Retour

Miracle IV
 
  1. Sicut lilium inter spinas, sic amica mea inter filias,
    Canticorum primo.
    Doulce gent, Salemon
    dit que semblance est cause d' amour, dont l' escripture
    dit, Ecclesiastici octavo : Toute beste ame son
    semblable ; et la cause pour quoy deux personnes qui ne
    s' entrecognoissent, si tost conme il s' entrevoient, s' entreaiment,
    les docteurs dient que c' est pour ce qu' il y a dedans
    eulz une semblance repote, qui a ce les meut. Les
    personnes du monde entre lesquelles bonne et sainte
    amour est plus necessaire sont les personnes conjointes
    par mariage, car ilz ont a vivre et habiter continuelment
    ensemble. Ore la sainte escripture appelle l' ame conjointe
    a Dieu par amour et par foy espousée et mariée, Osee IIo :
    Je t' espouseray en foy ; la raison si est car, selon saint
    Augustin, en mariage corporel sont troys biens qui plus
    parfaitement doivent estre en mariage espirituel de l' ame
    a Dieu : le premier bien du mariage corporel est fruit en
    lignie, pour laquelle mariage est principalment establi ;
    le second est le bien de foy, que l' en n' ayme nul autre ne
    ne s' i joingne l' en ; le tiers est le bien du sacrement, que
    jamais on ne se doit separer ne dessevrer. Et ces troys biens
    doivent estre en mariage espirituel, quant il est parfait.
    Le premier bien est fruit ou lignie, par quoy sont entendues
    bonnes euvres, selon saint Gregoire, qui dit aussi
    conme femme ne doit concepvoir lignie fors de son
    mari, aussi personne conjointe a Dieu par amour ne
    doit concepvoir ne faire nulle euvre fors pour Dieu.
    Le second bien du mariage espirituel est le bien de foy :
    c' est assavoir que personne n' aime nulle chose fors
    Dieu. Le tiers bien du mariage espirituel est le bien
    de sacrement, c' est a dire la pardurable estableté de
    l' ame et qu' elle doit avoir a Dieu, c' est assavoir que,
    pour nulle adversité ne tribulacion, l' ame ne se doit
    separer de Dieu. Car aussi conme deux cordes noées
    ensemble sont aucunes foiz plus tost rompues par ailleurs
    que par ou est le neu, quant elles sont bien noées ;
    aussi personne qui bien est noée par amour se laisseroit
    plus tost rompre et dessevrer l' ame du corps
    que elle fust dessevrée de l' amour de Dieu. Ainsi estoit
    noé a Dieu l' appostre mon seigneur saint Pol qui disoit :
    Romanos octavo : Qui sera ce qui nous dessevrera de
    l' amour Jhesu Crist ? Aussi com s' il voulsist dire nul. Et
    ainsi nous avons deux choses : la premiére est que samblance
    est cause d' amour ; la seconde, que sainte dileccion
    est moult neccessaire entre les personnes conjointes
    par mariage, l' espous et l' espousée. Doulce gent,
    le doulx amoureux Jhesu Crist ama tressaintement et tendrement
    s' espouse, la glorieuse vierge Marie ; et pour
    cause, car elle fu moult semblable espirituelment. Toute
    la vie Jhesu Crist fu en troys poins ; en purté, en austerité
    et en charité, et ces troys furent aussi en la glorieuse vierge
    Marie. Car elle vesqui purement ; pour ce disoie je au
    conmencement du sermon : Sicut lilium ; et veez que
    la virginité de Marie est comparée au lis pour sa biauté
    et pour sa valour et aussi pour sa bonne odour ; car si
    conme le lis est de merveilleuse biauté et valeur, aussi
    virginité est tresbele et noble vertu entre les vertuz ;
    après, aussi conme le lis est de grant odeur mesmement
    quant il est enraciné en grant humeur, aussi la
    virginité de la benoite vierge Marie, qui toute estoit
    fondée en humeur de devocion, fu moult souef flairant
    devant Dieu. Secondement je di que la glorieuse vierge
    Marie fu semblable a Jhesu Crist, car elle vesqui durement
    par austerité ; pour ce disoie je : inter spinas, entre les
    espines. Mais tiercement je di qu' elle vesqui seurement
    par charité ; pour ce disoie je : amica mea, etc.  ; et la cause
    est notée par le lis, qui dedans ses six fueilles a six grains
    de couleur d' or qui nous donnent a entendre que en la
    vierge Marie a six grains de charité : desquelx troys furent
    ou regart de Dieu : premiérement, elle l' ama doulcement
    sanz amixtion ; elle l' ama sagement sanz decepcion ; et si
    l' ama fervenment sanz separacion ; les autres troys sont
    ou regart de nous : premiérement, elle ama son ame ;
    secondement, l' ame de son prouchain ; et tiercement, son
    propre corps. Et pour ce que elle fu ainsi ordenée, fu
    elle de toutes graces raemplie et doée, si que par li la
    gloire des cieulx nous est donnée, a laquelle gloire nous
    maint le pére et le filz et le saint esperit par son tresdoulx
    plaisir. Amen.

    Cy conmence un miracle de Nostre Dame, conment
    la femme du roy de Portigal tua le seneschal du
    Roy et sa propre cousine, dont elle fu condampnée
    a ardoir, et Nostre Dame l' en garanti.


    PREMIER TABLEAU
    Scène première, devant le château du Roi.
    ( Entrent successivement le roi, le sénéchal, le chevalier et le garçon )
    LE ROY DE PORTIGAL.     Seneschaux, j' ay trop grant desir
  2. D' aler chacier pour moy esbatre.
  3. Ou nous pourrons nous mès embatre
  4. Pour un lievre ou pour deux avoir ?
  5. Je vueil la contenance voir
  6. De mes levriers.
  7. LE SENESCHAL.     Mon chier seigneur, moult voulentiers
  8. Obeiray a voz conmans.
  9. ( Montrant la forêt ) En ce bois la a lievres grans
  10. Et de grosses bestes assez ;
  11. Se cerf ou dains avoir voulez,
  12. Voz chiens grans acoupler iray,
  13. Après nous mener les feray :
  14. Si chacerons.
  15. LE ROY.     Amis, nul grant chien n' y menrons :
  16. Je n' y vueil c' un poy demourer.
  17. Faites y un levrier mener
  18. Ou deux, sanz plus.
  19. LE SENESCHAL.     Vostre conmant sera tenuz.
  20. Sire, mouvons quant vous voulez :
    ( Au garçon tenant deux lévriers en laisse )
  21. Vez ci les levriers acouplez.
  22. Vien après nous, si les amaine
  23. En ce bois ou il a garainne,
  24. Ce m' est avis.
  25. UN GARÇON.     Je ne le feray pas envis,
  26. Mon seigneur, mais de bon voloir ;
  27. Se je voy lievres esmouvoir,
  28. Je lairay les levriers aler.
  29. Si les saray bien acoupler,
  30. Quant poins sera.
  31. LE CHEVALIER.     Tu t' en ventes ; or y parra
  32. S' il est ainsi : bien les arons.
  33. Mon seigneur, avec vous irons,
  34. Se vous voulez.
  35. LE ROY.     Oil, par foy ; c' est bien mes grez.
  36. Je ne vueil plus de compagnie
  37. Que de vous trois de ma mesnie :
  38. Alons nous ent.

    Scène II, à l’orée de la forêt.
    ( Le roi, le sénéchal, le chevalier et le garçon sont arrivés à l’entrée de la forêt )
  39. LE SENESCHAL.     Corner vueil au conmencement
  40. Pour ces lievres esmauveillier.
  41. J' en voy en ce bois umbroier
  42. Deux, ne sçay, trois.
  43. LE CHEVALIER.     Que fais tu, larronciau destrois ?
  44. Que ne lais tu aler ces chiens ?
  45. Tu te vantes, si ne scez riens
  46. De ton mestier.
  47. UN GARÇON.     Encore ara on bien mestier,
  48. Seigneur, de ce que je scé faire,
  49. Mais il m' estuet, se m' est vis, taire
  50. Par devant vous.
  51. LE ROY.     Tu as dit voir, mon ami doulx ;
  52. De bouches, errant, si le laisse,
  53. Et ces levriers aler en laisse
  54. Ou il vouldront.
  55. LE SENESCHAL. ( Désignantun lièvre sur une hauteur ) Je voy le lievre la amont.
  56. Hou ! hou ! volant, a li, a li !
  57. Nous eschappera il ainsi ?
  58. ...
  59. Au devant ! si le retournez
  60. Dehors le boys.
  61. UN GARÇON.     G' y voys, huant a haulte voiz,
  62. Si le retourneray, je croy.
    ( Se lançant à la pousuite du lièvre à l’intérieur de la forêt )
  63. Ha, ha, au lievre ! je le voy.
  64. Après ! après ! il va de la.
  65. Je croy qu' il nous eschappera.
  66. Voi le volant !
  67. LE CHEVALIER.( Invitant ses compagnons à suivre le garçon )
    Or avant, seigneurs, or avant ;
  68. Suivons touz jours.
  69. LE ROY.     Après, seigneurs, après le cours ;
  70. Je vous suivray tout belement ;
  71. Courrouciez seray durement
  72. Se ne l' avons.
  73. LE SENESCHAL.     Mon seigneur, a vous l' amenrons :
  74. Attendez nous.
    ( Le sénéchal et le chevalier pénètrent dans la forêt )
  75. LE ROY.     G' iray tout adès après vous.
    ( Le roi reste seul en scène )

