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Miracle XXX
 
  1. Cy conmence un miracle de Nostre Dame de saint
    Jehan le Paulu, hermite, qui par temptacion
    d' ennemi occist la fille d' un roy et la jetta en un
    puiz, et depuis par sa penance la resuscita
    Nostre Dame.


    ACTE I.
    Scène 1. L’ermitage de Jean dans une forêt.
    JEHAN. ( Priant )    Biau sire Dieu, pére poissant,
  2. Vueilliez en moy estre acroissant
  3. Vertuz et euvres de merite,
  4. Par quoy de pechié m' ame acquitte,
  5. Si que quant elle partira
  6. Du corps et a vous s' en ira,
  7. Que pure et nette la vous rende.
  8. Il est meshuy temps que je tende
  9. A aler oir le sermon
  10. Que doit faire maistre Simon,
  11. Soubtilz, si com l' en ma [ l. m' a ] conté.
    ( Il se rend sur le lieu de la prédication)

    Scène 2. Une église.
    ( On voit un prêcheur monté en chaire, entouré d’une assemblée de fidèles )
  12. JEHAN. ( Arrivant )    Bien a point vien ; il est monté.
  13. Je vueil ici prendre ma place
  14. Avant que sa priére face
  15. Ne qu' il conmence.
  16. LE PRESCHEUR.     Or paiz et faites touz scillence.
    Ecce quam pulcra es, amica mea ; ecce tu pulcra ;
    occuli tui columbarum.
    En la loenge de la vierge benoite
    se peine toute sainte escripture et estent tant
    comme elle peut, maintenant par diz de prophètes,
    maintenant par tesmoingnages d' evangelistes et maintenant
    par chançons de jouvencelles ; mais aussi conme
    se tout ce ne souffise, souvent l' amoureux Jhesu son
    espoux et qui est son filz est ramené a la loenge de ceste
    espouse, et mesmement es paroles proposées, qui veulent
    ainsi dire en françois : Vezci que tu es belle, m' amie,
    vezci que tu es belle : tu as yex conme de coulon. Esquelles
    paroles il la loe en trois maniéres : et premiérement
    de nom, quant il la nomme amie ; secondement
    de biauté, quant il dit : Tu es belle, et tiercement de
    semblance, quant il la compare a coulombe. Ce sont
    trois choses dont la vierge benoite pour qui honneur et
    reverence nous sommes ci assemblez est loée de son
    espoux le benoit Jhesu, c' est assavoir qu' elle est amie,
    qu' elle est belle, qu' elle est coulombe. Donques est bien
    celle dame beneurée qui de Dieu est ainsi appellée. Elle
    est appellée amie pour signiffier et noter la singularité
    de s' amour. Vous devez savoir que toutes les saintes
    ames sont amées de Dieu, mais ceste est s' amie singuliére,
    car ceste ci il ama singuliérement, sa pensée, sa
    char et son nom ; sa pensée treblement il ama, car de
    touz vices la purgea et saintiffia, dont David dit : Le
    treshault, c' est Dieu, a saintiffié son tabernacle, c' est la
    vierge benoite ; après de grace la raempli et adorna, Ecclesiastici
    XXXVIo
    : Remplis Syon de biens sanz nombre,
    ce fu de vertuz et de graces ; et après a lui Diex la joint
    et aglutina, et ce il est dit des anciens péres Deuteronomio
    IIIIo : En patribus tuis aglutinatus est Dominus
    et amavit eos
    : que Dieu s' est a eulx adjoint et aglutiné
    et les a amez, combien plus s' est il adjoint a ceste
    vierge en laquelle il prist nostre humanité, qui souverainement
    a Dieu s' aherdi ne oncques ne s' en departi.
    Et a ces trois choses, c' est assavoir que Diex la pensée
    de la vierge purgea et saintiffia, de graces raempli et
    aourna, et qu' a li se joint et aglutina peuent estre ramenées
    trois paroles que dit Gabriel quant il la salua ;
    la ou il dit Ave peut estre ramené a ce qu' elle fu de
    tout vice purgée, la ou il dit gracia plena a ce qu' elle
    fu de grace raemplie et adournée, la ou il dit Dominus
    tecum
    qu' elle fut a Dieu jointe et assemblée. Et ainsi
    il ama sa pensée. Après il ama sa char treblement, car
    il la fist plantureuse et la fecunda, c' est que fruit elle
    porta, d' estre violée la garda, et en la fin la glorifia. Il la
    fist plantureuse et la feconda, et ce disoit Ysayes par
    desir : Aperiatur terra, etc. : soit ouverte la terre a ce
    qu' elle germe le sauveur ; par la terre je entens la char
    de la glorieuse vierge de laquelle nasqui le sauveur du
    monde. Après ceste char de estre violée il garda, car elle
    conçupt vierge, elle enfanta vierge et après l' enfanter
    elle demoura vierge. Et en la parfin si la glorifia que
    onques a corrupcion n' ala, mais sur toutes choses la
    beney et saintiffia. Et en signe de ce dit saint Jehan en
    l' Apocalipse qu' il vit une dame affublée du soleil, qui
    avoit une couronne de douze estoilles en son chief et
    la lune soubz ses piez. De laquelle figure exposer je me
    passe pour cause de brieté, mais je dy aussi que son
    nom il ama, car il le voult de toute corrupcion de diffame
    garder, et pour ce, entre les raisons pour quoy la
    vierge fu mariée et espousée, une si est pour ce que nul
    n' eust cause de la diffamer du diffame de adultére, dont
    saint Ambroise dit en la glose sur saint Luc, qui savoit
    que la renommée de chaasté perdue cuert ligiérement
    et lubre, que Dieux ama miex que on doubtast de sa
    naiscence que de la chaasté et purté de sa mére, ne il
    ne voult onques qu' en sa mére peust estre trouvée injure
    ne blasme pour cause de sa naiscence. Oultre il a
    volu son nom en la loenge du peuple eslargir et dilater,
    dont la vierge dit en sa cantique : Vezci que toutes
    generacions m' appelleront beneurée. Mais oultre je dy
    que ce nom en la vertu de miracles il a volu essaucier.
    Pour quoy ? pour ce que d' elle peut estre dit : Nardus
    mea dedit odorem suum
    : ma narde a donné s' oudeur.
    La narde de Marie, c' est l' umilité de Marie. La narde
    est une petite herbe et basse et de chaude nature, et de
    quoy on fait precieux ongnemens, et en ce j' entens la
    subjeccion et l' affeccion et la devocion de Marie, et ces
    trois choses jointes ensemble merveilleusement donnérent
    grant odeur et flairérent bon devant Dieu. Pour
    ce est il dit qu' elle a donné son odeur, voire si grant
    qu' elle n' est pas espandue ou monde seulement, mais
    ou ciel. Et par ceste odeur fu appaisié et reconsilié
    l' umain lignage a Dieu ; et pour si grant odeur qu' elle a
    donné elle est ou plus seur lieu de paradis par sa
    tresferme foy ; elle est ou plus hault par sa tresgrant
    humilité ; elle est ou plus pur par sa tresgrant chasté et
    par sa nette virginité ; elle est ou plus glorieux par sa
    vraie amour et par l' excellence de sa grant charité ;
    du quel lieu, par les merites de ceste vierge, Dieu nous
    face touz parçonniers et citoiens, si qu' en ame et en
    corps nous y aions sanz fin demour.
  17. JEHAN.     Benoite soit l' eure et le jour
  18. Que de femme nasqui tel homme :
  19. S' il estoit cardinal de Romme,
  20. Si a il haultement preeschié.
  21. Certes pour mains estre empeschié
  22. De toutes les choses mondaines
  23. Et de cogitacions vaines
  24. Qui sont de l' ame en grant dommage
  25. M' en revoys en mon hermitage,
  26. Et la Dieu vous de cuer servir
  27. Pour vostre grace desservir
  28. Et pour vostre voulenté faire ;
  29. A ma char vestiray la haire
  30. Aspre et poingnant dès ores mais,
  31. Ne ne viveray d' autres mais
  32. Que de pain d' orge et de racines ;
  33. Et dès mie nuit mes matines
  34. Est m' entencion que je die,
  35. Se ne m' occupe maladie
  36. Telle que je lever ne puisse.
  37. Ha ! vray Dieu, donnez moy que truisse
  38. Envers vous grace.
    ( Il retourne dans son ermitage )

    Scène 3. L’Enfer.
  39. L' ENNEMI.     Haro ! ne sçay conment je brasse
  40. Que cel hermite la deçoive
  41. Si que de moy ne s' aperçoive.
  42. En li n' a orgueil ne bouffoys :
  43. Je l' ay tempté par maintes foys
  44. De largement mengier et boire,
  45. De luxure et de vaine gloire ;
  46. Mais plus li fais temptacion,
  47. Plus se met en devocion ;
  48. Ainsi ne le puis attrapper
  49. Ny en fait de pechié happer,
  50. Mais pour ce ne le lairay pas,
  51. Ains m' en iray vers li le pas
  52. En fourme d' omme li requerre
  53. Que pour l' amour de Dieu acquerre
  54. A li servir me vieng offrir
  55. Et qu' il lui plaise moy souffrir
  56. Son vallet estre.
    ( L’Ennemi, ayant pris l’apparence d’un jeune aristocrate,
    se rend auprès de Jean
    )

    Scène 4. L’ermitage de Jean.
  57. JEHAN. ( Seul, priant )    Dame des cieulx, de qui voult naistre
  58. Jhesus, qui mourir a vilté
  59. Voult par excellent charité
  60. Pour nous la gloire des cieulx rendre,
  61. Dame, je vous pri que descendre
  62. Vostre grace faciez en my,
  63. Que des agaiz a l' ennemy
  64. Et des assaulx que tempre et tart
  65. Me fait souvent, vierge, me gart,
  66. Que n' y enchiée.
    ( Entre l’Ennemi sous l’apparence d’un jeune aristocrate )
  67. L' ENNEMI.     Sire, s' il vous plaist ma pensée
  68. Et ma voulenté escouter,
  69. Je la vous diray sanz doubter
  70. Benignement.
  71. JEHAN.     Amis, dites hardiement
  72. Ce qu' a dire avez empensé ;
  73. Ja de moy n' en serez tensé.
  74. Que voulez dire ?
  75. L' ENNEMI.     De demourer ay grant fain, sire,
  76. Avec vous, se c' estoit voz grez.
  77. Mais que vous n' en fussiez grevez,
  78. Par si que vous et Dieu servisse
  79. Sanz nul loyer que j' en queisse
  80. Mais que ma vie.
  81. JEHAN.     Amis, se vous aviez envie
  82. De servir a Dieu et a moy,
  83. Ne doubtez point en bonne foy
  84. Que bien ne vous guerredonnasse,
  85. Mais qu' en vous loyauté trouvasse,
  86. Paix et amour.
  87. L' ENNEMI.     Sire, s' avec vous fas demour,
  88. Je feray ce que me direz,
  89. Si que je croy que vous serez
  90. Content de moy et m' arez chier.
  91. Nullui n' ay apris a trichier,
  92. Je vous promet.
  93. JEHAN.     Vien avant ; avec moy te met.
  94. J' ay fiance que tu bon soies ;
  95. Et par foy se tu ne l' estoyes
  96. Ce seroit a toy grant hontage.
  97. Tu as biau corps et doulx visage
  98. Et de bon lieu me sembles estre.
  99. Or me contes de ton ancestre
  100. Et ou fuz nez.
  101. L' ENNEMI.     Sire, pour verité tenez,
  102. Combien que ci me soie traiz,
  103. Que je sui de bon lieu estraiz ;
  104. Et a tant vous souffise, sire,
  105. Que je ne vous en puis plus dire
  106. Ne ne diray.
  107. JEHAN.     Donques, amis, je m' en tairay,
  108. Mais que sanz plus sache ton nom :
  109. Je croy n' es murtrier ne larron
  110. Pour le celer.
  111. L' ENNEMI.     C' est voirs ; on me seult appeller
  112. Huet, et a ce nom respons.
  113. N' en doubtés point, ne me respons
  114. Quant on m' i huche.
  115. JEHAN. ( Lui tendant une cruche )    Huet, tien, pren me ceste cruche
  116. Et si nous vaz de l' iaue querre
  117. A la fontaine. Or fai bonne erre :
  118. Point n' en avons.
  119. L' ENNEMI.     Biau pére, assez tost en arons
  120. A grant foison.
  121. JEHAN.     Or vas et sanz demouroison
  122. Trop longue faire.
  123. L' ENNEMI.     Ne doubtez que tost ne repaire,
  124. Biau pére, cy.
    ( Il va chercher de l’eau au puits )

