcement croy pour verité
  1434. Que telle joie te donrra
  1435. Qui contre ton duel doublera
  1436. Pour tout certain.
  1437. LE MARI.    Dame, tout est dessoubz sa main :
  1438. Or en face a son saint plaisir.
  1439. Je ne vueil riens ne ne desir
  1440. Que son vouloir.
  1441. NOSTRE DAME.    S' ainsi le fais, tu fais savoir ;
  1442. Et si te dy qu' il avenra
  1443. Que ta besongne a bien venra
  1444. Si que t' en tendras pour contens.
  1445. Ralons nous en : il en est temps
  1446. Trestouz ensemble.
  1447. SAINT ELOY.    Dame, bien dites, ce me semble :
  1448. Je m' y accort.
  1449. SAINT JEHAN.    Faisons donc encore un recort
  1450. En alant de nostre rondel.
  1451. Il me samble de chant tresbel
  1452. Et bon aussi.
  1453. LE PREMIER ANGE.    Conmençons au partir de cy
  1454. Car je sui de chanter jalous.
  1455. RONDEL.    Dieu a ami et les sains touz
  1456. Et si noble perfeccion.
    ( Les deux anges et les deux saintsraccompagnent
    Notre-Dame au Paradis en chantant ce rondeau )
  1457. LE MARI.    Diex ! est ce songe ou vision ?
  1458. Qu' est la dame ore devenue
  1459. Qui cy endroit estoit venue ?
  1460. Elle s' en va soudainement.
  1461. Perdue l' ay, ne say conment,
  1462. Mais doulcement m' a conforté
  1463. Et si doulcement enorté
  1464. Que pour s' amour cy demourray
  1465. Et la grace a Dieu requerray
  1466. Que m' a promise.

    Scène 4. Place publique.
    Foule. Un bûcher est dressé.
  1467. LE BOURREL.    Mes seigneurs, s' il vous plaist que mise
  1468. Soit huy celle femme a sa fin,
  1469. Temps en est, s' aucun n' a affin
  1470. Qui la requiére.
  1471. LE CONTE.    Je n' en feray riens pour proiere.
  1472. Avant ! traiez la de prison,
  1473. Et si soit sanz arrestoison
  1474. Menée ardoir.
  1475. LE SERGENT.    Mon seigneur, a vostre vouloir :
  1476. En l' eure je la vous vois querre.
    ( Le sergent fait sortir la dame de prison )
  1477. Sa, dame, yssez de cy bonne erre.
  1478. Venez avant.
  1479. LA DAME.    Je vois. Diex, a vous me conmant
  1480. Et en vostre saintisme garde ;
  1481. Sire, mon corps deffens et garde
  1482. De mort vilaine.
    ( Le sergent conduit la dame devantle bailli et le comte )
  1483. LE SERGENT.    Vezcy la femme que j' amaine
  1484. Devant vous, sire.
  1485. LE BAILLIF.    Dame, n' y vault riens contredire :
  1486. Il vous convient mort recevoir.
  1487. Bourrel, fai de li ton devoir.
  1488. Je ne vous say miex conseillier.
  1489. Priez Dieu qu' il vous vueille aidier
  1490. Et vous doint pacience, dame,
  1491. Telle que ne perdez pas l' ame
  1492. Avec le corps.
  1493. LA DAME.    Ha ! tresdoulx Dieu misericors,
  1494. Se d' angoisse le cuer me fault,
  1495. Qu' en puis je mais, quant il me fault
  1496. Ce monde a honte trespasser ?
  1497. He  ! seigneurs, se ne puis passer
  1498. Qu' il ne me conviengne destruire,
  1499. Pour Dieu, faites que bien tost muire
  1500. A ce que par longue doulour
  1501. Ne renie mon creatour,
  1502. Je vous en pri.
  1503. LE CONTE.    Menez la vous deux sanz detri.
  1504. Oz tu, Tristan, et toy, bourrel  ?
  1505. Nous irons après vous ysnel :
  1506. Alez devant.
  1507. LE BOURREL.    Or sa, dame, passez avant :
  1508. Cy ne nous pouons plus tenir.
  1509. A vostre fin vous fault venir.
  1510. Priez ces gens que pour vous prient
  1511. Et que leurs patenostres dient
  1512. Chascun pour vous.
    ( Le bourreau lie la dame et la conduit vers le bûcher ;
    le bailli, le chevalier et le comte les suivent
    )
