Abrégé

Le trouvère picard Raoul de Soissons, né vers 1210 et mort peu après 1272, semble être mieux connu des historiens que des spécialistes de la littérature. Peu étudié comme poète, il nous a pourtant laissé au moins onze chansons et un jeu-parti. Dix-neuf manuscrits transmettent des chansons attribuées ou attribuables à Raoul, et si cette riche tradition manuscrite témoigne de la grande popularité dont a dû jouir son oeuvre, les contrafacta qu'elle a inspirés la confirme. Remarquons en outre que dans les chansonniers, les pièces de Raoul sont souvent placées à proximité de celles de trouvères illustres, comme Thibaut de Champagne, Gace Brulé, le Chastelain de Couci, Adam de la Halle et al. [1] En effet, tout permet de compter Raoul parmi les trouvères les plus doués de l'époque, son œuvre faisant preuve d'un maniement savant des techniques formelles et stylistiques peut-être comparable à celui que l'on accorde au « Prince des poètes » : Thibaut de Champagne, ami et confrère de Raoul. Chevalier, croisé et trouvère, Raoul fut un personnage intéressant et pittoresque dont la vie est assez bien documentée dans les chartes et chroniques; citons comme exemple les chroniqueurs Gilbert de Mons, qui le désigne vir strenuus et famosus (homme endurant et célèbre) [2] et Baudouin d'Avesnes, qui le décrit comme étant vaillans chevalier [3].

La seule édition de l'ensemble des chansons de Raoul est celle d'Emil Winkler, publiée en 1914 : Die Lieder Raouls von Soissons. Malgré son apport, l'ouvrage comporte des lacunes importantes (sur lesquelles nous reviendrons dans la section Éditions antérieures) et n'est plus aujourd’hui que difficilement accessible. Il nous a donc semblé utile de préparer une nouvelle édition critique de l'ensemble de l'œuvre lyrique de Raoul de Soissons. Nous la présentons sous forme électronique, ce qui, croyons-nous, constitue le moyen par excellence de communiquer l'essentiel du texte médiéval dans sa variance. Le site renferme un riche éventail de ressources et de données multimédia situant les textes dans leur cadre socioculturel, historique et intertextuel. Comme les manuscrits transmettent des mélodies pour chacune des chansons, l'édition peut, espérons-nous, servir de base à une édition musicale sur CD-ROM.


[1] Cf. Spanke, dans son commentaire sur l'ordre des chansons du manuscrit X : « Vielleicht ist es auch kein Zufall, dass die ganze Sammlung mit je einem Liede Raouls von Soissons begonnen und beschlossen wird, was auf eine besondere Wertschätzung dieses Dichters ... schließen ließe ». Hans Spanke, « Das öftere Auftreten von Strophenformen und Melodien in der altfranzösischen Lyrik », ZFSL LI (1928), p. 87. Le grand historien Estienne Pasquier, lui aussi, plaça Raoul parmi les trouvères les plus illustres de l'époque : « ... je vous diray que nostre Poësie Françoise ne se logea pas seulement aux esprits du commun peuple, ains en ceux mesmes des Princes & grands Seigneurs de nostre France. Parce qu'un Thibault Comte de Champagne, Raoul Comte de Soissons, Pierre Mauclerc Comte de Bretagne, voulurent estre de cette brigade; quelques-uns y adjoustent Charles Comte d'Anjou, frere de S. Louys », Les œuvres d'Estienne Pasquier t. 1er (Amsterdam: Cie des Librairies assoziez, 1723).  Ajoutons qu'en désignant Raoul « Comte » de Soissons, Pasquier se trompe, comme nous le verrons plus loin.

[2] Cf. L'abbé Pécheur, Annales du Diocèse de Soissons (Soissons, Chez Demoncy, 1875), p. 395.

[3] Monumenta Germaniae Historica, Scriptorum, t.XXV, 1890 (Hannover, Kraus Reprint Corp., 1964), p. 437.