    Scène 5. La résidence royale.
  125. PREMIER CHEVALIER. ( Au roi )     Mon chier seigneur, s' il fust ainsi
  126. Qu' esbatre au bois vous alissiez
  127. Et une beste chacissiez,
  128. Cerf ou dain, fust ce mesprenture ?
  129. Nanil, mais me semble laidure
  130. Estre a vous qu' en ceste saison
  131. Vous laissiez ce que par raison
  132. Deussiez faire.
  133. DEUXIESME CHEVALIER. ( Idem ) Par la mére Dieu debonnaire,
  134. Ce deust mon, vous dites voir.
  135. Le deduit deust chier avoir,
  136. Et il est conme oisel en mue
  137. Celi qui de cy ne se mue,
  138. Ce m' est advis.
  139. LE ROY.     Biaux seigneurs, se voir vous devis,
  140. Puis que la royne prist mort,
  141. Ne m' a chalu de mon deport,
  142. Ne de nul esbat, ce sachiez,
  143. Combien que soie roys et chiez
  144. De ce pais.
  145. PREMIER CHEVALIER.     De ce sommes nous esbahiz
  146. Que vous estes si longuement
  147. Tenuz de prendre esbatement :
  148. S' autre cause ne vous mouvoit
  149. Que vostre fille qui vous voit
  150. Et vous li de jours et de nuiz,
  151. Si devriez vous touz ennuiz
  152. Mettre en obli et jetter puer
  153. Et avoir joie a vostre cuer,
  154. Car elle a de bons meurs granment :
  155. Elle est humble premiérement ;
  156. Elle est a touz courtoise et sage ;
  157. En li n' a orgueil ny oultrage,
  158. Et vous dy qu' encor serez,
  159. Sire, pour li moult honnourez :
  160. Car tel la vous pourra requerre
  161. Dont grans amis pourrez acquerre ;
  162. Si que, chier sire, ostez de vous
  163. Ces pensers et ces ennuiz tous,
  164. Ce vous conseil.
  165. DEUXIESME CHEVALIER.     Chier sire, il vous dit bon conseil.
  166. Creez l' et nous alons esbatre
  167. Un jour ou deux ou trois ou quatre
  168. Et chacier pour nous deporter :
  169. Viande et vin ferons porter
  170. Assez au boys.
  171. LE ROY.     Je le vueil bien, mais se g' y vois
  172. Je vueil qu' aussi ma fille y viengne,
  173. Et que compagnie nous tiengne
  174. Pour le deduit.
  175. DEUXIESME CHEVALIER.     En bonne heure : aussi bien li duit
  176. Qu' elle voie l' esbatement.
    ( Le roi se retire )
  177. ( Aux deux sergents ) Avant, seigneurs, appertement :
  178. Les veneurs et les chiens de trace
  179. Faites aler sanz plus d' espace
  180. Au bois devant.
  181. PREMIER SERGENT.     Ce seroit grant desavenant
  182. A nous de dire : non ferons.
  183. Sire, sire, mais nous yrons
  184. Tresvoulentiers.
  185. DEUXIESME SERGENT.     Je ne seray mie le tiers,
  186. Mais le second.
  187. PREMIER SERGENT.     Alons men par cy aval donc
  188. Ysnellement.
    ( Les deux sergents se rendent auprès des veneurs )
  189. DEUXIESME SERGENT.( Aux veneurs )    
    Nous vous faisons conmandement,
  190. Seigneurs, que voz roiz, voz levriers
  191. Voz chiens de trace et voz lemiers
  192. Menez au bois tost sanz laissier
  193. Il nous convient aler chacier :
  194. Le roy veult istre.
  195. PREMIER VENEUR.     Ordener les alons au tiltre
  196. Tellement, et les raisieux tendre,
  197. Que beste n' y pourra descendre
  198. Qui ne soit prise.
  199. DEUXIESME VENEUR.     La maniére en avons apprise
  200. De pieça. Alons les chiens querre
  201. Et les menons devant bonne erre
  202. En bon arroy.
  203. PREMIER VENEUR. Ce convient il, si que le roy
  204. Devant nous truist.
    ( Les veneurs sortent. Le roi revient avec sa fille )
  205. LE ROY.     Fille, je vueil que le deduit
  206. Venez veoir de nostre chace,
  207. Alons monter sanz plus d' espace
  208. Trestouz ensemble.
  209. LA FILLE.     Chier sire, puis que bon vous semble,
  210. Vostre conmendement feray.
  211. Quant vous plaist, avec vous iray,
  212. Mais certes je m' en deportasse
  213. Voulentiers, se je ne doubtasse
  214. Vostre courrouz.
  215. PREMIER CHEVALIER.     De venir, dame, avecques nous
  216. Ne pouez vous en riens mesprendre.
  217. Sa, venez, montez sanz attendre.
  218. Dame, il le fault. Sergens, passez :
  219. D' aler devant nous ne cessez
  220. Jusqu' en la court.
  221. PREMIER SERGENT.     Sire, je ne suy mie sourt ;
  222. Je le feray a lie chiére.
  223. ( Ecartant les passants )     Sus, de cy, traiez vous arriére
  224. Et loing du roy.
    ( Les deux sergents ouvrent la voie au roi, à sa fille et
    au deux chevaliers qui se rendent dans la cour, aux écuries
    )

    Scène 6. Un carrefour en forêt.
    ( Entrent les deux veneurs tenant chacun un couple de chiens en laisse )
  225. DEUXIESME VENEUR.     Ces chiens nous fault mettre en arroy ;
  226. A ce vous convient regarder
  227. Ces deux, ( indiquant une direction ) et vous aler garder
  228. Ce bout la : je demourray ci
  229. Et garderay ces deux aussi
  230. En ce quarrefour de sentiers ;
  231. Et se je voy qu' il soit mestiers,
  232. En l' eure les descoupleray
  233. D' ensemble, et aler les lairay
  234. Suivre leur proie.
  235. PREMIER VENEUR.     Il est dit : g' y vois ; or vouldroie
  236. Que par cy venist beste a trasse,
  237. Si que mes chiens aler laissasse
  238. Pour courre aprés.
    ( Le premier veneur sort. Entre le roi suivi de ses deux chevaliers
    sur leur monture
    )
  239. LE ROY.     Avant, seigneurs, soiez engrés
  240. De corner, nous sommes au bois,
  241. Et de huer a haulte vois
  242. Pour les bestes faire saillir :
  243. Ne devrions mie faillir
  244. A trouver ent.
    ( Le deuxième veneur va rejoindre le premier )
  245. DEUXIESME CHEVALIER.     Corner vueil, car j' en ay talent :
  246. ( Sonnant du cor et criant ) Truhu ! truhu !
    ( Indiquant une direction ) je le voy la.
  247. Après le cerf, sire ! il s' en va
  248. Par la fuiant.
  249. LE ROY.     Il le nous fault estre suiant.
  250. Avant, seigneurs !
  251. PREMIER CHEVALIER.Puis qu' au tiltre voy les veneurs,
  252. Courons après isnellement.
  253. Eschaper ne peut nullement
  254. Qu' il ne soit pris.
    ( Ils sortent. Entre à cheval la fille du roi, égarée )
  255. LA FILLE.     E ! Diex, quel chemin ay je empris ?
  256. Il me semble que je desvoye :
  257. Ce n' est pas yci droite voie,
  258. Ains est un chemin de desroy.
  259. E ! lasse, j' ay perdu le roy
  260. Et ses gens touz ; nul n' en oy mais.
  261. Mére Dieu, que feray j' huy mais,
  262. Se je n' ay d' eulz aucun absenz ?
  263. Certes g' ysteray de mon senz
  264. Ou de morir sui en grant doubte.
  265. Querir m' en vois par cy leur route
  266. Tant que les truisse.
    ( Elle sort en prenant une direction opposée à
    celle qu’ont suivie le roi et les siens
    )

    Scène 7. L’ermitage de Jean, dans la forêt.
  267. L' ENNEMI. ( Rapportant du puits la cruche remplie )
    Biau pére, de chose que puisse
  268. Faire n' arez vous point deffault.
  269. Vezci de l' iaue ; si vous fault
  270. Autre chose, si demandez.
  271. Ne fault fors que vous conmandez :
  272. Je le feray.
  273. JEHAN.     Huet, biau filz, je te diray
  274. Puis qu' a bien faire s' acoustume
  275. Et de voir dire a la coustume
  276. Jeunes homs, c' est m' opinion
  277. Qu' il ne peut qu' a perfeccion
  278. Ne viengne et de Dieu et du monde,
  279. Mais qu' orgueil en son cuer n' abonde,
  280. Si que, biau filz, je te conseil,
  281. De toy du tout met hors orgueil
  282. Et te fonde en humilité,
  283. Car c' est la garde en verité
  284. Des autres vertuz, ce me semble,
  285. Et qui vertuz sanz elle assemble,
  286. Il fait con celui qui au vent
  287. Porte pouldre, je te convent.
  288. A present plus ne t' en diray :
  289. Cy te lais, et la m' en yray
  290. Pour Dieu prier.
    ( L’ermite Jean s’éloigne pour prier )

    Scène 8. Un autre endroit dans la forêt.
    ( Entrent le roi et les deux chevaliers )
  291. LE ROY.     Je vous demant sanz detrier,
  292. Seigneurs, de ma fille ou est elle.
  293. Est il nul de vous qui nouvelle
  294. En sache dire ?
  295. PREMIER CHEVALIER.     Quant est de moy, je ne sçay, sire,
  296. Car je vous ay touzjours suivy,
  297. N' onques puis certes ne la vy
  298. Que nous la chace conmençasmes
  299. Et qu' après le cerf en alasmes
  300. Dedans le bois.
  301. DEUXIESME CHEVALIER.     Non fis je moy, par sainte croiz,
  302. Je n' en sçay dire verité.
  303. J' ay touzjours avec vous esté,
  304. Vous le savez.
  305. LE ROY.     Et, pour Dieu, aux tiltres alez
  306. Savoir s' avec les veneurs est.
  307. Se non, gardez par la forest,
  308. Vous et eulx, tant que soit trouvée.
  309. Je doubt que ne soit esgarée.
  310. Alez, je vous attenderay
  311. A mon hostel ; ne soupperay
  312. Si revenez.
  313. DEUXIESME CHEVALIER.     A vostre vouloir en ferez.
  314. A eulx m' en vois par ceste sente.
  315. Je ne fineray, c' est m' entente,
  316. Tant qu' a eulx soye.
    ( Il sort dans une direction )
  317. LE ROY.     Alons nous ent par ceste voie
  318. En mon palays.
  319. PREMIER CHEVALIER.     Sire, alons, il est temps huy mais,
  320. Au mains a vous.
  321. LE ROY.     Sachiez pour ma fille sui touz
  322. Pensis et melencolieux :
  323. S' elle est assaillie des leux,
  324. Elle est de sa vie en doubtance.
  325. C' est de quoy j' ay plus grant doubtance
  326. Par verité.
  327. PREMIER CHEVALIER.     Diex la veille par sa bonté
  328. De mal deffendre.
    ( Le roi et le premier chevalier se retirent dans une direction opposée )