    Scène III, à l’intérieur de la forêt.
    ( Un temps. Lorsqu’il entre à son tour dans la forêt,
    il s’y retrouve seul et erre entre divers chemins
      : )
  76. Egar ! qu' est ma gent devenue ?
  77. J' ay la sente et la voiz perdue
  78. D' eulx : si ne say quel part aler
  79. Ne par ou puisse retourner ;
  80. Et si ay grant soif et grant fain.
  81. Avec moy n' ay ne vin ne pain,
  82. Sergent, escuier ne garçon ;
  83. Ne ville ne voy ne maison,
  84. La ou me peusse mucier
  85. Ne pour boire ne pour mengier.
  86. La doulce vierge debonnaire
  87. Me vueille telle grace faire
  88. Que je puisse aucun lieu trouver
  89. La ou je me puisse hosteller
  90. Ainçois que viengne la vesprée,
  91. Tant que ma gent soit retournée
  92. Que perdu ay.
      ( Paraît le valet d’un châtelain des environs )
  93. LE VARLET AU CHASTELLAIN.     Sire, je pri a Dieu le vray
  94. Qu' il vous doint joye.
  95. LE ROY.     Di moy, amis : en ceste voie
  96. As tu encontré ne veu
  97. Gens qui un lievre ont esmeu
  98. A deux levriers ?
  99. LE VARLET AU CHASTELLAIN.     Sire, se m' aist sains Richiers,
  100. Puis que de mon seigneur parti,
  101. Ame n' encontray ne ne vi
  102. Que vous, sanz plus.
  103. LE ROY.     Dont n' es tu pas de loing venuz.
  104. Or me dy donc a qui tu es,
  105. Et se loing mains de ci ouprès :
  106. Dy le briément.
  107. LE VARLET AU CHASTELLAIN.     Sire, sachiez certainement
  108. Je ne sui pas a un vilain,
  109. Ains sui a un preuz chastellain,
  110. Qui est au roy de Portingal ;
  111. Plus gentil cuer ne plus loyal
  112. Je ne cognoys.
  113. LE ROY.     Mon ami, foy que tu me doys,
  114. Maine moy jusqu' a son hostel.
  115. Je feray pour toy autretel,
  116. S' il chiet a point.
  117. LE VARLET.     Sire, je ne vous fauldray point
  118. Pour si poy : je vous y menray.
  119. Venez après moy, car bien sçay
  120. Que bien receuz y serez :
  121. Pain et vin et chapons arez
  122. A vo plaisir.
  123. LE ROY.     Amis, c' est ce que je desir :
  124. Pieça ne bu ne ne mengeay ;
  125. Illeuc ma gent attenderay
  126. Tant qu' il venront.
  127. LE VARLET.     Sire, par Dieu qui fist le mont,
  128. Je vous tiens de ce moult a sage ;
    ( Le valet conduit le roi dans le château de son maître )

    Scène IV, le manoir du Châtelain.
    ( Le valet, suivi du roi, entre dans la cour )
  129. LE VALET.     Veez ci l' estre et le mesnage
  130. De mon seigneur.
  131. LE ROY.     Amis, se Dieu te doint honneur,
  132. Va, si li di c' uns chevaliers
  133. L' atent ici, qui voulentiers
  134. Parlast a lui.
  135. LE VARLET.     Se Jhesu Crist me gart d' annuy,
  136. Je ne le feray pas envis,
  137. Mais de cuer, car il m' est avis
  138. Que gentilz estes et courtois.
    ( Le page se rend auprès de son maître, dans le corps de logis )
  139. ( Au châtelain ) Mon chier seigneur, par sainte crois,
  140. Un gentilz homs ça vous demande :
  141. Je l' ay trouvé en ceste lande
  142. Tout esgaré.
  143. LE CHASTELLAIN.     Qui est il, di m' en verité,
  144. Se tu le scez ?
  145. LE VARLET.     Espoir bien le cognoisterez :
  146. Alez le voir.
    ( Le châtelain se rend auprès du roi dans la cour )
  147. LE CHASTELLAIN.     De Dieu puissiez bon jour avoir,
  148. Mon seigneur ! bien puissiez venir !
  149. Par vostre doulx courtois plaisir
  150. Entrez ceens.
  151. LE ROY.     Je ne feroie mie sens
  152. Se je m' en faisoie prier :
  153. Car j' ay de reposer mestier,
  154. Et si ne bu puis hui matin
  155. Ne mengeay c' une soupe en vin
  156. Tant seulement.
  157. LE CHASTELLAIN.     Mon seigneur, ou sont vostre gent,
  158. Qu' il ne sont ci ?
  159. LE ROY.     Chastellain, pour voir vous affi
  160. Qu' ilz ont un grant lievre esmeu,
  161. Ne sçay s' il l' ont aconseu :
  162. Après vont les levriers courant,
  163. Je n' en vi puis pié retournant.
  164. Ainsi ay gent et chiens perdu,
  165. Dont j' eu le cuer si esperdu
  166. Que je ne sceu quel part aler
  167. Ne a mon chemin assener,
  168. Quant j' encontray vostre varlet
  169. Qui m' a, aussi que par sohait,
  170. Si admené.
  171. LE CHASTELLAIN.     Chier sires, je vous sçay bon gré
  172. Quant vous me faites tant d'onneur,
  173. Qui suis homs de po de valeur.
  174. Conme mon seigneur droiturier
  175. Vous vueil a mon pouoir aisier
  176. En vostre hostel.
  177. LE ROY.     Or faites pour moy autretel
  178. Conme de vous, ne plus ne moins.
  179. Je sui uns petiz chastellains
  180. Ceens maishui.
    ( Dans une autre partie du manoir – ou à  une fenêtre -, d’où elles ont assisté de loin la scène précédente : )
  181. LA CHASTELLAINE.     Fille, trop esbahie sui
  182. Qui cilz homs est que mon seigneur
  183. Fait a son pouoir tel honneur
  184. Com s' il fust roys ?
  185. LA FILLE.     Mére, alons y : il est bien drois
  186. Que ceulx que mon pére aime aimons
  187. Et a noz pouoirs honnourons ;
  188. Ainsi l' espoir.
  189. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Ma cousine, vous dites voir.
  190. Alons y toutes trois ensemble,
  191. Chiére dame, se bon vous semble,
  192. Je vous em proy.
  193. LA CHASTELLAINE.     Alons, de par Dieu, je l' ottroy.
    ( La châtelaine, sa fille et sa nièce se rendent auprès du Roi,
    dans la salle à manger où il se trouve avec le Châtelain
    )
  194. Mon seigneur, bien puissiez venir !
  195. L' ostel est a vostre plaisir,
  196. Bien le sachiez.
  197. LE ROY.     Chastellaine, bon jour aiez,
  198. Et ceste doulce compagnie,
  199. Qui a vous est acompagnie,
  200. Gart Diex de mal.
  201. LA FILLE.     Sire, en tout bien, de cuer loyal
  202. Vourrienmes vostre vouloir faire,
  203. Par la mére Dieu debonnaire,
  204. En cest manoir.
  205. LE ROY.     De Dieu en puissiez gré avoir,
  206. Ma chiére amie.
  207. LE CHASTELLAIN.     Je croy que vous ne savez mie,
  208. Dame, quel hoste nous avons.
  209. C' est li roys de qui nous tenons
  210. Ce dont nous sommes honnoré.
  211. Faites toute sa voulenté
  212. Et son conmant.
  213. LA CHASTELLAINE.     Nous le ferons de cuer joiant.
  214. Phelippot, vaz la table mettre :
  215. Toutes nous voulons entremettre
  216. Du roy servir.
  217. PHELIPPOT, VARLET.     Ma dame, a vostre doulx plaisir
  218. Feray vostre conmandement.
    ( Le valet Phelippot dresse la table. Au roi : )
  219. Sire, tout est prest vraiement :
  220. Alez seoir.
  221. LE CHASTELLAIN.     Fille, prenez le pot lavoir,
  222. Si faites laver monseigneur ;
  223. Vous ne pourrez plus grant honneur
  224. Em piéce avoir.
  225. LA FILLE.     Biau pére, vous avez dit voir :
  226. Sire, lavez.
    ( Elle lui présente un vase qui sert à se laver les mains )
  227. LE ROY.     Ma chiére amie, si aiez ;
  228. Ça, je le prendray bien de vous.
    ( Le roi se lave les mains )
  229. Or ça, de par Dieu, seons nous
  230. Tout ensemble, si mengerons,
  231. Car bon appetit en avons.
  232. Cis varlez ci nous servira
  233. Et vostre fille se serra
  234. Cy, devant moy.
  235. LE CHASTELLAIN.     Mon seigneur, en amour vous proy,
  236. Car vous en vueilliez deporter :
  237. Il ne nous duit pas a diner
  238. A vostre table.
  239. LE ROY.     Mi conmant doivent estre estable,
  240. Ne nulz roys ne se doit desdire.
  241. Seez vous, sanz moy contredire,
  242. Car il me plaist.
  243. LA CHASTELLAINE.     Sire, quant vo vouloir y est,
  244. Nous ne l' oserions refuser :
  245. Qui que nous en doie blasmer,
  246. Il sera fait.
  247. LE CHASTELLAIN.     Sa, que Dieu bonne part y ait ;
  248. Seons nous dont.
    ( Ils s’asseyent tous à table, la fille du châtelain face au roi )
