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Miracle XVII
 
  1. Cy conmence un miracle de Nostre Dame d' un
    parroissian esconmenié que Nostre Dame absolu
    a la requeste du bon fol d' Alixandrie.


    PREMIER TABLEAU.
    Devant la ville d’Alexandrie.
    ( Entre le fils de l’Empereur, seul )
    LE FILZ DE L' EMPEREUR.
    Glorieux Dieu, souverain pére,
  2. Tant dolereusement se pére
  3. Qui d' orgueilleux mondains tresors
  4. Plains d' excès tres vilz et tresors
  5. Desire paremens avoir :
  6. Car richesse de tel avoir
  7. N' est fors qu' apovrissement d' ame.
  8. Si grant seigneur ne si grant dame
  9. N' a ou mondain terrien estre
  10. Dont l' ame sauvée puist estre
  11. Se le corps martire ne sent
  12. Et a penanse ne s' assent.
  13. Elas ! mal suis appareilliez
  14. Pour mon ame et mal conseilliez,
  15. Quant je voy et puis bien entendre
  16. Que j' é plus desiré atendre
  17. Aus biens de richesses mortelles
  18. Que aux grans joies perpetuelles.
  19. Mort m' a pére et mére tolu :
  20. Richesce n' y a riens valu,
  21. Et bien sçay que morir me fault
  22. Aussi : si seroit grant deffault
  23. A moy se la char et le monde
  24. Et l' ennemy faulx et inmonde
  25. Pour l' amour de Dieu ne laissoie.
  26. Jamais tant conme vif je soie,
  27. Regne n' heritage tenir
  28. Ne quier, combien qu' appartenir
  29. Me devroit Alixandre toute.
  30. En telz honneurs n' a forsque doubte,
  31. Oultrageux orgueilz et desrois.
  32. Des papes, des princes, des roys
  33. Mort mort les chars a si grans mors
  34. Qu' il m' est avis que soie mors.
  35. Mettré paine de conseil querre
  36. A la vie sanz fin conquerre :
  37. Jamais d' aler ne cesseray
  38. Jusques a tant que je seray,
  39. Se Dieu plaist qui touz les biens donne,
  40. Par aucune sainte personne
  41. Conseilliez d' amender ma vie :
  42. D' autre richesce n' ay envie.
  43. Cerchier m' en vois tant près et loing
  44. Qu' aie conseil de mon besoin ;
  45. Et li vrais Diex le me consente !
  46. Pour miex aler de ceste sente
  47. Tendray l' adresse.
    ( Il sort par le sentier qu’il vient d’indiquer, en direction du désert )

    DEUXIEME TABLEAU
    Devant l’église d’une paroisse
    ( Entre le curé de la paroisse )
  48. PREMIER CURÉ.     Se li vraiz Diex qui tout adresce
  49. Mon parroissien ne remort,
  50. Qui me het jusques a la mort
  51. Pour ses meffaiz qu' en li desprise,
  52. S' ame des ennemis sousprise
  53. Sera, s' il persevére ainsi
  54. En sa rancune, sanz mercy
  55. A Dieu requerre et puis a moy.
    ( Entre Godart, le paroissien rebelle )
  56. Moult pensis ça venir le voy,
  57. Ce m' est avis, vers mon encontre :
  58. A celle fin que je l' encontre
  59. Par cy li iray au devant.
  60. ( S’avançant vers lui ) Godart, amis, venez avant.
  61. Conment avez cuer d' ainsi vivre
  62. En rancune, de quoy delivre
  63. Ne vous puis envers moy trouver ?
  64. Par pluseurs foiz de moy grever
  65. Vous estes a tort efforcié,
  66. Dont j' ay eu cuer courroucié
  67. Et ay encor, car grant offense
  68. Est a vous quant riens la sentence
  69. De sainte eglise ne doubtez.
  70. Se vers moy ne vous amendez,
  71. Mal fait sera.
  72. GODART.     Sire prestre, que me fera
  73. Vostre haine, je vous en pri ?
  74. Se jamais n' avoie l' ottri
  75. De vostre amour jour de ma vie,
  76. Je n' y compteroie une alie ;
  77. Ne de vostre esconmeniement
  78. N' aconte je mie granment,
  79. Car je n' en vi onques faillir
  80. Les poz a mon feu deboullir,
  81. N' onques le vin dessus ma table
  82. N' en fu pieur ne plus coustable.
  83. Bien me doy petit esbahir
  84. Se vous m' avez pris a hair :
  85. Vous en pourrez bien tant parler
  86. Que sur la teste, au paraler,
  87. En arez a po de promesse.
  88. Alez, si chantez vostre messe :
  89. Miex vous vauldra.
  90. PREMIER CURÉ.     Par Dieu, l' eure et le temps venra,
  91. S' autrement n' avez repentance,
  92. Qu' encores griéve penitence
  93. En arez a mort ou a vie.
  94. Car c' est sanz cause desservie
  95. Que me haiez.
  96. GODART.     De ce ja ne vous esmaiez :
  97. J' en saray bien vers Dieu chevir,
  98. Car de vostre amour desservir
  99. N' ay voulenté.
  100. PREMIER CURÉ.     De felonnie entalenté
  101. Vous voy si de cuer et de vois
  102. Que je vous lais, et si m'en vois
  103. D' une autre part.
    ( Le curé et Godart se séparent )

    TROISIEME TABLEAU
    Un désert aux environs d’Alexandrie
    ( Entre le fils de l’Empereur, seul )
  104. LE FIL D' EMPERÉRE.     Dieu, qui touz biens donne et depart,
  105. Par sa grace m' a tant mené
  106. C' on m' a appris et assené
  107. D' un saint hermite le repaire
  108. Qui ça en un desert repaire
  109. En vivant de vie angelique
  110. Selon ferme foy catholique.
  111. Je ne me puis miex conseillier
  112. Qu' au conseil d' un tel conseillier,
  113. Puis qu' il het du monde l'atour.
  114. ( Désignant la cellule d’un ermite )  Je croy que la en ce destour
  115. Vers celle logette petite
  116. Soit le droit lieu ou il habite :
  117. Adressier m' y vueil sanz desvoy.
  118. Car avis m' est que je le voy,
  119. Selon ce qu' on m' a endité
  120. Son samblant plain d' umilité.
  121. Saluer le vois de cuer fin.
  122. ( Saluant l’ermite )  Sains homs, li vrais péres sans fin
  123. Vous doint vraie perseverance
  124. Ou labour de vraie esperance
  125. Tandant a vie pardurable !
  126. Sire, de voie aventurable
  127. Sui cy arrivé par endites,
  128. Car si bonnes nouvelles dites
  129. M' ont esté de vous que tracié
  130. Ay tant que g' y suy adressié,
  131. Grace Dieu, dont je suis moult liez,
  132. Afin que vous me conseilliez,
  133. Dont j' ay grant besoing neccessaire :
  134. Si ne vous vueille pas desplaire
  135. De moy oir.
  136. L' ERMITE.     Amis, Dieu vueille resjoir
  137. Ton cuer, s' il est en desconfort.
  138. Se donner te puis reconfort,
  139. Moult voulentiers le te donray
  140. Au miex que faire le pourray
  141. Benignement.
  142. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Sire, de tout le tenement
  143. D' Alixandre suis sire et roys ;
  144. Mais pour les orgueilleux desrois
  145. Du monde, que morir convient,
  146. Des biens mondains ne me souvient
  147. Ne de royauté terrienne :
  148. Car c' est joie trop alienne,
  149. Que mors mort de morsure amére.
  150. La mort m' a tolu pére et mére
  151. Que j' amoie par grant chierté :
  152. Honneur, richesce ne fierté
  153. N' i ont peu mettre respit.
  154. C' est ce qui tenir en despit
  155. Me fait le monde et ma contrée,
  156. Car fuir ne puis l' encontrée
  157. De la mort par nesune voie
  158. Si est le meilleur que g' y voie
  159. De touz terriens heritages
  160. Guerpir, car de telz habitages
  161. A mainte ame male merite :
  162. Si vault miex que m' en desherite
  163. Et relenquisse telz deliz,
  164. Que de viandes et de liz,
  165. De noblesces et de repos,
  166. Ma char norrisse en tel propos
  167. Que m' ame en souffrist mort grevaine
  168. Car tant hé celle joie vaine
  169. Et tant l' ay au cuer desplaisant
  170. Qu' aler le fol contrefaisant
  171. Vueil en povreté, nuz et las,
  172. Sanz penser aus mondains solas,
  173. Traveillier, pener et despire
  174. Ma charongne, si qu' adès pire
  175. Li soit demain que le jour d' uy ;
  176. Et souffreray en gré le huy
  177. Du peuple et l' escharnissement,
  178. Et touzjours abelissement
  179. Aray a tel vie souffrir
  180. Pour moy a tel travail offrir
  181. Que nulz, tant me regart ou vis,
  182. N' ait de moy recongnoistre avis.
  183. Si vous pri, sains homs gracieus,
  184. Ou nom du vray Dieu precieux,
  185. Me conseilliez de cest affaire,
  186. Si que je ne mesprengne a faire
  187. Le Dieu plaisir.
  188. L' ERMITE.     Amis, quant tu as tel desir
  189. Que ton cueur a ce s' humilie,
  190. Tu feras plus sens que folie,
  191. Se le fol par descongnoissance
  192. Fais ou lieu ou preis naiscence
  193. Afin que nulz ne t' aperçoive,
  194. Mais que pechié ne te deçoive.
  195. Dieu, qui toi bien appercevra,
  196. La foleur pour sens recevra
  197. Que tu feras par ficcion,
  198. En fuiant la decepcion
  199. Qui est es fausses vanitez
  200. Des temptables humanitez.
  201. Faindre estre folz et con mesages
  202. En Dieu et en ses sains messages
  203. Qui sont lumiére de dottrine,
  204. C' est usages qui endottrine
  205. Maint cuer de celer et couvrir
  206. Sa penance au monde, et ouvrir
  207. Son cuer a Dieu par oroison.
  208. Se tu le fais sur tel raison,
  209. Diex, qui sur touz est rois possibles,
  210. Ta foleur pour euvres sensibles
  211. Aceptera, je te plevis.
  212. En ton lieu près de tes amis
  213. Le feras bien.
  214. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Sire, quant presumer pour bien
  215. Me voulez ceste paciance,
  216. Se je le fas par diligence,
  217. Je la feray de cuer contrict
  218. Pour plus tost en avoir destruit
  219. Mes vanitez et mes pechiez,
  220. Si que mains en soie entechiez
  221. Et miex aie salvacion.
  222. Sire, pour consolacion
  223. Avoir de vous et remembrance,
  224. Se doubte avoie d' encombrance
  225. Par temptement de vaine gloire
  226. Qui m' assaillist de faulx memoire,
  227. Beneiçon, se vous voulez,
  228. Me donnez et si m' assoulez.
  229. Car je vueil de vous congié prendre
  230. Pour les euvres aler emprendre
  231. Qu' ay divisé.
  232. L' ERMITE.     Amis, tu feras qu' avisé :
  233. Dieu ne t' en tendra pas pour fol.
    ( Levant la main et faisant le signe de croix )
  234. De Dieu te benis et absol
  235. Et du pouoir qui m' est conmis.
  236. Or va a Dieu, biau doulx amis,
  237. Et prie pour moy, s' il te plest,
  238. Car es priéres de moy est
  239. Et sera ton fait nuit et jour.
  240. A nostre dame sanz sejour
  241. Tien ton cuer ferme.
  242. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Sire, je li rens et afferme,
  243. Et souvent prieray pour vous.
  244. A Dieu, sains homs, devot et dous !
  245. Ne cesseray pour riens qu' aviengne
  246. De cy qu' en Alixandre viengne :
    ( Montrant un chemin )
  247. Tout droit iray par ce sentier.
    ( Montrant son vêtement )
  248. Mais se g' y suis, drappel entier
  249. Sur moy de linge ne de lange
  250. Ne laisseray que je ne change
  251. Et que ne mette du tout jus ;
  252. Ne jamais ne vestiray plus
  253. Qu' une cotelle descousue
  254. Et descirée et desrompue,
  255. Ou que je la doie cerchier ;
  256. Ne de mes amis approuchier
  257. Ne quier par congnoissance mais,
  258. Ne menger delicieux mès,
  259. Fors pain et yaue, si j' en ay,
  260. N' en lit de plume ne gerray.
    ( Il est arrivé à Alexandrie )
  261. Hé ! glorieux pére celestre,
  262. Tant ay cheminé qu' en mon estre
  263. Suis arrivez : graces t' en rens.
  264. Mucier m' en vois en sus des rens
  265. De ma lignée.
    ( Il disparaît en se mêlant à la foule )

