- Ego quasi vitis fructificavi suavitatem odoris, etc.,
Ecclesiastici XXIIIIo. Ces paroles proposées en
latin veulent ainsi dire en françois : J' ay conme
la vigne fruttifié soueveté d' odeur. Entre Sapience qui est
le filz de Dieu et Marie, la vierge benoite, a une tresgrant
affinité, car Sapience est creerresse de Marie conme
pére et Marie est de Sapience vraie mére, si conme elle
mesmes le tesmoingne Ecclesiastici XXIIIIo : Qui creavit
me requievit in tabernaculo meo : Celui qui m' a creé a
reposé en mon tabernacle, c' est a dire a pris en moy char
humaine ; et pour ce et non mie sanz cause sont appropriées
les paroles de Sapience a Marie, laquelle regardant
en ce monde nous envaist, par le procès de l' espitre de
laquelle j' ay pris les paroles proposées au conmencement,
et nous attrait a elle considerer en trois maniéres. Premiérement
pour raison de sa conmendacion en ce qu' elle
dit : Ego quasi vitis ; ego mater pulcre dileccionis, etc..
in me gracia omnis vite, etc. : Je sui conme la vigne ; je
sui mére de bele amour ; en moy est grace de toute vie et
verité. Secondement pour raison de son invitacion, car
elle dit : Transite ad me : Venez a moy vous qui me
convoitez. Tiercement pour raison de sa remuneracion :
Qui edit me, etc. ; qui audit me, etc. : Ceulz qui me
menguent et boivent aront encore soif et fain. Yci dit
elle mains et fait plus, et veés le procès que fait la vierge
benoite en ceste espitre : premiérement elle est soy conmandant ;
secondement nous semonnant et envaissant ;
tiercement les consentans a son imitacion remunerant.
Et toutes ces choses attraient et aleichent. Et premiérement
sa conmendacion qui est trible, selon trois
clauses, esquelles trois choses sont signiffiées selon l' ordenance
de la lettre, c' est assavoir, quelle chose est de
elle : Ego quasi vitis ; après quelle chose est elle : Ego
mater, etc. ; et après quelle chose est en elle : In me gracia
omnis vite, etc. . Or veons premiérement quelle chose
est elle. Elle dit qu' elle est mére de belle amour. Ici
met quatre vertuz ordenans quatre de ses affeccions,
c' est assavoir joie, esperance, douleur et paeur. Car elle
n' ot joie mais que par charité ou de charité ; pour ce
s' appelle elle mére de belle amour : Mater pulcre
dileccionis. Ne elle n' ot esperance mais que en sainteté ; pour
ce dit elle : Sancte spei. Ne elle n' ot paour mais que
avec reverence : et timoris. Ne elle n' ot doleur mais
que avec congnoissance : et agnicionis. Et est telle la
diferance de ces quatre que joie est de present, esperance
du futur, douleur du mal present et paeur du mal a venir.
Ainsi donques doivent ordener les bonnes personnes
leurs affeccions que charité engendre en eulz joie, reverence,
paeur et douleur, soit acompaigniée de prudence
et saintée d' esperance. Oultre par ces quatre pren quatre
vertuz que Marie ot contre quatre vices. Elle s' appelle
mére de belle amour contre le vice de delit de charnalité,
mére de paour contre tout orgueil et vanité, mére de
grandeur ou de force contre pusilanimité et mére de
sainte esperance contre avarice et cupidité. Beneurée est
bien la personne en la congregacion qui en ces quatre
choses ensuit Marie. Ainsi appert quelle chose est elle ;
c' est qu' elle est mére de belle amour. Or veons après
quele chose est en elle, car miex vault ce qui dedans est
repost et mucié. Il s' ensuit : In me gracia omnis vite et
veritatis. L' espitre dit qu' en li est grace de toute voie de
verité. Et ici met aussi quatre choses, car elle dit qu' elle
est adresce et voie aux meserrans, verité aux ignorans,
vie aux morans, vertu aux deffaillans. Mais note bien ce
qu' elle dit qu' en li est grace de toute vie, qui est treble,
car il est une vie qui est de mariage, l' autre de continence
et de veuvage, et la tierce est de virginité en l' estage.
Donques Marie est vie en exemple des mariez, des
continens et des vierges, et de ces trois est il dit Ecclesiastici
XXIIIIo. In Jacob inhabita : Marie, habite en Jacob,
c' est quant aux mariez ; et in Israel hereditare : et pren
ton heritage en Israel, quant aux continens ; et in electis
meis mitte radices : et met et envoie tes racines en mes
esleuz, quant aux vierges. Ou autrement est elle en grace
de toute voie, c' est assavoir des conmençans, des prouffitans
et des parfaiz. Aussi di je qu' en li est grace de
toute verité, qui est treble, car en elle est verité de vie, de
doctrine et de justice. Beneuré est bien donques le lieu
ou regne ceste treble verité, c' est assavoir verité de vie
en conversacion, verité de doctrine en predicacion et verité
de justice en correccion. Aussi est en elle toute esperance
de vie. Car c' est l' esperance aux pecheurs, aux repentans
et aux justes. Par elle est donné pardon aux
pecheurs, grace aux repentans et gloire aux justes, et
ainsi nous appert sa conmendacion selon trois similitudes
qu' elle met ; premiérement par similitude de vigne : Ego
quasi vitis ; secondement par similitude de mére : Ego
mater, etc. ; et tiercement par similitude de fontaine : In
me gracia omnis vite, etc. . Se tu considéres la vigne tu y
treuves merveilleuse delectableté tant en l' odeur, tant en
la fleur conme ou fruit : l' odeur a soueveté, la fleur agreableté
et le fruit doulceur : et tout ce trouveras tu en Marie ;
mais je me passe de l' exposer pour brieté. Après se
tu considéres Marie conme mére, tu la trouveras de merveilleuse
fecondité pour quatre condicions d' affeccion
amoureuse qu' elle met, dont la premiére est biauté ; pour
ce dit elle : Ego mater pulcre dileccionis : je suis mére
de belle amour ; secondement, qu' elle est de songneuse
et tendriére amour ; pour ce dit elle : et timoris ; tiercement
qu' elle est de discréte et certaine amour ; pour ce
dit : agnicionis ; et quartement qu' elle est de forte et
ferme amour ; pour ce dit elle : et sancte spei. Pour
quoy dit un devot clerc : Marie, Benoite es tu qui sur les
thrones, Les pucelles et les mathrones Tiens privilége d' excellence ;
Tu es rousée, vaine de miel, Puiz de doulceur,
en qui de fiel ne d' amer n' ot onques semence. ça jus
pecheurs te magniffient, Lassus en toy se glorifient Ceulx
qui ont gloire souveraine ; Ton enfantement a l' onneur
Fu des femmes et pour l' amour Aussi de creature humaine.
Si li prions que par sa doulce misericorde elle
nous doint grace de faire chose en ce siécle par quoy
nous puissons venir a la beneurté pardurable avec le
pére et le filz et le saint esperit, qui est unus Deus benedictus
in secula seculorum. Amen.
Cy conmence un miracle de saint Panthaleon que
un empereur fist decoler avec Hermolaus et ses
deux compaignons qui l' avoient baptizé.
ACTE I.
Scène 1. Nicomédie, une rue.
LE PÉRE. Entens a moy, Panthaleon.
- Biau filz, avis m' est qu' il est bon
- Que tu saches aucun mestier,
- Par quoy, se tu en as mestier,
- Ton estat par honneur maintiengnes
- Sanz ce qu' en dangier d' autrui viengnes ;
- Et toy qu' en dis ?
- PANTHALEON. Pére, je sui cil qui touz dis
- A vo vouloir faire m' assens.
- Vous savez, je n' ay pas tant sens
- N' engin si vray ne si entier
- Que je sache qui m' a mestier
- Si bien con vous.
- LE PÉRE. Tu as dit voir, mon enfant douls.
- Pour ce le te diz j', or entens :
- Tu as assez aage et temps
- D' apprendre, et si as bon engin.
- Si j' en parle a maistre Morin,
- Vourras tu bien avec lui estre ?
- C' est des mires le meilleur maistre
- Que l' en sache en tout ce pais.
- Estre ne dois pas esbahis
- De m' en respondre.
- PANTHALEON. Oil voir ; alez l' en semondre,
- S' il vous plaist, et si l' en touchiez.
- S' il me veult avoir, si sachiez
- Toute s' entente.
- LE PÉRE. Tu dis bien, g' i vois sanz attente
- Et si n' y sejourneray point:
- Je le voy, c' est trop bien a point.
( Entre maître Morin, tandis que Panthaléon se retire chez lui )
- Plaise vous, sanz plus oultre aler,
- Maistre Morin, a moi parler,
- Je vous en pri.
- MAISTRE MORIN. Voulentiers. Or ça, sanz detri,
- Que voulez dire ?
- LE PÉRE. Je vous demant, dites moi, sire,
- Se vous vouldriés a apprentiz
- Prendre Panthaleon mon filz :
- Dites oil.
- MAISTRE MORIN. Vostre filz ? et quel aage a il ?
- Dites le moy.
- LE PÉRE. Maistre Morin, foy que vous doy,
- Il a plus de quinze ans passez.
- Il est biau valeton assez
- Et bien appert.
- MAISTRE MORIN. Se tel con vous dites m' appert,
- Sire, voulentiers le prendray.
- Mais s' il vous plaist, je le verray
- Tout avant euvre.
- LE PÉRE. La veue le voir en descuevre,
- Et vous ne dites que raison.
- Venez ent jusques en maison :
- Vous le verrez.
- MAISTRE MORIN. Alons, ja desdit n' en serez
- De ma partie.
Scène 2. Chez le père de Panthaleon ( le sénateur Eustore )
- LE PÉRE. Panthaleon, chiére espartie,
- Biau filz, faites ce seigneur cy,
- Quant li plaist estre venuz cy
- Pour vous veoir.
- PANTHALEON. D' onneur vous veuillent pourveoir
- Noz diex, chier maistre.
- MAISTRE MORIN. Ore, biau filz, voulrez vous estre
- Voulentiers mire ?
- PANTHALEON. Ce qui plaira mon pére, sire ;
- A li en est.
- MAISTRE MORIN. Pour ce que le voi gent et net,
- Sire, voulentiers le prendray
- Et le mestier li apprendray
- Parfaittement, s' en li ne tient.
- Mais je vous di bien qu' i convient
- Qu' il me serve set ans entiers,
- Et dix livres de voz deniers
- Avoir avec.
- LE PÉRE. Je vous paieray d'
argent sec
- Voulentiers. Or l' en amenez
- Et vous pri que li apprenez
- Le fait de degré en degré
- Si que je vous en sache gré.
- Mais je voulray, ne vous ennuit,
- Qu' avecques moy chascune nuit
- Viengne jesir.
- MAISTRE MORIN. Soit, puis que vous vient a plaisir,
- De ce ne vueil plus barguignier.
- Or ça, biau filz, alons gaignier.
( Panthaléon suit maître Morin sur une place de la ville )
Scène 3. Nicomédie, l’échoppe de maître Morin
sur une place. Rues environnantes.
- MAISTRE MORIN. ( Désignant son échoppe de médecin )
Yci endroit en ceste place
- Nous fault du jour estre une espace
- Savoir s' aucune ame y venra
- Qui affaire de moy ara
- Par quelque voie.
- PANTHALEON. Maistre, j' ay de faire grant joye
- Vostre vouloir.