  249. LE ROY.     Chastellains, amour me semont
  250. De vostre fille en foy amer,
  251. Car tant me plaist a regarder
  252. Son cler vis et sa doulce chiére
  253. Et sa gracieuse maniére
  254. Que surpris m' a.
  255. LE CHASTELLAIN.     Mon seigneur, ne pensez pas la.
  256. Bien sçay que vous truffez de nous ;
  257. Ce n' est pas femme encontre vous :
  258. C' est cler a voir.
  259. LA CHASTELLAINE.     Chier sires, mon seigneur dit voir :
  260. Par foy, ma fille ne vault mie
  261. De sens, d' avoir ne de lignie
  262. Tant qu' a femme la doiez prendre :
  263. Vous en feriez a reprendre,
  264. S' ainsi estoit.
  265. LE ROY.     Tout avient ce qu' avenir doit.
  266. Chastellaine, assez ay avoir ;
  267. Se vostre fille vueil avoir,
  268. Ne la me devez escondire
  269. Que qui en ait le cuer plain d' ire,
  270. S' il li plaist, royne sera.
  271. Nulz ne le me destournera,
  272. Se Dieu ne veult.
  273. LA FILLE.     Grant chose a en « faire l' esteut ».
  274. Chier sires, puis que c' est voz grez
  275. Que prendre a femme me voulez,
  276. La mére Dieu en loueray,
  277. Que j' ay servi et serviray
  278. Plus que devant.
  279. LE ROY.     C' est parole de bon enfant :
  280. Amie, a mon gré respondez.
  281. Chastellains, or la me donnez,
  282. Et vous, chastellaine, autressi :
  283. Royne sera sans nul si
  284. Dedans brief temps.
  285. LA CHASTELLAINE.     Quant vous en estes si engrans,
  286. Mon treschier seigneur debonnaire,
  287. Que royne la voulez faire,
  288. Nous ne devons pas refuser
  289. L' eur que Dieu lui veult donner.
  290. Vostre voulenté en ferons :
  291. Ou nom de Dieu la vous donnons,
  292. Son pére et moy.
  293. LE CHASTELLAIN.     Sire, a ce don du tout m' ottroy :
  294. Ainsi soit com sa mére a dit ;
  295. Vostre sera sanz contredit.
  296. Or ça, ma fille, levez vous :
  297. Recevez l' onneur a genouz
  298. Que Dieu vous fait.
  299. LA FILLE.     Pére, j' ay en mon cuer pourtrait
  300. Que je ne sui mie si digne
  301. Que je deusse estre royne.
    ( S’agenouillant, et s’adressant au roi )
  302. Mon treschier seigneur, obeir
  303. Vueil du tout a vostre plaisir.
  304. A voz conmans obeiray ;
  305. Du tout vostre voloir feray,
  306. Sauve m' onnour.
  307. LE ROY.     Sus, m' amie, de bonne amour
  308. Vous ains, sanz folie penser.
  309. Plevir vous vueil et espouser
  310. Assez briément.
  311. LE CHASTELLAIN.     Dieu vous merisse haultement,
  312. Mon seigneur, ceste grant bonté,
  313. Quant vous de vostre humilité
  314. Voulez ma fille fiancier :
  315. Faites le donc sanz delaier,
  316. A la bonne eure.
  317. LE ROY.     En petit de temps Diex labeure :
  318. M' amie, Diex euvre pour vous
  319. Je vous ay en convant, cuer doulx,
  320. Que je a femme vous prenray,
  321. Ne autre de vous je n' avray,
  322. Vostre vivant.
  323. LA FILLE.     Et je vous ay en convenant
  324. Que je n' avray autre mari,
  325. Qui que en ait le cuer marri,
  326. Que vous, tant com vous viverez ;
  327. Et de moy bien gardez serez
  328. A mon pouoir.
  329. LE ROY.     M' amie, vous ferez savoir :
  330. La mére Dieu vous en doint grace !
  331. Se Dieu me fait vivre l'espace
  332. D' un moys, je vous espouseray ;
  333. Royne et dame vous feray
  334. De cest pais.
  335. LA CHASTELLAINE.     De Dieu en soiez vous oiz,
  336. Sire, qui vous doint bonne vie
  337. Et ceulx qui en aront envie
  338. Puist cravanter.
  339. LE CHASTELLAIN.     Dieu nous vueille a joie envoier,
  340. Se il lui plaist, celle journée
  341. Que ma fille soit coronnée
  342. Par son plaisir.
  343. LE ROY.     Amen ! si com je le desir
  344. M' en doint la besongne parfaire.
  345. Ma chiére amie debonnaire,
  346. A vous vueil parler en secré
  347. Et dire de ma voulenté
  348. Deux moz ou trois.
  349. LA FILLE.     Mon treschier seigneur, c' est bien drois,
  350. Car vostre sui.
  351. LE CHASTELLAIN.     Fille, se Dieu me gart d' annuy,
  352. Vous parlez bien et sagement.
  353. Parlez a li hardiement
  354. D' or en avant.
  355. LA CHASTELLAINE.     Obeissez a son conmant,
  356. Chiére fille, c' est de raison :
  357. Seue estes de son vouloir bon ;
  358. Bon gré l' en say.
    ( Le roi et la fille du châtelain se mettent à l’écart )
  359. LE ROY.     Chiére amie, je vous diray :
  360. Vostre sui et vous estes moie,
  361. Si que riens ne vous celeroye :
  362. Sachiez jamais joie n' aray
  363. Jusqu' a l' eure que je pourray
  364. De vous joir.
  365. LA FILLE.     Sire, Dieu le vous puist merir.
  366. Or say je bien que vous m' amez ;
  367. Si vous pri que vous vous hastez
  368. Des noces faire.
  369. LE ROY.     Ma chiére amie debonnaire,
  370. On ne se peut pas si haster
  371. De telles noces espouser
  372. Conme du roy.
  373. LA FILLE.     Mon seigneur, foy que je vous doy,
  374. Vous ne m' ameriés jamais,
  375. Se vostre vouloir estoit faiz
  376. Ains que m' eussiez espousée ;
  377. Refraingnez en vostre pensée,
  378. Je vous en pri.
  379. LE ROY.     Chiére amie, je vous affi
  380. Que je vous en ameray miex
  381. Cent mille foiz, si m' aist Diex !
  382. Vous me pouez la mort donner
  383. Se vous ne voulez accorder
  384. Ma voulenté.
  385. LA FILLE.     Sire, l' onneur et la bonté
  386. Que fait m' avez vous iert merie.
  387. Se perdre devoie la vie,
  388. Si feray je vostre vouloir
  389. Pour vous faire santé avoir.
  390. Venir pourriez une vesprée
  391. Dedans ma chambre a recelée ;
  392. Mon seigneur, veez ci les clez,
  393. Si y vendrez quant vous vouldrez
  394. Pour vostre pais.
    ( Elle lui donne les clefs de sa chambre )
  395. LE ROY.     Or ne vous harray je jamais,
  396. Ma tresdoulce loyal amie.
  397. Bien sçay que vous ne voulez mie
  398. Veoir ma mort.
  399. LA FILLE.     Mon seigneur, ce seroit a tort
  400. Se vostre santé ne gardoie :
  401. Ly omecides seroit moie.
  402. La clef de m' onneur emportez
  403. Et de la vostre : or en ouvrez
  404. De vostre sens.
  405. LE ROY.     M' amie, quant lieux iert et temps,
  406. Par devers vous retourneray,
  407. Quant ma gent retrouvé aray
  408. Que perdu ay.
    ( Revenant vers le châtelain )
                     A Dieu vous di,
  409. Chastellain ; a vous, dame, aussi
  410. Pren congié, et a vous, pucelle.
  411. Jusqu' a tant que j' orray nouvelle
  412. De ma gent ne revendray ça ;
  413. Vostre fille me convendra
  414. Lors espouser.
  415. LE CHASTELLAIN.     A joie vous puist ramener
  416. Diex li doulx roys de paradis,
  417. Si que li faiz soit acomplis
  418. Qu' empris avez.
  419. LE ROY.     Amen ! Or a Dieu demourez :
  420. Ame ne vendra plus avant ;
  421. Après ma gent iray batant
  422. Tout a par moy.
  423. LA CHASTELLAINE.     Li vraiz Diex qui je sers et croy
  424. Vous puist aidier !
    ( Le roi, ayant pris congé, se retire )
  425. LA FILLE.     Bien doy loer et gracier
  426. La doulce vierge debonnaire,
  427. Qui tant m' a volu d' onneur faire
  428. Et de grace que j' avray roy
  429. A mari de gentil arroy :
  430. C' est grant eur.
  431. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Vo cuer en doit estre seur,
  432. Car il vous aime d' amour fine,
  433. Quant il vous veult faire royne :
  434. C' est de certain.
  435. LE CHASTELLAIN.     Il convient ains huy que demain
  436. Nostre besongne appareillier
  437. Pour ces noces sanz atargier.
  438. Alons laiens, si devisons
  439. En quelle guise ouvrer pourrons
  440. Pour nostre honneur.
  441. LA CHASTELLAINE.     Vous dites bien, mon chier seigneur :
  442. Il appartient.
    ( Ils se retirent à leur tour.)