    QUATRIEME TABLEAU.
    Devant l’église de la paroisse du premier curé.
    ( Entre le premier curé )
  266. PREMIER CURÉ.     Moult a cruauté engaignée
  267. Et felonnie ou cuer par my
  268. Mon parroissien, qui amy
  269. Ne veult envers moy devenir.
  270. Je le voy aler et venir
  271. Aussi que de mautalant plain.
  272. A Dieu propre de li me plain,
  273. Quant de soy amender n' a cure
  274. A ce que conscience cure
  275. Son cuer, n' espurge de l' oustrage
  276. Dont il a si plain le courage
  277. Que retraire ne se peut d' ire.
  278. Encor li vois une foiz dire,
  279. Savoir s' il se convertiroit
  280. Et s' aucun parler me diroit
  281. A satisfacion tendant.
    ( Il se rend auprès de Godart )
  282. Godart, biaux amis, entendant
  283. Te fas qu' a t' ame trop mesprens
  284. De ce qu' amendement ne prens
  285. En toy ne redargucion
  286. De la fole introduccion
  287. Du fier orgueil ou tu te lies
  288. Si fort qu' onques ne t' umilies
  289. Ne n' amolis n' en diz n' en faiz.
  290. Se bien savoies que tu fais
  291. Et le peril ou t' ame embaz,
  292. Joie n' aroies ny esbas
  293. Tant qu' a genoulz m' aroies cy
  294. A jointes mains crié mercy.
  295. Tu scés bien qu' envers moy tenuz
  296. Es, et conment t' es maintenuz
  297. En rigueur d' orgueil paroutré
  298. Toutes foiz que je t' ay monstré
  299. Les offenses et les pechiez
  300. Dont surpris es et entechiez,
  301. Si que tu viz, a voir retraire,
  302. Conme personne a Dieu contraire.
  303. A t' en aviser plus n' oblie :
  304. N' atens pas tant que je publie
  305. Sentence n' entredit sur toy ;
  306. Requier mercy par bon chastoy
  307. A sainte eglise.
  308. GODART.     Se saviez combien je prise
  309. Voz paroles et voz favelles,
  310. Jamais jour de telles nouvelles
  311. Ne me venriez faveler.
  312. Il semble que renouveller
  313. Vueillez la noise et le decort
  314. Pour esveillier le chat qui dort.
  315. Se plus en parlés tant ne quant,
    ( Désignant la tonsure du curé d’un geste menaçant )
  316. Vous ne vous donrez garde quant
  317. Sur la coronne si ataindre
  318. Vous sentirez qu' en cler sanc taindre
  319. La vous feray jusques au front.
  320. Sire prestre, quelle enseigne ont
  321. Ceulx qu' esconmenier voulez
  322. Plus que ceulz que vous absolez ?
  323. Je ne daingneroye resoldre
  324. D' esconmenier ne d' absoldre
  325. Que puissés faire une senelle.
    ( Menaçant le curé de son couteau )
  326. Po s' en fault que telle prunelle
  327. De ce coustel cy ne vous baille
  328. Que sur vous en parroit la taille
  329. Se viviez jusque a cent ans ;
  330. Et fussiez prestre telz cent tans,
  331. Gardez que ne diez plus mot ;
  332. Car se ne fust pour ce c' on m' ot,
  333. Bien vous batisse.
  334. PREMIER CURÉ.     Mal seroit que je m' embatisse
  335. Plus entour toy par nulle voie :
  336. Le meilleur conseil que g' i voie
  337. C' est que je me sueffre et m' en voise,
  338. Car il n' a que peril et noise
  339. En toy, et parole ennemie :
  340. Tout le courage te fremie
  341. En mauvais moz que tu desclos.
  342. L' ennemy est en toy enclos ;
  343. Si ne te quier approuchier plus.
  344. Meffait m' as, a briez moz conclus ;
    ( Lançant contre le paroissien la sentence d’excommunication )
  345. Dont en mon corage rapel
  346. Et t' en denonce par appel
  347. Esconmenie de sentence
  348. De canon. Je m' en vois. Or tence
  349. A ton desir.
  350. GODART. ( Toujours menaçant )   Par Dieu, prestre, souvent desir
  351. Que trouver vous puisse a mon vueil ;
  352. Car cy endroit ce que je vueil
  353. Ne puis pas faire a mon talent ;
  354. Mais du cuer vous feray dolent,
  355. Qui qu' il soit grief.
    ( Le paroissien excommunié se retire ).
  356. PREMIER CURÉ. ( Resté seul )   Je n' ay terme fors qu' assez brief
  357. D' un voiage que j' ay promis
  358. A saint Jaques pour mes amis.
  359. Temps est qu' a la voie me mette
  360. Et que d' errer tost m'entremette ;
  361. Car j' ay ou cuer devot courage
  362. D' acomplir mon pelerinage.
  363. Dire vois a mon clerc Lorin
  364. Qu' estre me convient pelerin.
  365. ( Appelant son clerc )  Lorin, biaux amis, vien avant.
  366. De garder l' eglise entendant
  367. Te pri que soies nuit et jour,
  368. Car aler me fault sanz sejour
  369. En pelerinage a saint Jaques ;
  370. Mais je revenray dedanz Pasques,
  371. Se Dieu plaist a qui je m' atens.
  372. Partir m' en estuet ; il est temps,
  373. Quant j' ay pris escharpe et bourdon.
    ( Montrant l’église de la paroisse et ses dépendances )
  374. Mes biens met touz en ton bandon
  375. Et te mez a garder mon lieu.
  376. Or pense de bien faire. A Dieu !
  377. Mouvoir me fault.
  378. LE CLERC.     Certes, chier sires, sans deffault
  379. Moult voulentiers y entendray,
  380. ( Montrant l’église ) Et près du moustier me tendray
  381. Jusqu' a tant que vous reveigniez,
  382. Du vray Dieu soiez vous seigniez
  383. Qui vous ramaint !
    ( Le curé, s’étant séparé du clerc, se met en route avec
    la sacoche et le bâton du pèlerin
    )
  384. PREMIER CURÉ <en alant>. (Apercevant le paroissien)
    J' ay enduré de courrouz maint
  385. Pour mon parroissien que voy,
  386. Qui tant me het, ne scé pour quoy,
  387. Dont contre moy en sentence est
  388. Sanz estre absolz. Il m' en desplaist :
  389. Car mon aler et mon venir
  390. Est tout en Dieu a convenir ;
  391. Riens n' y sçay de mort ne de vie :
  392. S' en ce point trespasse et devie,
  393. Contre moy esconmeniez,
  394. En dampnement sera liez
  395. Pour l' outrage de son buffoy.
  396. Bien est droiz, pour cause de foy,
  397. Qu' il m' en ennuit.
    ( Il sort )

    CINQUIEME TABLEAU.
    Une rue d’Alexandrie.
    ( Entre le fils de l’empereur, les vêtements déchirés, jouant le fou
    et feignant de ne pas voir les deux compagnons qui le suivent
    )
  398. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Je perdi le dormir ennuit
  399. De songier qu' en estat d' avugle
  400. Chevauchoie dessus un bugle
  401. Qui sans elle voloit au vent,
  402. Et me sembloit assez souvent
  403. Que ce devant aloit derriére
  404. Et qu' il me convenoit arriére
  405. Retourner la dont je venoie.
  406. Mais le bugle que je menoie
  407. Regiboit si a chascun sault
  408. Qu' il m' en portoit vers un assault
  409. De gens cornuz a rouges testes
  410. Qui tenoient les gens pour bestes,
  411. Se ne fussent de genoulz deux
  412. Renouans et coupans par eulx
  413. Cornettes de viez chapperons,
  414. Et couvrans de viez napperons
  415. La fumée de leurs langages.
  416. La sailloient les povres gages
  417. D' un asne qui n' ot que menger,
  418. Qui m' a fait toute nuit songer
  419. Trop grans babuses.
  420. PREMIER COMPAIGNON.     Onques mais n' oy tant de ruses
  421. A fol dire qu' a celui la.
  422. ( À son compagnon ) Regardez quel maintien il a.
  423. Compains, se Dieu vous doint santé,
  424. N' a guéres cy entour hanté.
  425. Ferir de ceste viez savate
  426. L' iray, et puis de plaine pate
  427. De boe le ferray ou dos.
  428. Se trouvasse une piesse d' os
  429. D' un pié de beuf ou de mouton,
  430. Aus jambes, en lieu d' un baston,
  431. Li ruasse après les talons.
  432. Je vous pri qu' après li alons,
  433. Et je l' assaudray tout devant.
  434. ( Au fils de l’empereur ) Coquibus, traiez vous avant :
  435. Retenez ce que je vous rue,
  436. Tenez, des dons de ceste rue.
    ( Il lui frappe les côtes avec une vieille savate )
  437. Gardez que je ne vous triquote.
  438. Ces savates a vostre cote
  439. Faites estachier sanz couper,
  440. Pour taconner et estouper
  441. Les troz d' entour, c' on vous emboe,
  442. Et si arez de ceste boe
  443. Une dossée par delez ;
    ( Il lui couvre de boue le dos dans toute sa largeur )
  444. Et afin que plus tost alez
  445. Vous chauceray cel esperon
  446. Et cest os rungié environ.
  447. Se baston ne verge tenisse,
  448. Plus près de vous jouer venisse,
  449. Mais point n' en ay, si m' en desport.
  450. Danciez a un pié par deport
  451. En espringuant.
    ( Il l’oblige à sauter comme s’il dansait, en le frappant sur les
    pieds avec un os rongé qu’il a trouvé par terre
    )
  452. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Il a d' Avignon jusqu' a Guant
  453. Par nuit bien demie journée.
  454. Je vi quant ma mére fut née
  455. Qu' elle menoit les truies paistre
  456. Dedans le chapperon d' un prestre
  457. A heure de prime après hier.
  458. Je lo que je face un grenier
  459. De mes presens.
  460. SECOND COMPAIGNON.     Cilz meschans soz yci presens
  461. Reçoit tant de cops et d' ordure
  462. Que je ne scé conment il dure.
  463. ( Au premier compagnon )  Compains, moult li avez fait honte.
  464. Quant je voy que point ne s' eshonte,
  465. Je li vois en sa cote mettre
  466. Et atachier une viez lettre
  467. Par derriére d' un po de cire,
  468. Et si fault que je li descire
  469. Ou descouse les paletiaux.
    ( Il lui colle brutalement une vieille lettre dans le dos )
  470. J' ay de croie fait deus morciaux
  471. Dont je le ferray par les flans,
  472. Si devendront ses chaillons blans.
    ( Il lui frotte les flancs avec deux morceaux de craie qui blanchissent ses guenilles )
  473. Maistre Bobus, ho ! arrestez.
  474. Pour ce qu' a rebours vous vestez,
  475. Ceste lettre cy atachie
  476. Vous sera au dos et fichie
  477. A cire, pour ce c' on vous croie ;
  478. Et sy arez de ceste croie
  479. Pour vous blanchir.
  480. PREMIER COMPAIGNON.     Le chetif fol ne scet guenchir
  481. A meschance que l' en li face ;
  482. Et si est si biaux homs de face
  483. Conme a merveille.
  484. SECOND COMPAIGNON.     Je croy que partout se merveille
  485. Chascun qui le voit de son fait.
  486. Assez de mal li avons fait ;
  487. Laissons le coy.
    ( Ils sortent )
  488. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     J' ay trop grant chaut, ne scé pour quoy :
  489. C' est pour ce que je plour et ry.
  490. Mon parrin avoit non Ferry,
  491. Guillaume, Huart et Gautier :
  492. En un jour m' aprist le sautier
  493. En mangant féves au brouet.
  494. Ceste cote fu a Drouet
  495. C' om m' a mis en si bel attour.
  496. Aler m' en vueil de cy entour
  497. A mes trudaines.
    ( Il sort )

    SIXIEME TABLEAU.
    Au Paradis.
  498. NOSTRE DAME. ( Aux archanges )   Gabriel, va tost, si m' amaines,
  499. Et toy, Raphael, mon bon prestre
  500. Qui tout son temps a volu mettre
  501. En moy servir com vraiz amis.
  502. Finez est, si vueil qu' il soit mis
  503. En vray repos.
  504. ANGES.     Dame, ainsi conme avez desclos
  505. Le ferons sanz point de demeure.
  506. Par nous sera cy tout en l'eure
  507. Hors des griefs paines.
    ( Les anges vont chercher le premier curé qui est décédé dans la localité de
    Bisquarel en Navarre, comme on l’apprend ensuite, vers 635-36, alors qu’il
    revenait de Saint-Jacques-de-Compostelle
    )