    Scène 9. Le carrefour – relais ou lieu d’affût - dans la forêt.
    ( On voit le deuxième veneur en attente avec ses chiens )
  329. DEUXIESME CHEVALIER. ( Arrivant )    Amis Gençon, vueillez m' entendre.
  330. Par amour vous pri, dites moy,
  331. Avez vous point la fille au roy
  332. Cy veu estre ?
  333. DEUXIESME VENEUR.     Nanil, mon chier seigneur et maistre,
  334. Huy ne la vy.
  335. DEUXIESME CHEVALIER.     Le roy et nous touz esbahy
  336. Sommes quelle part est alée.
  337. Querir la fault sanz demourée,
  338. Tant qu' en puissons nouvelle avoir.
  339. Alons men tost nous deux savoir
  340. S' avec vostre compaignon est ;
  341. Se non il nous fault la forest
  342. Cerchier tant qu' aucune nouvelle
  343. Puissons avoir ou oir d' elle,
  344. Mon chier ami.
  345. DEUXIESME VENEUR.     Je sui tout prest : alons a li.
  346. Mes chiens avecques moy menray :
  347. Je ne sçay se l' encontreray.
    ( Le deuxième chevalier et le deuxième veneur se rendent auprès du
    premier veneur, en attente avec ses chiens, plus loin , dans le même lieu
    )
  348. ( Au chevalier ) Veez le la trop bien a point.
  349. ( Au premier veneur ) Grosparmy, dy nous voir : a point
  350. La fille au roy passé par cy ?
  351. Se veu l' as, si le nous dy
  352. Tost sanz delay.
  353. PREMIER VENEUR.     Par ma foy, veu point ne l' ay,
  354. N' elle ne vint huy ceste part.
  355. Dites me voir, se Dieu vous gart :
  356. Pour quoy le dites ?
  357. DEUXIESME CHEVALIER.     Pour ce que nous dolens et tristes
  358. Sommes touz et courroucez d' elle :
  359. N' est nulz qui en sache nouvelle ;
  360. Touz trois la nous convient bonne erre
  361. Par ceste forest aler querre
  362. Et par sentiers et par buissons,
  363. Et faire que nous la truissons
  364. Ains qu' il anuite.
  365. PREMIER VENEUR.     D' aler par bois n' est mie duite,
  366. Si s' est ou que soit esgarée.
  367. Alons y tost sanz demourée.
  368. ( Indiquant trois directions différentes ) Je lo que vous alez par la,
  369. Sire, et Gençon par cy ira
  370. Et je ce hault, se bon vous semble,
  371. Et nous rencontrerons ensemble
  372. La endroit en ce quarrefour,
  373. Quant chascun ara fait son tour.
  374. Ay je bien dit ?
  375. DEUXIESME CHEVALIER.     Oil, pas n' en serez desdit.
  376. Partons de cy, sanz plus preschier,
  377. Je m' en vois ce quartier cerchier
  378. Sanz plus ci estre.
  379. PREMIER VENEUR.     Et j' a voie aussi me vueil mettre
  380. De la querir par cy endroit.
  381. Se la truis en aucun endroit,
  382. A sauveté la ramenray
  383. Au plus tost que j' onques pourray,
  384. Soit en certaine.
  385. LE DEUXIESME VENEUR.     D' aler au lonc de ceste plaine
  386. Me convient aussi esprouver.
  387. Dieu doint que la puisse trouver
  388. Le premerain.
    ( Ils sortent dans trois directions différentes. Entre à cheval la fille du roi )
  389. LA FILLE.( Seule et priant )    Vierge, mére au roy souverain,
  390. S' il vous plaist, reconfortez moy,
  391. Car paour ay et grant effroy ;
  392. N' en puis mais, doulce mére Dieu.
  393. Je sui mais ne scé en quel lieu.
  394. Il m' est avis, plus avant vois,
  395. Plus truis espès et hault ce boys.
  396. Doulce mére Dieu, que feray ?
  397. Doulx Jhesus, quelle part yray ?
  398. Confortez moi, vierge Marie.
  399. Oncques mais ne fu si marrie
  400. Ne si esgarée de sens,
  401. Toute seule me voy, et sens
  402. La nuit qui vient et me queurt sus.
  403. Ha ! dame des haulx cieulx lassus,
  404. Qui adressez les forvoiez,
  405. A tele adresce m' avoiez
  406. Qu' eschaper puisse ceste nuit
  407. A sauveté, quoy qu' il m' ennuit
  408. Que ci demourer me conviengne.
  409. Pére, a Dieu ! je doubt qu' il n' aviengne
  410. Certes que jamais ne vous voie.
  411. ( Avançant dans une direction ) Aler vueil encor ceste voie,
  412. Si ne sçay je se je desvoy.
    ( Elle s’approche de l’ermitage )

    Scène 10. L’ermitage de Jean.
  413. LA FILLE.     E ! Dieux, une maison la voy,
  414. Et si y a clarté dedans :
  415. Ne peut estre qu' il n' y ait gens.
  416. Je vois savoir qui y peut estre.
  417. ( Appelant à la porte ) Pour l' amour au doulx roy celestre,
  418. Doulces gens, qui la dedans estes,
  419. Ceste courtoysie me faites
  420. Qu' uy mais me prestez le couvert
  421. Et que me soit vostre huis ouvert ;
  422. Car pour la paour des sauvages
  423. Bestes me fremist li courages
  424. Et tremble tout.
  425. L' ENNEMI.     Qui est ce la que plaindre escout ?
  426. L' uis vueil ouvrir pour le veoir.
  427. ( Ouvrant la porte ) Que demandez vous ? dites voir.
  428. Venez vous pour bien ou pour mal ?
  429. Qui estes vous sur ce cheval,
  430. Ou homme ou dame ?
  431. LA FILLE.     Chier ami, je sui une femme.
  432. Esgarée en ce bois me sui,
  433. Si requier le couvert maishuy
  434. Par charité.
  435. L' ENNEMI.     Sachiez, m' amie, en verité,
  436. De ceens ne sui que vallet ;
  437. Mais or attendez un tantet,
  438. Et g' yray mon seigneur prier
  439. Que l' ostel vous vueille ottrier
  440. Sanz long demour.
  441. LA FILLE.     Voire, amis, pour la Dieu amour,
  442. Sanz plus maishuit.
    ( L’Ennemi rentre à l’intérieur de l’ermitage
  443. L' ENNEMI.     Pére, mais qu' il ne vous ennuit,
  444. Entendez ce que je vueil dire :
  445. La hors est une femme, sire,
  446. La plus belle du monde née,
  447. A cheval, qui s' est esgarée,
  448. Si requiert pour le roy celestre
  449. Que maishuy puist herbergie estre
  450. Avecques nous.
  451. JEHAN.     Et conment, Huet, amis doulx,
  452. La pourray j' hui mais herbergier ?
  453. Nous n' avons que pain a mengier,
  454. Ce ne li sera pas delit.
  455. Et si scez bien je n' ay qu' un lit
  456. Sanz couste, purement de fain,
  457. Ou gys quant de dormir ay fain.
  458. Te dy je voir ?
  459. L' ENNEMI.     Sire, oil, mais ne peut chaloir :
  460. De tretout cecy vous passez.
  461. S' elle a le couvert, c' est assez
  462. A grant foison.
  463. JEHAN.     Fai la donc entrer en maison :
  464. Va, il me plaist.
    ( L’Ennemi revient sur le seuil )
  465. L' ENNEMI.     Dame, descendez a court plait :
  466. Mon seigneur a vostre personne
  467. Son hostel de cuer habandonne,
  468. Je vous dy voir.
  469. LA FILLE. ( Descendant de cheval )    Dieu li en vueille gré savoir !
  470. Et je li promet bien sanz faille
  471. Ceste bonté, s' il chiet a taille,
  472. A double rendre.
  473. L' ENNEMI.     Ce cheval vueil en cure prendre :
  474. Laissiez le moy.
  475. LA FILLE.     Si fas je, mon ami, par foy :
  476. Faites en a vostre plaisir.
    ( L’Ennemi emmène le cheval )
  477. D' entrer ceens ay grant desir :
  478. Je m' i vueil mettre.
    ( Elle entre dans l’ermitage )
  479. JEHAN. ( L’accueillant )    Dame, bien vegniez en cest estre.
  480. Je croy bien n' avez pas apris
  481. A estre en si povre pourpris
  482. Ne si desert.
  483. LA FILLE.     Sire, puis que j' ay le couvert,
  484. Il me souffist tresgrandement ;
  485. Et si vous merci humblement
  486. Quant hostellée m' y avez.
  487. Je croy bien que vous ne savez
  488. Qui je sui, mais vous le sarez
  489. Quant garde ne vous en donrrez,
  490. Je vous promet.
  491. JEHAN.     Mais que venu soit mon vallet,
  492. M' amie, nous vous aiserons
  493. De tout ce qu' aisier vous pourrons,
  494. Et je tien bien que vous serez
  495. Celle qui en gré prenderez
  496. Ce que vous pourrons pourveoir.
  497. Plaise vous un po ci seoir
  498. Tant qu' il venra.
  499. LA FILLE. ( S’asseyant ) Je ferai ce qu' il vous plaira
  500. Voulentiers, sire.
    ( L’ermite lui apporte de la nourriture )

    Scène 11. Le carrefour dans la forêt.
    ( Entrent en même temps de deux endroits opposés
    le premier veneur et le deuxième chevalier
    )
  501. PREMIER VENEUR.     Mon seigneur, je vous puis bien dire,
  502. Tout le quartier qu' empris avoye
  503. Ay cerchié, mais ne val ne voie
  504. Je ne truys d' elle.
  505. DEUXIESME CHEVALIER.     Aussi n' en puis j' oir nouvelle,
  506. Si l' ay j' en plus de cent arpens
  507. De bois quise, si com je pens,
  508. Mon chier ami.
    ( Entre Gençon, le second veneur )
  509. PREMIER VENEUR.     Je voy Gençon qui vient ici,
  510. Ne scé se trouvée l' ara.
  511. Au mains ce qu' a fait nous dira,
  512. S' il lui agrée.
  513. DEUXIESME CHEVALIER.     Gençon, dy : l' as tu point trouvée ?
  514. Ne nous mens pas.
  515. DEUXIESME VENEUR.     Nanil, voir. J' ay gasté mes pas,
  516. Ce m' est avis.
  517. DEUXIESME CHEVALIER.  Escoutez. Vezcy mon devis.
  518. Il est nuit ; vous le veez bien.
  519. Maishuy ne ferions nous rien.
  520. Devers mon seigneur en yrons
  521. Et la verité li dirons.
  522. S' il veult, nous revenrons demain
  523. Pour la querir dès le bien main ;
  524. Si vaulra miex.
  525. DEUXIESME VENEUR.     Vous dites voir, si m' aist Diex.
  526. Partons de cy.
  527. DEUXIESME CHEVALIER.     C' est du miex.
    ( Ils retournent auprès du roi )

    Scène 12. La résidence royale.
    DEUXIESME CHEVALIER. ( Au roi )    Sire, il est ainsi
  528. Que nous trois d' errer ne finasmes
  529. Par le bois depuis qu' y alasmes.
  530. N' avons trouvé homme ne femme ;
  531. N' en pouons plus faire, par m' ame,
  532. Qu' en avons fait.
  533. LE ROY.     Je croy bien. Or vous pri de fait
  534. Que demain, dès qu' il sera jour,
  535. Ne vous mettez point en sejour
  536. Que derrechief ne l' alez querre.
  537. Le cuer pour lui de dueil me serre.
  538. Certes jamais joie n' aray
  539. Ne leesce, si la verray
  540. Avecques moy.
  541. PREMIER VENEUR.     Mon chier seigneur, en bonne foy
  542. Si ferons nous.