    Scène V, sur un chemin.
  443. LE ROY. ( Se rendant à son manoir ) Par foy, je ne sçay dont ce vient
  444. Que ma gent ne m' ont retrouvé.
  445. Je croy qu' ilz soient retourné
  446. En mon manoir.

    DEUXIEME TABLEAU
    Scène première, le château royal
  447. LE CHEVALIER.     Nous devons bien merveille avoir
  448. Que mon seigneur est devenuz
  449. N' en quel lieu il s' est tant tenuz,
  450. Quant ne revient.
  451. LE SENESCHAL.     Aler querre le me convient,
  452. Plus ne m' en pourroie tenir.
  453. Je le voy, ce m' est vis, venir ;
  454. Alons vers li.
  455. LE CHEVALIER.     E ! Diex, qu' il nous a fait d' annui
  456. Et de paour !
    ( Le sénéchal et le chevalier vont au-devant du roi qui entre )
  457. LE SENESCHAL.     Bien puissiez venir, mon seigneur ;
  458. Nous vous avons grant piéce quis ;
  459. Puis que de nous fustes partiz
  460. Ne vous veismes.
  461. LE ROY.     Si m' aist li doulx roys haultismes,
  462. Non fis je vous, mi chier ami :
  463. Vous deviés venir vers mi ;
  464. Ains puis nul de vous n' encontray,
  465. Dont au retour je m' esgaray
  466. Dedans le boys.
  467. LE SENESCHAL.     Quant des chiens perdites la vois,
  468. Mon seigneur, ou tournastes vous ?
  469. Puis que vous partistes de nous
  470. Que vous advint ?
  471. LE ROY.     Je trouvay dix et uit ou vint
  472. De voies, ne soy laquelle prendre ;
  473. Un garçon vi qui sanz mesprendre
  474. En une sente m' adresça,
  475. Et celle sente m' amena
  476. En l' ostel d' un mien chastellain,
  477. Qui tout mon vouloir fist a plain ;
  478. Car sa fille qui est pucelle,
  479. Qui tant est gracieuse et belle
  480. Et plaisant, au voir recorder,
  481. C' on ne peut sa pareil trouver,
  482. Si m' a a mon diner servi,
  483. Et je li ay bien desservi :
  484. Ma foy a que l' espouseray
  485. Tout le plus tost que je pourray
  486. Pour sa bonté.
  487. LE CHEVALIER.     Sire, qu' avez vous empensé
  488. De vous en si petit lieu mettre ?
  489. Se de vostre serf faites maistre,
  490. S' iert grant folour.
  491. LE SENESCHAL.     Il vous a dit voir, mon seigneur ;
  492. En tel lieu vous fussiez vous mis
  493. Dont vous eussiez plus d' amis
  494. Et plus d' avoir.
  495. LE ROY.     Seneschaulx, vous avez dit voir ;
  496. Mais ceste me plaist, si l' aray,
  497. Se Dieu plaist ; si l' espouseray
  498. Assez briément.
  499. LE CHEVALIER.     Sire, nous parlons folement ;
  500. Puis que vous avoir la voulez,
  501. Ja pour ame ne la lairez :
  502. A vous en est.
  503. LE ROY.     C' est bien voir, puis qu' elle me plaist :
  504. Et je la vueil a femme prendre,
  505. Vous ne le me pouez deffendre
  506. Que je ne l' aie.
  507. LE SENESCHAL.     Mon seigneur, c' est bien chose vraie ;
  508. Or en faites vostre voloir.
  509. Puis qu' autre ne voulez avoir,
  510. Plaire nous doit.
  511. LE ROY.     C' est bien voir. Quelle qu' elle soit,
  512. Sien sui et elle sera moie,
  513. Car en moy servant je l' amoie
  514. Pour sa gracieuse maniére.
    ( Au chevalier )
  515. Or vous traiez un pou arriére :
  516. A mon seneschal vueil parler
  517. Secréement et diviser
  518. Ce que vouldray.
  519. LE CHEVALIER.     Vostre conmandement feray,
  520. Mon chier seigneur, c' est de raison.
  521. Oir ne doy autruy raison
  522. Sanz moy huchier.
    ( Le chevalier s’éloigne )
  523. LE ROY. ( Prenant le sénéchal à part ) Ja me vueil a vous conceillier,
  524. Seneschaux. Sachiez de certain
  525. J' ains la fille a ce chastellain
  526. Tant que sanz li ne puis durer.
  527. En convant li ay qu' espouser
  528. La vouldray et faire roine ;
  529. Et entre ci et le termine
  530. Que je mis d' espouser li ay
  531. M' a convenant que je jerray
  532. Avecques li quant me plaira ;
  533. Et vez ci la clef qu' elle m' a
  534. De sa chambre en privé baillié :
  535. Si que quant tout sera couchié,
  536. Demain au soir j' y enterray
  537. Et mon vouloir de li feray,
  538. Ce m' a convant.
  539. LE SENESCHAL.     Vous ouverrez trop folement,
  540. Mon seigneur, se ce voulez faire.
  541. A roy de si puissant affaire
  542. Con vous estes n' appartient mie
  543. De faire telle villenie.
  544. Puis qu' a femme avoir la voulez,
  545. Mon seigneur, vous attenderez
  546. Tant que vous l' arez espousée ;
  547. Car se vous l' aviez violée
  548. Avant, de certain il me semble
  549. Que jamais paix n' ariez ensemble,
  550. Car, quant vous vous courroceriés,
  551. Espoir vous li reproucheriés
  552. Ce qu' elle pour vous aroit fait,
  553. Dont le pechié et le forfait
  554. Sur vous seroit.
  555. LE ROY.     J' ay tort et vous avez le droit,
  556. Seneschaux ; dont je vous croiray
  557. Et ceste clef vous bailleray :
  558. Gardez la moy.
    ( Il lui remet les clefs )
  559. LE SENESCHAL.     Mon seigneur, foy que je vous doy,
  560. Je l' iray en tel lieu jetter
  561. Ou nulz ne la pourra trouver,
  562. Que je bien say.
  563. LE ROY.     Amis, bon gré vous en saray.
  564. Or le faites sanz delaier,
  565. Et nous irons esbanoier
  566. En mon jardin.
    ( Le chevalier revient auprès du roi )
  567. LE CHEVALIER.     Vous ne savez a quelle fin,
  568. Mon seigneur, nous sommes venu.
  569. Puis que nous vous eusmes perdu
  570. De ce lievre que nous chaçasmes,
  571. Un cerf par devant nous trouvames,
  572. Si le suimes ci de près
  573. Tout parmy la haulte forest,
  574. Ou fu aconseuz et pris.
  575. Vostre levrier sont de grant pris,
  576. Quant ataint l' ont.
  577. LE ROY.     Certainement, voirement sont,
  578. Dont je les ains miex que devant.
  579. Je ne m' en puis passer a tant :
  580. Il m' en convient plus d' un avoir ;
  581. Et des sengliers, au dire voir,
  582. Nous convient pour noz noces faire.
  583. Nul n' en doit parler au contraire :
  584. Pourvez nous ent.
  585. LE SENESCHAL.     Assez en arons vraiement,
  586. Mon seigneur, ains que li jour viengne ;
  587. En celle forest de Compiengne
  588. En a assez.
  589. LE CHEVALIER.     Mon seigneur, ne vous en doubtez :
  590. Vostre conmant bien fait sera,
  591. Toutes les foiz que l' en vouldra
  592. Venez vous un po reposer ;
  593. La besongne irons aprester
  594. Vostre seneschal, sire, et moy.
  595. Nous ferons tant entre nous doy
  596. Que bien ert fait.
  597. LE ROY.     Or ne tenons plus de ce plait ;
  598. Delivrons nous, je vous en pri,
  599. Car espouser vueil sanz nul si
  600. Dedans un moys.
  601. LE SENESCHAL.     Mon chier seigneur, par sainte crois,
  602. Vers Compaingne nous en irons :
  603. Cers et sangliers venir ferons
  604. A grant planté.
  605. LE CHEVALIER.     Mon seigneur, il dit verité ;
  606. Or y voit, et g' iray demain
  607. En la forest de saint Germain ;
  608. Et vostre seneschal ira
  609. Droit a Compaigne, ou il fera
  610. Bien son plaisir.
  611. LE ROY.     Mouvez devant, car j' ay desir
  612. Que vous la besongne faciez,
  613. Dont honneur et prouffit aiez
  614. Et moy aussi.
  615. LE SENESCHAL.     Or en alons donc sanz detri ;
  616. Alons monter.
  617. LE ROY.     Alez, je feray ordener
  618. Mes chambres a mes chamberlens ;
  619. Si vous attenderay ceens
  620. Jusqu' au retour.
    ( Le roi se retire )
  621. LE CHEVALIER.     Nous ne serons mes a sejour
  622. Tant que ceste besongne iert faite.
  623. Chascun de nous deux si s'afaicte
  624. A son pouoir.
  625. LE SENESCHAL.     En nom Dieu, vous avez dit voir ;
  626. D' une part m' en vois et vous d' autre ;
  627. Sus ces sengliers lance sus faultre
  628. Chevaucherons.
  629. LE CHEVALIER.     Par ma foy, voirement ferons.
  630. A Dieu vous dy.
  631. LE SENESCHAL.     Je m' en vois monter autressi
  632. Com vous ferez, sanz dire mot.
    ( Le chevalier sort )
  633. Puis que nul ne me voit ne ot,
  634. En l' ostel de ce chastellain
  635. Vueil aler contre le serain.
  636. C' est la nuit que monseigneur doit
  637. Joir de sa fille : orendroit,
  638. Sanz mot dire, defermeray
  639. Sa chambre et avec li gerray,
  640. Dont mon seigneur la clef bailla :
    ( Le sénéchal se rend au manoir du châtelain )

    Scène II. Le manoir du châtelain.
    ( Entre le Sénéchal, seul ).
  641. L' eure est qu' elle li divisa ;
  642. Si y sui bien a point venuz.
  643. Mais que ne soie cogneuz,
  644. De li feray ma volenté :
  645. Si la tendra plus en vilté
  646. Mon seigneur, lors que il savra
  647. Que pucelle pas ne sera.
  648. Une autre li feray avoir,
  649. Fille de roy ; au dire voir,
  650. C' est bon afaire.
    ( Il pénètre dans la chambre où dort la fille du châtelain et s’étend auprès d’elle. Au bout d’un temps : )
    LA FILLE. ( Se réveillant et découvrant le sénéchal endormi auprès d’elle )
  651. Doulce royne debonnaire,
  652. Mére Dieu, que m' est advenu ?
  653. J' ay m' onneur et mon sens perdu
  654. Ce n' est pas le roy monseigneur.
  655. Mourir m' en verray a douleur,
  656. Se ce n' est il ; certainement
  657. Il ne ronfle pas ensement.
  658. Ce ne seroit pas de raison,
  659. Car il n' a barbe, ne grenon,
  660. Ains a cler et onni le vis,
  661. Et cilz ci, conme il m' est avis,
  662. A barbe grant et si est viex.
  663. Alumer vueil pour le voir miex
  664. Une chandeille seulement,
  665. Et si iray tout belement
  666. Ma chiére cousine esveillier,
  667. Pour moy aidier et conseillier.
    ( Elle allume une chandelle et se rend auprès de sa cousine dans une autre chambre )
  668. Chiére cousine, je vous pri
  669. Que vous viengnés avecques mi
  670. Ou j' ay affaire.
  671. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Chiére cousine debonnaire,
  672. Voulentiers iray avec vous.
  673. Levée sui ; ou yrons nous ?
  674. Dites le moy.
  675. LA FILLE.     Cousine, foy que je vous doy,
  676. Je le vous diray en secré.
  677. Mon seigneur avoit voulenté
  678. De venir avec moy jesir
  679. Et de faire tout son plaisir.
  680. La clef de ma chambre emporta
  681. Et de sa bouche me jura,
  682. Se sa voulenté ne faisoie,
  683. Que ja a mari ne l' aroye.
  684. Or est la nuittie venue
  685. Qu' il me devoit en ses braz nue
  686. Ennuit toute la nuit tenir
  687. Pour sa volenté acomplir.
  688. Un autre est en son lieu venuz
  689. Avec moy couchier trestouz nuz :
  690. Si vueil de vous pour Dieu savoir
  691. Quel conseil j' en pourray avoir.
  692. Je vueil la chandelle alumer,
  693. Pour miex congnoistre et aviser
  694. Quelz homs il est.
  695. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Alons le voir, puisqu' il vous plaist.
  696. Se c' est li roys, si le gardons.
  697. Se c' est autre, si li copons
  698. Le chief, si le gettons ou puiz
  699. De ceens : ja n' iert veuz puiz
  700. Ne ravisez.
  701. LA FILLE.     Ma cousine, bien dit avez.
    ( Elles vont dans la chambre où dort le sénéchal.
    La fille du châtelain approche de lui sa chandelle
    )
  702. Or le regardons bien a plain.
  703. Mon seigneur a vis cler et plain,
  704. Et cilz l' a noir, viel et froncié.
  705. Je lo qu' il ait le chief tranchié
  706. En son dormant.
  707. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Jamais n' en ira plus avant :
  708. Tranchez li le chief de s' espée.
  709. Elle est assez tranchant et lée
  710. Pour tel fait faire.
  711. LA FILLE. ( prenant l’épée du sénéchal )   Doulce mére Dieu debonnaire,
  712. Ne me vueillés mau gré savoir
  713. De ce fait : vous savez le voir,
  714. Dame, qu' il m' ades honnorée ;
  715. Car par lui sui depucellée.
  716. Vierge, la penance en feray,
  717. Quant confessée m' en seray.
    ( Elle tranche la tête du sénéchal )
  718. Vez la, c' est fait.
  719. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Or l' emportons, sanz faire plait,
  720. Ou puis, ains qu' il soit adjourné.
  721. Si avez vostre voulenté
  722. Du traiteur.
  723. LA FILLE.     Alons : pour garder mon honneur
    ( Elles vont jeter la tête et le corps du sénéchal dans le puits )
  724. C' est fait a point.
  725. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Cousine, je ne vous fail point ;
  726. Si vous doit de moy souvenir,
  727. Quant vous pourrez regne tenir
  728. De royauté.
  729. LA FILLE.     Par foy, vous dites verité,
  730. Cousine, ja ne vous faudray :
  731. De toute l' onneur que j' aray
  732. Serez vous de la moitié dame,
  733. Mais que celer vueillez mon blasme
  734. Sanz descovrir.
  735. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     J' ameroye miex a mourir,
  736. Que ce que je vous encusasse
  737. Ne qu' a nul ame j' en parlasse
  738. De rien qui soit.
  739. LA FILLE.     Ma cousine, vous ariez droit :
  740. Jhesus vous en vueille garder.
  741. Or en alons laiens jouer
  742. Aussi que de ce ne soit riens.
  743. Après les maux viennent les biens
  744. Souventes foiz.
  745. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Li debonnaires Dieu courtois
  746. Nous doint de ce villain forfait,
  747. Que sus nostre droit avons fait,
  748. Amendement.
    ( Elle sort )
  749. LA FILLE. ( Restée seule, adressant une prière à la Vierge )
    Vierge poissanz, si vraiement
  750. Que pas ne l' ay fait par malice
  751. Et qu' il convint que j' obeisse
  752. Du tout au conmant monseigneur,
  753. Si me vueilliez garder m' onneur
  754. Et me donnez cuer et desir
  755. De vous de miex en miex servir,
  756. Par quoy vous vueilliez ma paiz faire
  757. Au glorieux roy debonnaire,
  758. Vostre enfant chier.
    ( Elle sort )