    SEPTIEME TABLEAU.
    Devant l’église de la paroisse du premier curé.
    ( Entre un second curé. )
  508. SECOND CURÉ.     Il a ja plus de dix sepmaines
  509. Que pour ma saisine exercer
  510. De ceste eglise possesser,
  511. Dont mon prelat m' a fait curé,
  512. Tant ay devers li procuré,
  513. Deusse cy avoir venu,
  514. Quant Diex veult qu' il soit avenu
  515. Que le curé qui la tenoit
  516. Soit mors ainsi conme il venoit
  517. Devers saint Jasques en Galice.
  518. Preuzdoms estoit et sanz malice
  519. Vers nulle personne attenter.
  520. Aux parroissiens presenter
  521. Me vois ; c' est raison et droiture,
  522. Se le clerc venist d' aventure,
  523. Moult voulentiers parlasse a lui.
  524. Savoir mon s' il y a cellui
  525. Ne celle qui sache ne pense
  526. Des parroissiens en sentense.
    ( Entre le clerc du premier curé )
  527. Venir le voy trop bien a point.
  528. Clerc, que Dieu sa grace vous doint.
  529. Parlez a moy.
  530. LE CLERC.     Sire, que Dieux vous gart d' ennoy.
  531. Voulentiers et améement
  532. Y parleray certainement
  533. Sanz contredit.
  534. SECOND CURÉ.     Clerc, savez vous homme entredit
  535. Ne femme de ceste parroisse ?
  536. Raison est que je les cognoisse :
  537. Si vous diray pour quelle guise.
  538. Curé m' a fait de ceste eglise
  539. L' evesque qui patron en est,
  540. Sienne mercy quant il li plaist.
  541. Il a plus de trois mois passez
  542. Qu' il scet de vray que trespassez
  543. Est cil qui la cure tenoit.
  544. Mors est ainsi qu' il revenoit
  545. De saint Jasque sanz nulle doubte.
  546. Or est ainsi que je me doubte
  547. De mesprendre en aucun cas en ce
  548. Que gens qui soient en sentence
  549. Ne viengnent pour moy encombrer
  550. Quant messe devray celebrer,
  551. Si que moult voulentiers vourroie
  552. Moy garder tant com je pourroie.
  553. Pour ce demandé le vous ay,
  554. Que par vous savoir le voulray
  555. Tout de certain.
  556. LE CLERC.     Sire, pour voir vous a certain,
  557. Se bien seurement savoie
  558. Que trespassez fust en la voie
  559. De saint Jasques le bon preudons
  560. Qui tant faisoit pour Dieu de dons,
  561. Ce que j' en sçay vous en diroie.
  562. Mais voulentiers vous prieroie
  563. Se de lui aloit autrement
  564. Que m' en deissiez plainement
  565. Vostre vouloir.
  566. SECOND CURÉ.     Certes, clerc, ne vous peut chaloir
  567. D' estre en doubte de ce propos ;
  568. Car ce que vous dy et propos
  569. Est vray, j' en met la main au piz :
  570. S' en mentoie il m' en seroit pis.
  571. Si vous pri, s' entredit savez,
  572. N' en registre nulz en avez,
  573. Que je le sache.
  574. LE CLERC.     Mestier n' est, sire, que j' en sache
  575. Registre ne roule nesun.
  576. Je n' en say en tout le conmun
  577. De ceste parroisse c' un seul,
  578. Qui mainte tristesce et maint deul
  579. Fist au curé en son vivant ;
  580. Car souvent aloit estrivant
  581. Contre lui par malivolence,
  582. Et li fist mainte violence
  583. Et maint grief de fait et demonstre.
    ( Entre Godart, le paroissien excommunié )
  584. Venir le voy. Je le vous monstre :
  585. C' est cestui qui de nous s' approuche.
  586. Mainte injurieuse reprouche
  587. Li dist a tort et maint contraire,
  588. Et oultre plus du coustel traire
  589. Et de l' en ferir fist maint esme,
  590. Qu' onc pour pasques ne pour quaresme
  591. N' en requist absolucion,
  592. Mais en sa dissolucion
  593. De plus en plus se paroustroit
  594. Quant le bon curé li monstroit
  595. Que s' en adreçast envers li ;
  596. N' onques son cuer n' en amoli,
  597. Ains a touzjours perseveré
  598. En son malice et demouré
  599. Esconmenié de canon.
  600. Il ne pourroit dire de non
  601. Par mot de voir.
  602. SECOND CURÉ.     Mauvaisement fist son devoir
  603. Quant il ne li cria mercy.
  604. En sainte eglise, ailleurs ne cy,
  605. N' est digne que se doie embatre.
  606. ( Désignant l’intérieur del’église )  Deffendre moult bien et debatre
  607. Li saray s' entrer veult ceens,
  608. Ne mès qu' a mes parroissiens
  609. M' aie presenté cy endroit
  610. Conme curé conmis de droit
  611. A les avoir en cure d' ames.
    ( Entrent d’autres paroissiens, à qui il s'adresse )
  612. Or escoutez, seigneurs et dames :
  613. Je vous dy en face presente
  614. Que l' evesque a vous me presente
  615. Conme curé que je doy estre
  616. ( Montrant l'église, puis une lettre )  De ceste eglise. Vezcy lettre
  617. Faite de la donnacion.
  618. Je suis de ceste nascion
  619. Et bien cogneu loing et près.
  620. Si vous requier par moz esprès
  621. Et enjoing sur obedience
  622. Que nulz ne m' empesche audience
  623. A faire le divin office,
  624. Contredisant mon benefice.
  625. Quar se je voy que bien appére
  626. En vous, bon pastour et bon pére
  627. Selon Dieu vous seray sanz faille.
  628. Or gardez qu' en vous ne deffaille,
  629. Et qu' exconmeniez ne viengne
    ( Montrant l’intérieur de l’église )
  630. Ceens pour chose qui aviengne ;
  631. Et priez touz sanz vain remors
  632. Pour mon devancier qui est mors
  633. En venant de saint Jasques ça.
  634. Bien a trois mois qu' il trespassa
  635. A Bisquarrel, ce n' est pas guille,
  636. Qui est de Navarre une ville.
  637. Dieu li doint gloire.
  638. GODART. ( Provocant ) Egar, par le chief saint Magloire !
  639. Ravons nous un curé nouvel ?
  640. Sire, on doit faire grant revel
  641. De vous et de vostre venue,
  642. Qui nous faites cy souvenue
  643. Du curé qu' avoir solions.
  644. Se refuser vous volions
  645. Et chacier hors, qu' en seroit il ?
  646. Vous n' estes pas assez soubtil,
  647. Qui d' esconmeniez parlez.
  648. Un po estes trop emparlez,
  649. Quant ja nous avez menacié.
  650. J' en ay l' autre prestre chacié
  651. Par ses paroles.
  652. SECOND CURÉ.     Tu qui encontre moy paroles,
  653. Es tu ce qui li pourchassas
  654. Tant de maus, et le dechaças
  655. Une foiz si honteusement,
  656. Main au coustel crueusement,
  657. Par ta mauvaise felonnie ?
  658. Se c' es tu qui tel villenie
  659. Par ton oultrage li faisoies,
  660. Je ne sçay conment tu osoies
  661. Estre entre gens.
  662. GODART. ( Moqueur )   Sire prestre, moult diligens
  663. Estes de l' autre soustenir.
  664. Que m' en pourroit il avenir
  665. Se lui et vous batu avoie ?
  666. M' en convenroit il mettre avoie
  667. D' aler a Rome ?
  668. LE CLERC.     Sire, onques mais de si fait homme
  669. N' oy parler, a mon avis :
  670. Hors du sens est, bien m' en avis.
  671. Sachez que pechié le conduit,
  672. Et met en voie et en conduit
  673. D' estre dampnez.
  674. SECOND CURÉ.     S' il ne s' amende, il fu mal nez :
  675. Pechié tout mal en li a mis.
  676. Or entens un po, biaux amis,
  677. Se tu veulx, si feras que sages.
  678. Ton curé estoit li messages
  679. Pour representer a Dieu t' ame,
  680. Et tu scez qui brise et entame
  681. Ce qu' il devroit garder entier
  682. D' avoir dommage est ou sentier.
  683. Tu scez bien que garder devoies
  684. Entiére foy par toutes voies
  685. A cil qui la cure gardoit
  686. De t' ame, et qui bien regardoit
  687. Qu' avoies felonnie amére
  688. Contre sainte eglise ta mére,
  689. Qui est sanz nulle decreance
  690. La fontaine de quoy creance
  691. Et foy te doit appartenir ;
  692. Et quant possesser et tenir
  693. L' eglise a ton curé veoies,
  694. Pour quoy contre lui forveoies ?
  695. Car tu dois savoir et veoir
  696. Que riens ne te peut pourveoir
  697. De la voie de sauvement,
  698. Fors l' eglise par sacrement
  699. Des mains de prestre celebré ;
  700. Et se de pechié encombré
  701. Te sens ou de sentense aucune,
  702. Et tu meurs en telle rancune
  703. Sanz estre repentant confès,
  704. A t' ame fault porter ton fès ;
  705. Car prestre jamais par nul tour
  706. Ne te donroit ton creatour
  707. Se vrais confès premier n' estoies ;
  708. Et s' autrement le recevoies
  709. Tu prendroies indignement
  710. Le corps Dieu a ton dampnement,
  711. Lequel don sainte eglise ordonne
  712. Que prestre soit qui le te donne.
  713. Or ne peuz tu avoir tel don,
  714. Se tu meurs : car onques pardon
  715. A ton curé ne requeris
  716. Des maulx qu' a li faire queris ;
  717. Ains est mors sanz qu' il t' ait absolz ;
  718. Cil damages a droit resolz
  719. Ne te sera.
  720. GODART. ( Peu à peu déstabilisé par les paroles du
    second curé et finalement bouleversé
    )
    Doulxroy celestre, que fera
  721. Ce pecheur desconforté ?
  722. En moy n' a nul reconfort. Hé !
  723. ( Suppliant la Vierge ) Glorieuse vierge pucelle,
  724. Fille de Dieu, mére etancelle,
  725. Qui voz deprians avoiez,
  726. Des yex de pitié me voiez,
  727. Ou se ce non par mon pechié
  728. Me semble ja qu' en enfer chié.
  729. Car vers mon curé tant meffait
  730. Me sens et en dit et en fait
  731. Qu' il n' est riens qui tant m' eust valu
  732. Conme s' il m' eust absolu.
  733. Nul autre conseil n' y sçay querre
  734. Que de ce preudomme requerre
  735. Qu' il m' assoille et puis si me charge
  736. De penitence telle charge
  737. Qu' avoir puisse remission.
  738. ( Au second curé )  Sire, pour la proumission
  739. De Dieu qui pardonna sa mort,
  740. De mon las cuer qui se remort
  741. Vueillez le grant misére entendre
  742. Et le desconfort, sire tendre.
  743. Pecherre de moy ne scé pire :
  744. Bien me doy hair et despire
  745. Quant j' ay tant mon orgueil creu
  746. Que mon oultrage recreu
  747. Me fist de mercy empetrer
  748. Vers celui qui pour moy monstrer
  749. Mon bien si fort me desplaisoit :
  750. L' ennemy tout ce me faisoit
  751. Par sa traistre decepvance.
  752. Sire, mis en apparcevance
  753. M' en avez : droiz est que m' encline
  754. A vous par conscience encline,
  755. Moy confessant a cuer devot ;
  756. Et vous pri, pour celui qui voult
  757. Estre a l' estache flaellez
  758. Pour nous, que vous m' en absolez
  759. Et m' en donnez penance griéve
  760. Car le fais du pechié me griéve
  761. Et me destruit.
  762. SECOND CURÉ.     Amis, quant si te voy contrit
  763. Conme il me semble que tu soies,
  764. Miex en vaurras, mais que t' essaies
  765. A ta char pugnir et purgier
  766. Pour gairir t' ame et alegier.
  767. Requier la divine puissance
  768. Que t' aist, car tu ne peuz sanz ce.
  769. Moult bien absoldre te voulroie ;
  770. Mais saches que je ne pourroie,
  771. Tant as fait euvre despiteuse.
  772. Moult te fera grace piteuse
  773. Dieu se donner te veult l' adresse
  774. De personne qui t' en adresse.
  775. De t' absoldre n' ay pas conseil
  776. Ne pouoir, mais je te conseil
  777. Que t' en voises ysnel le pas
  778. Tout en l' eure, et ne laisses pas,
  779. Droit a Romme au saint penencier.
  780. Car bien t' os enconvenancier,
  781. Tant par est devost et honnestes,
  782. Se de t' aider bien l' amonnestes
  783. Conseil mettra en ta besongne
  784. Selon le cas qui le besongne ;
  785. Et s' il te charge aucune paine,
  786. A la souffrir t' efforce et paine :
  787. Desservi l' as.
  788. GODART.     Sire, com le plus chestif las
  789. Pecherre c' on saroit trouver,
  790. Au vice d' orgueil repugner
  791. M' afferroit que tost y alasse ;
  792. Car m' ame dolereuse et lasse
  793. Seroit s' en tel pechié mouroye
  794. Et longuement y demouroye.
  795. G' iray donc par vostre doctrine
  796. Afin qu' il m' enseigne et dottrine
  797. Conment j' amende.
  798. SECOND CURÉ.     Or va, car autrement l' amende
  799. Ne peuz a Dieu satisfier
  800. De l' orgueil qui glorifier
  801. A fait ton cuer en gloire vaine,
  802. Qui d' ame et de corps est grevaine.
  803. Confès a li par vraie vois
  804. T' en rens. A Dieu ! de cy m' en vois :
  805. De tost aler ne te delaies.
  806. De Dieu la beneiçon aies
  807. Et le conduit.
    ( Le second curé sort )
  808. GODART.     Si voir que sa grace conduit
  809. Ceulz qui a bien se veulent duire
  810. Lui pri qu' il me vueille conduire
  811. Et me doint trouver a delivre
  812. Le saint penancier qui delivre
  813. Les pecheours qui se construient
  814. En Dieu devant lui et destruient
  815. Les pechiez dont il sont espris.
    ( Indiquant une direction )
  816. Par cy sera mon chemin pris
  817. Premier, pour querre plus brief tour.
  818. En plains, en plours et en tristour
  819. Et en regrez ains que g' y viengne,
  820. Afin qu' a Dieu de moy souviengne,
  821. M' en iray, du cuer gemissant
  822. Mes faiz, car la char fremissant
  823. Me va souvent de l' obscurté
  824. Ou j' estoie en toute durté
  825. Tant dissolu.
    ( Il sort, pour se rendre à Rome )