- MAISTRE MORIN. Or ne met pas en nonchaloir,
- Quant tu besoingnier me verras,
- De regarder con tu feras
- Soit d' une plaie descouvrir,
- Soit de la laver et ouvrir,
- Soit de mettre y emplastre ou tente
- Et de la lier : la t' entente
- Aies et l' ueil.
- PANTHALEON. Maistre, de ce point ne me dueil
- Que vous me dites.
( Entre un voisin )
- LE VOISIN. Maistre Morin, pour estre quittes
- De ce que je vous ay promis
- Vous viens je querre, chiers amis.
- Ne vous voi ci que besongnier :
- Alons men sanz plus eslongnier,
- Par fine amour.
- MAISTRE MORIN. Panthaleon, sanz plus demour
- Faire, va t' en jusqu' a demain.
- Mais reviens icy assez main,
- Car j' y seray.
- PANTHALEON. Vostre conmandement feray,
- Maistre, c' est droiz.
( Maître Morin suit le voisin qui l’emmène chez lui ;
Panthaléon prend le chemin du retour, quand entrent sur la
place Hermolaüs et ses frères Ypocrates et Hérippé )
- HERMOLAUS. ( Voyant Panthaléon et le montrant à ses frères )
Or regardez en touz endroiz
- Un enfant bien moriginé.
- A Dieu puist il estre donné !
- Herippé, et vous, Ypocras,
- Regardez le venir le pas :
- Qui est il ore ?
- YPOCRATES. Pére, il est filz a
Eustore
- Le senateur.
- HERIPPÉ. Pleust a Dieu le
createur
- Qu' il eust telle congnoissance
- Qu' il eust guerpi mescreance
- Pour nostre loy.
- HERMOLAUS. Ha ! doulx Jhesu, souverain roy,
- Noblement l' ariez embelli.
- Je vueil un po parler a li.
- ( Hélant Panthaléon ) Biau filz, ça venez un petit :
- J' ay de parler grant appetit
- A vous sanz doubte.
- PANTHALEON. Sire, voulentiers gens escoute
- Anciens parler conme vous.
- Que me direz vous, sire doulx,
- Que j' aye a gré ?
- HERMOLAUS. Filz, je vous demande en secré
- Le vostre nom.
- PANTHALEON. L' en m' appelle Panthaleon,
- Filz Eustore.
- HERMOLAUS. Biau filz, je vous demans encore
- Sanz plus quel Dieu vous aourez,
- Et pour quel bien vous labourez
- En li servir.
- PANTHALEON. Sire, les biens que desservir
- Poons de servir a noz diex
- Sont moult grans, ce dit on, mais quiex ?
- Je n' en sui pas ore recors.
- Mais plusieurs diex, ce vous recors,
- Conme ceulx par qui sommes né,
- Par qui le monde est gouverné
- Et par qui les choses ont fin,
- Ceulx croy j' et aour de cuer fin
- A mon pouoir.
- HERMOLAUS. Es tu de nul mestier ? Le voir
- Me vueilles dire.
- PANTHALEON. Oil : apprentiz sui a mire,
- N' a pas granment.
- HERMOLAUS. Biau filz, je te dy vraiement,
- Toy et touz ceulx qui en telx diex
- Croient, soient jounes ou viex,
- Et qui ont jusques ci creu
- Sont si malement deceu
- Qu' i se dampnent et corps et ames,
- Soient hommes ou soient fames.
- Car tu doiz tenir et savoir
- Qu' il n' est qu' un Dieu, saches de voir,
- Qui nous a faiz et deffera
- Et apprès nous refformera
- Noz propres corps.
- PANTHALEON. Et conment nous sera il lors ?
- Biau sire, dites.
- HERMOLAUS. Es cieulx conme sains esperites
- Aront les bons leur mansion;
- Les mauvais a dampnacion
- Pardurable en enfer pour lors
- Seront en ames et en cors.
- Croy, biau filz, que pas ne te mens
- La soufferront divers tourmens
- Dont nul ne peut dire la somme,
- Et a bon droit, car Diex a homme
- Tant amé, la seue mercy,
- Que des cieulx en ce monde cy
- Vint prendre en vierge char humaine,
- Et pour oster homme de paine
- Souffri en croiz peine mortel :
- Si li devons bien faire autel
- Se nous voulons sa gloire avoir.
- Mais tant te fas je bien savoir
- Qu' a celle gloire nul ne vient
- Se ceste creance ne tient
- Qu' après sa mort monta
es cieulx,
- Vrais Diex, vraiz homs, et homs vrais Diex
- Est regnans en gloire celestre;
- Mais aussi te vueil je promettre
- Que se tu as en lui creance
- Il te donrra telle puissance
- Que de trestoutes maladies
- Gueriras, mais que dessus dies :
- " Ou nom Jhesu", faisant ce signe
- De croiz ( Il fait ce signe ), sanz autre medicine
- Ny herbe mettre.
- PANTHALEON. Vous serez mon pére
et mon maistre
- Dès ore mais, et vous
croiray,
- Et ceste creance tenray.
- Certes voulentiers vous escoute,
- Mais aler m' en fault, car je doubte
- Trop demourer.
- HERMOLAUS. Biau filz, Dieu vous vueille honnorer.
- Alez a Dieu.
( Hermolaüs et ses frères se retirent chez eux. Panthaléon reprend
sa route et voit à ce moment un enfant poursuivi par un serpent )
- L' ENFANT. Haro ! ou iray n' en quel lieu ?
- Ce serpent grant a desmesure
- Semble qu' il mette peine et cure
- A moy prendre, et qu' ailleurs ne bée.
- Las ! vez le cy gueule baée
- Ou me suit pour moy transgloutir.
- Mahon, vueillez me garantir
- De mort villaine !
- PANTHALEON. Ce mau serpent forment se paine
- De cel enfant la devourer,
- Dont le fait de paour plourer
- Et le met forment en esmay.
- Je croy que je vueil faire essay
- S' en pourroit estre despeschié
- Par le Dieu dont m' a tant preschié
- Ce bon prestre Hermolaus.
- Prier le vueil. ( Priant en faisant le signe de la croix au-dessus du serpent )
Tresdoulx Jhesus,
- Qui souffris mortel passion
- Pour l' umaine redempcion,
- Si conme Hermolaus le dit,
- Sire, je te pri sanz respit,
- Se tu puez, ceste beste livre
- A mort et l' enfant faiz delivre
- Qui de paour a grant effrois,
- Par la puissance de ta crois
- Que faire vueil sur ceste beste,
- Qui est hideuse et deshonneste.
- Ou nom de Jhesu, beste fiére,
- Requier que mort en toy se fiére
- Qui te cravante.
( Le serpent meurt )
- L' ENFANT. N' ai mestier que plus me demente,
- Mais que com joieux me deporte.
- Car je voi que la beste est morte,
- Qui si me suivoit pour mengier.
- Or sui je hors de son dangier :
- Joyant m' en vois.
( L’enfant sort )
- PANTHALEON. Ha ! tresdoulx Jhesus, s' a ma vois
- Et au signe que j' ay si fait
- De ta crois as donné de fait
- Vertu de ceste beste occire,
- Que puis je de ton pouoir dire ?
- Sire, loez soit ton saint nom !
- Certes il n' est Diex se toy non.
- Touz autres diex pour toy reny
- Et de mon cuer hors les bany.
- Baptizier me vois faire errant.
( Il gagne en courant la demeure d’Hermolaüs )
Scène 4. La demeure d’Hermolaüs.
- PANTHALEON. ( Entrant ) Pére, je vien a vous courant.
- Baptisez moy, ce vous requier,
- Pour mon sauvement que je quier
- Et que vueil faire.
- HERMOLAUS. Biau filz, en ce ne peuz meffaire,
- Et j' en ay grant joie pour voir.
- Mais qui te muet ? di m' en le voir,
- Se Dieu t' aist.
- PANTHALEON. Ne m' avez vous promis et dit
- Que s' estre vueil crestienné
- Mire devenray si sené
- Qu' il ne sera mal quel qu' il soit,
- Se de ma main cure reçoit,
- Que je ne garisse et affine
- Sanz mettre quelque medicine,
- Mais qu' "ou nom Jhesu" seulement ?
- Vous le m' avez dit vraiement :
- Dont n' avez mie ?
- HERMOLAUS. Oil, par la vierge Marie,
- Et je croy tu le prouveras,
- Après que crestien
seras;
- N' en doubtez point.
- PANTHALEON. Je l' ay ja prouvé
par un point
- Que je vous vueil cy diviser :
- Ne scé con m' en poy adviser.
- Ainsi conme orains m' en aloie,
- Je trouvay la en celle voie
- Un hideux serpent qui suivoit
- Un enfant qu' estrangler vouloit;
- Et me fu advis qu' il le tint;
- S' en oy pitié. Lors me souvint
- De ce que m' aviez enseignié,
- Si que le serpent j' ay seignié
- En priant Jhesu qu' il morust,
- Par quoy a l' enfant secourust;
- Et le serpent isnel le pas
- Morut ilec, n' en doubtez pas,
- Et l' enfant tout sain s' en ala,
- Si que quant j' ay veu cela,
- Je di : Jhesu Crist c' est celi
- Qui est vrais Diex, et pour c' en li
- Creans vueil estre.
- YPOCRATES. Pére, loons le roy
celestre,
- Quant, pour attraire a sa creance
- Cest enfant ci, a sa puissance
- Ainsi moustrée.
- HERIPPÉ. A ce que miex la chose oultrée
- Soit, pére, faites nous savoir
- Conment il puist baptesme avoir :
- C' est de raison.
- HERMOLAUS. Conment ? sanz point d' arrestoison
- Au moustier saint Pol le menrons
- Et la baptesme li donrrons.
- Ça, alons ment.
( Hermolaüs et ses fils conduisent Panthaléon à l’église Saint-Paul )
Scène 5. Une rue de Nicomédie.
- LE PÉRE. ( Sortant de chez lui ) Je suis esbahiz malement
- En quel lieu mon filz tant se tient
- Que vers moy ne va ne ne vient,
- Ne ne fist puis que je le mis
- Apprentiz. Par chiez ses amis
- S' il y seroit point vois savoir.
- Bien mal me fait, a dire voir,
- Quant si longuement l' ay perdu :
- Le cuer me fait tout esperdu.
( Entre Gomas )
- Gomas, bon jour vous doint Mahom.
- Ne savez de Panthaleon
- Dire nouvelle ?
- GOMAS. Nanil, par Dyanne la belle
- Que nous aourons conme deesse.
- Pour quoy le dites, cousin ? Qu' est ce ?
- A il que bien ?
- LE PÉRE. Par Mahom, cousin, n' en scé rien :
- Ne le vi, il a set jours hui,
- Dont j' ay au cuer dueil et annuy,
- Ne je ne scé ou je le quiére.
- Je m' en revoys par cy derriére
- Chiez son maistre Morin le mire,
- Pour savoir s' il m' en sara dire
- Nouvelle aucune.
- GOMAS. Non ferez, car il est pour une
- Cure faire alé jusqu' au Pas,
- Si que, cousin, n' y alez pas :
- Vous museriez.
- LE PÉRE. Haa ! par ce point vous
me feriez
- Estre hors de doubte, cousin,
- Car je pense qu' en ce chemin
- L' ait mené; pour
ç' attenderay
- Son retour et si m' en yray,
- Tarde que tarde.