    TROISIEME TABLEAU.
    Scène première. Le même lieu, un mois plus tard.
    ( Entrent le châtelain et son épouse, suivis de leur fille et de leur nièce )
  759. LE CHASTELLAIN.     Nous ne pouons plus detrier.
  760. Par la mére Dieu debonnaire,
  761. Chastellaine, il est temps de faire
  762. ...
  763. Li roys nous mist a hui journée
  764. De l' espouser.
  765. LA CHASTELLAINE.     Mon seigneur, il n' a qu' aprester.
  766. Se mon seigneur le roy venoit,
  767. Nostre fille preste seroit
  768. Bien et a point.
  769. LE CHASTELLAIN.     Fille, ne vous esloingnez point ;
  770. Venez lez vostre mére soir.
  771. Et vous, niepce, par mon vouloir,
  772. Soiez ensemble.
    ( Toutes deux s’asseyent auprès de la châtelaine )
  773. LA FILLE.     Mon seigneur, touz li corps me tremble,
  774. Ce m' est avis, de la paour
  775. Que je ne perde mon seignour,
  776. Quant il ne vient.
  777. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Ma chiére cousine, il convient
  778. C' on attende tout son plaisir.
  779. Encore y peut il bien venir
  780. Assez a temps.
  781. LA CHASTELLAINE.     Fille, ne soiez dementans.
  782. Bien croy qu' il ne faulcera mie
  783. La foy que il vous a baillie,
  784. Quoy qu' il demeure.

    Scène II. Le château du Roi.
      ( Entrent le roi et son chapelain )
  785. LE ROY.     Avis m' est que passée est l' eure
  786. Qu' a ma gent devoie venir.
  787. Il me convient ma foy mentir,
  788. Se de moy n' est ceste journée
  789. Ma treschiére amie espousée,
  790. Que plevi ay.
  791. LE CHAPPELLAIN.     Se il vous plaist, querre l' iray,
  792. Tant dis que vostre gent venra.
  793. Miex vault qu' elle viengnea vous ça,
  794. Sire, que vous aliez a li.
    ( Désignant le chevalier qui est de retour )
  795. Et veez ça monsieur Landri,
  796. Vostre pourveur.
    ( Entre le chevalier )
  797. LE CHEVALIER.     Diex vous doint bon jour, mon seigneur,
  798. Et toute vostre compagnie.
  799. La besongne est appareillie
  800. Pour quoy j' alay.
  801. LE ROY.     Vous avez eu grant delay
  802. Pour appareillier tant et plus.
  803. Qu' est mon seneschal devenuz ?
  804. Puis ne le vi.
  805. LE CHEVALIER.     Mon chier seigneur, non fis je aussi
  806. Il ne vint pas avecques moy,
  807. Si que par la foy que vous doy
  808. Je ne sçay quel part il tourna.
  809. Espoir assez tost revenra :
  810. Ja n' en doubtez.
  811. LE ROY.     Je vous requier que vous alez
  812. Querre la fille au chastellain,
  813. Je n' y vueil mettre nul demain :
  814. Sa mére et son pére et sa niepce,
  815. Il ne s' en iront mes em piéce.
  816. Mes noces volray ceens faire :
  817. Je ne puis en ce fait meffaire.
  818. Alez errant.
  819. LE CHAPPELLAIN.     Nous irons par vostre conmant.
  820. Messire Landri, alons y
  821. Entre moy et vous, sanz detri,
  822. Se vous voulez.
  823. LE CHEVALIER.     Oil, alons, c' est bien mes grez.
    ( Ils sortent )

    Scène III. Le manoir du Châtelain.
    ( Entrent le Chevalier et le Chapelain )
  824. LE CHEVALIER.     Chastellains, Dieu vous doint bon jour.
  825. Venez tantost a mon seignour :
  826. Vostre fille veult espouser ;
  827. Et si faites sa mére aler
  828. Et vostre niepce avecques li.
  829. Par moy le vous mande il ainsi ;
  830. Bien le sachiez.
  831. LE CHASTELLAIN.     Seigneurs, les bien venuz soiez :
  832. Nous ne le ferons mie envis.
  833. Sa, belle fille, il m' est avis
  834. Que li roys n' a pas oblié
  835. Ce qu' il vous a convenancié.
  836. Vostre mére et ma niepce iront
  837. Devers li et vous y menront
  838. Avec sa gent.
  839. LA FILLE.     Pére, a son doulx conmandement
  840. Et au vostre vueil obeir.
  841. Je n' ay de riens plus grant desir
  842. Que de le faire.
  843. LA CHASTELLAINE.     Par la mére Dieu debonnaire,
  844. Ma fille, c' est bien respondu.
  845. Or n' y ait plus mot debatu
  846. En ceste voie.
  847. LE CHAPPELLAIN.     Dieu nous y doint venir a joie.
  848. Alons, il est temps de mouvoir.
  849. Mon seigneur, ce sachiez devoir,
  850. Trop nous atent.

    Scène IV. Le château du roi.
    ( Entrent le chevalier et le chapelain, suivis du châtelain et de sa famille )
  851. LE ROY.     Bien viengne ceste bonne gent
  852. Chiére amie, espouserons nous ?
  853. Respondez moi. Le voulez vous
  854. Sanz delaier ?
  855. LA FILLE.     Je vous en vouldroie prier,
  856. Mon chier seigneur.
  857. LE CHAPPELLAIN.     Çaens, ou nom de saint Sauveur
  858. Je vouldray faire mon devoir.
    ( Le chapelain procède au mariage )
  859. Mon seigneur, voulez vous avoir
  860. Ceste pucelle ci a femme
  861. Et a espouse, et faire dame
  862. De touz voz biens ?
  863. LE ROY.     Oil, sire : je n' ains tant riens
  864. Com je fas li.
  865. LE CHAPPELLAIN.     Sa, damoiselle, et vous aussi,
  866. Voulez vous ce seigneur avoir
  867. A mari, et corps et avoir
  868. Garder en foy ?
  869. LA FILLE.     Oil, sire, et a ce m' ottroy :
  870. Halaigre et sain le garderay,
  871. Foy et loyauté li feray
  872. Tout mon vivant.
  873. LA CHASTELLAINE.     Je pri au tresdoulx roy puissant
  874. Qu' il vous doint paiz et joye ensemble.
  875. Mon treschier seigneur, il me semble
  876. Ma fille est vostre de touz poins ;
  877. Et il n' est mie orendroit poins
  878. De faire noces ne l' arroy
  879. Tel conme il appartient aroy.
  880. Mais d' ui en uit jours bien ferez
  881. Et touz voz barons manderez
  882. A vostre feste.
  883. LE ROY.     Je tien ce conseil a honneste ;
  884. Ainsi iert fait.
  885. LA CHASTELLAINE.     C' est si bon conseil qu' a sohait.
  886. Mon seigneur, vueillez nous donner
  887. Le congié de nous en raler
  888. Jusqu' a ce jour.
  889. LE ROY.     Je le vueil ; alez sanz demour.
  890. La royne me demourra
  891. Et sa cousine que veez la,
  892. Qui ci li fera compagnie ;
  893. Si ne li ennuiera mie
  894. A ce premier.
  895. LA CHASTELLAINE.     Diex vous en rende le loier,
  896. Mon seigneur, de ceste bonté.
  897. ( À sa fille ) Fille ; faites sa voulenté.
  898. A Dieu vous dy.
  899. LA FILLE.     A Dieu vous conmans je aussi,
  900. Ma mére chiére.
  901. LA CHASTELLAINE.     Faites li faire bonne chiére,
  902. Mon seigneur ; a Dieu vous conment,
  903. Le vray glorieux roy puissant,
  904. Qui es cieulx maint.
  905. LE ROY.     Et il a joie vous ramaint
  906. A paiz de cuer en vostre lieu.
    ( Le châtelain et son épouse se retirent )
  907. Or sa, m' amie, ou nom de Dieu,
  908. Demain serez en bonne estraine,
  909. Se Dieu plaist et je vif, royne
  910. De touz clamée.
  911. LA FILLE ROYNE.     La vierge royne honnorée,
  912. Mon seigneur, le vous puist merir.
  913. Ne vous vueille desabellir,
  914. Se ma cousine et moy parlons
  915. De ce que nous a faire avons
  916. Ça un petit.
  917. LE ROY.     Nanil, ma seur, se Dieu m' aist.
  918. Parlez y tout hardiement,
  919. Et g' iray parler a ma gent
  920. Sa d' autre part.
    ( Le roi s’ éloigne avec ses gens et la reine prend à part sa cousine )
  921. LA ROYNE.     Ma cousine, Diex y ait part,
  922. Or suis je appellée royne ;
  923. Et vous savez bien mon convine :
  924. Il ne le vous convient plus dire,
  925. Dont nous avons les cueurs plains d' ire.
  926. Se vostre aide orendroit n' ay,
  927. Jamais honneur ne bien n' aray.
  928. Bien savez que je fui trahie
  929. Et que pucelle ne sui mie.
  930. Se mon seigneur s' en apperçoit,
  931. Jamais ne m' amera par droit ;
  932. Bien le savez.
  933. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Et de ce que me demandez,
  934. Ma cousine, je n' en puis mais :
  935. Si en a eu li mauvais
  936. Bien son loier.
  937. LA ROYNE.     Ma cousine, je vous requier
  938. Pour Dieu que pour moy tant faciez
  939. Qu' avec mon seigneur vous couchiez
  940. En lieu de moy encor ennuit,
  941. Jusques entour la mienuit,
  942. Que je vous iray esveillier,
  943. Si m' iray delez li couchier.
  944. Quant vostre pucellage ara,
  945. Je croy bien qu' il s' endormira.
  946. Certes bien le desserviray :
  947. Haultement vous marieray,
  948. Et de toute ma royauté
  949. Serez a vostre voulenté
  950. Dame emprès moy.
  951. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Ma cousine, je vous ottroy
  952. Par ces convenans le feray.
  953. En la chambre me muceray
  954. Secréement.
  955. LA ROYNE.     Or vous levez delivrement,
  956. Cousine, quant vous hucheray,
  957. Et jamais je ne vous fauldray
  958. Jour de ma vie.
  959. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Je n' y seray pas endormie,
  960. Ma cousine, bien le sachiez.
  961. Faites, si vous appareilliez ;
  962. Il en est heure.
    ( Le roi revient vers la reine et sa cousine )
  963. LE ROY. ( À la reine, désignant une suivante qui se trouve dans la chambre nuptiale )
    Ceste damoiselle demeure
  964. Moult a la chambre appareillier.
  965. Il sera temps d' aler couchier
  966. Ja assez tost.
    ( La suivante sort à ce moment de la chambre )
  967. LA DAMOISELLE. ( Au roi )    Mon seigneur, j' ay fait le repost
  968. La ou vous irez reposer.
  969. Or y faites ma dame aler,
  970. C' est de raison, premierement,
  971. Et trestoute ceste autre gent,
  972. Fors sa cousine, s' en iront.
  973. Quand poins iert, si y alez donc,
  974. Se c' est voz grez.
  975. LE ROY.     C' est bien dit ; ( À la reine ) alez, dame, alez ;
  976. Je vous suivray.
  977. LA ROYNE.     Mon seigneur, vo voloir feray.
  978. Cousine, alons.
    ( La reine et sa cousine entrent dans la chambre )
  979. LE CHAPPELLAIN.     Droiz est que de ci departons :
  980. Alons nous ent tuites et tuit.
  981. Trop tarde a mon seigneur la nuit
  982. Qu' elle ne vient.
    ( Sortent le chapelain, la suivante et l’ entourage du roi ).