    HUITIEME TABLEAU.
    Une rue d’Alexandrie. Une chapelle ou oratoire de la Vierge non loin.
    ( Entre le fils de l’Empereur, couvert de haillons et jouant le fou,
    comme au tableau V précédent
    )
  826. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Tureluru, va, turelu !
  827. Jouer m' estuet d' anchanterie :
  828. Non feray pour l' enchanterie
  829. De la feste sainte Susanne.
  830. Querre me convient dame Osanne
  831. Qui m' endort par nuit a filer.
  832. Mes ongles me fault affiler
  833. Au bec d' un coq de blanc plumage.
  834. J' ay plus chier lait cler et humage
  835. Que burre mol.
    ( Entrent les deux compagnons )
  836. PREMIER COMPAIGNON.     Egar ! je revoy la le fol
  837. Qui si sotement se demaine.
  838. Se Dieu vous doint bonne sepmaine,
  839. Compains, puisque vous estes cy,
  840. Alons le rigoler aussi
  841. Qu' a l' autre foiz que nous y fusmes,
  842. Vous et moy, quant de lui eusmes
  843. Tant de deduit.
  844. SECOND COMPAIGNON.     En sa sotie se deduit
  845. Moult joliement, ce li semble.
  846. Empongnons boe et terre ensemble
  847. Et quanque pourrons amasser ;
  848. Si le faisons avant passer
  849. En li ruant.
  850. PREMIER COMPAIGNON.     C' est bien dit : il fait le truant
  851. Si com je croy et bien appert.
  852. Retourne toy ça, mal appert :
  853. Tien ceste empainte.
  854. SECOND COMPAIGNON.     Il fault que sa cote soit painte
  855. Jusqu' aus espaules de fiens.
  856. Tien, sotin, tien, recueil ces biens :
  857. C' est d' avantage.
    ( Ils ramassent de la terre et de la boue, et en bombardent le fils de l’Empereur )
  858. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Je me suis par enconvantage
  859. Mis a garder taupes en pré,
  860. Et m' iray, s' il est advespré,
  861. Diner de grés a escurer.
  862. Se je pouoie procurer
  863. Un chapel de torches de fain,
  864. Jamais n' aroie soif ne fain.
  865. Pour ma cote qui se descoust
  866. J' aray assez a po de coust :
  867. Chascun me preste.
  868. PREMIER COMPAIGNON.     Povreté lui est touzjours preste ;
  869. Assez appert a son visage.
  870. De le suivir en tel musage
  871. Point ne nous chaut.
  872. SECOND COMPAIGNON.     Autant li plaist froit conme chaut.
  873. Eschevons le, si ferons sens.
  874. Il n' a ne memoire n' assens
  875. Plus qu' aroit une mue beste :
  876. Des maulx c' on li fait a grant feste,
  877. Et grant solaz estre li semble.
  878. Alons jouer touz deux ensemble
  879. Autre partie.
  880. PREMIER COMPAIGNON.     De li me plaist la departie ;
  881. Vous dites bien.
  882. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     J' ay compté par mes doiz combien
  883. Le roy Artus fu en Bretaingne.
  884. A il cy entour qui reteingne
  885. Viez chapperons de noir en blanc ?
  886. La moitié de mon destre flanc
  887. Est mipartie de travers :
  888. Je m' en vois vestir a l ' envers,
  889. Ou que soit, de viez parchemin.
  890. Retourner vueil par ce chemin
  891. Vers la norrice qui moy garde.
    ( Les deux compagnons sortent )
  892. ( Seul ) Tresdoulx Dieu, mon cuer bien regarde
  893. Que nulz n' a mais a moy entente.
  894. En la chappelle sanz attente
  895. De la vierge de Dieu eslite,
  896. En qui tout bon cuer se delite,
  897. M' en vois de cuer humelié
  898. Agenoiller, car folié
  899. Ay assez, si qu' il est saison
  900. Et temps qu' en faisant m' oroison
  901. Devant le doulx ymage fin
  902. De la mére au pére sanz fin
  903. Me represente jointes mains.
    ( Il entre dans une chapelle de la Vierge )
  904. Fontaine de vie aus humains,
  905. Estoille journal sanz estaindre
  906. Qui ciel, terre et mer peuz ensaindre
  907. Et secours mettre en touz perilz,
  908. Si voir que li sains esperiz
  909. Comprist par parole de pére
  910. Char de filz en toy vierge mére,
  911. Par le salut d' Ave Marie
  912. Dont onques ne fus esmarie
  913. Ne n' en perdis la dinité
  914. De ta royal virginité,
  915. Je te pri de cuer et de vois
  916. Que de la penance ou je vois,
  917. Faingnant le fol, c' on n' ayt avis
  918. Qui je sui n' a corps ny avis.
  919. Vueillez acepter pour valable
  920. Le fait, car tant l' ay agreable
  921. Pour mater ma char lasse et ville,
  922. Que par orgueil m' ame n' aville,
  923. Que je n' y quier autre exemplaire.
  924. Dame, prie ton filz que plaire
  925. Lui vueille m' ame, ou trop iert lasse,
  926. Marie, qui mére es de grace
  927. Et de concorde sanz ostacle.
  928. Retraire en mon povre habitacle
  929. M' en revois ja.
    ( Il se retire dans une sorte de taudis )

    NEUVIEME TABLEAU.
    La ville de Rome.
    ( Entre Godart repentant )
  930. GODART.     D' errer ne cessé grant piéce a.
  931. Loez soit Dieux de mon travail,
  932. Car je ne souffis ne ne vail
  933. En bien tant qu' avoir repos doie.
  934. A Romme ou moult venir tendoie
  935. Sui venuz graces a celui
  936. Qui tout peut justicer souz lui,
  937. Car de bon cuer l' en requeroie.
    ( Identifiant le pénitencier )
  938. Le penancier que je queroie,
  939. M' est avis que je le voy la,
  940. Selon l' estat devot qu' il a.
  941. Vers li vois de plaine venue.
  942. ( S’adressant à lui )  Pere d' onneur, cilz qui la nue
  943. Et le ciel fist a son vouloir
  944. Vous doint si vivre que valoir
  945. Puissez tant en faiz et en dis
  946. Qu' a l' ame vous doint paradis !
  947. Sains homs, je suis un povre corps
  948. Qui m' ame ay mis en griefs descorps
  949. Vers Dieu, se par vous alegance
  950. N' en ay, car si dure vengence
  951. N' est de paine, sanz mort souffrir,
  952. Ou penance se doit offrir
  953. Que n' y face sanz esbahir,
  954. Mais que de mes pechiez gehir
  955. Me feusse vers vous deschargié.
  956. Sire, oez moy ; trop ay targié
  957. En negligence.
  958. LE PENANCIER.     S' en ton cuer as la diligence
  959. Que ta bouche tesmongne cy,
  960. Dieu te vueille ottroier mercy.
  961. Amis, or gehis et revelle
  962. Tes pechiez, et si renouvelle
  963. Ta conscience.
  964. GODART.     En oultrage sanz pacience
  965. Et en orgueil, chier sire dous,
  966. Ay vescu, si m' en rens a vous
  967. Confès, coulpable et repentant ;
  968. Et d' especial je craing tant
  969. Le pechié d' ire, car duré
  970. A trop en moy vers le curé
  971. De la parroisse dont je sui,
  972. Pour ce que durté et ennuy
  973. Et cruauté par folle envie
  974. Li fis tant qu' il estoit envie ;
  975. Car toutes foiz qu' il m' encontroit,
  976. De mes oultrages me monstroit
  977. Le meschief qu' en pouoie avoir :
  978. Mais pas ne le tenoie avoir,
  979. Ains voulsisse c' on l' eust detrait ;
  980. Et tel foiz fu au costel trait
  981. Le volz ferir par mautalent,
  982. Dont il me dist bien que dolent
  983. M' en verroye quoy qu' il tardast ;
  984. De moy li dis qu' il se gardast
  985. Ou de son corps le greveroye
  986. Quel part que je le trouveroye ;
  987. Et fu par ire ainsi contence,
  988. Et meserray tant qu' en sentence
  989. Me mist d' esconmeniement :
  990. De quoy chascuns onniement
  991. S' eschevoit de ma compagnie,
  992. Mais si plains fu d' ire engaignie
  993. C' onques pardon ne l' en requis
  994. N' amendement vers lui ne quis,
  995. Dont je fis grand desavenant ;
  996. Car il est mors en revenant
  997. De saint Jasques ou il ala
  998. Pelerin, c' onques ne parla
  999. A moy, ne point ne m' assolu,
  1000. Pour ce qu' ou pechié dissolu
  1001. Perseveroie sanz refraindre
  1002. Et sans l' ire de mon cuer fraindre.
  1003. Dont demouré suis trop mespris.
  1004. Or m' en a blasmé et repris
  1005. Nostre autre curé, en disant
  1006. Qu' il n' a pas pouoir souffisant
  1007. De m' assoldre par nulle voie ;
  1008. Mais pour ce, sire, ycy m' envoie
  1009. A vous, que tieng au plus preudomme
  1010. Penancier qui regnast a Romme,
  1011. Cent ans a, et je m' y afferme :
  1012. Si vous pri qu' absolz soie a ferme,
  1013. Et que tel charge me fermez
  1014. De penitance qu' affermez
  1015. Ressoie a la paix du vray juge,
  1016. Qui tout par droit justice et juge,
  1017. Sanz faire tort.
  1018. LE PENANCIER.     Amis, l' ennemi, qui entort
  1019. Touzjours les pecheurs en sa corde,
  1020. Selon que ta bouche recorde,
  1021. T' avoit durement encordé
  1022. De son laz et desaccordé
  1023. Du roy piteux et concordant ;
  1024. Mais n' ay pas avis recordant
  1025. A present de ta discordance
  1026. Congruer a telle accordance
  1027. D' estre absolz si com tu voulroies ;
  1028. Et scé bien que trop demourroies
  1029. S' atendoies tant qu' au saint pére
  1030. De ton obscurté la matére
  1031. Revellasses, car par ystoire
  1032. Tient du collége consistoire ;
  1033. Et say bien, quoy que tu t' en paines,
  1034. A envis de coulpe et de peines
  1035. T' assoldroit selon le meffait
  1036. Qu' as a tort a ton curé fait.
  1037. Mais or entens que tu feras,
  1038. Et se le fais sages seras :
  1039. Quant tu as besoing, si cogite.
  1040. Tu t' en iras droit en Egipte
  1041. A un saint hermitte qui sert
  1042. Jhesu Crist, et en un desert
  1043. S' est mis pour le monde eschiver
  1044. Et vit de ce qu' il peut trouver
  1045. Par le bois, ainsi que racines
  1046. Et fruiz de ronces et d' espines,
  1047. Et poires et pommes sauvages ;
  1048. Des fontaines et des rivages
  1049. Estaint sa soif, non pas devin ;
  1050. D' inspirement saint et divin
  1051. Est inspirés si largement
  1052. Que conseil et alegement
  1053. Te pourra bien donner et faire,
  1054. Quant dit li aras ton affaire :
  1055. Tant par est devot et benignes
  1056. Que de t' aidier est trop plus dignes
  1057. Que moy, et de plus grant value.
  1058. Vaz a ly et le me salue,
  1059. Disant que je li pri de toy
  1060. Qu' il te doint conseil et chastoy.
  1061. Sanz plus tarder tost t' i avoies ;
  1062. Et tant que le truisses et voies
  1063. Le quier et cerche.
  1064. GODART.     Sire, je le querray a cerche
  1065. Ainçois deça et de la mer,
  1066. Souffrant peine et tourment amer,
  1067. Se Dieu plaist, que je ne le truisse,
  1068. Mais que tant de vie avoir puisse ;
  1069. Car je vueil faire voz conmans.
  1070. Au saint esperit vous conmans
  1071. Qui en sa doulce providence
  1072. Vous tiengne, car par evidence
  1073. Bien m' enseigniez.
  1074. LE PENANCIER.     A Dieu, amis ! ne vous faingniez
  1075. De l' esploitier.
    ( Il sort )
  1076. GODART.     Ce chemin sanz autre sentier
  1077. Iray touzjours sanz nul esloing ;
  1078. Car tant que je seray bien loing
  1079. Ne m' est mestier que je le change,
  1080. Ne quere d' autre voie change
  1081. Pour le laissier.
    ( Il sort en s’engageant sur la route qui doit le conduire en Egypte )