- GOMAS. Chier cousin, alez a la garde
- De touz noz dieux.
( Le père rentre chez lui )
Scène 6. L’église Saint-Paul.
- HERMOLAUS. ( Quittant l’église ) Ore, Panthaleon biau fiex,
- Puis que vous baptesme avez pris
- Et que la foy vous ay appris
- Qui appartient a crestien,
- Dès ores mais gardez la bien
- Et quanque pourrez l' essaussiez,
- Ne pour chose ne la laissiez
- C' on vous tourmente.
- PANTHALEON. Sire, ce n' est mie m' entente,
- S' il plaist a Dieu.
- HERMOLAUS. Or en ralez en vostre lieu :
- Fait avez ci assez demour.
- Diex vous doint sa grace et s' amour :
- Priez pour moy.
- PANTHALEON. Voulentiers, et vous, ce vous proy,
- Pour moy aussi.
- YPOCRATES. Dieu le face par sa merci
- De gloire digne.
- HERIPPÉ. Celle qui est des
cieulx royne
- Li vueille estre dame et amie.
- Si ne faudra a grace mie
- Amour de Dieu.
( Panthaléon retourne chez lui )
ACTE II.
Scène 1. Chez le père de Panthaléon.
- LE PÉRE. ( A son fils qui entre )
Filz, dont viens tu, ne de quel lieu ?
- Elas ! tu m' as bien empeschié
- De dueil, si as fait grant pechié.
- J' ay ci musé pour toy touz jours.
- Au mains me dy ou ces huit jours
- Demouré as.
- PANTHALEON. Pére, ne vous
courrouciez pas.
- Mon maistre un homme pris avoit
- En cure, lequel il devoit
- Garir dedans dix jours ou mains.
- Si y a si bien mis les mains
- Qu' il l' a tout gari et curé.
- Pour ç' avons nous tant demouré,
- Car de sa maison ne partismes
- Jusqu' a tant que nous en venismes
- Hier puis dynée.
- LE PÉRE. Mal fu sa personne onques née.
- Onques mais que je sache n' oy
- Tant de courrouz ne tant d' annoy
- Jour de ma vie.
- PANTHALEON. Pére, si a esté folie.
- Or laissons ester ce parler.
- A mon maistre m' en vueil raler
- Sanz plus attendre.
- LE PÉRE. T' en vas tu ? or pense d' apprendre
- Bien ton mestier.
- PANTHALEON. Si feray j', il m' en est mestier.
( Il retourne auprès de maître Morin )
Scène 2. L’échoppe de maître Morin sur une place.
- PANTHALEON. Maistre, je vous salu, c' est drois,
- Com cil qui sui en touz endroiz
- Vostre subjet.
- MAISTRE MORIN. Panthaleon, moult bien vous siet
- A saluer, par Mahonmet,
- Et a parler, dont moult bel m' est.
- Ne vous vi mais il a huit jours.
- Ou avez puis esté touzjours
- A verité ?
- PANTHALEON. Sire, mon pére a
acheté
- Hors de la ville un heritage
- Ou il appartient grant gaingnage,
- Et pour ycellui pourveoir
- L' avons ensemble esté veoir.
- Or le savez.
- MAISTRE MORIN. S' a Mahon plaist, bien fait avez.
- Ore pour ta science acroistre,
- Il te fault les herbes congnoistre
- De quoy tes oingnemens feras
- Quant tu de moy parti seras.
- Biau filz, c' est une.
- PANTHALEON. Maistre, j' en congnois bien aucune :
- Je congnois ortie et sarfueil,
- Persil, macidoine et milfueil;
- Et si congnois moult bien cresson
- Olenois, voire, et seneçon,
- Tenasie, coq, lis et mente,
- Moron, plantin et une gente
- Fueille qui est nommée doque.
- Ne cuidez pas que je vous moque :
- Toutes ceus cy congnoys je bien,
- Et avec ce langue de chien
- Quant je la voy.
- MAISTRE MORIN. Panthaleon, biau filz, avoy !
- S' a point les savoies bien mettre
- Dygne seroies d' estre maistre.
- Or te diray que tu feras :
- D' aucunes cueillir m' en yras,
- Et je te mousterray conment
- Tu en feras bon oingnement
- Au retourner.
- PANTHALEON. Maistre, g' i vois sanz sejourner :
- Si tost conme diné aray,
- Assez vous en apporteray.
( Il quitte maître Morin. Seul, priant sur le chemin de sa demeure )
- E ! doulx Jhesu Crist, roy celestre,
- Sire, plaise toy qu' il puist estre
- Que mon pére soit a ta loy
- Converti aussi conme moy !
- Pour son sauvement le desir.
- Sire, ce soit ton saint plaisir,
- Si com c' est le mien, tu le scez.
Scène 3. Chez le père de Panthaléon.
- PANTHALEON. ( Entrant ) Je viens, pére. Est diner passez ?
- Vieng je trop tart ?
- LE PÉRE. Nanil, filz, se Mahon me gart :
- Assez estes venuz a point.
- Ceens ne dinerons nous point.
- Nous yrons diner chiez le page,
- Qui le nous fera a l' usage
- De son pais.
- PANTHALEON. ( Montrant deux idoles, l’une assise et l’autre debout )
J' ay long temps esté esbahiz,
- Et suis encore, sachiez, sire,
- D' une chose que vous vueil dire,
- Pour quoy est ce qu' adès
seant
- Voy l' un des dieux et l' autre estant,
- Ne le seant estant n' est point,
- Ne l' estant ne siet ? de ce point
- Ay admiracion trop grande
- Que ne siet cilz, ce vous demande,
- Et cilz ne liéve.
- LE PÉRE. Ta question est fort et griéve :
- Par mon salut, je ne cuit mie
- Qu' en ceste ville ait homme en vie
- Qui ce point te sceust espondre.
- De ma part ne t' en scé
respondre,
- Car en ce ne me congnois goute;
- Mais tu m' as mis en telle doubte
- Que jamais pour ceste raison
- N' iert que je n' aye soupeçon
- Qu' i ne soient mie vraix diex,
- Car ilz sont, ce voi j' a mes iex,
- Telx com tu dis.
( Ils sortent )
Scène 4. Une rue de Nicomédie
( Panthaléon et son père voient au-dehors un aveugle, Antime )
- L' AVUGLE. Elas ! conme est povre et mendis
- Et desconfortez qui ne voit !
- Il n' a bien ne joie ou qu' il voit
- Et si chiet en grant desconfort.
- Ha ! Mahon, qui saroit com fort
- Il m' ennuie, il s' esbahiroit
- Et de moy grant pitié aroit.
- Quant me recors et me remembre
- Que je ne souloie avoir membre
- Qui ne fust sain conme une pomme,
- Et je sui ore si povre homme
- Que je ne me voy ou conduire,
- Est il rien qui tant me peust nuire ?
- Nanil, sanz doubte.
- PANTHALEON. Biaux amis, un petit m' escoute.
- Tu te complains et te lamentes
- Et trop malement te dementes
- Pour ta veue, ne m' en merveil.
- Se croire vouloies conseil,
- Encor la pourras tu ravoir
- Et aussi clérement veoir
- Conme onques fis.
- L' AVUGLE. Sire, soiez certains et fis
- Qu' il n' est riens que je ne feisse
- Pour recouvrer le benefice
- De ma veue.
- PANTHALEON. En l' heure te sera rendue,
- Se laissier veulz la loy paienne
- Et prendre la foy chrestienne :
- Bien dire l' ose.
- L' AVUGLE. Ne me fault il faire autre chose
- Pour la ravoir ?
- PANTHALEON. Saches, biau frére,
nanil voir.
- Dès si tost com tu aras dit
- De cuer : Je croy en Jhesu Crist,
- Bien te sera.
- L' AVUGLE. Dès maintenant dont ce sera.
- Doulx Jhesu Crist, et près et loing,
- A vous croire et servir me doing
- Conme vray Dieu, filz Dieu le pére :
- Sire, par ceste foy m' appére
- Qu' estes vraiz Diex.
- PANTHALEON. Sueffre : je vueil touchier tes yex.
- ( Imposant les mains sur les yeux de l’aveugle et priant )
Sire, a qui le costé fendi
- Longis l' avugle un venredi,
- Dont il yssi et yaue et sanc
- Qui coula de vostre saint flanc,
- Sur ses mains, et si bel ouvra
- Que sa veue recouvra,
- Pour quoy il vous cria merci,
- Sire, aussi a cest homme ci
- Rendez la veue en ceste voie,
- Par quoy chascun congnoisse et voie
- Que sur touz estes seul vraiz Diex.
- ( A l’aveugle ) Frére, euvre ou nom Jhesu tes yex
- Et cler en voies.
- L' AVUGLE. Touz mes pleurs sont muez en joies,
- Car je voy tresparfaittement,
- Dont Jhesu mercy haultement;
- Car puis qu' il m' a fait ceste grace,
- Sire, je vueil sanz plus d' espace
- Baptesme avoir.
- LE PÉRE. Or puis je clérement
savoir
- Que noz diez n' ont nulle maistrie,
- Mais que c' est fole ydolatrie
- Que de les com diex honnourer.
- Jhesu seul doit on aourer.
- Panthaleon, or voi je bien,
- Filz, que vous estes crestien.
- Si feray je, ce vous denonce.
- A la loy paienne renonce
- Dès cy endroit.
- PANTHALEON. Certes, pére, vous avez droit,
- A brief parler.
- L' AVUGLE. Sire, pour Dieu, pensons d' aler
- La ou baptesme recevray,
- Car ne mengeray ne buvray
- Paien jamais.
- LE PÉRE. Aussi ne feray je moy, mais
- Que celui trouver puisse a point
- Qui les gens baptise et enoint
- De l' uile sainte.
- PANTHALEON. Je vous menray a tel qui mainte
- Foiz celle sainte office a fait,
- Qui est catholique parfait.
- Suivez moy.
( Panthaléon conduit son père et l’aveugle chez Hermolaüs )
Scène 5. Chez Hermolaüs.
PANTHALEON. ( Entrant ) Hermolaus pére,
- Qu' en vous la Dieu grace s' appére.
- Parlez a nous.
- HERMOLAUS. Panthaleon, que voulez vous,
- Mon enfant chier ?
- PANTHALEON. Pére, sanz vous longues preschier
- De cest homme, sachez sans doubte,
- Que maintenant ne veoit goute,
- Dont malement se dolosoit,
- Quant je li dis que s' il vouloit
- Croire en Jhesu Crist, voire, et prendre
- Crestienté, que sanz attendre
- Aussi cler verroit qu' il fist onques,
- Et il s' i assenti; adonques
- En seignant li touchay les yex,
- Dont il voit aussi bien ou miex
- Conme il fist onques, Dieu merci.
- Mon pére, qui a ce fait ci
- Veu, s' en est si merveilliez
- Qu' il est, sire, touz conseilliez
- Qu' il se veult de la loy demettre
- Sarrazine et crestien estre;
- Pour ce vient ci.
- HERMOLAUS. Doulx Jhesu Crist, je vous graci,
- Quant ainsi vous plaist a ouvrer.
- Or ça, seigneurs, pour recouvrer
- Grace qui voz pechiez destruise
- Et qui droit a Dieu vous conduise,
- Puis que c' est vostre voulenté,
- Venez prendre crestienté
- Ou vous menray.
- L' AVUGLE. Sire, voulentiers le feray
- De moye part.