  1513. LA DAME.    A Dieu, a Dieu, mes amis touz,
  1514. Par especial mon ami,
  1515. Mon loyal seigneur, mon mari !
  1516. Lasse  ! se veoir le peusse
  1517. Plus aisiement en morusse.
  1518. Or ne peut estre, bien le voy.
  1519. E ! bonne gent, priez pour moy
  1520. Que Dieu me soit si vray affin
  1521. Que m' ame prengne a bonne fin,
  1522. Car certes j' en ay bien mestier.
  1523. ( S’arrêtant, au comte ) Sire conte, je vous requier
  1524. Et vous pri pour l' amour de Dieu
  1525. Qu' arrestons ycy en ce lieu
  1526. Et que me fassiez ceste grace
  1527. Qu' avant ce que plus oultre passe
  1528. Que je voie la creature
  1529. Pour qui je vois a tel laidure
  1530. Recevoir mort.
  1531. LE CONTE.    Certes, femme, je le t' accort.
  1532. Or tost, tost, Tristan, vaz le querre
  1533. Et le m' apporte cy bonne erre,
  1534. Si le verra.
  1535. LE SERGENT.    Je feray ce qu' il vous plaira,
  1536. Mon chier seigneur ; j' y vois suiant.

  1537. ( Le sergent va chercher le corps de l’enfant et le présente au comte )
  1538. Tenez, sire, vezcy l' enfant
  1539. Que demandez.
  1540. LE CONTE.    Monstrez li, baillif : n' atendez
  1541. Ne tant ne quant.
  1542. LE BAILLIF. ( Montrant le corps de l’enfant à la dame )
    Ores, femme, vezcy l' enfant
  1543. Que tu demandes a veoir,
  1544. Que tu as mort. Or me dy voir
  1545. Qu' en veulz tu faire ?
  1546. LA DAME.    Ha ! cher sire, vueille vous plaire
  1547. Que tenir le puisse un petit
  1548. Et baisier pour mon appetit
  1549. Ressasier.
  1550. LE BAILLIF    Je ne le te vueil refuser :
  1551. Tien, voiz le cy.
  1552. LA DAME. ( Pressant l’enfant contre elle, prisonnière de ses liens )
    E  ! doulx enfes, Diex ait mercy
  1553. De t' ame et de la moie ensemble.
  1554. Bien m' est changée, ce me semble,
  1555. La joye que de toy avoie
  1556. Quant en mon ventre te portoye
  1557. Jusqu' a tant que j' en traveillay.
  1558. Mais dès lors pour toy enduray
  1559. Tant de paine et tant de martire
  1560. Qu' il n' est homs qui le peust dire
  1561. Jusques a l' eure de ton naistre.
  1562. ( Priant Notre-Dame ) Ha ! mére au tresdoulx roy celestre,
  1563. Je vous rens graces, c' est droiture.
  1564. J' ay moult de foiz mis cuer et cure
  1565. En vous prier que m' oissiez
  1566. A ce qu' enfant me donnissiez,
  1567. Car d' enfant avoir j' esperoie
  1568. Que me venist solaz et joie ;
  1569. Mais, dame, s' il vous a pleu
  1570. Que j' aye cestui cy eu,
  1571. Si voy je qu' il est du contraire,
  1572. Car pour lui me voy a mort traire,
  1573. A mort, lasse  ! voire honteuse
  1574. Et si laide et si angoisseuse
  1575. Que du penser m' esbahis toute.
  1576. Or est la compagnie route
  1577. De ton pére et de moy par toy,
  1578. Doulx enfes, certes mais par moy,
  1579. Si est bien droiz que le compére.
  1580. Vray Dieu, reconfortez le pére,
  1581. Car a plourer ara assez
  1582. Quant nous deux verra trespassez
  1583. Et il y ara bien raison.
  1584. En plourant, mon doulx enfançon,
  1585. Te vueil baisier, puis te lairay
  1586. Et pour ta mort morir iray,
  1587. Chétive  ! lasse < ( Yci crie l' enfant) >
    ( Elle fait un baiser à l’enfant qui se met aussitôt à pleurer )