    DIXIEME TABLEAU.
    Alexandrie.
    ( On voit de nouveau le fils de l’empereur en prière dans la chapelle de la Vierge )
  1082. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Jepourroie bien trop cessier
  1083. D' aler aourer derrechief
  1084. La vierge qui de grace est chief.
  1085. Je m' en revois en sa chappelle
  1086. Ou nul ne me scet ny appelle.
  1087. Si tost conme ge sui dedans,
  1088. A genoulz sui, coutez adens ;
  1089. Devant son doulx ymage a terre
  1090. Me vois humilier grant herre ;
  1091. Nulz ne m' y sara environ.
  1092. Ave, regina celorum,
  1093. Dame des anges tresprisiée
  1094. De deité auttorisée,
  1095. Vray temple de Dieu consacré,
  1096. Vaissiau du hault divin secré
  1097. Par qui sauvement esperon.
  1098. Mater regis angelorum,
  1099. Qui en vous peustes comprendre
  1100. Ce que les cielx ne porent prendre,
  1101. Si com sapience eternelle
  1102. Vous eslut mére paternelle
  1103. Du fruit de substance divine,
  1104. Car sanz humain charnel convine,
  1105. Mére Dieu, vous ymaginon.
  1106. O Maria, flos virginum,
  1107. Tresexcellente souveraine,
  1108. Qui seconde ne premeraine
  1109. Pareille a vous onques n' eustes
  1110. Ne n' arez ; pour c' estes et fustes
  1111. Fleur que par odeur alion,
  1112. Velut rosa vel lilium,
  1113. Qui gloire est a tout paradis ;
  1114. Dame, tant par faiz que pardis
  1115. Requier ta grant dileccion :
  1116. Funde preces ad filium,
  1117. Et vueille a ta dinité plaire
  1118. La penance qu' en exemplaire
  1119. De fol ay empris a mener,
  1120. Si voir que d' orgueil demener
  1121. N' ay conscience ne desir.
  1122. Dame que j' ain, crain et desir
  1123. Recevez mon oracion
  1124. Pro salute fidelium,
  1125. Tu qui es la vierge saintisme
  1126. Qui ciel, terre, mer et abisme
  1127. As surmonté.
    ( Au Paradis, s’adressant aux deux archanges : )
  1128. NOSTRE DAME.     En excellence de bonté
  1129. Moy loant me prie et appelle
  1130. Mon servant en une chappelle
  1131. La dessoubz ; bien l' oy et entens.
  1132. Gabriel amis, bien est temps
  1133. Et toy, Raphael, que vers li
  1134. Alissions, car moult m' abelli
  1135. Lui oir quant il m' aime tant.
  1136. Convoiez m' y vous deux, chantant
  1137. Chose joyeuse.
  1138. RAPHAEL.     Tresdoulce vierge glorieuse,
  1139. Quant il vous plaist, bien sui d' accort
  1140. Que chantons aucun dous recort
  1141. Devant vous a vois angelique,
  1142. Gabriel, chantons par musique
  1143. Gaie et jolie.
    ( Ils escortent la Vierge, en chantant ce rondel : )
  1144. RONDEL.     La fleur d' umilité polie
  1145. Liement ses amis pourvoit,
  1146. Et voit qui a s' amour se lie ;
  1147. La fleur d' umilité polie
  1148. Liée est quant vraiz cuers s' umilie,
  1149. Priant qu' a grace le ravoit :
  1150. La fleur d' umilité polie
  1151. Liement ses amis pourvoit.
  1152. GABRIEL.     Dame, se le monde a amie
  1153. Ne vous avoit, li ennemis
  1154. L' aroit tost a deshonneur mis
  1155. Et a honté.
  1156. ( Lorsqu’ils son arrivés dans la chapelle : )
  1157. NOSTRE DAME.( Au fils del’empereur )   Amis, qui pour folz t' es compté
  1158. Et ton sens fains estre folie,
  1159. Ta secréte melencolie
  1160. Est en bien vers moy si apperte
  1161. Au gré de mon fil que ja perte
  1162. N' y aras d' ame ne de corps ;
  1163. Car humilité les recors
  1164. De ton cuer a Dieu si enforme
  1165. Que j' essauce et soustien en forme
  1166. Les priéres de ta parole.
  1167. Je qui ainsi a toy parole
  1168. Suis la mére prevaluée
  1169. De Dieu, que tu as saluée
  1170. Devotement en cuer secré,
  1171. Qui reçoif et si preng en gré
  1172. La peine que portes cousteuse,
  1173. Que tu fains estre folieuse
  1174. Et qui non sensible est au monde.
  1175. Je l' acepte pour fine et monde
  1176. Selon foy et obedience,
  1177. Et t' ottroy grace et audience
  1178. De m' appeller.
  1179. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Dame, a qui l' ange reveler
  1180. Voult le salut dont grace vint
  1181. Quant la parole char devint,
  1182. Graces vous rens, loenge et pris,
  1183. Quant moy fol de pechié espris
  1184. Deignez cy de vostre presence
  1185. Visiter par telle evidence
  1186. Que de vostre biauté virgine,
  1187. Ou bonté doulçour ymagine
  1188. Qui resplendist et fructiffie
  1189. En lumiére qui morteffie
  1190. Toutes obscurtez et conjoie.
  1191. Lis de pitié, tresor de joie,
  1192. Quant pour ami me retenez
  1193. Et ma penance en gré prenez,
  1194. Devotement sanz mesurer
  1195. Y vueil et doy ma vie user :
  1196. Car pour merite desservir
  1197. Doy vous et vostre filz servir
  1198. Et vueil de bon cuer finement
  1199. Touzjours, jusques au finement,
  1200. Que je morray.
  1201. NOSTRE DAME.     Amis, celle suis qui voulray
  1202. Toy donner confort gracieux.
  1203. Fay bien ; je m' en revoys escieulx
  1204. Vers mon enfant celestiel.
  1205. ( Aux archanges )  Raphael, et vous, Gabriel,
  1206. Ma doulce amoureuse mesnie,
  1207. Ralons ent en la compagnie
  1208. De deité.
  1209. GABRIEL.     Tresoriére de charité,
  1210. Mére au roy des divins secrez,
  1211. Nous irons par tout a voz grez
  1212. Benignement.
  1213. RAPHAEL.     Voire, mais mettre a finement
  1214. Nous convenra nostre rondel.
  1215. Or avant : prenons, Gabriel,
  1216. Ensemble et disons de voiz lie.
    ( Ils retournent au Paradis en chantant ce rondel : )
  1217. RONDEL.     Lie est quant vraiz cuer s' umilie
  1218. Priant qu' a grace le ravoit ;
  1219. La fleur d' umilité polie
  1220. Liement ses amis pourvoit.