- LE PÉRE. Sy feray je, car il m' est tart
- Que l' aie eu.
( Panthaléon, son père et l’aveugle suivent Hermolaüs à l’église
Saint-Paul, où Panthaléon a reçu le baptème )
Scène 6. Une rue de Nicomédie.
( Entre un homme handicapé, Mondot, qui se déplace avec des béquilles )
- LE CONTRAIT. Las ! se le cuer ay esmeu
- A dueil faire j' ay bien raison,
- Quant ne scé de quelle achoison
- Ceste maladie me viengne,
- Que je n' ay pié qui me soustiengne,
- Ains me fault tenir deux eschaces
- Et mon corps trainer par les flaches
- Se je vueil nulle part aler.
- Helas ! on ne soloit parler
- De bel homme se de moy non.
- Or ay du tout perdu ce nom,
- Car contrait sui et mehaingniez,
( Entre maître Morin )
- Ha ! maistre Morin, bien veigniez :
- Chiez vous m' en aloie tout droit.
- Pourroit il estre en nul endroit
- C' on peust garison avoir
- De tel mal com j' ay, pour avoir,
- Et estre sain ?
- MAISTRE MORIN. Une demande fais en vain :
- Je ne scé; mais que souffrir
puisses
- Que tes jambes taste et tes cuisses,
- Je t' en diray tantost le voir
- Se jamais garison avoir
- Pourras ou non.
- LE CONTRAIT. Maistre, or y gardez : que Mahon
- Vous doint s' amour.
- MAISTRE MORIN. Je le te feray sanz demour
- Presentement.
( Maître Morin palpe les jambes de l’homme handicapé )
- LE CONTRAIT. Vous me bleciez trop malement
- Luec endroit, maistre.
- MAISTRE MORIN. La main n' i puis plus souef mettre,
- Je ne scé de quoy tu te plains;
- Mais c' est le mal dont tu es plains
- Qui les nerfs t' a retrait sanz doubte.
- Je te di tu as une goute
- Que nous appellons palasine,
- Contre laquelle medicine
- Nulle ne vault.
- LE CONTRAIT. Elas ! ainsi donques me fault
- Mes jours finer ?
- MAISTRE MORIN. C' est voirs, et nient moins se finer
- Pouoies d' un cuer de fenis,
- Ton mal seroit du tout fenis
- Ligiérement.
- LE CONTRAIT. Et n' est il riens qui autrement
- Me puist valoir ?
- MAISTRE MORIN. Nanil voir, car en nonchaloir
- Tu l' as trop mis.
- LE CONTRAIT. Las ! or voy je que mes amis
- Ay touz perduz en verité,
- Puis que j' ay perdu ma santé :
- N' est nulle doubte.
- MAISTRE MORIN. Garde bien qu' en toy ne se boute
- Dueil quel qu' il soit.
- LE CONTRAIT. Sire, de vous pren congié.
Voit
- Si com pourra !
( L’homme handicapé se retire )
- MAISTRE MORIN. Espier vueil ou il yra :
- Courrouciez est.
( Maître Morin le suit )
Scène 7. L’église Saint-Paul.
- HERMOLAUS. ( Sortant de l’église ) Ore, biaus seigneurs, avis m' est
- Que moult grant joie avoir devez
- Du baptesme que vous avez,
- Et que chascun est bien tenuz
- D' amer Dieu. Or gardez que nulz
- De ceste foy ne vous retraie
- Pour biau parler qu' il vous retraie,
- Ne pour menace.
- L' AVUGLE. Pour chose c' on me die ou face,
- Certes jamais n' aoureray
- Aus ydoles, ne ne croiray.
- Biau pére, a Dieu !
- LE PÉRE. Pére,
mais que viengne en mon lieu,
- Je vous promet je destruiray
- Quanque en maison en trouveray,
- Soiez en fis.
- L' AVUGLE. Sire, de vous et vostre filz
- Pren congié. A Dieu vous
conmans.
- Es priéres me reconmans
- D' entre vous deux.
- PANTHALEON. A Dieu ! amis, soiez bien preuz
- A Dieu amer.
( Panthaléon et son père se séparent de l’aveugle et
d’Hermolaüs qui partent dans des directions différentes )
Scène 8. Chez le père de Panthaléon.
( Entrent Panthaléon et son père ; celui-ci renverse aussitôt
les deux idoles et les écrase au sol à coups de talons )
- LE PÉRE. Mahom, Mahom, qui que blasmer
- M' en doie, plus ne demourrez
- Ceens; de la trebucherez.
- Passez jus par male aventure :
- Folz est qui en vous met sa cure.
- Filz, fas je bien ? Le chief li froisse,
- Afin c' on ne le recongnoisse
- Jamais nul jour.
- PANTHALEON. Pére, ne doit que
deshonnour
- Avoir tel dieu.
- LE PÉRE. Biau filz, qui que le
prengne a jeu,
- Après le vueil porter
noier,
- Et d' ilec me vueil avoier
- D' aler droit en Jherusalem
- Ou le vray Dieu a grant ahan
- Pour nous moru.
- PANTHALEON. Pére, vous a bien tant feru
- S' amour au cuer ?
- LE PÉRE. Je ne cuide ja a nul fuer
- L' eure veoir, a brief parler,
- Que meuz soie a y aler.
- Filz, mes biens et mon hostel garde,
- Car le mouvoir forment me tarde :
- A Dieu te di.
- PANTHALEON. Pére, mie ne vous desdi,
- Mais au mains vous convoieray
- Ou avecques vous m' en iray,
- S' il vous agrée.
- LE PÉRE. Pour ce que soit chose secrée,
- Filz, non ferez.
( Le père sort emportant les débris des idoles pour les jeter à l’eau )
ACTE III.
Scène 1. Une place , l’échoppe du médecin. Quelques mois plus tard.
( Entre, en compagnie d’Antime l’aveugle guéri, Mondot, l’homme handicapé
qui se déplace sur des béquilles. On voit Panthaléon et maître Morin à
l’intérieur de l’échoppe )
- LE CONTRAIT. Elas ! bien sui deshonnorez.
- Mon mal de jour en jour empire,
- Et si ne puis nulle part mire
- Trouver qui m' en sache guerir.
- Certes je voulroie mourir
- Tout maintenant.
- L' AVUGLE. Amis, c' est grant desavenant
- De la mort ainsi desirer :
- Ne savez vous considerer
- Autre confort ?
- LE CONTRAIT. Nanil, j' ay angoisse trop fort
- Et qui jamais ne prenra fin,
- Se me dient li medecin.
- Laissiez m' en pais.
- L' AVUGLE. Aussi ne cuiday je jamais
- Veoir, amis, n' a pas granment,
- Car les yex estains longuement
- Avoie euz, point n' en veoie,
- Quant me trouva en plaine voie
- Un jonne home qui m' aproucha,
- Qui si tost qu' i les me toucha
- Il me gari tout nettement,
- Sanz emplatre ny oingnement
- Mettre y n' ointure.
- LE CONTRAIT. Tant vous fist il plus belle cure.
- Helas ! mon ami, qui est il ?
- Ne scé s' il seroit si soubtil
- Que de mon mal me garisist.
- Je feisse quanqu' il voulsist
- Certainement.
- L' AVUGLE. Et je tieng et croy fermement
- Que de ce mal te garira
- Se tu fais ce qu' il te dira.
- Or t' en advise.
- LE CONTRAIT. Quelque chose qu' il me divise,
- Je la feray.
- L' AVUGLE. Donques je le t' enseigneray.
- ( Montrant Panthaléon debout dans l’échoppe )
Voiz tu la ce jonne homme estant ?
- C' est celi, n' en soiez doubtant,
- Qui m' a gueri.
- LE CONTRAIT. Aler m' en vueil donques a li
- Ysnel le pas.
( L’aveugle et l’homme handicapé s’avancent vers l’échoppe )
- MAISTRE MORIN. ( A l’aveugle ) Mon ami, ne me mentez pas.
- Vous avez dit que la veue,
- Que vous aviez du tout perdue,
- ( Montrant Panthaléon auprès
de lui ) Par cel homme avez recovré.
- Conment a il sur vous ouvré ?
- Dites le moy.
- L' AVUGLE. Sire, voulentiers, par ma foy :
- Il me dist, se croire vouloie,
- En Jhesu Crist, que je verroie;
- Et je du cuer m' y assenti
- Et tantost sur mes yex senti
- Son doit, dont croiz dessus me fist.
- Onques autre chose n' y mist,
- Si vi en l' eure.
- MAISTRE MORIN. Il tient donques et si honneure
- Crestienté ?
- L' AVUGLE. C' est voirs, si fas j' en verité.
- Dès si tost que poy regarder,
- Babtiser me fis sans tarder
- Et sui crestien.
- MAISTRE MORIN. Va t' en : qu' il ne t' en soit doubt bien
- Encor de pis.
( L’aveugle se retire )
- LE CONTRAIT. ( A Panthaléon ) Ha ! sire, je qui sui despis
- De touz pour ce que sui contrait
- Et que li nerf me sont retrait,
- Dont je palis souvent et taing,
- Vueillez regarder mon meshaing
- Et prendre en cure.
- PANTHALEON. Se je te garis et te cure,
- Laisseras tu la loy paienne
- Pour tenir la foy crestienne
- De cuer loyal ?
- LE CONTRAIT. Certes oil, franc cuer royal,
- Tresvoulentiers.
- PANTHALEON. Or te deslie : endementiers
- M' aviseray.
- LE CONTRAIT. ( Se défaisant ) Sire, voulentiers le feray.
- Deslié sui.
- PANTHALEON. Or entens : ( Faisant le signe de la croix et la bénédiction ) ou nom de celui
- Qui est appellé Jhesu Crist,
- Qui des propheties l' escript
- Tout acomplit et affina,
- Quant en la croiz pour nous fina,
- Soies tu beneiz et seigniez
- Et de tes membres meshaingniez
- Gariz a plain.
- LE CONTRAIT. Or ne me dueil je mais ne plain
- Ne de mal ne sui agrevez.
( Il se dresse sur ses pieds, en laissant tomber ses béquilles )
- Vez me ci sur mes piez levez.
- Sire, se je vous lo j' ay droit,
- Quant sur moy avez cy endroit
- Fait si biau fait.
- PANTHALEON. Mon ami, ce n' ay je pas fait :
- Ç' a fait Jhesu, le roy de
gloire,
- Que tu doiz aourer et croire :
- Promis li as.
- LE CONTRAIT. Sire, ne li mentiray pas.
- Je m' en vois faire baptiser
- Pour ma conscience appaiser.
- A Dieu, chier sire !
- PANTHALEON. A Dieu, amis, qui te gart d' ire !
- Prie pour moy.
- LE CONTRAIT. Sire, voulentiers : je le doy
- Certes bien faire.
( Mondot, l’homme guéri de son handicap, se rend à l’église.
Maître Morin s’avance hors de l’échoppe, tandis que
Panthaléon reste à l’intérieur )
- MAISTRE MORIN. ( A part ) Ma science ne mon affaire
- Ne vault mais rien en ce pais,
- Dont je sui forment esbahiz.
- Lonc temps a que je ne fis cure;
- N' est nulz qui ait mais de moy cure.
- Chascun a Panthaleon cuert,
- Et chascun garist et secuert.
- J' en ay grant dueil et grant envie.
- Ma chevance pers et ma vie,
- Mais la seue li feray perdre,
- S' a point puis l' empereur aherdre.