    Scène V, La chambre nuptiale.
  983. LA ROYNE.     Chiére cousine, il vous convient
  984. Faire ce qu' en convant m' avez,
  985. Pour Dieu et que vous vous levez
  986. Quant je diray.
  987. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Cousine, bien a point feray :
  988. N' en parlez plus.
    ( La nièce se couche dans le lit tandis que la reine se dissimule )
  989. LE ROY. ( Entrant à son tour ) Benedicite. Dominus !
  990. Diex soit ceens.
    ( Le roi s’endort après s’être déshabillé et uni à celle qu’il prend pour son épouse.
    La reine sort de sa cachette et vient réveiller sa cousine qui s’est endormie auprès de lui
    )
  991. LA ROYNE.     Ma cousine, par mon assens
  992. Vous leverez, car il m' est vis
  993. Que mon seigneur est endormiz.
  994. Sa, levez sus.
  995. LA NIEPCE AU CHASTELLAIN.     Cousine, traiez vous en sus
  996. De moy ; vous n' estes mie sage :
  997. Car puis qu' il a mon pucellage,
  998. Ne m' en parlez jamais, cousine.
  999. Vraiement je seray royne,
  1000. Poist vous ou non.
    ( La reine s’ éloigne du lit pour adresser cette prière à la Vierge,
    tandis que sa cousine se rendort
    )
  1001. LA ROYNE.     Vierge puissanz, par vo doulx nom,
  1002. Dame, vueillez me conseillier :
  1003. De vostre aide ay grant mestier ;
  1004. Lasse ! ne say que devenir.
  1005. Mon seigneur me fera morir
  1006. A honte, s' il scet mon affaire.
  1007. Mais j' ay oy pour voir retraire
  1008. Que de deux folies emprendre
  1009. Doit on pour soy la meilleur prendre.
  1010. Un murtre sur mon droit fait ay,
  1011. Et encore un autre en feray.
  1012. Ains que ma cousine s' eveille,
  1013. Qui delez mon seigneur someille,
  1014. Son pié lieray a la couche,
  1015. Si li estoupperay la bouche
  1016. Si qu' elle ne pourra parler ;
  1017. Et puis iray le feu bouter
  1018. En la couche par devers li :
  1019. Fére le me convient ainsi ;
  1020. Puis feray mon seigneur vestir
  1021. Et hors de nostre chambre issir.
  1022. La besongne feray brefment
  1023. Puis qu' il ne peut estre autrement.
    ( La reine exécute rapidement ce qu’elle vient de dire : elle
    bâillonne sa cousine, lui attache un pied, met feu au lit et réveille le roi
    )
  1024. Or tost, levez sus, mon seignour,
  1025. Et si vous vestez sanz demour,
  1026. Car nous ardons.
  1027. LE ROY.     Ha ! sainte Marie, faisons ?
  1028. Sa, m' amie, estes vous vestue ?
  1029. Alons la hors a la veue.
  1030. Puis que vous voy saine et vivant,
  1031. Il ne me chaut du remanant,
  1032. Car j' ay assez.
    ( Le roi, s’étant rapidement réhabillé, suit la reine hors de la chambre )

    Scène VI. Une autre pièce ou la cour du château
    ( Entrent la reine et le roi )
  1033. LA ROYNE.     Or en soit li bons Diex loez,
  1034. Quant je vous ay sain et haitié
  1035. Hors de nostre chambre sachié,
  1036. Ou li feux est de toutes pars.
    ( Montrant l’incendie à l’intérieur de la chambre )
  1037. Esgardez conme il est espars
  1038. Par la dedans.
  1039. LE ROY.     Or parlez tout bas, que les gens
  1040. N' en facent nulle mencion.
  1041. Alons en autre mansion ;
  1042. Ceste n' est preux.
    ( Entrent précipitamment le chevalier, le chapelain et la suivante )
  1043. LE CHEVALIER.     Mon seigneur, j' entens que li feux
  1044. A dedans vostre chambre esté.
  1045. Que ne m' avez vous appellé
  1046. Pour vous aidier ?
  1047. LE CHAPPELLAIN.     Il ne nous faulsist pas huchier.
  1048. Se nous l' eussiemes sceu,
  1049. Nous y fussiemes tost coru
  1050. Trestouz ensemble.
  1051. LA DAMOISELLE.     Ilz ont le miex fait, ce me semble,
  1052. Quant n' en ont fait nulle nouvelle.
  1053. Ma dame, ou est ma damoiselle
  1054. Agnès, vostre cousine, alée ?
  1055. Elle ot paour d' estre brulée,
  1056. Je croy, si qu' elle en est fouie,
  1057. Puis que nous ne la veons mie
  1058. Dedans cest estre.
  1059. LA ROYNE.     En nom Dieu, il pourroit bien estre :
  1060. Se Dieu plaist, elle n' est mie arse ;
  1061. Miex ameroie estre en Tarse
  1062. Que ce qu' elle fust morte ainsi.
  1063. Mais elle dist ier bien a my
  1064. Vraiement qu' elle s' en iroit
  1065. Et que plus ci ne demourroit ;
  1066. Et je ne li voulz ottrier :
  1067. Pour tant ose je bien cuidier
  1068. Qu' alée en est.
  1069. LE ROY.     Or dame, puis qu' il ne li plaist
  1070. De plus avec vous demourer,
  1071. Jhesu Crist la vueillegarder
  1072. De pis avoir.
  1073. LE CHAPPELLAIN.     Elle n' a mie fait savoir
  1074. Quant sanz congié en estalée.
  1075. Elle fust ci plus honnorée,
  1076. Je croy, que la.
  1077. LE CHEVALIER.     Espoir que miex li souffira
  1078. La mains un grant mont que plus ci.
  1079. N' en parlons plus, je vous en pri :
  1080. Devers le boys alons monter ;
  1081. Espoir y pourrons nous trouver
  1082. Le seneschal.
  1083. LE ROY.     Sa demourée me fait mal :
  1084. C' est tout le secré que j' avoie.
  1085. Quant avec moy n' est, il m' ennoie.
  1086. Dame, ci vous esbaterez :
  1087. Ja assez tost me reverrez ;
  1088. Ceens a noble lieu et sain.
  1089. Avec vous lais mon chappellain
  1090. Et vostre damoiselle aussi.
  1091. Esbatez vous, je vous em pri,
  1092. Mon gent cuer doulx.
  1093. LA ROYNE.     Alez a Dieu, si ferons nous ;
  1094. Ja n' en doubtez.
    Le roi et le chevalier partent, en direction du bois, à la recherche du
    sénéchal. La reine reste en présence de sa suivante et du chapelain
    )
  1095. LA DEMOISELLE.     Se vous riens conmander voulez,
  1096. Ma dame, nous le vous ferons.
  1097. Grant honneur porter vous devons :
  1098. Il appartient.
  1099. LA ROYNE.     Ma chiére amie, il me convient
  1100. Par moy aler en la chappelle
  1101. Saluer la vierge pucelle.
  1102. Il n' y a pas loing a aler.
  1103. En l' eure m' esteut retourner,
  1104. Bien le sachiez.
  1105. LE CHAPPELLAIN.     A vostre voloir en faciez,
  1106. Ma dame chiére.

    Scene VII. La chapelle du château.
    ( La reine entre seule dans la chapelle où elle adresse cette prière à la Vierge )
  1107. LA ROYNE.     Vierge pure, sainte lumiére,
  1108. Qui ceulx pouez enluminer
  1109. Qu' ennemis a fait aombrer
  1110. Par pechié ort et aombrant
  1111. Et de tenebres encombrant,
  1112. Vueilliez mon cuer oster de l' ombre
  1113. De pechié dont mené sanz nombre
  1114. Sont maint pecheur a dampnement.
  1115. Se cil qui fist Adan ne ment,
  1116. Mar furent pecheur d' Adam né
  1117. Se par pechié sont condampné.
  1118. Vierge, qui fustes fille d' Anne,
  1119. Ne souffrez qu' anemi condampne
  1120. L' ame de moy par les pechiez
  1121. De quoy mes corps est entechiez
  1122. Dame des pechiez medicine,
  1123. Ente de pitié et racine,
  1124. Fontaine de misericorde,
  1125. Qui pecheours a Dieu racorde
  1126. Par confesse et par repentance
  1127. Et par certaine penitence
  1128. Des grans pechez et des meffaiz
  1129. Que j' ay puis un po de temps faiz,
  1130. Royne des cieulx et du monde,
  1131. Vierge de pechié pure et monde,
  1132. Vueillez vostre grace habonder
  1133. En mon cuer, qui le puist monder
  1134. Du grant pechié qui par l' ordure
  1135. De moy en mon las corps tant dure ;
  1136. Vierge, ne soiez endurans
  1137. Qu' il soit plus en mon corps durans.
  1138. Dame, faites m' avoir pardon,
  1139. Par vo doulce grace, pardon.
  1140. Quel meschief que je doie traire,
  1141. Vierge, confesse m' en vueil faire :
  1142. Si conme j' en ay le vouloir,
  1143. Dame, m' en donnez le pouoir
  1144. Par vo doulçour.

