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•«Aux origines du discours indirect libre...»
«Les modalités d'analyse discursive...»



Le Chevalier au Lion
Les Cent Nouvelles Nouvelles
L'Heptaméron
Le Jeu de l'Amour et du Hasard


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  «Aux origines du discours indirect libre : le Roman de Brut de Wace»
Danielle Forget, Pierre Kunstmann, France Martineau
Université d'Ottawa


Tiré de
Le discours rapporté dans tous ses états : Question de frontières, édité par Juan Manuel Lopez Munoz, Sophie Marnette et Laurence Rosier, L'Harmattan, 2004, p. 193.

EXTRAIT

Le texte que nous avons retenu atteste la présence du discours indirect libre (désormais DIL) comme mode discursif récurrent, parfaitement bien intégré à la structure linguistique. Il s'agit du Roman de Brut de l'écrivain normand Wace (c. 1100 - après 1174). Ce texte, de 14866 vers octosyllabiques, achevé en 1155, est une libre adaptation de l'Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, histoire qui va de la fondation mythique de la (Grande-) Bretagne par le troyen Brutus, arrière-petit-fils d'Énée, jusqu'à la fin du VIIe siècle de notre ère, l'époque du vénérable Bede. Le Brut a été lui-même adapté avant 1200 par Layamon, dont le poème de 32000 vers est l'un des premiers rédigés en moyen anglais. Wace, dans son roman, raconte notamment la légende du roi Lear et celle d'Arthur, qu'il développe sur plus de 4000 vers, faisant ainsi de son œuvre le premier roman breton de la littérature française.

Notre analyse s'attachera d'abord à préciser sous quelles formes se manifeste le discours indirect libre dans le Brut, pour ensuite discuter de la nécessité de faire intervenir des données contextuelles dans le repérage de ce type de rapport de parole. Finalement, en complément de l'analyse du Brut, nous examinerons les manifestations de DIL dans l'œuvre complète de Wace.

Le Brut accorde une place importante au « rapport » de parole. On ne s'étonnera pas de l'exploitation des paroles dans ce qui est, après tout, une chronique : le compte rendu des événements marquants passe par les actions mais aussi par les paroles, et de façon non négligeable par les points de vue – perceptions et pensée.

1. Les manifestations du DIL

Nous nous sommes limités, pour des raisons pratiques, à l'examen de la reproduction de la parole, de propos effectivement prononcés, laissant de côté les pensées rapportées. Pour mieux cerner le DIL dans ses exemples-types, nous avons privilégié une approche syntaxique dans la tradition de Charles Bally. Le DIL apparaît comme un écart par rapport aux formes canoniques du discours direct (DD) et du discours indirect (DI), qui se manifeste principalement de façons suivantes :

  • comme une translation dans le discours à rapporter : transposition des temps et modes et des repères déictiques, par rapport à un discours direct possible (dans nos textes, il arrive que ce dernier succède à un DIL, mais il ne le précède jamais).
  • comme un décrochage énonciatif : bris de construction, par rapport au discours indirect ou à la simple narration; développement d'un énoncé, par rapport au discours narrativisé.

(...)

5. Conclusion

L'étude du Brut de Wace confirme le fait que le discours indirect libre est attesté dans des écrits très tôt dans l'histoire littéraire. L'écrit comporte en fait toute une gamme de rapports de parole, allant du discours direct au discours indirect qui se prolonge souvent par une série énumérative marquée ou non de la conjonction de subordination, vers le discours indirect libre avec ou sans incise. De plus, il n'est pas rare de les trouver agencés dans un même extrait : ils renforcent alors l'importance de la parole citée sous des formes multiples dans ce genre qu'est la chronique où les discours échangés font partie intégrante de la trame événementielle. Le discours indirect libéré ou libre semble satisfaire au besoin du narrateur de relater selon son bon vouloir, tout en intégrant par moments la parole d'un personnage qui semble s'exprimer devant nous. Lorsque les différentes formes de rapport de parole sont agencées les unes aux autres, l'analyste peut parfois éprouver une difficulté à les catégoriser; ce qui confirme que les modalisations dans le rapport de parole relèvent d'un continuum. Le discours indirect libéré ou libre trouve tout naturellement sa place dans cet ensemble narratif comme en témoigne la variété des formes qu'il revêt et la souplesse avec laquelle il transmet le contenu événementiel.