- Je m' en vueil a sa court aler
- Savoir s' a li pourray parler :
( Il se rend au palais de l’empereur )
Scène 2. Le palais de l’empereur.
- MAISTRE MORIN. ( Entrant ) Je le voy la, c' est bien a point.
- Mon chier seigneur, Mahon vous doint
- Honneur sanz fin.
- L' EMPEREUR. Bien veigniez vous, maistre Morin.
- Quel vent vous boute ?
- MAISTRE MORIN. Mon seigneur, vous l' orrez sans doubte.
- Sachez qu' il a en ceste ville
- Un jonne homme qui par sa guille
- Fait aux gens despiter noz diex,
- Et pour ce qu' il les puisse miex
- Attraire a la loy de Jhesum
- Qui fu pendu conme larron,
- Les avugles fait veoir cler
- Et les contraiz fait droit aler,
- Aux mehaigniez leurs maux tarist
- Si qu' il semble qu' il les garist.
- Au mains congnois je bien l' avugle
- Qui ne veoit rien plus qu' un bugle,
- Qui voit bien con vous maintenant.
- Sire, je vous le di pour tant
- Que s' ainsi le laissiez durer,
- Je doubt qu' en la fin endurer
- N' en faille ennuy.
- L' EMPEREUR. J' en venray a chief au jour d' uy.
- ( Aux deux sergents ) Alez vous deux avecques li,
- Et tu leur monstreras celi
- Qui a esté enluminez,
- Et tantost si le m' amenez
- Ci en present.
- MAISTRE MORIN. Sire, de cuer tout me present
- A vostre vueil.
- PREMIER SERGENT. Alez devant, je le conseil;
- Nous vous suivrons.
- DEUXIESME SERGENT. Il dit bien; voirement ferons.
- C' est le meilleur.
( Ils suivent maître Morin au dehors )
Scène 3. Une place devant le palais.
( Maistre Morin leur montre Antime l’aveugle )
- MAISTRE MORIN. E gardez : vez le la, seigneur.
- Alez le prendre.
- PREMIER SERGENT. Ça, maistre, il vous fault sanz attendre
- Venir a l' empereur bonne erre,
- Qui par nous vous envoie querre;
- C' est sanz mentir.
- L' AVUGLE. Alons, seigneurs, sanz alentir. Je suis tout prest.
( Les deux sergents accompagnés de maître Morin conduisent l’aveugle au palais )
Scène 4. Le palais impérial.
- DEUXIESME SERGENT. ( Présentant l’aveugle à l’empereur )
Sire, vezci qui venuz est
- A vostre mant.
- L' EMPEREUR. Bien est. Amis, je te demant,
- Es tu cil qui granment esté
- As sans veoir ? Di verité
- Hardiement.
- L' AVUGLE. Oil, mon seigneur, vraiement,
- Je sui celi.
- L' EMPEREUR. Or me respons : qui t' a gari
- Si que tu vois ?
- L' AVUGLE. Jhesu Crist, vray Diex et vray roys,
- Qui de nient a fait tout le monde,
- Celui qui justiffie et monde
- Les pecheurs, cil que toute gent
- Doivent croire, par son sergent
- Qui nommez est Panthaleon,
- M' a gari. Si est bien raison
- Que ceste bonté recongnoisse
- Et que sa loenge j' acroisse
- A mon pouoir.
- L' EMPEREUR. Donques a ce que puis veoir
- Tu es crestien ?
- L' AVUGLE. C' est voirs; autrement conme un chien,
- Sire, vivroie.
- L' EMPEREUR. ( Au premier sergent ) Garde que ci plus ne le voie.
- Je te conmant si con m' as chier
- Que le chief li voises tranchier
- Aus champs la hors.
- PREMIER SERGENT. Sire, voulentiers, et dès lors
- Que j' aray fait ci revenray.
- ( A l’aveugle ) Sa, maistre, assez tost vous feray
- Taire tout coy.
- L' AVUGLE. Amis, puis que je scé pour quoy
- Tu me maines pour mettre a fin,
- J' en loe Dieu et de cuer fin
- Le te pardoing.
- PREMIER SERGENT. De tel pardon n' ay pas besoing.
- Avant :
( Le premier sergent fait avancer l’aveugle hors du palais )
Scène 5. La place devant le palais.
LE SERGENT. ( Arrêtant l’aveugle ) a genoulz vous mettez.
- Morir vous fault ci, n' en doubtez;
- Ce vous promet.
( L’aveugle s’agenouille. Entre Panthaléon )
- PANTHALEON. ( Considérant ce qui se passe, à part )
Ce crestien qu' a mort on met
- Me fait pitié, n' est pas merveille,
- Et ce tirant s' i appareille
- De grant maniére.
- PREMIER SERGENT. Estens le col, baisse la chiére :
- Tien, vas, maishui n' en aras mains.
( Il lui tranche la tête )
- Jamais ne de piez ne de mains
- Ne s' aidera.
- PANTHALEON. ( S’avançant vers le premier sergent )
Amis, dites : qui vous donrra
- Vostre vin, souffrerez vous bien
- C' on emporte ce crestien
- Pour mettre en terre.
- PREMIER SERGENT. De ce que me venez requerre
- Convenroit qu' il fust fait secré;
- Mais qu' aray je s' a vostre gré
- Vous lais ce corps ?
- PANTHALEON. Je vous donray, ce vous accors,
- Quatre florins.
- PREMIER SERGENT. Mais qu' ilz soient d' or, bons et fins.
- A quant paier ?
- PANTHALEON. En l' eure, pour vous appaier :
- Tendez la main.
( Panthaléon donne au sergent les quatre florins )
- PREMIER SERGENT. Or le prenez hui ou demain,
- Quant vous plaira.
- PANTHALEON. Je vois querre qui m' aidera
- A l' emporter.
- PREMIER SERGENT. Et je compagnie porter
- Vois l' emperére.
( Le premier sergent retourne auprès de l’empereur.
Entre l’homme handicapé qui a été guéri )
- PANTHALEON. Amis, se m' amour avez chiére,
- Je vous pri, aidiez m' un tantet
- A mettre en sauf ce corps qui est
- Pour la foy Jhesu Crist martir.
- Ennuit le pense ensevelir
- Et mettre en terre.
- LE CONTRAIT. Voulentiers, sire, alons bonne erre :
- Que vous soiez le bien venuz !
- A vous plus qu' a nul sui tenuz,
- Bien m' en souvient.
- PANTHALEON. Or ça : porter le nous convient
- En cel anglet.
- LE CONTRAIT. Sus de la, sus.
( Ils soulèvent le corps et le mettent avec la tête en un endroit caché )
Sire, il y est ;
- Voulez plus rien ?
- PANTHALEON. Nanil, amis, il est moult bien.
- A Dieu alez !
( Ils se séparent )
ACTE IV.
Scène 1. Le palais impérial.
- MAISTRE MORIN. Sire, se vous ne conmandez
- Prendre Panthaleon de fait,
- De vostre emprise n' avez fait
- Chose qui vaille.
- L' EMPEREUR. Entre vous deux, conment qu' il aille,
- Alez et si le m' amenez,
- Et gardez que ne revenez
- Sanz li vers moy.
- DEUXIESME SERGENT. Sire, a voz grez faire m' ottroy.
- ( Au premier sergent ) Alons, compains, nous deux ensemble :
- Penses tu point ou il te semble
- Que le truissons ?
- PREMIER SERGENT. Je cuit se nous en alissons
- La ou gist le crestien mort,
- Nous le trouverions : c' est mon sort.
- Or y alons.
- DEUXIESME SERGENT. Soit. Ho ! de li plus ne parlons :
( Ils sortent )
Scène 2. La place devant le palais.
( Entrent en même temps de deux côtés différents les deux
sergents et Panthaléon )
- DEUXIESME SERGENT. ( Au premier ) Je le voi venir ça avant.
- Contre li m' en vois au devant.
- ( Abordant Panthaléon ) Panthaleon, ne scé plus dire,
- Venir vous fault sanz contredire
- A l' empereur.
- PANTHALEON. En bonne heure soit ce, seigneur;
- Si y alons.
( Panthaléon suit les deux sergents auprès de l’empereur )
Scène 3. Le palais impérial.
- DEUXIESME SERGENT. ( Faisant entrer Panthaléon )
Mon seigneur, nous vous amenons
- Panthaleon.
- L' EMPEREUR. Es tu ce qui mire es si bon
- Que les avugles renlumines
- Sanz mettre y nulles medicines,
- Et les contraiz aussi redresses,
- Et toutes maladies cesses
- Par paroles tant seulement ?
- Dy me voir, se Mahon t' ament,
- Quelles sont elles ?
- PANTHALEON. Sire, elles sont plaisans et belles,
- Car elles sont du doulz Jhesu,
- Homme et Dieu, qui de l' ort palu
- D' enfer par sa mort nous retrait,
- Afin qu' en gloire feussons trait
- Avec son pére.
- L' EMPEREUR. Il convient qu' autrement m' appére
- Ce que tu dis; point ne l' entens.
- Di moy a quelle fin tu tens
- Plus en appert.
- PANTHALEON. Je di que tout homme se pert
- Et se met a dampnacion
- Qui a foy ny entencion
- A autre dieu qu' a Jhesu Crist,
- Car il est de lui seul escript,
- Puis qu' a ce dire sui meuz :
- Videte quod ego solus
- Et non sit deus preter me :
- Entre vous, de qui diffamé
- Sui par ignorance de foy,
- Veez qu' autre dieu n' est que moy.
- Pour quoy ? car il est dit après
- En ce lieu mesmes par exprès :
- J' occiray et vivre feray,
- Je naverray et gariray,
- Et si n' est nul, au paraler,
- Qui de ma main puist eschaper.
- Et pour ce vous debvriez soubzmettre
- A lui, sire, et crestien estre
- Pour vous sauver.
- L' EMPEREUR. Il te fauldroit bien miex prouver
- Qu' il soit vraiz diex.
- PANTHALEON. Or le faisons, s' il vous plaist, miex :
- Faites venir ci en present
- Quelque malade ou mort present
- Et soit tenu sanz detrier
- Pour dieu celui qui par prier
- Ou le malade garira
- Ou le mort resuscitera,
- Soit le dieu ou plus vous fiez
- Ou Jhesus le crucifiez
- Lequel j' aour.
- L' EMPEREUR. Vas me querre, vas sanz demour
- Les prestres a noz dieux servans.
- Qu' a moy viegnent tost, ce leur mans
- Et les em pri.
- DEUXIESME SERGENT. Mon seigneur, je vois sanz detri.
( Le deuxième sergent sort )
Scène 4. La demeure des deux prêtres.
- DEUXIESME SERGENT. ( Entrant, aux prêtres )
Seigneurs, je vous truis bien a point,
- Venez vous ent sanz tarder point
- A l' emperiére.
- PREMIER PRESTRE. Yci ne fault mie priére,
- Mais qu' il conmande.
- DEUXIESME PRESTRE. Grant joie ay de ce qu' il nous mande.
- Alons pour faire son vouloir :
- Nous n' en pouons que miex valoir.
- Avant, passez.
( Les deux prêtres suivent le deuxiême sergent au palais impérial )
Scène 5. Le palais impérial.
- PREMIER PRESTRE. ( S’avançant vers l’empereur )
Mon seigneur, ne scé que pensez,
- Qui si en haste nous mandez :
- Vez nous ci, sire; or conmandez
- Vostre plaisir.