    Scène 13. L’ermitage de Jean.
  543. L' ENNEMI. ( Rentrant )    Or ça, je vien. Que faites vous ?
  544. Savoir le vueil.
  545. LA FILLE. ( Qui est restée assise ) Sire, de chevauchier me dueil.
  546. Se ne vous cuidoie empeschier,
  547. Voulentiers yroye couchier
  548. Et repos prendre.
  549. JEHAN.     M' amie, il vous convient attendre
  550. Que Huet ait fait vostre lit
  551. Pour miex reposer par delit.
  552. ( À son serviteur ) Huet, vaz li tost et ysnel
  553. Faire li son lit bien et bel,
  554. Car bien le vault.
  555. L' ENNEMI.     Il vous sera fait sanz deffault,
  556. Biau pére, je le vous promet.
    ( Préparant le lit dans une pièce voisine, à part )
  557. Or ça, puis que je m' entremet
  558. Du lit, je me vueil entremettre
  559. De ce viellart en pechié mettre ;
  560. Onques mais n' y poy advenir,
  561. Mais a ce cop le cuit tenir
  562. Et si mener que mien sera.
    ( Il revient dans la pièce où se trouvent la fille du roi et l’ermite )
  563. ( À la fille du roi ) Alez couchier quant vous plaira
  564. Maizhuy : c' est fait.
  565. JEHAN. ( Idem )    Alez, dame, puis qu' il a fait ;
  566. Reposez vous.
  567. LA FILLE.     Je vous convenans, sire doulx,
  568. Qu' il a plus d' un an tout entier
  569. Que n' en oy aussi grant mestier.
  570. A Dieu, chier sire !
    ( Elle va se coucher dans la pièce voisine )
  571. JEHAN.     Huet.     L' ENNEMI.      Sire, que voulez dire ?
  572. JEHAN.     Il ne me vient point a plaisir
  573. Que je voise en mon lit jesir,
  574. Car se j' y vois en verité
  575. J' ay grant doubte d' estre tempté
  576. Et que pechié ne me surprengne,
  577. Laquelle chose ja n' aviengne !
  578. Si me convient il repos prendre
  579. Et dormir sanz gaires attendre,
  580. Car il n' est pas, se dit on, homme
  581. Qui ne dort et qui ne prent somme.
  582. Le someil m' abat : que feray ?
  583. En mon lit dormir pas n' yray
  584. Puis qu' i a femme.
  585. L' ENNEMI.     Est nature en vous si grant dame ?
  586. Haro ! bien vous en garderez.
  587. Mais tant vous dy je, folz serez
  588. Se pour doubte de tel delit
  589. Vous ne gisez en vostre lit,
  590. Puis qu' avez de repos besoing ;
  591. Si vous couchiez d' elle au plus loing
  592. Que pourrez, et clinez les yex
  593. Et vous endormez : c' est le miex
  594. Que puissez faire.
  595. JEHAN.     C' est bien m' entente de moy taire,
  596. Quant la seray, mon amy chier.
  597. C' est nient ; aler me fault couchier :
  598. Sanz dormir ne puis ci plus estre.
  599. Je te conmans au roy celestre !
  600. Vaz te couchier.
  601. L' ENNEMI.     Assez tost yray, pére chier,
  602. Ne vous soussiez point de moy.
    ( L’ermite Jean va se coucher auprès de la fille du roi )
  603. ( Resté seul ) Puis que son cuer en doubte voy,
  604. Je ne tien point qu' il soit si ferme
  605. Que je ne li face en brief terme
  606. Perdre touz les biens c' onques fist.
  607. Ce qu' en ay veu me souffist :
  608. Tempter le voys par tel desroy
  609. Qu' a Lucifer nostre grant roy
  610. Sera acquis, se je ne fail ;
  611. Sa sainté ne vaulra un ail,
  612. Se puis, bien brief.
    ( Il se rend près de l’ermite endormi. Au bout d’un certain temps )
  613. JEHAN. ( Se relevant )    De soyf sui a si grant meschief
  614. Que de ci me fault lever, voire,
  615. Pour aler un trait d' yaue boire ;
  616. Autrement dormir ne pourray.
  617. Ma cote sanz plus vestiray.
  618. C' est fait, g' y vois.
    ( Il enfile une tunique à même la peau et passe dans la pièce voisine )
  619. L' ENNEMI.( Le suivant )    Vous avez bien fait voz degoiz,
  620. Pére, ennuit de celle pucelle.
  621. Osté li avez la plus belle
  622. Chose qu' elle en son corps eust
  623. Et dont miex priser se deust :
  624. C' est pucelage.
  625. JEHAN.     Huet, je te tien pour lunage
  626. De ceci dire.
  627. L' ENNEMI.     Ne le me reniez pas, sire,
  628. Car je scé trop bien tout le fait ;
  629. Et si vous dy ce qu' avez fait
  630. Vous fera le corps desmembrer,
  631. Se le roy s' en peut remembrer,
  632. Ne qu' il le sache.
  633. JEHAN.     Ne t' anuit ja s' a moy te sache,
  634. Huet : pour quoy ?
  635. L' ENNEMY. Pour ce que c' est la fille au roy,
  636. De qui avez le pucellage ;
  637. Mais combien que soie po sage,
  638. Se vous voulez mon conseil croire,
  639. Jamais il ne sera memoire
  640. De ce fait ci.
  641. JEHAN.     Huet, je te requier mercy :
  642. Conseille moy que j' en feray.
  643. Je te promet j' en ouvreray
  644. Tout a ton vueil.
  645. L' ENNEMY. Et vezcy que je vous conseil :
  646. Tandis qu' elle en ce lit se dort,
  647. Alez la ferir si qu' a mort
  648. De touz poins le corps en mettez
  649. Et en ce puis la le jettez ;
  650. Par ce point delivre en serez,
  651. Que jamais parler n' en orrez
  652. Ne po ne grant.
  653. JEHAN.     Huet, du faire ay cuer engrant :
  654. Par ton conseil en vueil ouvrer.
  655. Le pais en voys delivrer.
    ( Jean retourne dans la chambre et frappe à mort la fille
    du roi dans son sommeil, puis revient auprès de l’Ennemi
    )
  656. C' est fait, mais lever ne la puis,
  657. Pour la apporter en ce puis,
  658. S' ayde n' ay.
  659. L' ENNEMY. A cela bien vous ayderay :
  660. Alons la querre.
  661. JEHAN.     Soit, amis.
    ( Ils se rendent tous deux dans la chambre,
    prennent le corps et sortent de la demeure
    )
    Ho ! sanz mettre a terre
  662. En ce puis la jettons ensemble.
    ( Ils jettent le corps dans le puits )
  663. C' est du miex, si comme il me semble :
  664. Or, vaz la, vaz.
  665. L' ENNEMY. ( Changeant soudain de ton )
    Or vous tien je pris en mes laz,
  666. Murtrier, mauvais, non pas hermittes,
  667. Mais luxurieux ypocrites :
  668. Joyeux m' en vois.
    ( L’Ennemi s’enfuit )
  669. JEHAN. ( Priant ) E ! dame des cieulx, en ce bois
  670. Cuiday faire mon sauvement,
  671. Mais g' y ay fait mon dampnement
  672. En ame et en corps pardurable,
  673. Se vous ne m' estes secourable,
  674. Vierge, par qui grace j' espoir.
  675. A po que ne me desespoir
  676. Cy endroit certes d' une corde,
  677. Quant de mon pechié me recorde.
  678. Faulx ennemy, bien m' as detrait,
  679. Quant a pechié m' as ainsi trait,
  680. Qu' en moy je ne scé conseil mettre
  681. Fors que de grant douleur plain estre
  682. Et plaindre de jours et de nuiz
  683. Les paines sanz fin, les annuiz
  684. Que j' ay par mon fait encoru,
  685. Se de Dieu ne sui secoru,
  686. Qui me prengne a misericorde.
  687. Mais pour ce qu' a li me racorde
  688. Et qu' il me soit doulx et propice,
  689. A toy, Vierge, en quoy onques vice
  690. Ne fu, mais parfaite bonté,
  691. Confesse mon iniquité,
  692. Afin que tu la me defaces
  693. Et qu' ami de Dieu tu me faces.
  694. A toy afui, a toy aqueurs ;
  695. Dame, ayde moy et sequeurs.
  696. Autre refui que toy n' ay mais :
  697. Des laz me deffen du mauvais
  698. Qui si m' a pris par traison,
  699. Et je vous promet ma maison
  700. Arderay, vierge, en son despit.
  701. Mettre y vois le feu sanz respit.
    ( Il incendie sa demeure )
  702. Maison, puis que vous voy ardoir,
  703. Ma robe aussi arderay voir :
  704. Jamais mon corps ne vestira
  705. Robe, n' en hostel ne jerra.
    ( Il ôte son vêtement et le brûle )
  706. Encore un autre veu feray,
  707. Doulce vierge, que je tenray
  708. Pour vostre amour toute ma vie,
  709. Pour l' anemi plus faire envie :
  710. Que jamais ma vie durant,
  711. Se je ne le vois pasturant
  712. Aussi conme cerf ou con pors,
  713. N' enterra viande en mon corps ;
  714. Ne jamais ne quier, c' est la somme,
  715. A femme parler ny a homme.
  716. Dès maintenant vueil conmencier
  717. Ce que jamais ne quier laissier,
  718. C' est aler men aval ce boys
  719. A quatre piez.
    ( Il avance à quatre pattes )
                         Sire, qui vois
  720. Les cuers et congnois les pensées
  721. Avant qu' elles soient pensées,
  722. Lais moy telle penance emprendre
  723. Qu' en la fin je te puisse rendre
  724. L' ame de pechié pure et monde,
    ( Il s’arrête devant un grand arbre au tronc creux )
  725. Pére, qui de nient tout le monde
  726. Feis, je te lo et gracy
  727. De ce que trouver me fais cy
  728. Un grant arbre dont le creux font
  729. Jusques en terre bien parfont.
  730. M' abitacion en feray
  731. Ne point d' autre maison n' aray ;
  732. Bouter m' y veul.
    ( Il entre dans l’arbre creux )