  1588. Mon seigneur, regardez la grace
  1589. Que Dieu et la vierge Marie
  1590. Ont cy fait. L' enfant si a vie :
  1591. Oez le braire.
  1592. LE CONTE.    Ha ! doulce vierge debonnaire,
  1593. Vous doit on servir et loer,
  1594. Vous doit on de cuer aorer,
  1595. Car a ceulx qui a vous s' otrient
  1596. Estes, puis que de cuer vous prient,
  1597. Appareillie.
  1598. L' ADVOCAT.    Sire, conmandez c' on deslie
  1599. La femme et qu' a plain soit delivre,
  1600. Puis que nous veons l' enfant vivre :
  1601. Il appartient.
  1602. LE BAILLIF.    Vous dites voir : aussi convient
  1603. Quant elle sera deliée
  1604. Qu' elle soit au moustier menée
  1605. Pour la mére Dieu mercier
  1606. De ses vertuz et li loer
  1607. De sa tresgrant misericorde.
  1608. Bourrel, oste li celle corde
  1609. Dont tu l' as si estroittement
  1610. Liée : fay appertement
  1611. Conme ligiers.
  1612. LE BOURREL.    Par m' ame, sire, voulentiers,
  1613. N' en doubtez pas.
    ( Le bourreau délie la dame )

    Scène 5. La chapelle.
    ( Le cousin entre dans la chapelle et réveille le mari qui s’y est endormi )
  1614. LE COUSIN.    Sus, cousin, sus, ysnel le pas.
  1615. C' est trop dormy.
  1616. LE MARI.    Las  ! j' ay le cuer si estormi
  1617. Et si pesant, au dire voir,
  1618. De dueil que je ne sçay avoir
  1619. En moy maniére.
  1620. LE COUSIN.    Biau cousin, faites lie chiére.
  1621. Vostre femme ne mourra mie,
  1622. Car sachiez vostre enfant a vie.
  1623. Telles vertuz y a fait Diex
  1624. Dont tout le monde pleure aux yex
  1625. De pitié pour la grant merveille.
  1626. Il a couleur aussi vermeille
  1627. Conme belle rose en esté,
  1628. Et si vous di pour verité
  1629. Vostre femme mort le tenoit
  1630. Et en pleurant se complaignoit
  1631. De la doulour qu' avoit pour li.
  1632. Si avint, chier cousin, qu' ainsi
  1633. Qu' elle le cuida mort baisier
  1634. Pour sa douleur amenuisier
  1635. Et pour y prendre aucun confort,
  1636. L' enfant s' escria bien et fort
  1637. A haulte alaine.
  1638. LE MARI.    Ha ! mére Dieu de grace plaine,
  1639. Des desolez conforterresse,
  1640. Qui es des desvoiez adresse
  1641. Et de ceulx qui ont esperance
  1642. En toy salut et vraie aidance,
  1643. Toute belle de corps et d' ame,
  1644. Je te mercy, tresdoulce dame,
  1645. Je te lo, je te glorify
  1646. De tout mon cuer te magnify
  1647. Pour les graces et le bienfait
  1648. Qu' autre foiz et ores m' as fait.
  1649. Par toy suis hors de grant tristesse,
  1650. Par toy ay recovré leesse
  1651. Plus que mon cuer ne peut comprendre.
  1652. Cousin, je ne puis plus attendre
  1653. Que ne voise veoir ma femme,
  1654. Puis que Dieu de si grief diffame
  1655. L' a delivrée.
  1656. LE COUSIN.    Or alons donc sanz demourée :
  1657. Il me plaist bien.
    ( Le mari suit son cousin sur la place où le bûcher a été dressé )

    Scène 6. La place publique. Foule.
  1658. LE BOURREL. ( Montrant au comte la dame qu’il a déliée )
    Sire, entour li n' a mais du mien
  1659. Corde ne fil.
  1660. LE CONTE.   Il me plaist bien.Ores, femme, de grant peril
  1661. Es eschapée, bien le voiz.
  1662. Toute ta vie a Dieu en doiz
  1663. Grant guerredon.
  1664. LA DAME.    Certes, sire, je li fais don
  1665. De moy toute desoremais.
  1666. Sa serve vueil a touzjours mais
  1667. Estre, car faire ne puis miex,
  1668. Et a celle qui est des cieulx
  1669. Dame royal.
    ( Entrent le mari et son cousin )
  1670. LE MARI. ( Embrassant son épouse )
    Ma suer, ma compaigne loyal,
  1671. M' amie chiére, acole moy.
  1672. Certes, j' ay moult esté pour toy
  1673. Plain de tristesce.
  1674. LA DAME. ( L’embrassant à son tour )
    E ! Diex, or double ma leesce.
  1675. Mon chier seigneur, mon ami dous,
  1676. Voir quant il m' a membré de vous
  1677. Plus grief douleur au cuer sentoie
  1678. Que de la mort que j' atendoie,
  1679. Ce m' est avis.
  1680. LE CHEVALIER.    Bourrel, sanz plus faire devis,
  1681. Puis que tu as cy fait, va t' en ;
  1682. ( Au sergent ) Mais demeure avec nous, Tristan.
