A la plus sage et a la plus vaillant
(R363, L 102-7, MW 898,2)

  1. Sources manuscrites

    K : Thierris de Soissons (292-293), notée, I-V ;
    N : Messire T de Soissons (61 ro-vo, notée, I, II, IV, V, VI +E ;
    Me : Thierry de Soissons (± 57ro) [1] ;
    V : anonyme (85 vo - 86 ro, notée, I, II, IV, III, V,VI + E ;
    X : anonyme (236 vo- 237vo), notée, I, II, IV, V + E ;
    B : anonyme (7 vo - 8 ro), portées vides, I-VI + E (image du ms.) ;
    R : anonyme (92 ro - 93 ro), notée, I-V.
  1. Éditions antérieures

    • Winkler, chanson 2, p. 35-37 (texte de K, str. VI et VII d'après N).
  1. Classement des manuscrits / attribution de la chanson

    D'après l'ordre de succession des strophes dans les mss et l'absence de la str. III dans certains d'entre eux, on peut distinguer deux groupes relativement proches, soit KBR et NVX. Au niveau des variantes, BR s'écartent des autres mss à deux reprises (v. 14/17), V et R donnent, comme à leur habitude, un certain nombre de leçons qui leur sont propres, et KNX forment, une fois de plus, un groupe assez homogène. On dirait que la perturbation dans l'ordre des strophes s'est produite assez tardivement dans la transmission ; il n'est pas impossible que le modèle de KBR et celui de NVX viennent de la même source. Quoi qu'il en soit, les variantes en général ne sont pas trop nombreuses ni trop importantes, ce qui permet de réunir KNMeXV et BR comme deux sous-groupes d'une même famille. KNMe s'accordent pour attribuer la chanson à Thierry de Soissons qui, croyons-nous, n'est autre que Raoul (voir Le cas de Thierri de Soissons). V place la chanson parmi d'autres pièces attribuables à Raoul, dans BRX elle est isolée. L'attribution à Thierry (= Raoul) n'étant pas contredite, nous rangeons la pièce parmi les chansons que nous lui attribuons.
  1. Établissement du texte

    L'enchaînement des strophes permet de constater que KBR présentent le bon ordre strophique. NVXB ajoutent une sixième strophe qui s'inscrit assez bien dans l'ensemble de la chanson : ayant chanté la beauté de la dame et lui ayant demandé merci, le poète termine la chanson sur le conseil adressé à la dame d'éviter les traîtres qu'il a déjà mentionnés dans la str. I. Comme la strophe VI est donnée non seulement par NVX mais également par B, nous la considérons authentique. Vu l'absence de la str. III dans N, le choix du ms. de base était entre le texte de K avec la str. VI de N ou alors le texte de N avec la str. III et l'ordre strophique de K. L’intervention que représente la première possibilité nous ayant paru moins envahissante, nous avons suivi l'exemple de Winkler en optant pour le texte de K avec la dernière str. de N. L'homogénéité du texte est en tout cas maintenue puisque le texte et la graphie de K s’écartent à peine de ceux de N.

    Winkler a corrigé le passé simple vi au v. 23 en voi, forme donnée par tous les autres mss ; cette intervention nous semble raisonnable tenant compte du présent au v. 25. Quant à la forme pout au v. 24, que Winkler a corrigée en puet, elle est attestée dans le TL en tant que présent de l'indicatif, mais il s'agit d'une forme anglo-normande. On peut à la rigueur penser à un passé simple picardisé (pot > pout), mais le sens exige un présent. Pour éviter toute confusion, nous suivons l'exemple de Winkler en adoptant la leçon des autres mss.  La correction de plorer au v. 22 en veillier nous paraît inutile. Au v. 25, Winkler a préféré la leçon hypermétrique de R ; nous nous en tenons à celle donnée par K, qui nous semble tout à fait acceptable. 

  1. Interventions

    • v. 23 - vi : le sens exige le présent ; correction en voi d'après VRB ;
    • v. 24 - pout : forme problématique ; correction en puet d'après VRB.
  1. Versification et stylistique

    Six strophes hétérométriques de 10 vers décasyllabiques et un vers heptasyllabique construites selon la technique de coblas redondas capcaudadas avec une rime constante (c). [2]
    Mélodie :  A B A B C D A E F G H  
     Schéma :  a b a b b a a c c d d (MW : 2)
      10 10 10 10 10 10 10 7' 10' 10 10 (MW : 1)
    Schéma des rimes :
    a -ant -er -ir -ors -on
    b -ent -ant -er -ir -ors -on
    c -age -age -age -age -age -age
    d -er -ir -ors -on -in
    Ainsi que nous l'avons noté ailleurs, il s'agit d'une formule complexe d'enchaînement strophique dont on ne trouve que de rares exemples dans l'œuvre des trouvères, mais qui se rencontre dans quatre des douze chansons que nous croyons pouvoir attribuer à Raoul (R363, R767, R1970, R2063) et dans une chanson possible (R1887). [3]

    Particularités stylistiques:
    • Figures étymologiques aux v. 12/16 : amer / amant et aux v. 62/65 : envenimé / venim ;
    • rimes homonymes aux v. 67/68 : cuer fin / bone fin ;
    • césure féminine élidée au v. 25 et 62 ;
    • césure lyrique aux v. 26, 32 et 55 ;
    • enjambement à la rime aux v. 36/37 : la flors / De cortoisie et aux v. 37/38 : servir / De votre cors ;
    • rime interne au v. 4 : souvient / gent ; la rime a est répétée à la césure au v. 10 ;
    • structure logique des 5 premières strophes :
      • str. I     Pour ce la vueil prier
        str. II    Pour ce la vueil aorer
        str. III   louange de la dame / peine de l’amant à la 3ième personne
        str. IV  louange de la dame / peine de l’amant à la 1ère personne
        str. V   Pour ce vos pri merci.
  1. Langue

    • Distinction de -ent et de -ant à la rime ; on notera toutefois que tous les mots-rimes en -ant sont des participes présents (adjectivés) : vaillant / vivant / enbelissant / chantant
  1. Contrafacta

    Aucun contrafactum connu, mais voir la note 3.


[1] L'incipit de notre chanson figure dans le cahier de Fauchet (B.N. fr. 24726) ; d'après les indications, la pièce est la première de la série attribuée à Thierry de Soissons. Elle n'est cependant pas citée dans le Recueil.

[2] Cf. Dominique Billy, L'architecture lyrique médiévale, p. 107-108.

[3] Pour une analyse du grand réseau de rapports qui existe entre les chansons R1887, R363 et R767 (et R1970 et R2063) de Raoul et la chanson R700 du Châtelain de Coucy, voir Dominique Billy, « Une canso en quête d'auteur : Ja non agr' obs qe mei oill trichador (PC 217, 4b) » dans Atti del XXI Congresso internazionale di linguistica e philologia romanza VI [Palerme, 18-24 sept. 1995], a cura di G. Ruffino (Tübingen, Niemeyer), p. 543-55, et notre article « Stratégies d'emprunt dans l'œuvre de Raoul de Soissons », Tenso 15/1-2, (2001), p. 76-96.