    ACTE II.
    Scène 1. La ville où réside le roi. Sept ans plus tard.
    Les maisons voisines de la femme et de la sage-femme
    .
  733. LA FEMME. ( Enceinte, à son mari )    Robert, biau frére, trop me deul
  734. Par les costez et par les rains.
  735. Par amour, alez me querre, ains
  736. Que je face ne brait ne cry,
  737. La ventriére, je vous em pri ;
  738. Ma chamberiére demourra,
  739. Que je ne scé qu' il m' avenra.
  740. Tant sçay je bien, selon mon sens,
  741. Que les maux d' avoir enfans sens.
  742. Faites bonne erre.
  743. LE MARI.     Volentiers. Je la vous vois querre,
  744. Ma suer, ne vous corrouciez pas.
    ( Il se rend chez la sage-femme )
  745. Gertrus, venez ysnel le pas
  746. A ma compaigne.
  747. LA VENTRIÉRE.     Or ça, que Diex y envoit gaigne !
  748. Qu' est ce la, Robert ? Qu' i a il ?
  749. Traveille elle ?     LE MARI.     Gertrus, oil.
  750. Elle travaille fort et ferme.
  751. Je ne scé si venrez a terme.
  752. Avançons nous.
  753. LA VENTRIÉRE.     Je sui preste, mon ami doulx.
  754. Alons men tost.
    ( La sage-femme et le mari retournent auprès de la femme )
  755. LA FEMME. ( À sa chambrière )    Vien avant, vien, Ysabelot.
  756. Diex ! Diex ! vien avant ! Ayde moy.
  757. Je sui d' enfanter, bien le voy,
  758. Ou de morir près de termine.
  759. Dame des cieulx, vierge royne,
  760. Pour moy priez.
    ( La femme accouche, la chambrière la délivre du nouveau-né )
  761. LA CHAMBERIÉRE.     Ma dame, or paix ! plus ne criez,
  762. Diex vous a grant grace donné,
  763. ( Montrant le nouveau-né ) Car de vous avons un filz né,
  764. Bien le sachiez.
  765. LA FEMME.     De par Dieu soit. Or me couchiez
  766. M' amie chiére.
  767. LA CHAMBERIÉRE. ( Aidant la femme à se coucher )
    Voulentiers. Faites bonne chiére,
  768. Mon seigneur grant joie en ara
  769. Certes, quant cy endroit venra ;
  770. Je n' en doubt point.
    ( Entrent la sage-femme et le mari )
  771. LA VENTRIÉRE.     Or ça, Diex y soit ! En quel point
  772. Est celle dame ?
  773. LA CHAMBERIÉRE.     Aourée soit nostre dame !
  774. ( Montrant le nouveau-né ) Maintenant a un fil eu.
  775. Je meismes l' ay receu :
  776. Egar ! m' amie.
  777. LA VENTRIÉRE.     Si tost ! or ne vous plangniez mie.
  778. ( Se tournant vers le mari ) Venez avant, venez, Robert :
  779. Bonne [l. Bon] ouvrier estes et appert
  780. Et de ligiére engendreure.
  781. Vezla qui n' a mais de vous cure,
  782. Ç' ay j' oy dire.
  783. LA FEMME.     Ha ! pour Dieu, vous me faites rire
  784. Sanz fin qu' en aye.
  785. LA VENTRIÉRE.     Robert, je croy que ja s' esmaie
  786. Conment avec vous passera
  787. La nuit qu' elle relevera
  788. De la jesine.
  789. LE MARI.     C' est Ysabelot sa meschine
  790. Qui s' en soussie.
  791. LA CHAMBERIÉRE.     Non fas, par la vierge Marie,
  792. Je ne pense point a cecy.
  793. J' ay bien d' autre chose souscy
  794. Qui plus me touche.
  795. LA VENTRIÉRE.     Ore il fault que cest enfant couche.
  796. Ça, ça, je le vueil ordener
  797. Pour le porter crestienner.
  798. Robert, alez vous en bonne erre
  799. Entre tandis les parrains querre,
  800. Et quant il seront au moustier,
  801. Venez le nous, sire, acointier ;
  802. Si irons la.
  803. LE MARI.     Je sui celui qui le fera
  804. De cuer, m' amie.
  805. LA VENTRIÉRE.     Alez, et ne demourez mie :
  806. Ja si tost cy ne reviendrez
  807. Que tout apresté trouverez
  808. Pour aller ent.
    ( Le mari sort, tandis que la sage-femme donne des soins
    au nouveau-né et le couche dans un berceau
    )

    Scène 2. L’arbre creux dans la forêt.
    ( On voit sortir de l’arbre creux l’ermite Jean, nu et velu )
  809. JEHAN. ( Priant )    Tresdoulx Dieu, pére omnipotent,
  810. D' un povre pecheur que je sui
  811. La grieté, la paine et l' annuy
  812. Que je port, sire, regardez
  813. En pitié et si me gardez
  814. De l' annemi et de ses laz
  815. Qui si m' a fait pechier, elas !
  816. Trop vilainement me tempta,
  817. Quant en luxure me bouta
  818. Et après, dont j' ay plus grant hide,
  819. M' a fait cheoir en omicide.
  820. Mais certes, combien qu' il m' ait mors,
  821. Encore ne suis je pas mors,
  822. Si que c' est bien m' entencion
  823. De faire ent satisfacion
  824. Par penitances et priéres.
  825. Mettre en mon creux me vois arriéres
  826. Et prier Dieu que par sa grace
  827. Pardon de mes pechiez me face
  828. Par son plaisir.
    ( Il retourne dans l’arbre creux )

    Scène 3. Le Paradis.
  829. DIEU. ( À Notre-Dame )    De cuer devost, d' ardant desir,
  830. Mére, voy le paulu Jehan
  831. Souffrir grant paine et grant ahan
  832. Pour deux pechiez qu' il a conmis,
  833. Esquelx embatu l' a et mis
  834. L' annemi par sa decepvance.
  835. Sept ans en a ja fait penance ;
  836. Si vueil que l' alez conforter
  837. Et d' avoir pardon enorter,
  838. S' il persevére.
  839. NOSTRE DAME.     Mon Dieu, m' amour, mon filz, mon pére,
  840. Faire vois ce que dit m' avez.
  841. ( À saint Jean et aux deux archanges ) Jehan, avecques moy venez,
  842. Et vous, Michiel et Gabriel,
  843. Sus, et pensez tost et ysnel
  844. De cy descendre.
  845. SAINT JEHAN.     Dame, nous ferons sanz attendre
  846. De cuer ce que nous conmandez.
  847. ( À Gabriel et à Michel ) Vous deux de cy jus descendez
  848. Appertement.
  849. GABRIEL.     Jehan, nous ferons bonnement
  850. Vostre vouloir.
    ( Ils descendent du Paradis )
  851. MICHIEL.     Jus sommes. Or nous fault savoir
  852. Quel part yrons.
  853. NOSTRE DAME. ( Indiquant l’arbre où s’est abrité l’ermite )
    Mes amis, ce chemin tenrons
  854. Jusqu' a cel arbre ; c' est m' entente.
  855. Or avant vous troys ; sanz attente
  856. D' accort chantez.
  857. SAINT JEHAN.     Chascun en est entalentez.
  858. Seigneurs, prenez avecques moy.
    ( Ils chantent )
  859. RONDEL.     Folz est qui n' ayme et sert en foy
  860. L' ente d' umilité florie
  861. Qui porta le doulx fruit de vie.
  862. Raison y a bonne pour quoy ;
  863. Car se son servant justiffie,
  864. Folz est qui n' aime et sert en soy
  865. L' ente d' umilité fleurie.
  866. Oil, et de ce monde a soy
  867. Le trait a la gloire infinie :
  868. Donques pour avoir telle amie,
  869. Folz est qui n' ayme et sert en soy
  870. L' ente d' umilité fleurie
  871. Qui porta le doulx fruit de vie.
    ( Ils se rendent auprès de l’ermite Jean en chantant ce rondeau )

    Scène 4. L’arbre creux dans la forêt.
  872. NOSTRE DAME.     Jehan, se cy la Dieu mesnie
  873. Te vient par amour visiter.
  874. Tu ne te doiz mie doutter
  875. D' estre eureux.
  876. JEHAN. ( Sortant de l’arbre au-devant de Notre-Dame )
    Sire Diex, pére glorieux,
  877. Sur moy vostre grace estendez
  878. Et du Sathan me deffendez
  879. Si que par sa temptacion
  880. N' ait sur moy dominacion,
  881. Car trop est plain de mauvais art.
  882. Se vous estes de la Dieu part,
  883. Bien vegniez ; se n' en estes mie,
  884. De Jhesus le filz de Marie
  885. Vous conjur que plus ne parlez
  886. A moy, mais tost vous en alez
  887. De cy endroit.
  888. NOSTRE DAME.     Amis Jehan, tu as bon droit
  889. Se ton cuer de paour varie.
  890. N' aiez doubte : je sui Marie,
  891. Mére Jhesu Crist. Or me croiz
  892. Hardiement : fay sur toy croiz.
    ( Jean fait le signe de croix )
  893. Bien me plaist, car a ton bien tens ;
  894. Et pour ce te vien dire, entens :
  895. La penitence qu' as empris
  896. Pour ce que vers Dieu as mespris,
  897. Ne la repute pas a gréve,
  898. Car la fin si en sera bréve,
  899. Et s' ainsi persevéres, tien
  900. Qu' il t' en avenra si grant bien
  901. Que tu t' en esmerveilleras.
  902. Quant a ore plus n' en saras :
  903. Persevére ou fait ou t' es mis.
  904. A Dieu te dy ! Sus, mes amis,
  905. Ralons nous ent.
  906. GABRIEL.     Dame, soit a vostre talent.
  907. ( À Michel et à saint Jean ) Tost, seigneurs, mettons nous a voie
  908. Et en alant, si c' on nous oie,
  909. Chantons ensemble.
  910. MICHIEL.     Faire le devons, ce me semble,
  911. Tresvoulentiers.
  912. SAINT JEHAN.     Conmenciez ; a faire le tiers
  913. De cuer m' ottroy.
    ( Ils chantent )
  914. RONDEL.     Oil, et de ce monde a soy
  915. Le trait en la gloire infinie.
  916. Donques, pour avoir telle amie,
  917. Folz est qui n' aime et sert en foy
  918. L' ente d' umilité fleurie
  919. Qui porta le doulx fruit de vie.
    ( Ils remontent au Paradis avec Notre-Dame en chantant ce rondeau )
  920. JEHAN. ( Priant )    Ha ! tresdoulce vierge Marie,
  921. De tout mon cuer te glorifi,
  922. Et tant com puis te magnifi
  923. De ce que tu m' as fait savoir
  924. Que mercy puis encore avoir ;
  925. Et certes c' est bien mon courage
  926. Que jamais en nul autre usage
  927. Je ne pense ma vie user
  928. Que Dieu servir et y muser
  929. Tant seulement.
    Il rentre de nouveau à l’intérieur de l’arbre )

    Scène 5. La résidence royale.
  930. LE ROY. ( Aux deux chevaliersyle )    Seigneurs, il a ja longuement
  931. Que n' ay esté pour solacier
  932. Ny en riviére ne chacier.
  933. Je vueil de venoison nouvelle
  934. Ennuit avoir en m' escuelle.
  935. Alons au bois.
  936. PREMIER CHEVALIER.     En bonne heure, sire. Je vois
  937. Les veneurs de ce faire sages.
    ( Il se rend auprès des veneurs )
  938. ( Aux veneurs ) Seigneurs, c' est du roy li courages
  939. Qu' il veult aler chacier au bois.
  940. Aprestez voz chiens et voz roys,
  941. Si en venez.
  942. PREMIER VENEUR.     Nous seron tantost aprestez :
  943. Alez mener au boys le roy.
  944. Nous serons devant en l' arroy
  945. Tel que devons.
  946. PREMIER CHEVALIER. ( Revenant auprès du roi )
    Mon seigneur, s' il vous plaist, mouvons.
  947. Les veneurs si m' ont en convent
  948. Que nous les trouverons devant
  949. A touz les chiens.
  950. DEUXIESME CHEVALIER. ( Au roi )    Puis qu' ilz ont dit, sire, je tiens
  951. Qu' ilz y seront.
  952. LE ROY.     D' aler y bonne espace aront.
  953. Jusqu' au boys vueil a pié aler :
  954. Faites les chevaulx amener
  955. Après nous, sur quoy monterons
  956. Si tost conme nous deverons
  957. Conmencier chace.
  958. DEUXIESME CHEVALIER.     Je vois, sire, sanz plus d' espace ;
  959. Alez touz jours.
  960. DEUXIESME SERGENT. ( Ouvrant passage au roi )
    Sus, sanz faire cy nulz sejours,
  961. Vuidiez ; faites voie et espace
  962. Que mon seigneur a ayse passe.
  963. Arriére touz !
  964. PREMIER SERGENT. ( Idem )    Faites nous voie, ou mal pour vous ;
  965. Vuidiez le cours.
    ( Le roi sort, précédé des deux sergents )