- L' EMPEREUR. C' est mon vouloir et mon desir
- Que cel homme que voy la courbe
- Faciez ci avec vous en tourbe
- Venir bonne erre.
- PREMIER SERGENT. Mon chier seigneur, je le vois querre.
( Le premier sergent sort )
Scène 6. La place devant le palais.
( Passants et badauds sur la place )
- PREMIER SERGENT. ( Abordant un bossu, Sadoth )
Bon homme, sanz vous ci tenir
- Il vous fault jusques ça venir.
- Or faites brief.
- LE COURBE HOMME. Amis, le haster m' est moult grief.
- Alez devant, je vous suivray
- Tout le plus tost que je pourray
- Voire a mon aise.
(Le premier sergent conduit le bossu à l’intérieur
du palais, des badauds suivent par curiosité )
Scène 7. Le palais impérial.
( Le premier sergent, suivi des badauds, conduit le bossu devant l’empereur )
- L' EMPEREUR. ( Aux prêtres ) Seigneurs, je vous pri qu' il vous plaise
- De cuer aux ydoles prier
- Que cel homme sanz detrier
- Vueillent garir, a celle fin
- Que Mahom, voire, et Apolin
- Et noz autres diex aourés
- Soient de ceulz et honnourés
- Qui les vitupérent et blasment
- Com dyables et les diffament
- Cy devant moy.
- PREMIER PRESTRE. Sire, nous en ferons nous doy
- Maintenant quanque en pourrons faire
- Conme ordenez a tel affaire.
- ( S’adressant à la statue d’une idole ) Berith, mon dieu, de ta puissance,
- Sire, nous faiz cy demonstrance :
- Par ta bonté, par ta largesce,
- Cest homme garis et redresce
- ( Montrant les badauds parmi l’assistance ) Si que ce peuple ait achoison
- Et nouvelle cause et raison
- De toy loer et aourer,
- De toy servir et honnourer
- Conme vray dieu.
- DEUXIESME PRESTRE. ( S’adressant à trois autres idoles )
Mon dieu Astaroth, de cuer pieu
- Soiez a ma priére enclin,
- Et vous, Mahom et Apolin,
- Devotement vous pri mercy :
- Monstrez vostre puissance cy
- Et garissez la maladie
- De cest homme, afin que l' en die
- Et croye l' en par verité
- Qu' en vous a vraie deité
- Sanz fin regnable.
- L' EMPEREUR. Vostre priére est po valable,
- Seigneurs, a ce que je voy ci.
( Le bossu reste tel qu’il était )
- Penthaleon, or prie aussi
- Ton Dieu, si verrons qu' il fera,
- Se ce contrait cy garira
- Ou non par toy.
- PANTHALEON. Doulx Jhesu Crist, si com je croy
- Que pour ce que tu te livras
- A mort, d' enfer nous delivras
- Et pour c' en ce monde venis
- Et, toy Dieu, homme devenis
- Et preis humaine nature,
- Ceste contraite creature
- Pour ta sainte foy essaucier
- Vueilles garir et redrecier
- En present, ( montrant à son tour les badauds )
que ces gens le voient,
- Par quoy conme vray Dieu te croient
- Et recongnoissent.
- LE COURBE HOMME. ( Se redressant et se tenant droit )
Les os m' estendent et me croissent :
- Je croy que je me vueil drescier.
- Seigneurs, bien me doy esleescier :
- Gari me sens par tout le corps.
- Certes au Dieu croire m' accors,
- Panthaleon, que vous creez,
- Et si dy que par lui creez
- Fu tout le monde.
- PREMIER PRESTRE. Tais toy. Que Mahon te confonde !
- Saches se l' emperiére estoie
- En tel lieu mettre te feroie
- Que ne verroies piez ne mains
- De cest an, soies en certains,
- Tant as tu dit.
- DEUXIESME PRESTRE. Mais celui doit estre maudit
- Qui les hommes ainsi bestourne
- Qu' a croire en un Dieu les atourne,
- Qui tant par ce monde courut
- Qu' avecques deux larrons morut.
- A cestui doit on courir seure
- Qui noz diez het et deshonneure,
- Et l' a mort mettre.
- MAISTRE MORIN. Par Mahom, vous dites voir, maistre,
- Et se le fait m' appartenoit
- Sanz mort de ci ne partiroit :
- Car par sa science nouvelle
- Pourra faire la gent rebelle
- Contre vous, sire.
- L' EMPEREUR. Panthaleon, bien oy dire
- As du viel Antime conment
- Il a souffert paine et tourment
- Pour ce Jhesu qu' il tant prisoit
- Et pour noz diex qu' il desprisoit,
- Et si n' a gaires ?
- PANTHALEON. Je scé bien que par
moult de paires
- De tourmens, sire, il a passé,
- Mais ne l' avez pas tant lassé
- Que l' aiez peu vaincre, non;
- Et se tel viellart pour le non
- Dieu a voulu tant soustenir,
- Je qui sui jeune et a venir
- Encore doy je miex souffrir
- Et moy a plus grant peine offrir
- Pour avoir plus noble victoire
- Et pour couronne avoir de gloire
- Avec Antime.
- L' EMPEREUR. Par le Dieu que j' aour hautime,
- C' est Baal, n' en aras ja mains.
- Avant : mettez a li les mains.
- Se de moy servir estes liez,
- Yci tout nu le despoulliez
- ( Désignant un poteau de supplice au dehors du palais )
Et le liez a celle estache
- De cordes aussi c' une vache,
- Et a brandons de feu ardans
- Li ardez et costez et flans
- Jusqu' a l' entraille.
- DEUXIESME SERGENT. Si ferons nous, sire, sanz faille.
( Les deux sergents font sortir Panthaléon )
Scène 8. La place devant le palais.
( Les deux sergents conduisent Panthaléon au poteau )
- DEUXIESME SERGENT. ( Au premier sergent )
Compains, puis qu' a ce faire vient,
- Avant : despoullier le convient
- Premiérement.
- PREMIER SERGENT. Or nous en delivrons briément.
- Sa, ce chaperon sanz riote.
- Or avant : et surcot et cote
- Fault despoullier.
( Le premier sergent dépouille Panthaléon de ses vêtements :
chaperon, surcot et cotte )
- DEUXIESME SERGENT. C' est fait; ja en ferons moullier
- De vin noz pances.
- PREMIER SERGENT. J' ay bien pensé ce que tu penses :
- Ce ferons mon certainement.
- Or nous fault aviser conment
- Le lierons.
- DEUXIESME SERGENT. Fagot, bien nous en chevirons.
- D' une corde par la poitrine
- Et d' une autre par my l' eschine
- Sera lié a ceste estache,
- Et afin qu' il ne se destache
- Lui lierons les mains en croiz
- Par derriére, se tu m' en croiz,
- Et les piez a l' estache aussi.
- ( Lui tendant une corde ) Tien, boute ceste corde cy
- Dessoubz s' essaille.
- PREMIER SERGENT. Je vois bien, il l' ara tost belle.
- Tu veulz que je les noe ensemble :
( Le premier sergent lie les mains de Panthaléon derriêre le
dos et l’attache par la poitrine et par la taille au poteau )
- Sont il bien noez ? que t' en semble ?
- Regardes cy.
- DEUXIESME SERGENT. Si est cestui, ce croy j', aussi,
- Car les reins comprent et les mains.
- ( Montrant les pieds) Or ne fault fors, mais c' est du mains,
- Lier dessoubz.
- PREMIER SERGENT. Tu as dit voir, mon ami doulx.
- Tantdis conme g' iray au feu,
- Delivres t' en; fays y un neu
- De celle corde.
- DEUXIESME SERGENT. Il me plaist. Va, je le t' acorde :
- Or t' en avance.
( Le deuxième sergent lie les pieds, tandis que
le premier va chercher les torches )
Scène 9. Le Paradis.
- DIEU. ( A Notre-Dame ) Mére, j' ay d' aler desirance
- A Panthaleon mon ami
- Que je voy la lié par my
- Le corps, pour grief tourment porter.
- ( Aux archanges ) Avec moy, pour li deporter,
- Venez, et vous, anges, aussi.
- Or sus, descendez jus de cy
- Ysnellement.
- PREMIER ANGE. Vray Dieu, vostre conmandement
- Acomplirons.
- DEUXIESME ANGE. Voire, et en alant chanterons
- De cuer joieux.
- PREMIER ANGE. Prenons ensemble entre nous deux :
- En ce ne pouons meffaire.
( Ils chantent )
- RONDEL. Dieu poissans, roy debonnaire,
- Eureuse est la personne
- Qu' a mort pour vous s' abandonne;
- S' on li fait peine en corps traire
- Et nient moins s' amour vous donne,
- Dieu poissant, roy debonnaire,
- Eureuse est la personne;
- Car il en a pour salaire
- De beneurté couronne
- Ou gloire sanz fin foisonne.
- Dieu poissant, roy debonnaire
- Eureuse est la personne
- Qu' a mort pour vous s' abandonne.
( Dieu et Notre-Dame, précédés des deux archanges,
se rendent sur le lieu du supplice )
Scène 10. La cour devant le palais impérial.
- PREMIER SERGENT. ( Apportant des torches )
Sa, je reviens. Ains qu' il soit nonne,
- Maistre, vous ferons escumer.
- Ces brandons nous fault alumer
- Sanz plus attendre.
- DEUXIESME SERGENT. Tu dis voir, et aus costez tendre
- De ce chetif.
- PANTHALEON. ( Priant ) Jhesu, Jhesu, filz Dieu le vif,
- Pour toy sui mis en sacrefice.
- Or m' ottroies le benefice
- Du don de force.
- PREMIER SERGENT. ( Montrant au deuxième sa torche éteinte,
en dépit de ses efforts pour l'allumer )
Compains, qu' est ce cy ? plus m' efforce
- A mon brandon cler faire ardoir
- Et plus destaint. A dire voir,
- Trop m' en merveil.
- DEUXIESME SERGENT. ( Laissant tomber sa torche )
Autel dire du mien te vueil :
- Vez la, ne le puis plus tenir.
- ( Montrant sa main paralysée ) Ma main sens morte devenir :
- Perdue l' ay.
- PREMIER SERGENT. ( Montrant ses deux mains paralysées )
Après toy n' ay pas long delay.
- Les moies deus sens si mal estre
- Qu' i me semble que goute flestre
- Les me menjusse.
( L’empereur sort du palais )
- L' EMPEREUR. Conment ! seigneurs, se je loing fusse,
- Vous le laissiciez tost en pais !
- Ferez vous autre chose huy mais
- De voz brandons ?
- DEUXIESME SERGENT. ( Montrant ses mains immobilisées )
Sire, les mains perdu avons :
- Enchanté sommes.
- L' EMPEREUR. ( Se tournant vers les prêtres )
Conseilliez moy entre vous hommes
- Que je feray.
- PREMIER PRESTRE. Sire, bien vous conseilleray :
- Il ne fault mie qu' i recuevre ;
- Nous trois metterons mains en euvre :
- ( Montrant une chaudière ) Vezla une grande chaudiére :
- Nous l' asserrons en tel maniére
- Qu' il ara bon feu tout entour;
- La ferons mourir sanz retour
- Panthaleon a grief tourment
- Par boulir dedans longuement,
- Se vous voulez.
- L' EMPEREUR. Il me plaist, seigneurs. Or alez,
- Delivrez vous.