  1683. Dame, plus ycy ne parlez :
  1684. Droit au moustier vous en alez
  1685. Mercier la vierge Marie
  1686. Et nous vous tenrons compagnie
  1687. De cuers entiers.
  1688. LA DAME.    Sire, bien dites : voulentiers
  1689. Faire vueil quanque conmandez.
  1690. Mon seigneur, avec moy venez,
  1691. S' il vous agrée.
  1692. LE MARI.    Dame, alons, c' est bien ma pensée.
  1693. Je ne m' en tenroie a nul fuer.
    ( Tous les personnages présents se rendent à l’église, suivis de la foule )

    Scène 7. L’église dédiée à Notre-Dame.
    ( Tous entrent dans l’église )
  1694. LE MARI.    Or ça, mercions ci de cuer
  1695. Devant ces femmes et ses hommes
  1696. La mére Dieu, puis que nous sommes
  1697. En son eglise.
  1698. LA DAME.    Sire, faire vueil sanz faintise
  1699. Vostre conmandement : c' est droiz.
  1700. Vierge mére au doulx roy des rois,
  1701. Dame de la terre et du ciel,
  1702. Doulce en penser plus que nul miel,
  1703. De tout mon cuer je te graci,
  1704. De tout mon pouoir te mercy,
  1705. Quant tu m' as daingnié regarder
  1706. Et de honteuse mort garder,
  1707. Si est bien droiz que je te serve.
  1708. Pour ce desoresmais ta serve
  1709. Vueil estre par especial
  1710. Et moy toute, vierge royal,
  1711. A toy donner.
  1712. LE MARI.    E ! vierge, qui guerredonner
  1713. Te pourroit en nulle maniére
  1714. Si grant bonté ne si entiére
  1715. Conme tu m' as fait, doulce dame ?
  1716. Tu m' as delivrée ma femme
  1717. De mort telle con scet chascun,
  1718. Et a l' enfant dont n' avons qu' un
  1719. Qui par la mére estoit ja mors,
  1720. As mis la vie arriére ou corps,
  1721. Vierge pucelle.
  1722. LE CONTE.    Biau preudon, puis que vezcy celle
  1723. Que tu diz qui est t' espousée,
  1724. Combien qu' ait esté opposée
  1725. A mourir de nous par son fait,
  1726. Pardonné li est son meffait
  1727. Et pure ynocent la te rens
  1728. Devant toutes ces bonnes gens,
  1729. Car a Dieu plaist, si con me semble,
  1730. Que vous soiez encore ensamble :
  1731. Or vous maintenez saintement.
  1732. Avant ! biaux seigneurs, alons ment
  1733. Et les laissons.
  1734. L' ADVOCAT.    Mon seigneur, vo vouloir ferons :
  1735. Il appartient.

  1736. ( Le comte et son entourage sortent de l’église ;
    la dame et son mari les suivent
    )
  1737. LE MARI. ( Arrêtant le bailli ) Sire baillif, un mot pour nient :
  1738. Je vous suppli que m' entendez.
  1739. Assez evidanment savez
  1740. L' onneur, le bien, la courtoisie
  1741. Que m' a fait la vierge Marie,
  1742. Et certes se je l' oublioie
  1743. Assez plus que mauvais seroye.
  1744. Mais, sire, ce n' est pas m' entente,
  1745. Ainçois vueil mouvoir sanz attente
  1746. De cy, ne je ne fineray
  1747. Jamais tant que requis l' aray
  1748. (Ne m' en face nul contredit)