    Scène 6. L’arbre creux dans la forêt.
  966. JEHAN. ( Seul )    Sire Dieu, de nuit et de jours
  967. Ta grant bonté sanz fin recorde,
  968. Depriant que misericorde
  969. Me faces, non mie justice,
  970. Car oultrageux fui trop et nice
  971. Quant a pechié m' abandonnay ;
  972. Et pour ç' a mon corps donné ay
  973. Penance que fas voulentiers
  974. Et ay ja fait sept ans entiers
  975. Et vueil toute ma vie faire.
  976. Tresdoulx Dieu, or te vueille plaire,
  977. Que tu l' aies si agreable
  978. Qu' elle soit a m' ame valable,
  979. Si qu' en moy n' ait l' ennemy riens.
    ( Entrent les deux veneurs avec leurs chiens )
  980. E ! Dieux, je voy ci venir chiens
  981. Et hommes avec au mains deux.
  982. Rebouter me vois en mon creux
  983. Et tenir coy.
    ( Il retourne à quatre pattes, nu et velu, se cacher dans l’arbre creux )
  984. DEUXIESME VENEUR. ( Qui l’a vu, montrant l’arbre au second )
    Grosparmy, voiz tu ce que voy ?
  985. Regarde quelle beste, amis :
  986. Elle c' est en cel arbre mis ;
  987. Il y a creux.
  988. PREMIER VENEUR.     Salmon, alon entre nous deux
  989. Savoir que c' est.
  990. DEUXIESME CHEVALIER.  Je te promet c' est son recest :
  991. De pasturer d' ou que soit vient.
  992. Aler dire le nous convient
  993. Tost a noz gens.
  994. PREMIER VENEUR. Gençon, soions ent diligens :
    ( Entrent le roi et ses deux chevaliers )
  995. Vez les la ; c' est trop bien a point.
  996. Mon chier seigneur, ne tardez point,
  997. Puis qu' avez de chacier courage.
  998. Une beste la plus sauvage
  999. Que sachiez avons la veue
  1000. Et s' est en un creux descendue.
  1001. Se voulez, tost prise l' arez.
  1002. Venez jusques la ; vous direz
  1003. Que je dy voir.
  1004. LE ROY.     Seigneurs, je vous fas assavoir
  1005. De plourer ne me puis tenir,
  1006. Car venu m' est en souvenir
  1007. Que je ne fuy mais puis icy
  1008. Que mon enfant y perdy, qui
  1009. Ma joie estoit et ma leesce ;
  1010. S' en ay au cuer telle tristesce
  1011. Que je ne scé que faire doie.
  1012. Ha ! belle fille, je cuidoie
  1013. Par toy recouvrer grans amis ;
  1014. Mais il me semble que j' ay mis
  1015. Ma pensée en un fol cuidier,
  1016. Quant Dieu t' a fait de moy vuidier,
  1017. Si que ne puis nouvelle oir
  1018. De toy dont me doie esjoir,
  1019. Ne je ne scé s' es vive ou morte,
  1020. Dont le cuer moult me desconforte.
  1021. Si pri a Dieu que se tu vis
  1022. Qu' en la biauté de ton doulx vis
  1023. Puisse encore prendre solaz,
  1024. Et se mort t' a prise en ses laz,
  1025. Que Diex ait de t' ame mercy
  1026. Et que savoir je puisse aussi
  1027. Ou ton corps soit.
  1028. PREMIER CHEVALIER.     Mon chier seigneur, ne vous ennoit,
  1029. Pieça l' avez plourée assez,
  1030. Quant a ore vous en passez.
  1031. Alons men prendre celle beste
  1032. Dont voz veneurs nous font tel feste :
  1033. Ce sera miex.
  1034. DEUXIESME CHEVALIER.     Vous dites voir, si m' aist Diex.
  1035. Laissiez, sire, ester le plourer :
  1036. Celle beste sanz demourer
  1037. Alon men prendre.
  1038. LE ROY.     Puis qu' a ce vous voulez entendre,
  1039. Mouvez devant.
  1040. DEUXIESME VENEUR. ( S’approchant de l’arbre )
    Ho ! cy, sanz venir plus avant,
  1041. Gardez bien sanz plus cy entour.
  1042. Je la vois hors par quelque tour
  1043. De ce creux mettre.
  1044. PREMIER CHEVALIER.     Fay la lever, qu' elle puist estre
  1045. A plaine terre.
  1046. DEUXIESME VENEUR. ( Sondant des mains la cavité de l’arbre )
    Passe, passe. Sus, sus, bonne erre
  1047. C' est nient ; lever te fault de cy.
  1048. Sus, sus, ne l' aray pas ainsy.
  1049. ( Au premier veneur ) Grosparmy, je ne fas ci riens.
  1050. Met cy la corde de tes chiens :
  1051. Parmy le col ly lasseray
  1052. Et ainsi venir la feray
  1053. Hors, mau gré sien.
  1054. PREMIER VENEUR. ( Lui tendant la laisse )    Ja pour ce ne demourra. Tien,
  1055. Jançon amis.
  1056. DEUXIESME VENEUR. ( Après avoir attaché la corde à l’intérieur du tronc )
    Puis qu' entour le col li ay mis,
  1057. Tirons : ou elle s' en venra
  1058. Hors, ou elle s' estranglera.
  1059. Tire avec moy.
    ( Les deux veneurs tirent la corde )
  1060. PREMIER VENEUR. ( Tandis que la « bête » est extirpée du tronc creux )
    Quanque je puis. Ho ! je la voy :
  1061. Tu as esté de bon avis.
  1062. Diex ! conme elle yst de la envis
  1063. A mon cuidier !
    ( L’ermite, sorti de l’arbre, se tient au sol à quatre pattes )
  1064. DEUXIESME VENEUR.     Puis que l' en avons fait vuidier,
  1065. Il ne m' en chaille.
  1066. LE ROY. ( Examinant la « bête » )    Ho ! seigneurs, onques mais sanz faille,
  1067. Je ne vy telle beste en boys.
  1068. Arrestez vous et tenez coys :
  1069. Adviser la vueil d' ainsi loing.
  1070. Trop malement a petit groing,
  1071. Selon que elle a grant le corps.
  1072. Je vous dy que c' est mes acors
  1073. Que s' elle peut estre amenée
  1074. Vive, qu' elle me soit gardée.
  1075. Tenez la et vous essaiez
  1076. A aler tant que mis l' aiez
  1077. D' aler en voie.
  1078. DEUXIESME VENEUR. ( L’examinant à son tour )    
    Debonnaire me semble et coye.
  1079. Mon chier seigneur, devant iray
  1080. Et après moy la tireray
  1081. Tout doulcement.
  1082. PREMIER VENEUR. Tu diz trop bien, et j' ensement.
  1083. Par deça m' en voys pour savoir :
  1084. Se la voy d' aler esmouvoir,
  1085. Nullement ne la toucheray ;
  1086. Si non je la te chaceray
  1087. Par de derriére.
  1088. DEUXIESME VENEUR. ( Au roi et aux chevaliers )    
    Or vous traiez trestouz arriére
  1089. Et me laissiez aler devant.
  1090. ( Se plaçant devant la bête en la tirant par la corde )
    Sus, de par Dieu, sus, passe avant,
  1091. Beste, après moy.
  1092. PREMIER VENEUR. ( Au deuxième veneur, se plaçant
    derrière la bête, pour la faire avancer
    )
    Vaz hardiement ; vaz, je la voy,
  1093. Qu' elle te suit assez a trace.
  1094. Il ne fault point que l' en la chace,
  1095. Ce m' est advis.
  1096. DEUXIESME CHEVALIER. ( Au premier veneur ) Non voir. Or enten mon devis :
  1097. Va t' en droit au palais du roy
  1098. Et nous nous mettrons en arroy
  1099. D' aler après.
  1100. LE ROY.     Or avant ! Suivez la de près,
  1101. Je vous em pri.
    ( Le roi et les deux chevaliers suivent les deux veneurs
    entre lesquels l’ermite avance à quatre pattes
    )