    ONZIEME TABLEAU.
    Le désert aux environs d’Alexandrie.
    ( Entre Godart )
  1221. GODART.     Dieu, qui tout gouverne et tout voit
  1222. Et qui maint en gloire celestre,
  1223. Soit loez ! En maint divers estre
  1224. M' a convenu querre et tracier
  1225. L' ermitte que le penancier
  1226. Me dit qu' en Egipte manoit
  1227. Et en un desert se tenoit.
    ( Voyant un ermite devant sa cellule )
  1228. A Dieu plaise que ce soit cil
  1229. Que je voy la en lieu essil
  1230. Devant son petit habitage !
  1231. Bien croy que ce soit l' ermitage
  1232. Ou il maint du tout et demeure.
  1233. Saluer le vois sanz demeure
  1234. Et dire ma neccessité.
  1235. ( S’avançant vers l’ermite )   Preudons, la sainte trinité
  1236. Vivre adès par amendement
  1237. Vous doint, et bon deffinement.
  1238. Sire, a vous m' a yci tramis
  1239. Uns homs qui moult est voz amis :
  1240. Penancier de Romme est nommez,
  1241. Et m' a dit que sy renommez
  1242. Estes et de si sainte vie
  1243. Que s' amour est en vous ravie.
  1244. Par maint salut se reconmande
  1245. A vous, et si vous prie et mande
  1246. Que de vostre introducion
  1247. Me donnez consolacion
  1248. Qui m' esjoisse.
  1249. L' ERMITE.     Amis, nouvelles que j' oysse
  1250. Pieça ne m' abellirent tant
  1251. Que du bon penancier vailant.
  1252. Est il sain du corps et haitiez ?
  1253. Quanque pourroie d' amistiez
  1254. Pour son mandement te feroie
  1255. Et en bien te conseilleroie
  1256. A mon pouoir.
  1257. GODART.     Sire, sains et haittiez pour voir
  1258. Estoit quant me parti de lui ;
  1259. Et si li plot et abeli
  1260. Especialment m' envoier
  1261. A vous pour mon cuer ravoier
  1262. A voie de paix et de grace.
  1263. Sire, j' ay vesqui longue espace
  1264. En orgueil, en oultrage, en ire
  1265. Dissoluement com le pire
  1266. Du monde et plus desnaturé.
  1267. Car un preudon prestre curé,
  1268. A qui parroissien estoie,
  1269. Tant qu' il vivoit si deboutoie
  1270. Et villenoie soir et main
  1271. Qu' une foiz au coustel la main
  1272. Mis pour le ferir par courrous.
  1273. Mais tant estoit humbles et dous
  1274. Que chastiement me monstroit
  1275. Partout la ou il m' encontroit.
  1276. Mais par mes oultrageus despiz
  1277. Le haioie de pis en pis,
  1278. Qu' ainc mon cuer ne s' umilia,
  1279. Et tant qu' il m' esconmenia
  1280. Et tint en sentence a mon tort.
  1281. Or est sanz moy absoldre mort,
  1282. C' onques mercy ne l' en requis,
  1283. Dont j' ay par repentance quis
  1284. A un autre curé qu' avons
  1285. De mes grans oultrages felons
  1286. Conseil conment je feusse absolz ;
  1287. Qu' il me dit que nulz, sire dous,
  1288. Fors que le penancier de Romme
  1289. Ne me pouoit oster la somme
  1290. Du pechié dont je suis chargié.
  1291. A Romme fui par son congié
  1292. Au penancier quy y manoit,
  1293. Et li ay si com dit m' avoit
  1294. Mon orrible pechié gehy,
  1295. Dont moult l' ay fait estre esbahy ;
  1296. Et me dit que soyentre mettre
  1297. Ne pouoit de reméde y mettre,
  1298. Et que le saint pére ensement
  1299. Estoit occuppé grandement,
  1300. Si ne pouoit a moy entendre.
  1301. Lors m' enchargea que sanz attendre
  1302. A vous venisse, et m' en hastasse,
  1303. Et ma besongne vous comptasse.
  1304. Tant ay erré qu' au plaisir Dieu
  1305. Vous ay trouvé cy en ce lieu
  1306. Conme il me dit pour verité.
  1307. Si vous suppli en charité
  1308. Pour Dieu que vous me conseilliez,
  1309. Ou d' ame et de corps essilliez
  1310. Suis a touzjours.
  1311. L' ERMITE.     Amis, en trop mauvais secours
  1312. De corps et d' ame te mettoies,
  1313. Quant ton curé si de boutoies
  1314. Qui la cure avoit et la garde
  1315. De t' ame. Or t' avise et regarde
  1316. Conment c' est pour toy chose amére :
  1317. Certes sainte eglise, ta mére,
  1318. Ne devoit cherir ny amer
  1319. T' amour, quant par oultrage amer
  1320. Pechié contens te procuroit
  1321. Au curé qui t' ame curoit
  1322. Du pechié que tu as en toy.
  1323. Conforter ne donner chastoy
  1324. Ne t' en puis pas a mon bandon :
  1325. Li vrais Diex t' en face pardon
  1326. Si voir qu' il est humbles et piex ;
  1327. Mais pour toy conseiller au miex,
  1328. Selon que dit m' as de ton fait,
  1329. Te lo que de vray cuer parfait
  1330. Graciant les vertuz divines
  1331. Vers une cité t' achemines
  1332. Qui Alixandre est appellée,
  1333. Et t' avance de ton alée,
  1334. Se salvacion trouver veulz ;
  1335. Car secours recouvrer ne peuz
  1336. Du pechié qui te lie et tient
  1337. En la guise qu' il t' appartient,
  1338. Fors par un homme de noble estre
  1339. Qui miex semble fol que sage estre
  1340. A son affaire.
  1341. GODART.     Helas ! chetis, que pourray faire ?
  1342. Sire, vous m' esbahissez tout,
  1343. Qui dites qu' a un fol estout
  1344. M' en voise conseil demander.
  1345. De conseil de fol amender
  1346. Conment peut nulz ?
  1347. L' ERMITE.     Amis, il est pour fol tenuz
  1348. Et faint qu' il soit de fol courage
  1349. Pour Dieu, mais il est homme sage ;
  1350. Car tant het d' orgueil le diffame
  1351. Que sa char destruit et diffame
  1352. Pour s' ame honnorer par penance :
  1353. Moult sueffre de desordenance
  1354. C' om li fait, dont a Dieuse loe :
  1355. En li rue ordures et boe,
  1356. Savates et drapiaux pourriz.
  1357. Mais ne fu pas ainsi norriz,
  1358. Car il est de royal lignée.
  1359. Mais il het et ades daingniée
  1360. L' orgueilleuse vie du monde
  1361. Et vit en conscience monde
  1362. De povre vie aspre et cuisant,
  1363. Et l' a en plaisir souffisant
  1364. Plus que richesse ny avoir
  1365. Ne noblesce c' on puist avoir.
  1366. En Alixandre la cité
  1367. Le quier pour ta neccessité :
  1368. Par l' enseigne le trouveras
  1369. Que le fol faire li verras
  1370. Et estre nuz et despennez,
  1371. Combien que de hault lieu soit nez.
  1372. Quant vers li seras arrivé
  1373. Poursui le tant qu' en lieu privé
  1374. Lui puisses gehir ton affaire,
  1375. Et il t' enseignera a faire
  1376. Ce dont pourras estre sauvé.
  1377. Si tost qu' a point l' aras trouvé,
  1378. Fay que te saches entremettre
  1379. De li presenter ceste lettre.
    ( Il lui remet une lettre )
  1380. Or y vas sanz dilacion,
  1381. Et si li fay bien mencion
  1382. Que la t' envoy.
  1383. GODART.     Sains homs, loez de cest envoy
  1384. Soit Diex. Quant faire le m' esteut
  1385. Et autrement estre ne peut,
  1386. Toutes paines estre solaz
  1387. Me doivent pour yssir des laz
  1388. Ou pechié lonc temps m' ame enclos
  1389. A, sire ; et selonc le propos
  1390. Que dit m' avez acompliray
  1391. Le voiage, et au fol iray ;
  1392. Et Dieux m' i doint trouver secours :
  1393. Car m' ame en pereilleux decours
  1394. Est d' aler a maleiçon.
  1395. ( S’agenouillant ) Sire, vostre beneiçon
  1396. Me donnez s' a plaisir vous vient ;
  1397. Car de cy partir me convient
  1398. Sanz nul detry.
  1399. L' ERMITE. ( Le bénissant)    Amis, Dieu par son doulx ottry
  1400. Grace et beneiçon t' envoit,
  1401. Et a salvacion t' avoit
  1402. D' ame et de corps, si qu' il t' apére.
  1403. Or va : ( Faisant le signe de croix ) seignez soiez du pére,
  1404. Du fil et du saint esperit,
  1405. Qui de la mort nous resperit
  1406. Par sa pitié.
  1407. GODART.     A Dieu, sire ! trop respité
  1408. Me sui d' amender, si me griéve.
  1409. Pour plus trouver la voie briéve,
  1410. Ce chemin si aler vourray.
    ( Il prend un chemin en direction d’Alexandrie )
  1411. Glorieux Dieu, conment pourray
  1412. Congnoissance avoir de trouver
  1413. Ce saint corps qui fol approuver
  1414. Se fait par ficcion prouvée,
  1415. Qu' apercevance revelée
  1416. Me soit qui il est ne conment
  1417. Il tent a querre sauvement ?
  1418. Dieu qui de li scet les assens
  1419. Li remerira pour grant sens
  1420. Sa foleur penitencielle,
  1421. Car plaisant et substancielle
  1422. Lui est, selon qu' entendu l' ay
  1423. De l' ermitte qui sanz delay
  1424. M' envoie a li pour ma besongne.
  1425. Pour ce qu' aler tost me besongne,
  1426. M' avenseray.
    ( Il sort )