  1749. En un lieu moult devot c' on dit
  1750. Nostre Dame de Fineterre ;
  1751. Et pour ce je vous vueil requerre
  1752. Que de mon enfant curateur,
  1753. Se je muir, soiez et tuteur,
  1754. Vous ( Montrant son cousin ) et mon cousin qui cy est ;
  1755. Et dès maintenant mes biens met
  1756. Touz en voz mains.
  1757. LA DAME.    Sire, il n' y a ne plus ne mains :
  1758. Se Dieu plaist, n' irez pas sanz moy,
  1759. Car j' ay cause aussi bien pour quoy
  1760. Je doie mon corps traveillier
  1761. Con vous avez : si vous requier
  1762. Qu' avec vous aille.
  1763. LE MARI.    Pour Dieu, doulce suer, ne vous chaille
  1764. De venir y, car c' est trop loing,
  1765. Et trop vous convendroit grant soing
  1766. Prendre et grant cure.
  1767. LA DAME.    J' ay fiance en la vierge pure
  1768. Qu' elle touzjours m' aidera.
  1769. Voit ainsi conme aler pourra,
  1770. Certes g' iray.
  1771. LE MARI.    Dame, pas ne vous desdiray.
  1772. Or paiz atant : laissons l' estrif.
  1773. Cousin, et vous, sire baillif,
  1774. Pour l' amour Dieu le droiturier
  1775. Faites ce que je vous requier ;
  1776. Et dès maintenant pour touz lais
  1777. Touz mes biens et l' enfant vous lais
  1778. Et le vous charge.
  1779. LE BAILLI .   Vous me requerez de grant charge,
  1780. Sire, mais pour la bonne foy
  1781. Qu' en vous voy, je le vous ottroy
  1782. Et si vous fais bien assavoir,
  1783. Puis que dès cy voulez mouvoir,
  1784. De nous serez tant convoiez
  1785. Que hors de la ville soiez ;
  1786. Et si tost que retournerons,
  1787. Vostre cousin et moy irons
  1788. Faire inventoire de voz biens,
  1789. Afin que perdu n' y ait riens,
  1790. Mais tout gardé.
  1791. LA DAME.    Mon seigneur, or n' y ait tardé :
  1792. Mouvons dès cy sanz detrier ;
  1793. Par amour vous en vueil prier,
  1794. Car la doulce vierge Marie
  1795. M' a fait si haulte courtoisie
  1796. Que je doy bien desirer faire
  1797. Aussi chose qui lui puist plaire
  1798. Et viengne a gré.
  1799. LE COUSIN.    Certesvous dites verité :
  1800. Vous y devez bien peine mettre.
  1801. Cousine, avant  ! sanz plus cy estre,
  1802. Pensez de vous mettre a chemin.
  1803. Alez devant, alez, cousin,
  1804. Appertement.
  1805. LE MARI.    Voulentiers, cousin, vraiement
  1806. Suivez moy, dame.
    ( Le mari et sa dame sortent d’un côté, le cousin et le bailli de l’autre )

    Scène 8. Le Paradis.
  1807. NOSTRE DAME.    Chier filz, je voy que celle femme,
  1808. Qui par vous a esté tensée
  1809. De mort, met toute sa pensée
  1810. A vous servir et mercier,
  1811. A vous loer et gracier
  1812. De ce que fait avez pour li
  1813. Et nient mains si fait son mari.
  1814. Ne sont pas plains d' ingratitude,
  1815. Car empris ont par grant estude
  1816. A aler vous et moy requerre
  1817. Si loing que la ou fine terre,
  1818. Qui est grant paine.
  1819. DIEU.    Vous devez, mére, estre certaine
  1820. Que je sçay et voy leur entente
  1821. Qui moult me plaist et atalente,
  1822. Car en vraie amour est fondée
  1823. Et pour ce leur sera souldée
  1824. Si com direz.
  1825. NOSTRE DAME.    Chier filz, ceste honneur leur ferez,
  1826. S' il vous plaist, et je vous em pri
  1827. Qu' après eulx alons sanz detry.
  1828. Vezcy qui seront noz convoiz
  1829. Et chanteront a haulte voiz,
  1830. Si que pour leurs cuers resjoir
  1831. Vous leur donrrez du chant oir,
  1832. S' il vous plaist, grace.
  1833. DIEU.    Il me plaist, mére, qu' il se face.
  1834. ( Aux deux anges et aux deux saints Eloi et Jean
    Seigneurs, vous oez qu' elle dit.
  1835. Or sus, trestouz, sanz contredit
  1836. Si en alons.
  1837. SAINT ELOY.    Vray Dieu, vostre vouloir ferons.
  1838. ( À ses compagnons ) Mes amis, sanz faire descort,
  1839. Je vous pri chantons par accort
  1840. Et de doulx traiz.
  1841. RONDEL.    Gent corps en biauté parfaiz,
  1842. Et par faiz
  1843. Vierge sur toutes parfaite,
  1844. Bien a celui grace a fais,
  1845. Gent corps en biauté parfaiz,
  1846. Et doulcement es refaiz
  1847. Est refaiz
  1848. Qui en vous servir s' affaitte,
  1849. Gent corps en biauté parfaiz
  1850. Vierge sur toutes parfaite.
    ( En chantant ce rondeau, les deux anges et les deux saints
    font escorte à Dieu et à Notre-Dame qui descendent du
    Paradis pour se rendre dans la même direction que la dame
    et son mari, vers le lieu de pèlerinage de Notre-Dame du
    Finisterre
    )