- DEUXIESME PRESTRE. Mon chier seigneur, chascun de nous
- Est prest de faire vostre vueil.
- Certes embesongnier m' y vueil
- Tresvoulentiers.
- MAISTRE MORIN. Alons, et je feray le tiers
- De cuer aussi.
- PREMIER PRESTRE. Or ça : ceste chaudiére ci
- Fault asseoir en ceste place.
( Maître Morin et les deux prètres transportent la chaudière
non loin du poteau où Panthaléon reste lié )
- Ho ! bien est : ne fault fors c' on face
- Que ce maleureux soit dedans,
- Envers, en seant ou adans,
- N' en chaut lequel.
- DEUXIESME PRESTRE. Aler deslier de ce pel
- Le convient et amener ci.
- G' i vois; or y venez aussi,
- Maistre Morin.
- MAISTRE MORIN. Voulentiers, ami, de cuer fin.
( Le deuxième prêtre et maître Morin s’approchent du poteau )
- Desliez le hault et je bas.
- Panthaleon, mal te meslas
- D' ame garir.
- DEUXIESME PRESTRE. ( Déliant Panthaléon ) Voire, quant le convient morir
- A telle paine.
- MAISTRE MORIN. ( Idem ) Avant ce que l' en plus te paine,
- Laisse les cures, c' est ton miex,
- Et sacrefies a noz diex,
- Si feras sens.
- PANTHALEON. Par foy, ce n' est pas mes assens
- Que pour nul ci n' en autre lieu
- Je croie ni aoure dieu
- Que Jhesu Crist.
- DEUXIESME SERGENT. Alons men : il est tout escript
- Que devons faire.
- PREMIER PRESTRE. Seigneurs, abreigons nostre affaire :
- Puis qu' il a noz diex en despit,
- Faisons le mourir. Sanz respit
- Soit icy mis.
( Maître Morin et le second prêtre conduisent Panthaléon près de la chaudière )
- PANTHALEON. ( Priant ) Jhesu, vray dieux et vrais amis,
- Ton confort m' envoie et t' aide
- De ce tourment, car j' ay grant hide
- Selon ma sensualité
- Et la povre fragilité
- De ma charongne.
( Dieu, suivi de son cortège, s’est approché de Panthaléon )
- DIEU. Ne doubtes, non, que je t' eslongne,
- Panthaleon; près sui de toy.
- Aies bonne fiance en moy.
- Entres en la chaudiére a plain
- ( Lui prenant la main ) Et je te tenray par la main,
- Et verras que pour toy feray
- Et combien ami te seray.
- Va com hardis.
- PANTHALEON. Ha ! doulx Jhesus, s' acouardiz
- Ay esté, pardonnez le moy.
- Seigneurs, trop esbahiz vous voy
- Quant ne m' osez la paine offrir
- Que pour mon Dieu vueil bien souffrir
- Et endurer.
- L' EMPEREUR. Seigneurs, trop le laissiez durer :
- N' est pas bien fait.
- MAISTRE MORIN. Avant : touz ensemble de fait
- Cy dedans tantost le jettons.
( Ils le jettent dans la cuve )
- Il y est : au feu nous mettons
- Bon faire et grant.
- DEUXIESME PRESTRE. Sachiez j' en ay le cuer engrant,
- Par Mahonmet.
( Ils allument un feu sous la chaudière )
- DIEU. Gabriel, vas : je te conmet
- A ce feu destaindre qu' il font.
- Je vueil contre ce qu' il meffont
- Un po monstrer de ma puissance
- Pour croistre amour et esperance
- En mes amis.
- GABRIEL. Sire, a nient sera tost mis,
- Quant le voulez.
( Gabriel éteint le feu sous la chaudière )
- PREMIER PRESTRE. Egar ! le feu s' en est volez
- Soudainement; n' en y a goute.
- Il a joué, seigneurs, sanz doubte
- D' anchantement.
- MAISTRE MORIN. ( S’évanouissant )
Je me muir, seigneurs, vraiement :
- Le cuer me fault.
- DEUXIESME PRESTRE. ( Se tenant la tête et tombant )
Bonnes gens, venez a l' assault.
- Le dieu Panthaleon ou chief
- M' a feru, dont j' ay tel meschief
- Que je me muir.
- PREMIER PRESTRE. ( Se tordant de douleur )
Haro ! l' en m' esrache le cuir
- Par tout le corps. Las ! que feray ?
- Yci d' angoisse enrageray.
- C' est fait, c' est fait.
- DIEU. ( Reprenant la main de Panthaléon )
Panthaleon, pour toy de fait
- Ay volu ces gens mettre a fin.
- Se tu m' as amé de cuer fin,
- Encore m' aimes.
- NOSTRE DAME. Amis, qui mon filz ton dieu claimes,
- Saches com tu plus l' ameras
- Et com plus pour lui soufferras,
- Tant seras plus beneurez
- Et des anges plus honnourez
- Lassus en gloire.
- DIEU. Elle te dit parole voire.
- ( Lâchant la main de Panthaléon ) Ici te lais, es cieulx m' en vois.
- Alez devant a haulte vois
- Vous deux chantant.
- MICHIEL. Gabriel, disons or avant
- Au miex que le sarons faire.
- RONDEL. Car il en a pour salaire
- De beneurté couronne
- Ou gloire sanz fin foisonne.
( Les archanges, précédant Dieu et Notre-Dame, remontent
au Paradis en chantant ce rondeau )
- L' EMPEREUR. Ha ! mauvaise et fausse personne,
- Is, hors, is de celle chaudiére.
( Panthaléon sort de la cuve et s’avance vers l’empereur )
- Qui te meut en telle maniére
- Que tu as ci ocis ces gens
- Et les autres faiz negligens
- De servir aux diex et separes,
- Et de ne scé quel Dieu te pares
- Et fais monneste ?
- PANTHALEON. Je te dy bien dit le prophéte,
- Qui dit des mauvais qu' a ce chéent
- Que leurs maux sur leurs chiés leur chéent,
- Et il dit voir.
- L' EMPERÉRE. Puis qu' ainsi est, fay me savoir
- Qui t' a si bien endottriné,
- Je t' en pri, et si obstiné
- En ta science.
- PANTHALEON. Un saint homme de conscience
- Qui nommez est Hermolaus.
- Il est tel que je croy n' est nulz
- Meilleur de lui.
- L' EMPEREUR. S' il peut estre que parle a lui,
- Je te pri fais tant que ci viengne,
- Et que m' endottrine et enseigne
- Com toy a fait.
- PANTHALEON. Venir le vous feray de fait
- Et bien brief, sire.
( Il sort. Les deux sergents viennent vers l’empereur )
- PREMIER SERGENT. ( Faisant remuer ses doigts et ses mains )
Mon seigneur, nous vous venons dire
- Que noz mains nous sont revenues
- Que nous jugions avoir perdues
- Oultréement.
- DEUXIESME SERGENT. Il dit voir, sire, vraiement.
- Noz diex en soient aourez,
- Par qui en sommes restorez,
- C' est sanz doubtance.
- L' EMPEREUR. Seigneurs, tost verrez bonne enfance :
- Panthaleon m' est alé querre
- Celui par qui ainsi meserre.
- Il cuide que croire le doie,
- Mais il n' en est pas a deux doie.
- Laissiez venir.
- PREMIER SERGENT. S' en mes mains peut jamais venir,
- Certes je li venderay chier
- Ce que les mains m' a fait sechier
- Et amortir.
ACTE V.
Scène 1. Le Paradis.
- DIEU. Mére, de ci nous fault partir.
- Aler vueil a Hermolaus.
- Vous venrez avecques moy sus,
- Car il me plaist.
- NOSTRE DAME. Mon Dieu, chier filz, voire sanz plait.
- Entre vous, anges, descendez
- Et a bien chanter entendez
- Nous convoiant.
- GABRIEL. Nous le ferons de cuer joiant,
- Dame de gloire.
- MICHIEL. Gabriel, c' est bien chose voire.
- Sus : disons a chant hautain.
( Ils chantent )
- RONDEL. Esjois toy, cuer humain,
- A qui Dieu sa mére amaine :
- Par amour t' ont pris en main.
- Esjois toy, cuer humain,
- En eulz loent soir et main
- Non pas de loenge humaine :
- Esjois toy, cuer humain,
- A qui Diex sa mére amaine.
( Les archanges, précédant Dieu et Notre-Dame, se rendent
dans la demeure d’Hermolaüs en chantant ce rondeau )
Scène 2. La demeure d’Hermolaüs.
- DIEU. ( Entrant suivi de son escorte )
Hermolaus, tien de certain
- Pour ce qu' amé m' as de cuer fin,
- Le temps approuche de ta fin.
- Ce te fas je savoir. Mais quoy ?
- Soies perseverans en foy
- Et si grant merite acquerras
- Qu' en gloire couronne en aras
- De vray martir.
- HERMOLAUS. Ha ! sire Diex, a mon partir
- Ton saint et bon ange m' envoie,
- Qui me conduie et mette en voie
- De vray repos.
- NOSTRE DAME. Persevére en ton bon propos,
- Et tu a ce ne fauldras pas,
- Chier filz. ( Aux archanges ) Ralons nous ent le pas,
- Anges, or tost : alez devant
- Et chantez d' accort. Or avant,
- Sanz plus cy estre.
- GABRIEL. Dame de la gloire celestre,
- Nous ferons vostre voulenté.
- Michiel, de nous deux parchanté
- Soit nostre rondel a plain.
- RONDEL. En eulz louent soir et main
- Non pas de loenge humaine.
- Esjois toy, cuer humain
- A qui Diex sa mére amaine.
( Dieu et Notre-Dame remontent au Paradis , précédés
des archanges qui chantent ce rondeau. Entre Panthaléon )
- PANTHALEON. Pére, c' est bien chose certaine,
- L' emperiére par moy vous mande,
- Car il a voulenté trop grande
- De veoir vous.
- HERMOLAUS. Panthaleon, biau filz doulx,
- Si yray sanz contredit.
- C' est voir ce que hui m' a dit
- Jhesu Crist que mon temps vient.
- Puis qu' aler m' y esconvient,
- Alons bon pas.
( Hermolaüs et Panthaléon se rendent au palais impérial )
Scène 3. Le palais impérial .
- PANTHALEON. ( Introduisant Hermolaüs devant l’empereur )
Sire, vezci, n' en doubtez pas,
- Le bon preudomme.
- L' EMPERéRE. Dy, demeures tu seul, bon homme ?
- Ne me mens mie.
- HERMOLAUS. Sire, nanil, j' ay compagnie
- De deux fréres, je vous dy
bien,
- Preudommes qui sont crestien,
- Dont l' un Ypocrates a nom,
- L' autre Herippé, et ont renom
- De grant bonté.
- L' EMPERéRE. De les veoir ay
voulenté.
- Alez les querre.
- PREMIER SERGENT. Sire, pour vostre grace aquerre
- Je les vous vois faire venir.
( Le premier sergent se rend dans la demeure d’Hermolaüs )
Scène 4. La demeure d’Hermolaüs.
- PREMIER SERGENT. ( A Hérippé et Ypocrates )
Seigneurs, sanz vous plus ci tenir,
- Venez vous ent a l' empereur.
- Ne vous en pouez a honneur
- Mie excuser.
- HERIPPÉ. Non ferons nous. Sanz ci muser,
- Frére, alons ment.
- YPOCRATES. Alons : si doubt je vraiement
- Que jamais ci ne retournons.