    DOUZIEME TABLEAU
    La ville d’Alexandrie. Une rue où se trouvent la chapelle
    de la Vierge et le petit logement du fou
    .
    ( Entre une nouvelle fois le fils de l’empereur, faisant le fou et
    suivi des deux compagnons
    )
  1427. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     D'un pié sur costé danceray
  1428. Et baleray de la main destre.
  1429. Certes j' ay trop grant desir d' estre
  1430. Advocat pour plaidier a court.
  1431. Un homme qui le braz a court
  1432. N' a mestier de longue chemise.
  1433. J' ay ma cote dès hier promise
  1434. Au pape pour faire une aumusse.
  1435. Po s' en fault que je ne me musse
  1436. Je ne scé ou.
  1437. PREMIER COMPAIGNON.     Egar ! encor voy je le fou
  1438. Qui est cy revenuz arriére.
  1439. Je li vois donner par derriére
  1440. De mes cinc doiz un bobelin.
    ( Il lui donne un coup de pied par derrière )
  1441. Tournes toy, tourne, Jobelin.
  1442. Qui t' a feru ?
  1443. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Au chant d' un asne mort feru
  1444. M' endormi ersoir a la lune.
  1445. Je met bien de mes deux mains l' une
  1446. Sur l' autre pour mes doiz froter,
  1447. Et say bien saillir et troter
  1448. Tost et menu.
  1449. SECOND COMPAIGNON.     Coquelourt, es tu revenu ?
  1450. De toy veoir me semble bon.
  1451. Je te vueil farder de charbon
  1452. Pour ressambler plus biau varlet.
    ( Il lui noircit le visage avec un morceau de charbon )
  1453. Or vas : tu n' aras plus si lait
  1454. Le visage con tu avoies.
  1455. Se le bien que t' ay fait savoies,
  1456. Biau te seroit.
  1457. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Ma mére l' autrier me queroit
  1458. A tastons dessoubz son surcot.
  1459. Ceulz qui soupent a mon escot
  1460. Ont de retour.
    ( Entre Godart )
  1461. GODART.     Grant chemin ay fait et grant tour
  1462. Puis que sejour n' oy ne repos.
  1463. Mére Dieu, selon mon propos,
  1464. En Alixandre la cité
  1465. Sui, si ay bien neccessité
  1466. Que sus et jus tant pourveisse
  1467. Que le preudomme fol veisse.
  1468. Car besoin m' est de l' aconsuivre.
  1469. ( Apercevant les deux compagnons et le fils de l’Empereur )
    Ne scé quel povre homme poursuivre
  1470. Voy a deux compaignons moult près,
  1471. Je lo bien que je voise après
  1472. En regardant a l' aventure
  1473. Se ce seroit la creature
  1474. Que querir doy.
    ( Les suivant à distance, sans être remarqué )
  1475. PREMIER COMPAIGNON.     Je vueil au fol bouter mon doy
  1476. En l' ueil aussi qu' en gaberie,
  1477. Et si mettray par loberie
  1478. Un chappel d' estrain sur sa teste.
  1479. Bien sçay qu' il en fera grant feste
  1480. Quant il l' ara sur ses cheveulz.
  1481. Sot, retourne toy se tu veulz :
  1482. Ton chief, qui est gros et testuz,
  1483. De ce chappellet de festuz
  1484. Vueil coronner.
  1485. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     J' oy les sains de Rome sonner,
  1486. Ce m' est avis, en une huche.
  1487. Ne scé qui m' appelle et me huche
  1488. En Barbarie.
    ( Le premier compagnon exécute ce qu’il vient de dire : il met le doigt
    dans l’œil du fou et lui pose de la paille sur la tête en guise de chapeau
    )
  1489. GODART.     Glorieuse vierge Marie,
  1490. Conme ce fol semble a son voult
  1491. Avoir cuer benin et devot !
  1492. Mauvestuz est et descirez
  1493. Et honniz et mal atirez
  1494. De charbon, de boe et d' ordure.
  1495. Quanque on li fait sueffre et endure
  1496. Sanz courrouz en fait ny en dit,
  1497. Selon que l' ermite m' a dit.
  1498. Celui que quiers j' ay suspeçon
  1499. Que ce soit il, a la façon
  1500. De sa maniére.
  1501. SECOND COMPAIGNON.     Je vois mettre en lieu de banniére
  1502. A ce fol dessoubz son chapel
  1503. Ce viez panuffle de drapel,
  1504. Et li sacheray le toupet.
  1505. Tourne toy ça, tourne,Tripet :
  1506. Pour ce que tues [ l. tu es] chappellez,
  1507. Vueil que tu sois endrappellez
  1508. De ce drappel cy par desseure :
  1509. A terre l' ay pris tout en l' eure
  1510. Pour t' en cointir et deporter.
    ( Il lui met un vieux bout de chiffon ramassé par terre sur la tête en guise de
    bannière et lui tire une touffe de cheveux qu’il dresse sur le haut du front
    )
  1511. En lieu de banniére porter
  1512. Le te ferray a cestui coup,
  1513. Et si te tireray le toup
  1514. Dessus le front.
  1515. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Toutes foiz que vendanges sont,
  1516. Plus sage sui que je ne cuide.
  1517. Ho ! je scé bien conment on vuide
  1518. Les marliéres ou temps d' esté.
  1519. J' ay en un seul karesme esté
  1520. Trente ans a l' escole aprenant.
  1521. Je vueil que karesme prenant
  1522. Soit venredy.
  1523. GODART.     Encor croy je, si com je dy,
  1524. Que ce soit celui proprement
  1525. Que je quiers, fors tant seulement
  1526. Que cestui ne dit que sotie.
  1527. Nonpourquant, combien qu' il sotie,
  1528. Faisant penitence grevaine,
  1529. Je cuit que c' est pour gloire vaine
  1530. Oster des gens, qu' aucun ne die
  1531. Qu' il le fait pour papelardie.
  1532. Je le croy en ma conscience ;
  1533. Car il prent tout en pacience
  1534. Quanque on li fait.
  1535. PREMIER COMPAIGNON.     J' ay assez regardé le fait
  1536. De ce chetif fol et la guise.
  1537. Je m' en vois, car tant se deguise
  1538. Que tout m' afole.
  1539. SECOND COMPAIGNON.     J' ay pitié de sa guise fole,
  1540. Car ses moz dit a simple vois.
  1541. Plus ne le suivray, ains m' en vois
  1542. En autre lieu.
    ( Les deux compagnons sortent )
  1543. LE FILZ DE L' EMPEREUR. ( Continuant à délirer )
    J' ay aus deux bouz et ou melieu
  1544. Du monde esté depuis matines.
  1545. Toutes escriptures latines
  1546. Sont mises en ebrieu françois.
  1547. Raler m' en fault de cy ençois
  1548. Que ma norrice se courrouce.
  1549. ( Se croyant seul )  Royne des anges tresdoulce
  1550. Quant nulz ne me suit ne ne guette
  1551. Je me trairay vers ma logete
  1552. Ou nulz ne me scet ny appelle,
  1553. Puis iray en vostre chappelle
  1554. Vous servir, vierge tresamée,
  1555. Et d' une chandelle alumée
  1556. Vous y presenteray l' offrende,
  1557. Excellent dame reverende,
  1558. De grace et de paiz tresoriére.
  1559. Temps est qu' a vous voise en priére :
  1560. Nulz ne me voit.
    ( Il va dans son petit logement )
  1561. GODART. ( Le suivant sansêtre vu )    Dieu, quitouz ses amis pourvoit,
  1562. Me doint que bien aie adressié
  1563. A celui que j' ay tant tracié ;
  1564. Et si ay je, selon m' entente :
  1565. De loing poursuivray sanz attente
  1566. Ce fol la penitencieux ;
  1567. Car paciens et gracieux
  1568. Me semble estre selon les faiz
  1569. Qu' en ma presence a diz et faiz.
  1570. Savoir vueil quel part il veult traire
  1571. Et se c' est cil a qui retraire
  1572. Doy ma dolour.
  1573. LE FILZ DE L' EMPEREUR. ( Sortant de son logement avec un cierge éteint )
    Je feroie trop grant folour
  1574. S' en lonc detri plus m' affermoie
  1575. Et ma chandelle n' alumoie
  1576. Pour aler dire le service
  1577. De la pure vierge sanz vice
  1578. A qui liges sers suis d' onmage.
  1579. Pour aler devant son ymage
  1580. Yray ou que soit alumer
  1581. Ceste chandelle et enflammer ;
  1582. Puis iray si com j' ay appris
  1583. A la haulte royne de pris
  1584. Mercier et rendre salu,
  1585. Qui aus humains a tant valu
  1586. Que nulz dire a droit ne le scet.
    ( Il allume le cierge )
  1587. A elle qui touz pechiez het
  1588. Vois de ma chandelle en present
  1589. Faire en li saluant present
  1590. De cuer devot.
    ( Il se rend à la chapelle et y dépose son cierge devant une image
    - ou statue - de la Vierge au-dessus de l’autel
    )
  1591. GODART. ( Le suivant sans être vu )   Diex oublier pas ne me volt
  1592. Quant cy m' amena tout devray :
  1593. Ce fol sanz cesser poursuivray
  1594. Quel part qu' il aille.
  1595. LE FILZ DE L' EMPEREUR. ( Adressant sa prière à la Vierge )
    Dame des cielx, quoyque po vaille
  1596. Mon povre las chetif de corps,
  1597. Recevez en gré les recors
  1598. Que mon cuer de voiz et de bouche
  1599. Vous represente, car reprouche
  1600. De honte ne de vitupére
  1601. Ne peut venir a qui se pére
  1602. De vous amer, craindre et servir.
  1603. Dame, donnez moy desservir
  1604. L' amour vostre filz vous servant
  1605. Si qu' il me vueille pour servant
  1606. Recongnoistre en faiz et en diz
  1607. Et recevoir en paradis
  1608. Ou si hault vous enlumina.
  1609. O gloriosa domina,
  1610. Mére sans euvre de nature
  1611. Au Dieu de toute creature,
  1612. Qui tout a fait a sa divise,
  1613. Temple de foy ou sainte eglise
  1614. Prent pour repaistre humanité
  1615. Norreture et solempnité
  1616. D' amour qui onc ne varia,
  1617. Fleur de paiz, ave Maria
  1618. Plaine de grace.
  1619. GODART. ( L’observant )   Sanz plus de delay ne d' espace
  1620. Aus piez de ce preudomme a terre
  1621. M' en vois a genoulz li requerre
  1622. Conseil, car congnoistre puis bien
  1623. Que c' est cil en qui tant de bien
  1624. A, conme l' ermite disoit,
  1625. Que par grant sens le fol faisoit.
  1626. Je le voy bien a son affaire.
    ( Entrant dans la chapelle et s’agenouillant devant le fils de l’Empereur )
  1627. Preudons, li Dieux qui tout peut faire
  1628. Vous doint d' ame salvacion.
  1629. Sire, par grant affeccion
  1630. Vous vien a faire mes complains
  1631. Des pechez dont je suis si plains
  1632. C' onques de bien ne m' entremis.
  1633. A vous m' a cy endroit tramis
  1634. Un hermite qui fait bien maint,
  1635. Qui es desers d' Egipte maint.
    ( Lui remettant une lettre )
  1636. Il vous envoie ceste lettre,
  1637. Veez qu' il y a volu mettre,
  1638. Et moult se reconmande a vous,
  1639. Et que me vueillez, sire doulx,
  1640. Conseil donner.
  1641. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Amis, ainçois abendonner
  1642. Me vueil a ceste lettre lire.
    ( Il lit la lettre )
  1643. J' ay bien veu qu' elle veult dire
  1644. Et que tu demandes et chaces.
  1645. A estre absolz quiers et pourchaces
  1646. D' un grief esconmeniement
  1647. Ou as esté moult longuement :
  1648. Si te diray que je feray,
  1649. Et bonnement m' entremettray
  1650. De prier Dieu qu' il te pardoint
  1651. Tes pechiez, et pouoir te doint
  1652. De t' amender.
  1653. GODART.     Certes, doulx sire, demander
  1654. Meilleur conseil ne vous saroie,
  1655. Et pour ce prier vous voulroie
  1656. Qu' avoir pitié de moy vueilliez ;
  1657. Car se vous ne me conseilliez,
  1658. Sanz fin suis mors.
  1659. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Biaux amis, se tu te remors
  1660. Vers Dieu ainsi conme tu dis,
  1661. Encor pourras de paradis
  1662. Desservir la joie et la gloire.
  1663. Or aiez en Dieu bon memoire.
  1664. Si m' esbahis je moult de toy
  1665. Quant en telz perilz sanz chastoy
  1666. T' es laissié couler et encorre :
  1667. S' en pitié ne t' en veult secourre
  1668. Jhesus et sa tresdoulce mére,
  1669. Ta vie est trop pesme et amére ;
  1670. Si te diray que tu feras :
  1671. Par mon conseil tu te tenras
    ( Lui désignant un recoin dans la chapelle )
  1672. La en cel anglet trestout coy,
  1673. Et te diray raison pour quoy :
  1674. Souvent ceens repaire et vient
  1675. Celle a qui de pecheurs souvient :
  1676. Si gardes pour riens que tu voies
  1677. Ne t' esbahis ne ne desvoies,
  1678. Combien qu' en ton cuer te merveilles ;
  1679. Car tu pourras veoir merveilles
  1680. Ainçois que long terme detrie ;
  1681. Mais de cuer sers, de bouche prie
  1682. Adès la royne des anges,
  1683. Et ton propos de riens ne changes ;
  1684. Et je la requerray aussi
  1685. Que secours te face et mercy
  1686. Par sa pitié.
  1687. GODART.     Sire, par piteuse amistié
  1688. Voy bien que vous me conseilliez,
  1689. Si feray com bien conseilliez
  1690. Quanque me dites sanz espace,
  1691. Et ça en cest englet ma place
  1692. Iray prendre tout simplement,
  1693. Et prieray devotement
  1694. Celle qui grace a nulz ne vée.
    ( Il se retire dans un recoin de la chapelle et se met en prière,
    à genoux, les mains jointes
    )
  1695. Ave, vierge es cieulx eslevée,
  1696. Qui onques d' amour n' asseichiez.
  1697. E ! dame, estaingniez les pechiez
  1698. De moy pecheur qui cy dedans
  1699. Sui devant vostre autel adens
  1700. Jointes les mains.
  1701. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Dame qui en deité mains
  1702. A la destre de ton filz dous,
  1703. Si voir que tu confortes tous
  1704. Les cuers qui au besoin reclaiment
  1705. Ton nom et te servent et aiment,
  1706. Vierge aus ennemis ennemie,
  1707. Moy pecherre n' oblie mie,
  1708. Mais reçoi ma priére en gré
  1709. Si com tu scez qu' en cuer secré
  1710. Fais le fol soffrant orfanté,
  1711. Par quoy nul de mon parenté
  1712. Moy cognoissant ne me regart ;
  1713. Dame, de ton piteux regart
  1714. Me visite et vien regarder ;
  1715. Tresoriére qui a garder
  1716. As de grace la seigneurie,
  1717. Excellente vierge Marie,
  1718. Vaissiau de purté et saint temple,
  1719. Demontre moy aucun exemple
  1720. Que ce que te pri et salu,
  1721. Dame, me vaille et ait valu
  1722. Par tes merites.

    TREIZIEME TABLEAU
    Le Paradis.
    Apparaît Notre-Dame entourée des archanges Gabriel et Raphaël,
    de saint Jean et du premier curé
    )
  1723. NOSTRE DAME.  Tant de belles priéres dites
  1724. M' a cil qui service plaisant
  1725. Me fait, le fol contrefaisant,
  1726. Qu' aler me plaist a son appel.
  1727. ( Aux archanges ) Gabriel, et vous Raphael,
  1728. Mes anges et mes bonnes ames,
  1729. O moy qui sui dame des dames
  1730. Venez jusques la jus en terre
  1731. Ou appeller m' oy et requerre
  1732. D' un mien servant qui me supplie
  1733. Et si devotement me prie
  1734. Que pour ç' a lui par grace vois.
  1735. Or tost : chantez a haulte vois
  1736. Moy convoiant.
  1737. GABRIEL.     Providence, fleur ravoiant,
  1738. Quant il vous plaist quenous chantons,
  1739. De tel chant qu' a chanter hantons
  1740. Chanterons nous deux d' accordance.
  1741. Raphael, moy faisant aidance
  1742. Enconmenciez.
  1743. RAPHAEL.     Voulentiers, si que pronunciez
  1744. Soit ce rondel que savons cy.
  1745. Quelle part yrons nous de cy,
  1746. Vierge pucelle ?
  1747. NOSTRE DAME. ( Montrantla chapelle )   Mes amis, en celle chappelle
  1748. Irons sanz cy faire demour.
  1749. ( S’adressant à saint Jeanpuis au premier curé, qui sont auprès d’elle )
    Mais pour solaz faire et honnour
  1750. A vous, Jehan, que cy voy estre
  1751. Et a vous aussi, mon bon prestre,
  1752. Avecques moy vous en venrez
  1753. Et avec moy retournerez
  1754. Quant me plaira.
  1755. SAINT JEHAN.     Dame, vostre gré fait sera,
  1756. Quant est de par moy, c' est droiture.
  1757. Vierge mére dessus nature,
  1758. Vez me cy prest.
  1759. PREMIER CURÉ.     Fontaine d' amour, aussi est
  1760. Vostre chappellain qui cy sui.
  1761. N' ay pas vo voloir a annuy,
  1762. Ains m' y assens.
  1763. GABRIEL.     En alant chantons d' un assens
  1764. Touz ensemble de voiz ysnelle.
    ( Tous accompagnent Notre-Dame en chantant ce rondel : )
  1765. RONDEL.     Amours et mercy sont en celle
  1766. Ou doulceur fait bonté florir.
  1767. Avec biauté touz temps nouvelle
  1768. Amours et mercy sont en celle.
  1769. Pour ce qu' elle est et bonne et belle
  1770. Pour touz resjoir et guerir,
  1771. Amours et mercy sont en celle
  1772. Ou doulceur fait bonté florir.