    Scène 7. La ville où réside le roi. À l’intérieur puis à l’extérieur
    de la maison de la femme accouchée
    .
  1102. LE MARI. ( Rentrant, à la sage-femme )    Gertrus, ne mettez en detri
  1103. A porter mon filz au moustier.
  1104. De demourer n' est nul mestier.
  1105. Les parrains y sont et le prestre
  1106. Touz près, si ques sanz plus ci estre
  1107. Apportez l' y.
  1108. LA VENTRIÉRE.     Alez ; je vous sui sanz detry.
  1109. ( À un jeune valet ) Vien avant, vien, biau filz Jehannin :
  1110. Tien a tes deux mains ce bacin.
  1111. Sueffre : bien t' assemilleray ;
  1112. Ce doublier ci te metteray
  1113. Sur ton col et puis ci dessus.
    ( Elle lui met une besace autour du cou )
  1114. C' est fait ; tu es moult bien. Or sus,
  1115. Vaz devant moy.
  1116. LE VALETON.     Et quel chemin, par vostre foy,
  1117. Voulez que tiengne ?
  1118. LA VENTRIÉRE.     Droit au moustier. Or t' en souviengne :
  1119. Avant, soies d' aler engrès,
  1120. Et je te suiveray de près,
  1121. N' en doubte mie.
  1122. LE VALETON.     Je vois donques devant, m' amie.
  1123. Mais je vous pri qu' au retourner
  1124. Un chantiau me faciez donner
  1125. De bon blanc pain.
  1126. LA VENTRIÉRE.     Si aras tu, par saint Germain,
  1127. Et du fourmage.
    ( Le jeune valet et, derrière lui, la sage-femme tenant l’enfant sortent pour
    se rendre à l’église ; ils croisent en route le roi revenant au palais avec les
    chevaliers et les chasseurs entre lesquels on voit l’ermite marcher à quatre
     pattes. Le nourrisson, dans les bras de la sage-femme, prend soudain la parole
    : )
  1128. L' ENFANT QUE TIENT LA VENTRIÉRE.     Jehan, entens a mon message ;
  1129. Liéve sus, Dieu si le te mande
  1130. De par moy, et si te conmande
  1131. Que tu me viengnes baptisier,
  1132. Amis : pour ce le te requier.
  1133. Sanz plus faire dilacion.
  1134. Saches ta grant contriccion
  1135. T' a fait pardonner les pechiez
  1136. Dont tu estoies entechiez,
  1137. Et t' a fait trouver en Dieu grace.
  1138. De moy baptisier sanz espace
  1139. Soies engrans.
  1140. LE ROY.     Seigneurs, vezci vertuz trop grans,
  1141. Qu' un enfant nouviau né parole
  1142. Et non mie de chose fole,
  1143. Mais requiert pour son sauvement
  1144. A avoir saint baptisement.
  1145. Par ce poons nous estre apris,
  1146. N' avons pas une beste pris,
  1147. Mais un saint homme penancier.
  1148. ( À Jean qui reste à quattre pattes )
    Preudon, sur piez vous fault dressier,
  1149. Puis que Diex ainsi le vous mande,
  1150. Et si vous fas une demande
  1151. Que me diez raison pour quoy
  1152. Ou creux faisiez vostre recoy
  1153. Et s' aviez d' autre loge point.
  1154. Je vous pri que de point en point
  1155. Le voir me dites.
    ( L’ermite se redresse et se tient sur ses deux pieds )
  1156. JEHAN.     Sire, sachiez j' estoie hermites ;
  1157. Mais ains que vous die plus oultre
  1158. Ne que mon estat vous demoustre
  1159. Ne conmant m' a esté aussi,
  1160. ( S’agenouillant et joignant les mains ) A mains jointes vous cri merci,
  1161. Sire, et pardon.
  1162. LE ROY.     Amis, et je t' en fas le don,
  1163. S' ainsi est que m' aies meffait :
  1164. Ton estat me compte et ton fait
  1165. Cy, je t' em pri.
  1166. JEHAN.     Sire, voulentiers sans detri,
  1167. Au mains que pourray de langage.
  1168. Quarante ans ay en hermitage
  1169. Esté, sire, dedans le boys,
  1170. Ou Sathan m' a par maintes foys
  1171. Fait de moult fors temptacions
  1172. Par ses faulses illusions.
  1173. Mais Dieu m' a touz jours pourveu
  1174. Que je n' y sui point encheu.
  1175. Ainsi m' a fait d' ans plus de vint,
  1176. Et tant qu' une foiz a moy vint
  1177. En fourme d' omme jouvencel,
  1178. Qui me sembla lors estre bel,
  1179. Si me requist que le preisse
  1180. Et de li mon vallet feisse,
  1181. Et que s' avec moy demouroit
  1182. Pour l' amour Dieu me serviroit
  1183. Sanz demander autre loyer ;
  1184. Et sambloit qu' il deust larmoier,
  1185. Tant me parloit piteusement ;
  1186. Et je, qui cuiday vraiement
  1187. Que fust homme de bon affaire,
  1188. M' assanti a son vouloir faire
  1189. Et le retins. Si m' a servi
  1190. Grant temps c' onques nul mal n' y vi,
  1191. Jusques a un soir qu' il advint
  1192. Que vostre fille a mon huis vint,
  1193. Et requist qu' entrer la laissasse
  1194. Et que pour Dieu la herbergasse
  1195. Jusqu' a l' andemain seulement.
  1196. Je ly ottroyay bonnement,
  1197. Si la fis en mon lit couchier,
  1198. Et l' ennemy de moy trichier,
  1199. Tant conme il pot, lors se pena,
  1200. Et tant qu' en voloir me mena
  1201. D' avoir le pucelage d' elle.
  1202. Quant m' ot mis en celle berelle,
  1203. Il me mist en plus mal desroy,
  1204. Qu' il me dist : « C' est la fille au roy
  1205. Qu' avez honnie, faulx hermites :
  1206. De laide mort n' estes pas quittes,
  1207. Se le roy le scet, n' en doubtez ;
  1208. Pour ce vous conseil escoutez,
  1209. Que vous l' occiez tout en l' eure,
  1210. Sanz faire plus longue demeure,
  1211. Et en vostre puis la jettez :
  1212. Ainsi vous serez acquittez.
  1213. Que jamais n' iert ce fait sceu. »
  1214. Je, qui fu en paour cheu
  1215. De souffrir mort honteusement,
  1216. La fille occis ysnellement
  1217. Et en un puiz jettay son corps.
  1218. Que fist le faulx ennemi lors ?
  1219. Quant il vit qu' ainsi m' ot happé,
  1220. Il dist : « Or vous ay j' atrappé,
  1221. Murtrier : de vostre ame en enfer
  1222. Feray present a Lucifer. »
  1223. De mon meffait trop s' esjoy
  1224. Et de moy lors s' esvanoy,
  1225. Sire ; et quant je me vy tout seulx,
  1226. Triste devins et angoisseux
  1227. Et tant dolent, voir vous diray,
  1228. A po ne me desesperay.
  1229. Toutes voies fu mes recors
  1230. Que Dieux est plus misericors
  1231. Qu' homme ne peut pechier d' assez.
  1232. Quant un petit fu respassez,
  1233. Le feu boutay en ma maison
  1234. En despit de la traison
  1235. Que l' anemi m' y avoit fait,
  1236. Et toute ma robe de fait
  1237. Ou feu jettay, et un veu fis
  1238. A Dieu, sire, soiez en fis,
  1239. Qu' en maison jamais ne jerroye
  1240. Ne jamais je ne parleroye
  1241. A nulle humaine creature,
  1242. Ne pour soustenir ma nature
  1243. Jamais aussi ne mengeroye
  1244. Riens, se je ne le pasturoye,
  1245. Conme une beste aval les champs.
  1246. Ainsi l' ay fait depuis sept ans,
  1247. Sire, sanz doubte.
  1248. LE ROY.     Biau preudons, or entendez. Toute
  1249. La demerite vous pardoin.
  1250. Puis que Dieu, qui voit près et loing,
  1251. Le vous pardonne franchement,
  1252. Aussi fas je certainement ;
  1253. C' est a briefs moz.
  1254. PREMIER CHEVALIER.     Mon chier seigneur, se dire l' oz,
  1255. Vous faites vostre grant honneur.
  1256. Il a souffert assez doleur,
  1257. Ce m' est avis.
  1258. DEUXIESME CHEVALIER.     Il y pert assez a son vis.
  1259. Onques mais homme, sanz doubtance,
  1260. Ne fist si griéve penitance
  1261. Conme il a fait.
  1262. JEHAN. ( À la sage-femme )    M' amie, alez vous en de fait
  1263. A tout cest enfant a l' eglise.
  1264. Dehors m' attendez en la guise
  1265. C' on y vient pour baptesme prendre ;
  1266. G' iray après vous sanz attendre :
  1267. Devant alez.
  1268. LA VENTRIÉRE.     Sire, je vois : plus n' en parlez,
  1269. Puis qu' il vous haitte.
    ( Elle se rend avec l’enfant et le jeune valet à la porte de l’église )
  1270. JEHAN.     Pourroit une chose estre faitte ?
  1271. Qu' entre nous touz, mon seigneur chier,
  1272. Alissons en ce bois cerchier
  1273. Le lieu ou fu ma demourée,
  1274. Et prier la vierge honnorée
  1275. Et son chier filz que par sa grace
  1276. De vostre fille liez nous face
  1277. Par quelque voie ?
  1278. LE ROY.     Certes, se le corps en avoie
  1279. Ou les os, me souffiroit il.
  1280. Donc, se c' est bien a faire, oil.
  1281. Alons y touz appertement,
  1282. Car j' ay fiance vraiement,
  1283. Puis que pour elle traveillié
  1284. Avez tant, que Diex le cuer lié
  1285. Par vous m' en face.
  1286. PREMIER CHEVALIER.     Avant, alons querir la place.
  1287. Biau pére, alez devant, alez.
  1288. Quelle part c' est trop miex savez
  1289. Que ne faisons.
  1290. DEUXIESME CHEVALIER.     Il dit voir, sire, et c' est raisons
  1291. Que vous nous y doiez mener,
  1292. Car nous n' y sarons assener
  1293. Se n' est par vous.
  1294. JEHAN.     Voulentiers donc, mes amis doulz,
  1295. Iray devant. Suivez a trace.
    ( L’ermite Jean conduit le roi et son cortège au lieu
    où se trouvait son ermitage en forêt
    )

    Scène 8. La forêt.
  1296. JEHAN. ( Montrant l’emplacement de la demeure incendiée )
    Ho ! biaux seigneurs, vezci la place
  1297. Ou jadis fu mon hermitage,
  1298. Que j' ardy pour le grant oultrage
  1299. Et le pechié que g' y conmis ;
  1300. ( Montrant le puits ) Et vezci le puis ou je mis
  1301. Le corps de vostre fille, sire,
  1302. Quant Sathan la m' ot fait occire
  1303. Par sa falace.
  1304. LE ROY.     Ha ! belle fille, envis cuidasse
  1305. Que vostre mort deust telle estre,
  1306. Ne c' on vous deust ici mettre
  1307. Pour derreniére sepulture.
  1308. Fille, tresdoulce creature,
  1309. De plourer ne me puis tenir,
  1310. Quant il me vient en souvenir
  1311. Du doulx parler qu' a touz faisoies,
  1312. Des bonnes meurs qu' en toy avoies,
  1313. De ton maintien a touz plaisant
  1314. Et qu' a nul n' estoies nuisant,
  1315. Mais les deffaillans supportoies
  1316. Et doulcement les enortoies.
  1317. Ores laval pourrist ton corps :
  1318. A t' ame soit misericors
  1319. Le roy des cieulx !
  1320. DEUXIESME CHEVALIER.     Sire, je conseil pour le miex
  1321. Que chascun a terre s' encline
  1322. Et d' entencion humble et fine
  1323. Deprit pour elle a nostre dame
  1324. Qu' avec ses saintes en soit l' ame
  1325. De pechié quitte.
  1326. PREMIER CHEVALIER.     Par foy, c' est parole bien ditte
  1327. Et c' on doit faire voulentiers.
  1328. N' attenderay second ne tiers,
  1329. Mais ici m' agenoulleray
  1330. Et pour elle Dieu prieray
  1331. Devotement.
    ( Il s’agenouille )
  1332. DEUXIESME CHEVALIER.     Et je si feray vraiement,
  1333. Frére : vous dites bon conseil.
  1334. Ici agenoillier me vueil
  1335. Et dire ce que je saray
  1336. Tout bas, par quoy n' empescheray
  1337. Nul de proier.
    ( Il s’agenouille à son tour, ainsi que le roi )
  1338. LE ROY.     Seigneurs, icy, sanz detrier,
  1339. Conme vous m' agenoilleray
  1340. Et Dieu pour elle prieray,
  1341. Mains jointes, de cuer et de bouche ;
  1342. Et pour ce que le fait me touche,
  1343. Ne m' en puis tenir de plourer.
  1344. Or se pene chascun d' orer
  1345. Pour l' amour d' elle.
  1346. ( Tous prient )
  1347. JEHAN.     Glorieuse vierge pucelle,
  1348. Dame des anges tresprisée
  1349. Sur touz les sains auttorisée,
  1350. Vaissiau du hault divin secré,
  1351. Et temple de Dieu consacré,
  1352. Qui peustes en vous comprendre
  1353. Ce que les cieulx ne peuent prendre,
  1354. Car la sapience eternelle
  1355. Vous eslut mére paternelle
  1356. Du Dieu de toute creature
  1357. Et fist sanz euvre de nature,
  1358. Vueille m' en pitié regarder,
  1359. Tresoriére qui a garder
  1360. As de grace la seigneurie.
  1361. A ! tresdoulce vierge Marie,
  1362. Qui de pitié es source et doiz,
  1363. Ne m' obliez pas ceste foiz,
  1364. Quelque pecheur que j' aie esté
  1365. Par l' ennemi qui m' a tempté
  1366. De luxure, de murtre aussi.
  1367. Ha ! dame, je vous cri mercy,
  1368. Vaissiau de purté et saint temple,
  1369. Demonstrez nous aucun exemple
  1370. De la fille de ce seigneur,
  1371. Par quoy s' affeccion greigneur
  1372. Soit de vous, dame, et Dieu servir
  1373. Pour gloire sanz fin desservir,
  1374. Et je vous fas veu et promesse
  1375. Que voz heures, ains que je cesse,
  1376. De cuer devotement diray,
  1377. Ne de ci ne me partiray
  1378. Tant que toutes les aray dites.
  1379. Vierge, par vos saintes merites,
  1380. Faites nous grace.
    ( Il commence la récitation de l’office de la Sainte-Vierge à voix basse )

    Scène 9. Le Paradis.
  1381. DIEU.     Mére, je vueil sanz plus d' espace
  1382. Qu' a Jehan alons vous et moy :
  1383. En grant devocion le voy ;
  1384. Je li feray ce qu' il requiert
  1385. Pour ce qu' a mon honneur le quiert.
  1386. Conmandez Jehan a descendre
  1387. Et ces anges sanz plus attendre
  1388. Tost et isnel.
  1389. NOSTRE DAME.     Sus, Michiel, et toy, Gabriel,
  1390. Et vous, Jehan, ne laissiez mie :
  1391. Avecques nous par compagnie
  1392. Venez, c' est droiz.
  1393. SAINT JEHAN.      Dame, je vueil en touz endroiz
  1394. Obeir a vous, c' est droiture.
  1395. Vierge mére dessus nature,
  1396. Vez me ci prest.
  1397. PREMIER ANGE.     Et aussi chascun de nous est,
  1398. Dame des cieulx.
  1399. DEUXIESME ANGE.     Quel chemin tenrons, sire Diex ?
  1400. Dites le nous.
  1401. DIEU. ( Montrant le puits ) Droit a ce puis, mes amis doulx,
  1402. A un mien ami que g' y vois.
  1403. Vous trois chantez a haulte voiz
  1404. En alant la.
  1405. SAINT JEHAN.      Nous ferons ce qui vous plaira,
  1406. Sire Diex, puis qu' a faire vient.
  1407. Avant, seigneurs, il nous convient
  1408. Chanter ensemble.
  1409. LE PREMIER ANGE.     Ce rondel ci, qui bon me semble,
  1410. Disons : il est de bons accors.
    ( Ils chantent )
  1411. RONDEL.     Dieu tout puissant, misericors,
  1412. Par la vostre misericorde
  1413. Treuvent li pecheour accorde.
  1414. A vous ci a moult doulx accors,
  1415. Quant cuer a vous servir s' acorde,
  1416. Dieu touz puissans, misericors,
  1417. Par la vostre misericorde ;
  1418. Il treuve que par les recors
  1419. De voz graces qu' en soy recorde
  1420. Maint cuer du Sathan se descorde.
  1421. Dieu touz puissant, misericors
  1422. Par la vostre misericorde
  1423. Treuvent li pecheour accorde.
    ( Dieu et Notre-Dame suivent Jean et les deux archanges qui
    chantent ce rondeau en se rendant au puits
    )

