Chançon legiere a
chanter
(R778, L 258-3, MW 317,1)
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Sources manuscrites
K : Thierris de Soissons (293-294), I-V, notée ;
N : Messire T de Soissons (61 vo-62 ro), I-VI, notée;
V : anonyme (86 vo-87 ro), I-V, notée ;
Me : Messire Thierry de Soissons, ± 60 vo (fragment de la str.
II d'après Fauchet [1]).
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Éditions antérieures
- Winkler, chanson 4, p. 41-43 (texte de K) ;
- Rosenberg, 1981, p. 386-389, 1995, p. 640-645 (texte de N) ;
- Baumgartner & Ferrand, p. 118-123, texte de K.
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Classement des manuscrits / authenticité de la chanson
Les quatre mss appartiennent à la même famille. K, N et Me s'accordent pour attribuer la chanson à Thierri de Soissons
qui, croyons-nous, n'est autre que Raoul (voir
Le cas de Thierri de Soissons) et dans V, elle est
placée parmi d'autres pièces attribuables à Raoul.
En somme, rien ne contredit l'attribution à Raoul. Les variantes qui séparent
les mss sont peu nombreuses (cf. v. 22, hypermétrique dans les quatre mss)
mais il est intéressant de noter que V, qui
normalement forme un sous-groupe contre KNMe, s'accorde avec N contre
K à plusieurs reprises (au v. 7, 31, 53, 54, lacune au v. 21). Il
semble donc que le scribe de K ait puisé dans plusieurs sources.
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Établissement du texte
Texte de N, ms. que nous préférons quand cela est
possible. Quant à la dernière strophe, absente dans KV, on
notera la rupture de ton et de style avec ce qui précède, notamment le fait
qu'elle répète la matière de la strophe précédente et la façon dont Raoul
change de la première personne du singulier à la troisième (cf. Suchier,
p. 131).
Il n'est donc pas impossible que cette strophe
ait été ajoutée après coup.
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Interventions
- v. 21 - lacune : correction d'après K ;
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v. 22 - eschiers : le scribe a omis une
syllabe ; la correction en echequiers d'après Me rend le vers hypermétrique, ce qui
impose la suppression du mot initial car ;
- v. 35 - lacune : correction d’après
KV ;
- v. 67 - blant : forme qui ne convient pas ici, correction en
blanc.
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Versification et stylistique
Six strophes isométriques heptasyllabiques de 12 vers en coblas doblas.
Mélodie: |
A |
B |
C |
A |
B |
C |
D |
E |
B |
C |
C |
E |
(V donne une 2ème mélodie, ainsi que le signale Rosenberg) |
Schéma: |
a |
a |
b |
a |
a |
b |
b |
c |
c |
b |
b |
c |
(MW : 1) |
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7 |
7 |
7 |
7 |
7 |
7 |
7 |
7' |
7' |
7 |
7 |
7' |
(MW : 1) |
Particularités stylistiques :
- rimes grammaticales aux v. 23/24 entiers / entiere ;
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rimes paronymes aux v 49/52 vis / avis et aux v. 44/45 sorprengne /
preigne ;
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rimes
homonymes aux v. 25/29 plains / plainz ;
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rimes dérivées aux v. 32/36 souviengne / viengne ;
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le mot-clé legier/legiere paraît trois fois, dont deux fois à la
rime (v. 8 et 34) ;
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la construction car quant plus ... plus (avec antithèse) aux v.
33/34 et 40/41 ;
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laison du type capfinidas (reprise des mots ma douce dame du dernier vers de la
str. I au premier v. de la strophe II) ; le même type d'effet se produit aux
v. 36/37 (santé et
sains).
À noter : l'emploi de songier précédé d'un COI dans la tournure la joie de vos songier
(songer à vous) au v. 47.