    QUATORZIEME TABLEAU
    La chapelle de la Vierge à Alexandrie.
    ( Notre-Dame et son cortège arrivent dans la chapelle )
  1773. GODART. ( À l’écart )    Le cuer de joie me sautelle.
  1774. Ce saint homme m' a bien voir dit :
  1775. La mére du doulx Jhesu Crist
  1776. Voy la en sa propre faiture,
  1777. Sanz moy monstrer, ceste aventure
  1778. Regarderay, en oroisons
  1779. Moy tenant tant que li sains homs
  1780. Lever me face.
    ( Il s’absorbe, à genoux, dans sa prière et dans la contemplation de ce qu’il voit )
  1781. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Souveraine mére de grace,
  1782. Vostre poissance vertueuse
  1783. Tresexcellent et precieuse
  1784. Soit loée, quant par la nue
  1785. Deignez ça jus estre venue
  1786. Moy visiter acompagnie
  1787. De si glorieuse mesnie
  1788. Par votre benigne plaisir.
  1789. Bien doy avoir joye et desir
  1790. De tel noblesce.
  1791. NOSTRE DAME.     Bon corps, j' ay bien veu l' umblesce
  1792. De ton cuer quant ça m' appelloies :
  1793. Les loenges que reveloies
  1794. De ta bouche ay bien entendu ;
  1795. Pour ç' ay je ça jus descendu
  1796. Toy visiter, qu' a gré me vient.
  1797. Scez tu qu' il est ? il te convient
  1798. Avec mes anges accorder
  1799. En chantant et moy recorder
  1800. Aucune loenge nouvelle
  1801. Qui me soit et plaisant et belle :
  1802. Ainsi le vueil.
  1803. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Dame, puisque c' est vostre vueil,
  1804. Faire le doy de desirée,
  1805. Car la vois de moy inspirée
  1806. Est si de vous veoir presente
  1807. Et oir que je m' y presente
  1808. Presentement.
  1809. SAINT JEHAN.     Ensemble d' un assentement
  1810. Nous fault d' un motet le recort
  1811. Chanter : bon fol, a nostre accort
  1812. Tost vous mettez.
  1813. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Mes amis, de ce ne doubtez :
  1814. Conmenciez, et je vous suivray.
  1815. Je tenray ou je trebleray,
  1816. Quel que vouldrez.
  1817. PREMIER CURÉ.     Bien sçay que pas ne vous faindrez.
  1818. Sus, conmençons.
    ( Tous chantent un motet en l’honneur de Notre-Dame )
  1819. <Yci dit hom un motet>
    NOSTRE DAME.     Telz chans me sont doulces leçons,
  1820. En les oir tant me deport ;
  1821. Amis, et pour vostre deport
  1822. L' ay je fait dire.
  1823. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Ha ! dame du royal empire,
  1824. Ce bien ne vous puis je merir ;
  1825. Mais vous qui avez de perir
  1826. Tant de grans pecheursr espité
  1827. D' un en vueillez avoir pitié
  1828. Qui ceens est tristes et mas
  1829. Pour ses pechiez, dont grant amas
  1830. Avoit ou cuer par l' ennemy,
  1831. Qui de devenir vostre amy
  1832. Le fortraioit a son pouoir.
  1833. Or li a Diex donné voloir
  1834. De li amender de maint fait
  1835. Qu' a un sien curé a meffait,
  1836. Qui esconmenié long temps
  1837. L' a tenu, pour ce que bestans
  1838. Ot contre lui si tresmortel
  1839. Conme de sacher le coustel
  1840. Sur li sanz demander pardon.
  1841. Or est mors le curé preudon,
  1842. Si n' est de lui ne d' autre absolz
  1843. Le pecherre qui cy dessoubz
  1844. En tristesce mercy requiert.
  1845. Doulce dame, de ce qu' il quiert
  1846. Le confortez.
  1847. NOSTRE DAME.     Pour t' amour sera confortez,
  1848. Car bien sçay ce qu' il t' apromis
  1849. Et vueil qu' il ait ce qu'il a quis
  1850. Devers toy, mercy requerant
  1851. A moy quant il t' aloit querant.
  1852. Par repentance si prouvé
  1853. S' est que moy querant t' a trouvé,
  1854. Et sçay bien conment il vint ça
  1855. Et par qui il s' i adresça.
  1856. Va, si l' appelle sanz demour,
  1857. Et je li feray pour t' amour
  1858. Graces appertes.
  1859. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Tresdoulce dame, si acertes
  1860. Savez ses faiz que riens n' y fault.
  1861. Appeller le vois sanz deffault,
  1862. Si verra de vous la faiture.
    ( Il va chercher Godart, qui est resté agenouillé dans un coin
    de la chapelle, et le conduit devant Notre-Dame
    )
  1863. Liéve sus tantost, creature,
  1864. Si vien regehir tes desrois
  1865. A la mére au douls roy des roys :
  1866. Bien scet tes euvres.
  1867. GODART. ( S’agenouillantdevant la Vierge )   Dame, qui pour tes amis oevres
  1868. Vers Dieu ton glorieux enfant,
  1869. Je suis cil qui de pechiez tant
  1870. Ay fait que je ne sçay le nombre ;
  1871. Mais celui qui le plus m' encombre
  1872. C' est d' un mien curé qui ja fu,
  1873. Qui en sentence m' a tenu
  1874. Pour plusieurs griefs que li ay fait :
  1875. Or est mors, et de mon meffait
  1876. Onques absoldre ne me volt
  1877. Ne je n' oy pas tant cuer devot
  1878. Aussi que li en demandasse
  1879. Pardon, ne vers li m' amendasse.
  1880. Trespassez est, et je suis vis
  1881. Ou pechié, si qu' il m' est avis
  1882. Que jamais secours n' en aray
  1883. Se par vous n' est, mére au doulx roy.
  1884. Si vueillez, trespiteuse dame,
  1885. Secourre ceste povre d' ame ;
  1886. Car se par vous ne truis secours,
  1887. Après mort en enfer le cours
  1888. Aler m' estuet.
  1889. NOSTRE DAME.     Amis, mon filz qui scet et puet
  1890. Touz desrois remettre en compas
  1891. Et moy si ne te faudrons pas
  1892. Pour l' amitié de mon servant
  1893. Qui cy et partout moy servant
  1894. Fait penitence, je t' otry
  1895. Par grace et vueil que sanz detry
  1896. Soiez absolz de celui prestre.
    ( Montrant ceux qui lui font escorte )
  1897. Regarde a destre et a senestre
  1898. S' entre ces ames le verras,
  1899. Ne se tu choisir l' i pourras.
  1900. Se choisir l' i peuz par nul point,
  1901. Il t' assoldra, je n' en doubt point ;
  1902. C' est de mon gré.
  1903. GODART.     Mére au roy du divin secré,
  1904. Quant ce vous plaist moy ottrier
  1905. G' y garderay sanz detrier
  1906. Au plaisir de vostre pourvoy.
    ( Se levant, examinant tous ceux qui entourent la Vierge et reconnaissant le premier curé )
  1907. Dame, c' est cil que droit la voy
  1908. A destre part.
  1909. NOSTRE DAME. ( Au premier curé )    Prestre, a ce pecheur cy depart
  1910. Et donne absolte tout a fait
  1911. De quanque avoir te peut meffait,
  1912. Sanz plus faire ent plainte ne clain.
  1913. Je vueil qu' il soit absolz a plain
  1914. De quanque a meffait jusques cy.
  1915. Amis, puisque requiert mercy,
  1916. Aussi l' assol.
  1917. PREMIER CURÉ.     Doulce dame, se fel et fol
  1918. Le trouvay quant mon corps vivoit,
  1919. Touz les maux dont il m' estrivoit
  1920. Li pardoin quant vous le voulez,
  1921. Et quant vous mesmes l' absolez.
    ( Traçant le signe de la croix sur Godart, qui s’incline devant lui les mains jointes )
  1922. Je l' absoil de faiz et de diz
  1923. Au nom de Dieu, péres et filz
  1924. Et sains esperis d' un pouoir.
  1925. Amis, bien dois mercy avoir
  1926. Quant la requiers.
  1927. GODART.     A jointes mains, doulx sire chiers,
  1928. M' en enclin a vous pour le don
  1929. Qu' absolz m' avez et fait pardon
  1930. Par le conmandement piteux
  1931. De la mére au roy deliteux
  1932. Qui n' a conmencement ne fin ;
  1933. Et mercy criant de cuer fin
  1934. Vous requier bonnement, mains jointes,
  1935. Qu' aie penitences enjointes
  1936. De vous a qui fui tant rebelles :
  1937. Car les paines me seront belles
  1938. Et bonnes avec l' ordenance
  1939. De la royne de puissance
  1940. Que j' aour de sa courtoisie.
  1941. Ma char vueil que soit mesaisie
  1942. Pour mes dessertes.
  1943. PREMIER CURÉ. ( Désignant la Vierge
    Amis, tu voiz et scez acertes
  1944. La dame des cieulx ycy est,
  1945. A qui je suppli, si lui plaist,
  1946. D' en ordener.
  1947. NOSTRE DAME.     Congié te doins de li donner
  1948. Penance raisonnable et ferme,
  1949. Et je li enjoing et conferme
  1950. De l' acomplir.
  1951. PREMIER CURÉ.     Amis, pour toy miex raemplir
  1952. D' esperance de grace avoir,
  1953. De quanque tu pourras savoir
  1954. En servant Dieu d' oracions
  1955. Trois foiz le jour oblacions
  1956. A ceste haulte dame sainte
  1957. Qui du fruit divin fut ençainte
  1958. Devant son ymage feras ;
  1959. Et ainsi persevereras
  1960. Tant conme tu seras en vie,
  1961. Et lairas l' orgueil et l' envie
  1962. Du monde repentablement
  1963. Pour vivre penitablement :
  1964. Je le te charge.
  1965. NOSTRE DAME.     Et je conferme ceste charge.
  1966. Or y met entente et desir,
  1967. Et i vueilles sanz desplaisir
  1968. Perseverer.
  1969. GODART. ( Il s’est de nouveau mis à genoux )
    Tant conme vif pourray durer,
  1970. Haulte royne souveraine,
  1971. Sera mon oeuvre premeraine
  1972. De vous et vostre fils servir
  1973. Pour ceste bonté desservir
  1974. Et cestui don.
  1975. NOSTRE DAME.     S' en aras si hault guerredon
  1976. Tant conme la gloire des cieulx.
  1977. Se bien as fait, fais encor miex.
  1978. Cy endroit plus ne demourray :
  1979. De vous deux me departiray ;
  1980. A mon glorieux fil m' envois.
  1981. ( Aux archanges )   Anges, chantés a haulte vois
  1982. A mon retour.
  1983. RAPHAEL.     Fontaine de touz biens et tour,
  1984. Nous ferons vostre voulenté.
  1985. Avant : soions entalenté
  1986. De chanter, puisqu' il plaist a elle.
    ( Les archanges exécutent ce chant : )
  1987. RONDEL.     Pour ce qu' elle est et bonne et belle
  1988. Pour touz resjoir et guerir
  1989. Amours et mercy sont en celle
  1990. Ou douceur fait bonté fleurir.
    ( Notre-Dame et son cortège retournent au Paradis aux accents de ce chant )
  1991. GODART.     O dame des cieulx, qui faillir
  1992. Ne savez a nulz qui vous quiére
  1993. Mais que de bon cuer vous requiére,
  1994. Con grandement qu' il ait meffait,
  1995. De la grant grace du bien fait,
  1996. Dame, qu' ay par vous en present
  1997. Loenges et grés vous present
  1998. De cuer entier.
  1999. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Amis, bien doiz estre rentier
  2000. A la vierge ou Dieu prist hommage
  2001. D' aourer souvent son ymage
  2002. En la remambrance de ly,
  2003. Car mie ne t' a deffailly
  2004. N' a moy oir quant l' en requis :
  2005. Trouvé as ce que tu as quis.
  2006. E ! fontaine d' umilité,
  2007. Qui la povre fragilité
  2008. De moy avez tant confortée,
  2009. Vostre glorieuse portée
  2010. Et vous en graci humblement
  2011. Quant ça jus si begnignement
  2012. Venir voulsistes.
  2013. GODART.     De bonne heure le fol feistes,
  2014. Sains homs. Or vous vueil je requerre,
  2015. Ains qu' avant voise pié de terre,
  2016. Qu' il vous plaise qu' en cel demaine
  2017. Conme vous ma vie use et maine
  2018. Pour plus faire a mon corps contraire ;
  2019. Car jamais ne quiers ailleurs traire
  2020. Ma penitence.
  2021. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Amis, je te dy sanz doubtance,
  2022. Tel estat ne t' apartient pas.
  2023. Mener dois vie par compas,
  2024. Qu' avec moy point ne te mainray,
  2025. Mais bien conseillier te voulray,
  2026. Qu' en un autre lieu que scé bien
  2027. Près de cy voulsisses en bien
  2028. Avec un saint hermite user
  2029. Ta vie sanz le refuser,
  2030. Quant a bien faire as mistes veuz ;
  2031. Si t' i conduiray se tu veuz
  2032. Par bonne entente.
  2033. GODART.     Sire, sanz plus faire d' atente,
  2034. Me menez a vostre plaisance,
  2035. Car je prendray en souffisance
  2036. Vostre vouloir.     
  2037. LE FILZ DE L' EMPEREUR.     Pour l' ame de toy mieulx valoir
  2038. T' i conduiray, quant bon te semble.
  2039. ...
    ( Le fils de l’empereur conduit Godart, qui s’est relevé, vers un autre ermite du voisinage )