    QUATRIEME TABLEAU
    Scène première. La cour du château, le lendemain.
    ( Le chapelain aborde la reine )
  1145. LE CHAPPELLAIN.     Ma dame, Dieu vous doint bon jour.
  1146. Me voulez vous riens conmander ?
  1147. Cuer et corps vueil abandonner
  1148. Du tout a vous.
  1149. LA ROYNE.     Sire, en tristesce et en doulours
  1150. Vif, dont languis et languiray
  1151. Tant que confessée seray
  1152. A mon pouoir.
  1153. LE CHAPPELLAIN.     Se vous en avez le vouloir,
  1154. Dame, maintenant le ferez.
  1155. A vostre conmans me prenez :
  1156. Cy tout prest sui.
  1157. LA ROYNE.     Sire, a Dieu avant qu ' a nullui
  1158. Me confesse et a vous aussi.
  1159. Lors que mon seigneur m' ot plevi,
  1160. Si asprement de cuer m' ama
  1161. En celle heure qu' il me jura
  1162. Que jamais ne m' espouseroit
  1163. S' avant de moy ne joyssoit.
  1164. Son vouloir n' osay escondire ;
  1165. A cuer courrocié et plain d' ire
  1166. Li dis : « Mon chierseigneur, tenez
  1167. La clef de ma chambre, et venez
  1168. De nuiz a moy quant vous plaira. »
  1169. Celle clef avec li porta.
  1170. Ne say quant l' ot qu' elle devint :
  1171. Son seneschal a mon lit vint :
  1172. Je cuidié avoir mon seigneur,
  1173. Et cil me toli la m' onneur.
  1174. La chandelle alai alumer,
  1175. Si li alay le chief coper ;
  1176. Ma cousine et moy le portasmes
  1177. En un puiz ou nous le jettasmes.
  1178. Encore y a plus grant meffait,
  1179. Sire, que j' ay puiscedi fait.
  1180. Ma cousine en ombre de moy
  1181. Fis couchier avecques le roy,
  1182. Pour ce qu' il ne s' aperceust
  1183. Que mon pucellage n' eust.
  1184. Quant mon seigneur fu endormiz,
  1185. Ma cousine en l' oie diz :
  1186. " Levez vous, si me coucheray."
  1187. Elle respondi : « Non feray :
  1188. Alez hors de ceens, cousine.
  1189. Vraiement je seray royne,
  1190. Car li roys a mon pucelage. »
  1191. Je qui avoie ou corps la rage
  1192. Le feu dedens le lit boutay,
  1193. Et mon seigneur hors en sachay,
  1194. Si laissay ma cousine ardoir.
  1195. Or en vueil penitence avoir
  1196. Dure et pesant.
  1197. LE CHAPPELLAIN.     Dame, par le bon Dieu poissant,
  1198. Li fait sont vilain et orrible :
  1199. J' ay d' eulz oir recorder hide.
  1200. Ma chiére dame debonnaire,
  1201. Se ma voulenté voulez faire,
  1202. Penitance vous chargeray
  1203. Legiére a faire sanz delay,
  1204. Non autrement.
  1205. LA ROYNE.     Sire, sachiez certainement
  1206. J' ameroye miex c' on m' arsist
  1207. Que trop pechier me convenist.
  1208. J' en ay trop fait.
  1209. LE CHAPPELLAIN.     Dame, mes corps ait mal dehait
  1210. Se ma voulenté de vous n' ay !
  1211. Que touz ses murtres escripray,
  1212. Si les monstreray mon seigneur,
  1213. Qui vous fera a deshonneur
  1214. En feu ardoir.
  1215. LA ROYNE.     Ouvrez ent a vostre voloir.
  1216. J' ay en la mére Dieu fiance :
  1217. Se j' en muir, c' iert la penitance
  1218. De mes pechiez.
  1219. LE CHAPPELLAIN.     Ardoir vous feray, ce sachiez :
  1220. Avant que je boive de vin,
    ( Désignant un parchemin qu’il tire d’ une écritoire )
  1221. J' escripray en ce parchemin
  1222. Tout vostre fait.
    ( Tandis qu’il consigne par écrit les aveux de la reine sur ce parchemin : )
  1223. LA ROYNE.     Diex vous en pardoint le meffait.
  1224. Se je muir, bien l' ay desservi,
  1225. Car je n' ay pas a droit servi
  1226. La benoite vierge Marie,
  1227. Qui vers son filz me face aie
  1228. D' avoir pardon.
    ( Entre le roi, suivi du chevalier )
  1229. LE ROY.     La royne est en soupeçon
  1230. D' aucune chose, ce m' est vis :
  1231. Elle a tout esplouré le vis
  1232. A mon semblant.
  1233. LE CHAPPELLAIN. ( s’avançant aussitôt vers le roi et lui remettant le parchemin )
    Sa, mon seigneur, venez avant ;
  1234. Tenez, lisiez.
  1235. LE ROY.     Je doy bien estre esmerveilliez
  1236. De ce que cest escript me conte.
  1237. Se c' est voir, je feray a honte
  1238. Tantost la royne morir.
  1239. ( À la reine ) Sa, dame, il vous convient venir
  1240. A moy parler.
  1241. LA ROYNE.     Il ne vous fault que conmander,
  1242. Mon chier seigneur, sachiez le voir,
  1243. Que ne face vostre voloir
  1244. Du tout en tout.
  1245. LE ROY.     Dame, je vous amoie moult
  1246. Hyer matin, quant de vous parti.
  1247. Or voi je le jeu mal parti
  1248. Par ceste lettre.
  1249. LA ROYNE.     Je ne vueil ci nul debat mettre :
  1250. Vostre seneschal ay ocis,
  1251. Si ay le corps et le chief mis
  1252. ( Montrant le puits ) Dedans ce puiz.
  1253. LE ROY. ( Au chevalier )    Alez vir s' on l' en bouja puiz
  1254. Tantost corant.
  1255. LE CHEVALIER.     Je le vous saray maintenant
  1256. En l' eure vraiement a dire.
    ( Accourant au puits, et montrant ce qu’il y voit )
  1257. Veez en ci le chief, biau sire,
  1258. Et la le corps.
  1259. LE ROY.     Or vous soit Dieu misericors,
  1260. Dame, s' il veult. Arse serez,
  1261. Quant vostre cousine arse avez
  1262. Et mon seneschal si murdri :
  1263. Vous l' avez moult bien desservi.
    ( A ses serviteurs )
  1264. Faites le feu appareillier
  1265. Et la faites, sanz delaier,
  1266. Laval en sus de moy ardoir :
  1267. Je ne la pourroie veoir
  1268. Se paradis avoir devoie.
  1269. Plus que riens du monde l' amoie,
  1270. Mais il m' estuet justice faire.
  1271. La doulce vierge debonnaire
  1272. Vueille avoir de s' ame merci.
  1273. Je ne puis plus arrester ci :
  1274. A Dieu, ma suer !
  1275. LA ROYNE.     Je pri la vierge de bon cuer,
  1276. Mon seigneur, que le vous pardoint,
  1277. Et sa doulce grace me doint
  1278. De recevoir la mort en gré.
    ( Le roi se retire )
  1279. ( Au chevalier ) Sire, pour Dieu et pour pité,
  1280. Laissiez moy une oroison dire,
  1281. Et puis faciez, sanz contredire,
  1282. Ce que vouldrez.
  1283. LE CHEVALIER.     Dites, dame, c' est bien li grez
  1284. De nous, par foy.
  1285. LA ROYNE. ( Priant la Vierge )    E ! vierge,qui compris en toy
  1286. Ce que le ciel ne peut comprendre,
  1287. Vueilles sur moy ta grace espandre,
  1288. Si que pacienment je port
  1289. L' angoisse et travail de la mort
  1290. Que je reçoy par ma desserte,
  1291. Et ne laiz m' ame aler a perte,
  1292. Tresdoulce vierge debonnaire ;
  1293. Ains vers ton fil vueilles tant faire
  1294. Que puisse par ces presens maux
  1295. Eschapper les lieux infernaux
  1296. Et en gloire estre.
    ( Le chevalier conduit la reine dans la prison du château ).

    Scène II, Le Paradis
  1297. NOSTRE DAME. ( À l’archange Gabriel )   Gabriel, sanz nul delay mettre,
  1298. Pren Michiel en ta compagnie.
  1299. Aidier vueil une moie amie
  1300. C' on veult ardoir.
  1301. GABRIEL.     Ma dame, a vostre doulx vouloir
  1302. Vueil et doy par droit obeir.
  1303. ( À l’archange saint Michel ) Michiel, il vous esteut venir
  1304. Avecques nous.
  1305. MICHIEL.     Gabriel, mon ami tresdoulx,
  1306. Je ne le feray mie envis.
  1307. ( À la Vierge ) Chiére dame, ou avez empris
  1308. De nous mener ?
  1309. NOSTRE DAME.     Je vois a l' ermite parler
  1310. Qui vit de la manne des cieulx.
  1311. Chantez en alant la le mieulx
  1312. Que vous sarez.
  1313. GABRIEL.     Vierge pure, quant c' est li grez
  1314. De vous, en alant chanterons
  1315. Un rondel que pour vous ferons
  1316. En la alant.
  1317. LES ANGES. ( Chantant un rondel en se rendant avec la Vierge auprès de l’ermite )
    Mére au vray Dieu tout puissant,
  1318. Source de grace et fontaine
  1319. Estes et de pitié plaine.
  1320. Bon vous fait traire a garant :
  1321. A ceste dame aparant
  1322. Est, qui royne est humaine,
  1323. Que vraie amour vous y maine.
  1324. Mére au vray Dieu tout puissant,
  1325. Source de grace et fontaine
  1326. Estes et de pitié plaine.
    ( Notre-Dame et les anges arrivent chez l’ ermite )