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TraductionSur l'expression doubler les poinz de l'echequier, voir Charles Livingston, « Old French doubler
l'eskiekier » (MLN 45, p. 246-251). Selon Livingston, il
n'est pas impossible que cette expression ait été empruntée à l'occitan (p.
251) ; elle paraît dans une
chanson de
Marcabru : Auziriatz nausas e bauducx / E doblar entr'els
l'escaquiers (PC 293.3) et dans La chanson de la croisade contre les Albigeois :
... / Que nos avem doblatz los
pungs de l’esquaquier (cité dans Livingston). On la retrouve aussi dans Le
Roman de la Violette et dans les chansons R1607 (anonyme) et R287 (Guiot
de Provins). L'allusion à deux
échiquiers (unique dans la lyrique courtoise, à notre connaissance) renforce le sens de quantité infinie.
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LangueDans son ensemble, N présente un texte
francien, marqué par quelques picardismes (par ex. Alemaingne,
prouchains, mengier).
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Mélodie
La chanson de Raoul (harpe solo) a été enregistrée par l'ensemble
Venance Fortunat sur le
disque « Trouvères à la cour de Champagne » ; Anne-Marie Deschamps, directrice
de l'ensemble, nous a généreusement accordé sa permission de la publier.
À noter : la mélodie est celle du ms. V.
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Contrafacta
Dans son article « Ein Anonymus und Thierry de Soissons » [2],
Joachim Schulze propose un contrafactum de la chanson de Raoul, soit la chanson italienne
Già
non m'era mestiere (anonyme, sans
mélodie). La pièce italienne est composée de 12 vers heptasyllabiques comme celle de Raoul, mais il est à
noter qu’en italien, le dernier mot du vers se termine toujours
par une voyelle, normalement inaccentuée (l’équivalent du -e atone en
français). [3]
Un vers heptasyllabique à rime masculine en français correspond donc à un vers
octosyllabique en italien. Schulze voit des similarités surtout au niveau
lexical, soulignant le mot avamparlieri (Raoul : enparliers), hapax
legomenon dans le
corpus italien, et le mot-rime mestiere. Par ailleurs, la chanson
italienne comprend des coblas capfinidas. La théorie de Schulze est
certes intéressante, mais selon nos critères, l'application du terme
contrafactum est discutable dans ce cas-ci : les deux chansons ne partagent ni schéma métrique ni schéma
de rimes ni thème.
Maria Cristina Venturi souligne, dans son article « Ancora un caso
d'intertestualità fra trovieri e troviatori » [4], les
ressemblances textuelles entre
la chanson de Raoul, la R629 de Conon de Bethune (Chançon legiere a entendre), la PC262,3 de
Jaufre Rudel (Non sap chantar qui so non di), la
PC242,11 de Guiraut de Bornelh (A penas sai comensar) et la PC457,20 d'Uc
de Saint Circ (Chanzos q'es leus per entendre). Il s'agit cependant de
ressemblances thématiques et non pas métriques.
[1] Fauchet cite
le fragment comme faisant partie de la « IIII. chanson [de Thierry de Soissons] » (p. 133).
[2] Joachim Schulze, « Ein Anonymus und
Thierry de Soissons », Sizilianische Kontrafakturen (Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1989), p. 101-105.
[3] C’est
pourquoi l’endécasyllabe (l’équivalent du décasyllabe si fréquent en français)
se rencontre si fréquemment en italien. Cf. Domique Billy, « L'invention de l' endecasillabo »,
Carmina semper et citharae cordi. Études de philologie et de métrique
offertes à Aldo Menichetti (Genève, Slatkine, 2000), p. 31-46, et Martin
Duffell, « From Vidal to Lentini: History, heresy, and metrics », Linguistic Approaches to
Poetry, Belgian Journal of Linguistics 15 (2003), p. 151–171.
[4] Maria Cristina Venturi, « Ancora un caso
d'intertestualità fra trovieri e troviatori », Medievo Romanzo 13
(1988), p. 321-329.
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