    Scène 10. La forêt.
  1424. DIEU. ( À l’ermite Jean en train de réciter ses heures )
    Jehan, a moy oir t' acorde.
  1425. Celui sui qui tout de nient fis,
  1426. Qui fille ay vierge et sui son filz,
  1427. Elle est ma mére et j' a li pére.
  1428. Biaux amis, pour ce qu' il t' appére
  1429. Que tu as en moy trouvé grace,
  1430. Di, que veulz tu que je te face ?
  1431. Ne le me cèle.
  1432. JEHAN.     Pour moy, sire, riens, mais pour celle
  1433. Qui gist trespassée en ce puis,
  1434. Vous requier je, tant con je puis,
  1435. Qu' en vueilliez esleessier le pére,
  1436. Si qu' evidanment lui appére
  1437. Que j' aye trouvé grace en vous ;
  1438. Et se je sui, sire, trop glous
  1439. De demander chose si digne,
  1440. Ce me fait la doulce et benigne
  1441. Misericorde dont usez ;
  1442. Si vous pri ne me refusez
  1443. Ce que demant.
  1444. DIEU.     Le pére, entens, ce te conmant,
  1445. Et ces autres appelleras,
  1446. Et sur le puiz t' adanteras,
  1447. S' appelleras la damoiselle,
  1448. Et tu verras qu' il sera d' elle
  1449. Bien tost après.
  1450. NOSTRE DAME.     De faire doiz bien estre engrès,
  1451. Amis, de mon filz le plaisir,
  1452. Par quoy viengnes a ton desir
  1453. Et a t' entente.
  1454. DIEU. Ralons nous ent tost sanz attente
  1455. Es cieulx lassus.
  1456. SAINT JEHAN.     Reprenons nostre chant, or sus,
  1457. Et soit pardit en ceste voie.
  1458. Avant : faisons que l' en nous oye
  1459. Chanter d' accort.
  1460. DEUXIESME ANGE.     De ce refuser arons tort.
  1461. Tost, conmençons.
  1462. LE PREMIER ANGE.     C' est une des belles chançons
  1463. Que puissons dire, ce m' est vis.
  1464. Pour ce de cuer, non pas envis,
  1465. De chanter avec vous m' acors.
  1466. LE RONDEL. Il treuve que par les recors
  1467. De voz graces qu' en soy recorde
  1468. Maint cuer du Sathan se descorde.
  1469. Dieu tout puissant, misericors,
  1470. Par la vostre misericorde
  1471. Treuvent li pecheour accorde.
    ( Les deux anges, suivis de Dieu et de Notre-Dame,
    remontent au Paradis en chantant ce rondeau
    )
  1472. JEHAN.     Sire, se vo vouloir l' accorde,
  1473. Jusques a ce puiz ci venez,
  1474. Et lez moy estant vous tenez ;
  1475. Et vous, biaux seigneurs, en atour
  1476. Vous mettez d' estre ci entour
  1477. Trestouz ensemble.
  1478. LE ROY.     Biau preudons, puis que bon vous semble,
  1479. G' y vois. Or ça.
    ( Le roi et les chevaliers suivent l’ermite et
    se rangent avec lui en cercle autour du puits
    )
  1480. PREMIER CHEVALIER.     Et nous deux serons par deça,
  1481. Mais pour quoy faire ?
  1482. JEHAN.     Seigneurs, ne vous vueille desplaire,
  1483. Vous orrez ce que je vueil dire.
  1484. ( Se penchant sur la margelle du puits et appelant à l’intérieur )
    Ou nom Jhesu Crist nostre sire,
  1485. Je t' appelle, fille de roy,
  1486. Qui laval gis par mon desroy,
  1487. Et te conmans que ne prolongnes
  1488. De par Dieu que ne me respongnes
  1489. A voiz isnelle.
  1490. LA FILLE.     E ! Diex, qui est ce qui m' appelle
  1491. Que li respongne ?
  1492. LE ROY.     E ! doulce dame de Boulongne,
  1493. Glorieuse vierge pucelle,
  1494. Le cuer de joie me sautelle :
  1495. J' ay oy ma fille parler.
  1496. Seigneurs, qui pourrons avaler
  1497. Pour la hors mettre ?
  1498. DEUXIESME CHEVALIER.     Sire, je m' en vueil entremettre,
  1499. Car de ce fait assez suiz duiz,
  1500. Et si voy assez de lieux vuiz
  1501. Pour y descendre aise et monter.
  1502. Fuiez vous : je m' y vueil bouter.
  1503. A l' ayde Dieu tant feray
  1504. Qu' assez tost la vous renderay
  1505. Ici sur terre.
    ( Le deuxième chevalier descend dans le puits )
  1506. LE ROY.     Amis, je vous en vueil requerre
  1507. Par charité.
    ( On voit remonter la fille du roi qui prend appui sur la margelle )
  1508. LA FILLE. ( Au deuxième chevalier, au-dessous d’elle, encore à
    l’intérieur du puits
    )     Sire, par vous ay tant monté,
  1509. Que du puiz la bordelle tien,
  1510. Mais je me doubte trop et crien
  1511. Que ne vous blesce.
  1512. DEUXIESME CHEVALIER.  De moy n' aiez nulle tristesse,
  1513. Ne nul soussi.
  1514. LA FILLE. ( Au roi et au premier chevalier ) Biaux seigneurs, a yssir de cy
  1515. Me vueilliez aidier par amour.
  1516. Dessoubz moy fait trop lonc demour
  1517. Uns homs, sachiez, qui me soustient,
  1518. Qui ne peut issir, qu' a moy tient,
  1519. Tant que hors soye.
  1520. LE ROY.     Belle fille, mon cuer, ma joie,
  1521. Je vois a toy ysnel le pas.
  1522. Sus, sus : ne m' eschaperas pas,
  1523. Puis que te tien.
  1524. PREMIER CHEVALIER.     Mon chier seigneur, je la tien bien :
  1525. Tirez aussi conme je tire.
    ( Le roi et le premier chevalier aident la jeune fille à sortir du
    puits en la tenant chacun d’un côté
    )
  1526. ( Au deuxième chevalier, à l’intérieur du puits )
    Boutez, qui estes dessoubz, sire.
  1527. Ho ! nous l' avons.
    ( Le premier chevalier aide le deuxième à sortir du puits )
  1528. JEHAN.     E ! Diex, bien louer te devons
  1529. Chascun par soy.
  1530. LE ROY. ( Etreignant sa fille )    Doulce fille, puis que te voy,
  1531. Dieu mercy, saine et en bon point,
  1532. Di me voir et ne me mens point,
  1533. Conment t' a il esté depuis
  1534. Que tu fus jettée en ce puis,
  1535. Ne conment y as tant de temps
  1536. Duré ? car il a ja sept ans
  1537. Qu' i as esté.
  1538. LA FILLE.     Je vous compteray verité.
  1539. Quant je chiez ce preudomme fui,
  1540. L' anemi estoit avec lui,
  1541. Qui si ardanment le tempta
  1542. Qu' il m' occist et si me jetta
  1543. Quant si m' ot jettée, il advint
  1544. Q' en l' eure une dame a moy vint,
  1545. Qui me remist l' ame en mon corps ;
  1546. Et sachiez, pére, que dès lors
  1547. Je fu conme je sui en vie,
  1548. Et touz jours m' a fait compagnie
  1549. Ceste dame, et si adressie
  1550. Que depuis ne m' a point laissie.
  1551. Se vous me dites quelle est elle,
  1552. Je vous respons qu' elle est tant belle
  1553. Qu' en li veoir tant seulement
  1554. Prenoye mon norrissement
  1555. Et toute ma refeccion.
  1556. Car si grant consolacion
  1557. En elle regarder avoie
  1558. Que je tien quant je la veoie
  1559. Qu' en gloire estoit mon corps raviz,
  1560. Pére ; et il m' estoit voir aviz,
  1561. Car je veoie la Dieu mére,
  1562. Qui m' a gardé de mort amére
  1563. Et de toutes neccessitez.
  1564. Pour ce vostre cuer excitez
  1565. Dès ores mais a li servir,
  1566. Si que sa grace desservir
  1567. Et s' amour puissiez, c' est en somme,
  1568. Et portez honneur ce preudomme,
  1569. Car Dieu li a tout pardonné
  1570. Ses meffaiz, et si m' a donné
  1571. Que sui vive par ses merites ;
  1572. Et puis qu' il est envers Dieu quittes,
  1573. Il le doibt bien envers vous estre ;
  1574. Oultre nous devons peine mettre
  1575. De l' essaucier.
  1576. LE ROY.     Fille, pour nous touz esleescier
  1577. Je vous diray que je feray.
  1578. Deux clerjons que j' ay manderay
  1579. Qui ont doulce voiz con seraine :
  1580. Si chanteront a haulte alaine
  1581. En nous convoiant au moustier ;
  1582. ( À Jean ) Biau pére, et la le Dieu mestier
  1583. Nous ferez, c' est nous direz messe,
  1584. Et je vous fas ceste promesse
  1585. Que jamais je ne fineray
  1586. Tant qu' evesque fait vous aray.
  1587. Alez me querre, alez, mes clers ;
  1588. Dites leur qu' ilz soient appers
  1589. De ci venir.
  1590. PREMIER CHEVALIER.     Sire, sanz moy plus ci tenir
  1591. Les vois querre ou ilz pourront estre,
  1592. Et s' amenray enfans et maistre.
    ( Il se retire et revient peu de temps après en compagnie
    de deux enfants de chœur
    )
  1593. Vez les ci, sire.
  1594. LE ROY. ( Aux deux enfants de chœur )    Mes clers, il vous fault un chant dire
  1595. A voiz douce et melodieuse
  1596. De la royne glorieuse
  1597. En qui j' ay tant grace trouvé
  1598. Que j' ay par elle recouvré
  1599. Mon enfant que perdu avoie.
  1600. Devant moy vous mettez en voie
  1601. D' aller droit au moustier saint Pére.
  1602. Je vueil qu' a touz ma fille appére.
  1603. Avant : chantez.
  1604. LES CLERS.     Mon chier seigneur, voz volentez
  1605. Ferons de cuer, c' est de raison,
  1606. En l' eure, sanz arrestoison :
  1607. Il appartient.
  1608. LA CHANÇON.     Vierge, de qui grace nous vient,
  1609. Qui contins celi qui contient
  1610. Tout bien et qui tout crea,
  1611. Ottroie nous par ton plaisir,
  1612. Qu' a ce tendons par vray desir
  1613. Pour quoy Dieu nous recrea.
    ( L’ermite Jean, le roi, sa fille, les deux chevaliers précédés
    par les deux enfants de chœur se rendent à l’église Saint-Pierre
    où les attendent, à l’entrée, pour le baptême, la sage-femme portant
    l’enfant, les parrain et marraine, les parents et le prêtre
    )
  1614. Explicit.