- Je lo qu' un po ci sejournons
- Pour Dieu prier.
- HERIPPÉ. Aussi fas j'. Amis, detrier
- Nous souffrez un petit icy,
- Mon frére et moy et vous aussi,
- Par fine amour.
- PREMIER SERGENT. Mais que ne faciez long demour,
- Bien m' i consens.
- YPOCRATES. Nanil, ce ne seroit pas sens.
- ( Priant ) Doulx Jhesu Crist, se pour ta foy
- Nous convient souffrir, je te proy
- Qu' en t' amour nous tiengnes si fors,
- Quelques paines qu' aient les corps,
- Que pour paine ne pour martire
- C' on nous face, ne perdons, sire,
- Ta vision.
- HERIPPÉ. ( Idem ) Sire, qui par provision
- D' infinie amour et bonté
- As volu prendre humanité
- Et toi Dieu et homme moustrer
- Et mort as mort par mort oultrer,
- Sire, plaise toy quant venrons
- Devant l' emperére et serons
- Mis a raison que par toy voient
- Tel signe avenir qu' il te croient
- Seul vray Dieu estre.
- PREMIER SERGENT. Seigneurs, vous pouez bien trop mettre
- A faire voz affliccions,
- Et si ne sont qu' inlusions :
- Vous moquez vous ?
- YPOCRATES. Ha ! chier sire, pardonnez nous
- S' un petit demouré avons.
- Sus, biau frére, si en alons :
- Yl en est temps.
- HERIPPÉ. Biau frére, alons, bien vous entens,
- Ou nom de Dieu.
( Hérippé et Ypocrates suivent le premier sergent au palais impérial )
Scène 5. Le palais impérial.
( A peine sont-ils entrés que la terre tremble et un feu traverse la salle )
- L' EMPEREUR. Regardez, si tost com ce lieu
- Ces anchanteurs approuchié ont,
- Les diex tant courrouciez s' en sont
- Que la terre ay senti trembler
- Et feu par l' air ont fait voler.
<Icy trebucheront les ydoles.>
( Les idoles tombent au sol )
- Ç' avez veu ?
- PANTHALEON. Emperiére, trop deceu
- Vous voy se voz dieux ont ce fait
- Que vous dites : pour quoy de fait
- Se sont il si vilment laissié
- Trebuchier que tout sont froissié ?
- ( Montrant les débris des statues ) Vous les veés.
- L' EMPEREUR. Tu es uns ennemis desvez;
- Et sachez je ne mengeray
- Tant que de toy vengié seray.
- Ou tu noz diex aoureras
- Ou tu vilainement mourras :
- Pren l' un des deux.
- PANTHALEON. Par foy, ce seroit mal et deulz
- Que j' aoure telz diex ne croye
- Qui ne sont que fust ou que croye
- Et que mon bon Dieu deguerpisse.
- Je n' ay mie le cuer si nice
- Que je le face.
- L' EMPEREUR. Avant, seigneurs; en celle place
- Les menez ensemble touz quatre
- Liez, qu' il ne puissent combatre
- Ne vous en riens point occuper.
- ( Désignant Hermolaüs et ses deux frères )
De ces trois les testes coper
- Premiérement ainsi le vueil,
- ( Désignant Panthaléon ) Si que cestui le voie a l' ueil;
- Et si ne se veult convertir,
- Si soit ainsi conme eulz martir :
- C' est ma sentence.
- DEUXIESME SERGENT. Mon seigneur, ja n' ara en ce
- Deffault que dites.
- PREMIER SERGENT. Tu diz voir, nous en morrons quittes
- Assez briément.
( Les deux sergents emmènent leurs prisonniers hors du palais )
Scène 6. La place devant le palais.
- DEUXIESME SERGENT. Les mains yci premiérement,
- Fagot compains, leur lierons,
- Et puis si les en enmenrons
- Touz mettre a mort.
- PREMIER SERGENT. Tu diz bien, et je m' y accort.
- Or les lie, et tandis g' iray
- Crier c' on viengne sanz delay
- Veoir la justice d' eulx quatre.
( Tandis que le deuxième sergent leur lie les mains,
le premier s'éloigne et lance sa proclamation )
- Or escoutez sanz plus debatre :
- De par mon seigneur l' emperiére,
- Vous conmans en ceste maniére :
- Ne laissiez pour un ne pour el
- Que pour chascun homme un ostel
- Ne viegne tost a la justice :
- Qui n' y venra fera que nice,
- Soit en certains.
- DEUXIESME SERGENT. ( Appelant le premier sergent )
Regarde. Ont il lié les mains
- Estroittement ?
- PREMIER SERGENT. Oil voir.
( A la foule qu’il fait entrer ) Avant, alons ment :
- Passez, merdaille.
- LE CONTRAIT. ( Pénétrant dans le palais )
Il m' ennuie qu' il fault que j' aille
- A la justice maintenant,
- Et s' avoie ailleurs convenant
- Ou je faudray.
- LE COURBE HOMME. ( Idem ) Cy endroit plus ne me tendray,
- Je m' en vois veoir la justice,
- Que ne soie tenu pour nyce
- Et negligent.
- DEUXIESME SERGENT. ( A ses prisonniers )
Or ça, maleureuse gent,
- Qui tant en Jhesu vous fiez,
- S' a noz diex ne sacrefiez,
- Les testes vous copperay cy.
- Ja n' en arez autre mercy,
- Par ceste teste.
- HERMOLAUS. Biaus amis, de ce dire tais te,
- Car tu gastes quanque tu diz.
- Ne perderons pas paradiz
- Pour tes falourdes.
- DEUXIESME SERGENT. Puis que vous les tenez a bourdes,
- Pensez de vous agenoiller ;
- ( A Hermolaüs qui s’est agenouillé )
Vous arez cela le premier.
( Il lui tranche la tête )
- ( A Ypocrates ) Et toy, sacrefieras tu
- A noz diex, ou que feras tu ?
- Respons me brief.
- YPOCRATES. J' ay plus chier a avoir le chief
- Yci coupé en ceste place
- Qu' envers Jhesus tant me mefface
- Que le renie.
- DEUXIESME SERGENT. Puis qu' estre veulz de sa mesnie,
- Besse toy; tien, pren ce lopin.
( Ypocrates s’agenouille ; il lui tranche la tête )
- ( A Hérippé ) Et toy, veulz tu a Apolin
- Sacriffier ?
- HERIPPÉ. Ce n' est pas chose en quoy fier
- On se doie, amis, nullement,
- Mais Jhesu Crist tant seulement
- Doit on com Dieu magniffier
- Et a li seul sacriffier.
- A lui seul, a lui sacriffi,
- De touz voz autres diex di fi :
- Ce n' est que songe.
- DEUXIESME SERGENT. Chier comparras ceste mençonge.
- L' as tu dit ? agenoille toy.
( Hérippé s’agenouille )
- Tien, or demeure la tout coy;
- Pren celle prune.
( Il lui tranche la tête )
- PREMIER SERGENT. Panthaleon, il n' y a qu' une.
- Vous veez la fin de ces corps :
- Autel arez, ce vous recors,
- Ou vous aourerez noz diex.
- Ne scé se vous amerez miex
- Morir que vivre.
- PANTHALEON. Amis, par ceste mort delivre
- Seray de la mort pardurable;
- Pour ce l' ay je bien agreable,
- Et bien me plaist.
- PREMIER SERGENT. Je ne vous en tenray plus plait.
- Baissiez vous et tendez le col.
( Pantahaléon s’agenouille et tend le cou. Quand le premier
sergent frappe, la lame de l’épée se tord )
- Qu' est ce cy ? Ay je espée a fol ?
- Estre souloit la miex tranchant
- Qui fust de cy jusqu' a Larchant,
- Et au ferir s' est si pliée
- Com se fust de cire gommée,
- Ne plus ne mains.
- DEUXIESME SERGENT. ( Joignant les mains et s’inclinant devant Panthaléon )
Ha ! sire doulx, a jointes mains
- Vous requier, ce don nous donnez
- Que vostre mort nous pardonnez,
- Car je congnois bien par ce signe
- Que vous estes un homme digne
- Et plain de bien.
- PANTHALEON. Biaux seigneurs, je vous di combien
- Que vous me vueillez a mort mettre,
- S' a mon Dieu ne plaist et mon maistre,
- De riens ne me pouez grever;
- Mais pour voz cuers plus eslever
- A lui amer et li congnoistre
- Et voz entendemens acroistre
- Vous a il fait ce signe ci.
- ( Priant ) Sire, par la vostre mercy,
- Secourez m' ame a ce besoing.
- ( Aux deux sergents ) Biaux seigneurs, ma mort vous pardoing
- Puis que me requerez pardon :
- Faites de moy tout a bandon
- Vostre plaisir.
- PREMIER SERGENT. Puis qu' avez la mort en desir
- Et que vous la nous pardonnez,
- Faire nous fault que vous finez
- Yci de fait.
( Il lui tranche la tête )
- DEUXIESME SERGENT. Alons men, puis que tu as fait.
- ( A l’empereur ) Sire, ces gens sont decolez.
- Dites nous des corps que voulez
- Que l' en en face.
- L' EMPEREUR. Laissiez les la en celle place
- Aus bestes et aus chiens rungier.
- Sans plus ci estre alons mengier,
- Passez devant.
- PREMIER SERGENT. ( A la foule ) Faites voie ci. Or avant
- Ligiérement.
Scène 7. Le Paradis.
- DIEU. Anges, alez ysnellement
- La jus et faites un recort
- D' un rondel chanter par accort
- Tandis que les gens entremettre
- Verrez des corps en sauf lieu mettre
- De ces quatre la mes amis,
- Qui pour mon nom sont a mort mis;
- Et le chantez si doucement
- Que ces gens esjoissement
- Y prengnent et miex congnoissance
- D' avoir a moi ferme creance.
- Or tost, alez.
- ANGES. Si ferons nous quant le voulez :
- C' est bien raison.
( Les deux archanges se rendent en chantant
ce rondeau sur le lieu du supplice )
Scène 8. La place devant le palais.
- LE CONTRAIT. ( Montrant les cadavres décapités )
Sadoth, vezci sanz mesprison
- Gens mis a fin.
- SADOTH. Vous dites voir, Mondot voisin.
- Il me font au cuer grant pitié,
- Au moins cestuy pour l' amistié
- Et la grace qu' en moy hier mist,
- Car courbe estoie et il me fist
- Ainsi droit estre.
- LE CONTRAIT. Faisons le bien. Alons les mettre
- Et mucier ci en cest destour;
- Et quant ja failli sera jour
- Ou que soit les enterrerons,
- Et je cuide que nous ferons
- Nostre deu.
- SADOTH. Le volez vous ? ja recreu
- Ne m' en verrez : sus, sanz mot dire.
- Or alez devant, alez, sire :
- Delivrez vous.
( Ils mettent les cadavres dans un endroit caché, puis
sortent. Les deux archanges approchent alors. )
- MICHIEL. Gabriel, disons, ami dous,
- Ce rondel, bel est d' acors.
( Ils chantent )
- RONDEL. Diex puissans misericors
- Par vostre misericorde
- Amours les pecheurs racorde
- A vous, si a dous accors,
- Diex puissans misericors;
- Et avec ce le recors
- De voz graces c' on recorde
- Plusieurs a bien faire encorde.
- Dieux puissans misericors,
- Par vostre misericorde
- Amour les pecheurs recorde.
- Explicit.
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