    Scène III, L’ermitage
  1327. NOSTRE DAME.     Diex te mette en bonne sepmaine,
  1328. Mon chier ami.
  1329. L' ERMITE.     Sainte vierge, je vous merci,
  1330. Glorieuse vierge honnorée,
  1331. Quant vous vous estes demonstrée
  1332. A un povre boiteux hermitte,
  1333. Qui onques vaillant d' une mitte
  1334. Ne fist pour vous.
  1335. NOSTRE DAME.     Tu as servi mon chier fil doulx
  1336. Et moy, dont moult bon gré t' en say.
  1337. Mon messagier de toy feray.
  1338. Va t' en au roy de Portigal ;
  1339. De par moy li di que nul mal
  1340. Ne laist faire a sa preude fame,
  1341. Car tout le mal et le diffame
  1342. Qu' elle a fait, ç' a esté par li
  1343. Va hardiement : si li di
  1344. Que s' il ne la fait repiter
  1345. Que je le feray condampner
  1346. De mon fil qui le jugera.
  1347. Demande li cui il bailla
  1348. La clef que sa femme et s' amie
  1349. Li bailla, dont elle est honnie
  1350. De son traitre seneschal.
  1351. S' il li en est advenu mal,
  1352. Il le devoit par droit avoir.
  1353. Et puis li di qu' il face ardoir
  1354. Le prestre qui l' a encusée,
  1355. A qui elle s' est confessée.
  1356. A Dieu ! je ne t' en diray plus.
  1357. Je m' en revois es cieulx la sus
  1358. Avec mon filz.
  1359. LES ANGES. ( De retour avec Notre-Dame au Paradis,chantant : )
    Corps sus touz autres esliz,
  1360. Doulce royaux vierge pure,
  1361. Quel cuer que prengnés en cure
  1362. Il est sauvez, j' en sui fis,
  1363. Corps sur touz autres esliz,
  1364. Mais qu' il vous serve tous dis
  1365. De cuer sanz pensée obscure.
  1366. Joye acquiert qui tout temps dure,
  1367. Corps sur touz autres esliz,
  1368. Doulce royaux vierge pure
  1369. Quel cuer que prengnez en cure.
  1370. L' ERMITE.     Aler m' en vueil grant aleure
  1371. La ou la vierge si m' envoie ;
    ( L’ermite se rend auprès du roi )

    Scène IV, Le château royal.
  1372. L’ERMITE. Car je sui ja bien en la voie.
  1373. Je voy le roy, ce m' est avis,
  1374. Qui de courrous a taint le vis
  1375. A mon regart.
  1376. LE ROY. ( allant au devant de l’ermite )    Mon chier frére, se Dieu me gart,
  1377. Vous soiez li tresbien venuz.
  1378. Je croy dix ans a bien que nulz
  1379. Ne vous vit venir ci avant.
  1380. Quel besongne alez vous querant ?
  1381. Dites le moy.
  1382. L' ERMITE.     Sire, sachiez en bonne foy
  1383. La mére Dieu a vous m' envoie :
  1384. Pour mil denier ne mentiroie.
  1385. Dit m' a que tresbien vous gardez
  1386. Que la dame a mort ne mettez
  1387. Ne ne faciez par ame mettre.
  1388. Folie vous fait entremettre,
  1389. Se m' a dit, de li forjugier :
  1390. A mort vous en verrez jugier ;
  1391. Car touz les pechiez qu' elle a fait
  1392. Ont esté par vostre forfait.
  1393. A qui baillates vous la clez
  1394. Dont ses corps est deshonnorez
  1395. Par le faulx et traitres corps
  1396. Vostre seneschal qui est mors ?
  1397. Et dit que vostre chappellain
  1398. Soit ars avant hui que demain,
  1399. Et la dame soit deportée,
  1400. Qui s' estoit a li confessée.
  1401. Ce vous mande la vierge pure,
  1402. Car elle a mis toute sa cure
  1403. En li servir.
  1404. LE ROY.     Frére, Dieu le vous puist merir
  1405. Qui tieulx nouvelles m' apportez
  1406. ( À ses serviteurs ) Faites tost, si me ramenez
  1407. Ma sainte femme.

    Scène V, Au Paradis.
  1408. NOSTRE DAME. ( À l’archange Michel ) Michiel, je vueil oster de blame
  1409. Ma treschiére amie et aidier,
  1410. Qui ne me cesse de prier
  1411. Que je li soie secourans.
  1412. Alons y ; j' en sui desirans :
  1413. C' est de raison.
  1414. MICHIEL.     Chiére dame, de vouloir bon
  1415. Ferons vostre conmandement.
  1416. ( À l’archange Gabriel ) Gabriel amis, alons ment
  1417. Avecques li.
  1418. GABRIEL.     Alons, Michiel, mon chier ami,
  1419. Partout ou ma dame vouldra :
  1420. Ja desconseillié ne sera
  1421. Qui l' aint en cuer.
    ( Notre-Dame et les Anges se rendent auprès de la reine emprisonnée )

    Scène VI, La prison du château.
  1422. NOSTRE DAME.     Ne t' esbahis, ma chiére suer.
  1423. Je te vien aidier ci endroit
  1424. Et toy delivrer de ton droit
  1425. De ceste mort.
  1426. LA ROYNE.     E ! vierge plaine de confort,
  1427. Dame, vous en soiez loée
  1428. Quant vostre aide m' est monstrée
  1429. Si clerement.
  1430. NOSTRE DAME.     Tu m' as servi bien loyaument,
  1431. Si ne te doy oblier mie,
  1432. Ains t' aideray com vraie amie.
  1433. ( Lui remettant un habit monastique ) Ceste vesteure vestiras :
  1434. Mon fil et moy en serviras
  1435. De miex en miex d' ore en avant.
  1436. Ta paix iert faite maintenant
  1437. Vers ton seigneur : a Dieu te di.
  1438. Il t' envoiera querre ci
  1439. Assez briément.
  1440. LA ROYNE.     E ! royne du firmament,
  1441. Graces vous rens de ce grant don.
  1442. Rendu m' avez grant guerredon
  1443. Du servise que vous ai fait.
  1444. Vierge, que que j' aye forfait
  1445. Se Dieu plaist, je m' amenderay ;
  1446. Vous et vostre fil serviray
  1447. Miex qu' onques ne fis sans paresce ;
  1448. Jus metteray toute noblesce
  1449. Pour vostre amour.
    ( Entrent la suivante et le chevalier )
  1450. LA DAMOISELLE.     Ma chiére dame, sanz demour
  1451. Faire plus ci, venez vous en.
  1452. Pour vous ouvré a hui Diex bien :
  1453. Par la vierge que vous servez
  1454. De mort repitée serez,
  1455. Si com je croy.
  1456. LA ROYNE.     La vierge en cui secours m' apoy
  1457. En soit loée.
  1458. LE CHEVALIER.     Dame, vous estes delivrée.
  1459. Venez vous ent.
    ( La suivante et le chevalier conduisent la reine auprès du roi )

    Scène VII, le château royal, un autre endroit
  1460. LE ROY.     Dame, j' ay mespris malement
  1461. Vers vous : le pardon vous em pri ;
  1462. Vous n' i avez mort desservi :
  1463. C' est de mon fait.
  1464. LA ROYNE.     Li vrai Diex qui scet le forfait
  1465. Vous puist voz meffaiz pardonner,
  1466. Et si vous doint de li amer
  1467. Voloir tout temps.
  1468. L' ERMITE.     La tresdoulce vierge puissans,
  1469. Cui message j' ay huy esté,
  1470. Vous doint paix et grace et santé
  1471. Et bonne amour.
  1472. LE ROY.     Frére, vous m' avez fait honnour
  1473. Et la doulce vierge Marie,
  1474. Par qui delivrée est m' amie
  1475. De mort vilaine recevoir.
  1476. Mon chappellain feray ardoir.
  1477. ( Montrant le chapelain à unvalet ) Vez le la ; mettez l' en prison :
  1478. Demain sera ars en charbon,
  1479. Sanz nul respit.
  1480. LE VARLET DU ROY.     Par foy, il l' a bien desservit.
  1481. Sa, maistres, en prison venrez
  1482. Jusqu' a demain que vous serez
  1483. Ars en un feu.
  1484. LE CHAPPELLAIN. ( Au valet ) Tu en mens ; je te desaveu,
  1485. Car je ne l' ay desservi pas.
  1486. Tu me maines plus que le pas :
  1487. Au mains me maine bellement
  1488. Par devant ceste bonne gent,
  1489. Sanz moy bouter.
  1490. LE VARLET DU ROY.     Vous en convient il grumeler,
  1491. Sire chetiz ?
    ( Le valet conduit le chapelain en prison, puis revient auprès du roi et des siens )
  1492. LE CHEVALIER.     L' as tu en forte prison mis
  1493. Jusqu' a demain ?
  1494. LE VARLET.     Sire, il ne voit ne pié ne main,
  1495. Ou je mis l' ay.
  1496. LE ROY.     Frére, je vous convoieray.
  1497. Moy et la royne ouverrons
  1498. De ses meffaiz que fait avons
  1499. Par vostre assens.
  1500. L' ERMITE.     Vous servirez, sy ferez sens,
  1501. Celle sainte vierge royne,
  1502. Mére Dieu, precieuse et digne,
  1503. Jusques a la fin sanz finer,
  1504. Qui fera voz cuers afiner
  1505. De touz pechiez.
  1506. LA ROYNE. ( qui a revêtu l’habit religieux donné par la Vierge )
    Amis Dieu, pour certain sachiez
  1507. Que ma royauté guerpiray
  1508. Pour tant que miex la serviray
  1509. En povreté qu' en grant richesce.
  1510. Ja ne le lairay par peresce :
  1511. Elle m' a esté vraie amie,
  1512. Si ne la doy oblier mie :
  1513. De miex en miex la doy servir
  1514. Pour sa grant bonté desservir
  1515. Que faite m' a.
  1516. LE ROY.     Dame, moy et vous convendra
  1517. Croire ce saint home et amer
  1518. La mére de Dieu sanz amer.
  1519. Mon royaume vueil departir
  1520. Aux povres pour Dieu, qui partir
  1521. Nous doint au royaume celestre.
  1522. Frére, monstrez nous aucun estre
  1523. Pour estorer une abbaie
  1524. Ou la doulce vierge Marie
  1525. Sera servie et honnorée
  1526. Pour sa grace qui demonstrée
  1527. Nous est de li.
  1528. L' ERMITE.     Or en venez donc après mi.
  1529. Puis que Dieu vous a espiré
  1530. A ce faire et voloir donné
  1531. De sainte eglise exaucier,
  1532. A mon pouoir vous vueil aidier.
  1533. Folz est cil qui autrui desvoie,
  1534. Qui entrez est en bonne voie.
  1535. Alons touz ensemble chantant
  1536. Ce chant qui est bel et plaisant,
  1537. Qui a la vierge moult plaira :
  1538. Ave maris stella,
  1539. Dei mater alma !
  1540. Explicit.